Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at|http: //books. google .com/l
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //book s .google . coïrïl
i
tJKl VRKS COMPLKTKS
HK
FRANÇOIS ARAGO
TOME GINQriÈME
1 a propriété littéraire des divers ouvrages de François A&agi*, étant siouinisf
à des délais légaux différents, i^don qifils sont ou non des œnvres posthumes,
les éditeurs ont publié chaque ouvrage séparément. Ce titre collectif nVbt
donné ici que pour indiquer au relieur le meilleur clafiwment à adopter.
Far la mômo raison, la réserve du droit de traduction est faite au titn> (t
an verso dn faux titre de cbaipie ouvrage séparé.
r»r.j5. — iflPRivrtir nr j. riAtr, Rcr xaim-imoIt, 7,
ŒUVRES COMPLÈTES
1)K
FRANÇOIS ARAGO
>E(:KKTVinF. l'kHrÈTl. Kl.
Itt L'ACADÉMIE DKS SCIENCES
PI.BLIÉES
D'APRÈS SON (»H1)RE SOCS LA DIRECTION
ri:
M. J.-A. HAHUAL
Ancien ÉIAto «!«> rÊi^olo Polyttcbnlqac , ancien R^i>^titrur
•lans cpt BtaM{sM>nirnt.
TOME CINQUIÈME
PARIS LEIPZIG
GIDE ET J. BAUDRY, ÉDITEURS T. 0. WEIGEL, ÉDITEUR
!> Uuo Boiiaparl*
Knni^'s- Strass'*
1 »* 'Ir«.iit <li' tr.vliii ti--ii c>t r«'«:t'rTi'' .m iiti-i- ilij •^haqu'' «uvraiK' ^t'-par"-.
18 55
,'3^. e. 5ô
j
f
i I
NOTICES SCIENTIFIQUES
TOMK DEl'XIÈMK
■» •
- \
• • •• ,
N
Le» deiu fils de François Arago, seuls héritiers de ses droits, ainsi qne les
éditeiin>propriétaires de ses œuvres, se réserrent le droit de faire traduire
rAsnoHoiiiE popcLAUB daos tootes les langnes. Ih poorsuivront, en vérin
des lois, des décrets et des traités internationaux , tonte conlnfa^n on toute
traduction, ni£me partielle, faite an mépris de leurs droits.
Le dépôt légal de ce volume a été fait à Paris, au Ministère de l'Intérieur,
dans le courant de décembre 1855, et simultanément à la Direction royale du
Cercle de Leipsig. Les éditeurs ont rempli dans les autres pays tontes les
formalités prescrites par les lois nationales de chaque État, on par les
traités internationaux.
L^iniqne traduction en langue allemande, autorisée par les deux fils dt*
François Arago et les éditeurs, a été publiée simultanément à Leipzig, par
Otto '^''itiANn, libraire-éditeur, et le dépAi légal eu a été fait partout où les
lois IViigent.
i>A«IS. — lUPlilllESIE DR J ri.ATE RCI tAIXT-tMOll, 7.
ŒUVRES
1>K
FRANÇOIS ARAGO
SECRETAIRE PERPÉtTIKL
DK i/.\(:ai)K.mie des sciences
D'.^PRKS SON ORIiRE SOIS LA DIRECTION
h F.
M, J.-A. BAKUAL
KOTICES SCIENTIFIQUES
TOME DEUXIEME
TA lus
ii\b\i KT J. R AU DRY, ÉDITEURS
s Rue Riiiiaiiartc
LE{V7Ai\
T. 0 WKIGKL, ÉOITI'UR
K<•lli^^-Slra^M'
l.^- )>r<>)trii''t«ii-fi> ♦•■ rr-i-rrriit h- iln-it ■!♦■ Tiiri* traduin ••»• tuliinir.
1855
^
NOTICES SCIENTIFIQUES
NOTICE HISTORIQUE
SUR LES MACHINES A VAPEUR
CHAPITRE PREMIER
IXTnODLCTIOX
Je donne ici la quatrième édition de cette Notice his-
torique sur les machines à vapeur.
La bienveillance avec laquelle le public voulut bien
ric( ueillir mon travail lorsque je l'insérai dans Y Annuaire
(hi ïivrvnn des Longitudes de 1820, m'engagea à le repro-
duire d'abord dans Y Annuaire de 1830 et ensuite dans
celui de. 1837. Je le réimprime ici tel qu'il a déjà paru.
Je lo fais suivre de ma réponse aux critiques dont il a été
l'objet en Angleterre. On verra que je n'ai pas une seule
îiSs-ertion à modifier dans ce que j'ai d'abord publié
coîicernrmt l'origine de la machhie à feu et les améliora-
lions successives qu'elle a éprouvées.
La machine à vapeur a déjà rendu de trop grands ser-
vices à l'industrie et à la navigation, pour qu'il faille
sïtoiinor de l'empressement qu'on a mis à rechercher la
V. — II. 1
1 MACHINES A VAPEUR.
part que diverses nations peuvent s'attribuer dans cette
invention admirable. Toutefois, on n'apprendra pas sans
surprise que, dans la seule Angleterre, les libraires ont
vendu, en un très-petit nombre d'années, plus de cent
mille exemplaires des nombreux ouvrages où cette ques-
tion historique est débattue. Un aussi éclatant succès est
dû principalement, je n'en doute point, au vif intérêt
que la machine à vapeur devait naturellement exciter dans
un pays où on la retrouve à chaque pas; mais peut-être
sera-t-il permis de supposer que l'amour-propre natio-
nal y est entré aussi pour quelque chose. Consultez , en
effet, le membre de la Chambre des lords et un simple
artisan ; le négociant de la cité que ses brillantes spécu-
lations ont conduit dans toutes les régions du monde , et
le fermier qui n'a jamais dépassé les limites de son comté;
parcourez les immenses manufactures de Birmingham ,
de Manchester, de Glasgow et le plus humble atelier d'un
cottage ; partout on vous dira que le marquis de Worcester
est le premier inventeur de la machine à vapeur ; partout
on citera à la suite de ce nom les noms, tous anglais, de
Savery, de Newcomen, de Beighton, de Watt, d'IIorn-
blower, de Woolf, etc. En général , les gens de lettres et
ceux qui font de la culture des sciences leur occupation
spéciale, n'ont pas à ce sujet des opinions moins arrêtées.
Si vous ouvrez V Encyclopédie récente du docteur Rccs,
vous y trouverez ces lignes : « La machine à vapeur vient
immédiatement après le vaisseau, dans l'échelle dos
inventions; mais dans une Encyclopédie anglaise elle doit
occuper le premier rang, à cause qu'elle a été entière-
ment {wholly) inventée et mise en pratique par nos com-
MACHINES A VAPEUR. 3
patriotes (article steam Engine^ 2* col.); et onze lignes
plus bas, comme si le premier passage n'était pas assez
clair : < La machine à feu a été inventée par un petit
nombre d'individus, tous anglais {ail of them English-
men). > Le célèbre professeur John Robison d'Édinburgh
est tout aussi positif. < La machine à feu, dit-il, fut sans
aucun doute inventée pour la première fois par le mar-
quis de Worcester, sous le règne de Charles IL » (Voyez
A System of mechanical Philosophy^ U il, p. Û6.) Après
avoir réfuté ensuite, par des arguments que j'examinerai,
les prétentions des auteurs français qui affectent (affect)
de mêler le nom de Papin à l'histoire de la machine à
vapeur, Robison déclare t qu'il n'hésite en aucune ma-
nière à donner l'honneur de la première et complète inven-
tion au marquis de Worcester. » (Voyez A System ^ etc.,
p. 50. ) Un savant non moins illustre par la profondeur de
ses connaissances que par sa vaste érudition , le docteur
Thomas Young, a joint son imposant témoignage à ceux
je viens de produire. Suivant lui , le marquis de Worcester
est le premier inventeur de la machine à feu , le premier
qui se soit servi de la pression de la vapeur comme mo-
teur. Dans l'aperçu rapide qu'il donne des améliorations
que cette machine a successivement reçues, on ne voit
aussi figurer que des mécaniciens anglais. {Leclures on
nainral Philosophy, t. i", p. Sft6 et 356. ) Je pourrais
encore citer l'habile professeur de mécanique à l'Institu-
tion royale, M. MiUington; un membre distingué de la
nouvelle Université de Londres, M. Lardner; l'auteur
d'un traité de Mécanique pratique estimé, M. Nichol-
son, etc., etc.
4 MACHINES A VAPEUR.
Des décisions si nombreuses, si positives, la juste répu-
tation des ouvrages dans lesquels je les ai puisées, ne me
semblaient pas même permettre l'ombre d'un doute. Aussi
lorsque, d'après le désir des élèves de l'École polytech-
nique, j'essayai vers 1823 de tracer la série chronologique
des perfectionnements que la machine à vapeur a éprou-
vés depuis son origine jusqu'à nos jours, je m'attendais,
je le dis franchement, à n'avoir que des mécaniciens
anglais à citer. C'était cependant une erreur : nos voisins
de l'autre côté du détroit ne sont ni les seuls ni même
les premiers inventeurs de la machine à vapeur. C'est du
moins ce qui me paraît résulter d'un certain nombre de
documents que je vais rapporter. Je suis certain d'avoir
examiné sans prévention ce point curieux de l'histoire
des sciences. Mes citations, mes analyses seront exactes,
on peut y compter. Si les conséquences que j'en ai dé-
duites ne l'étaient pas, chacun les rectifierait lui-même,
puisqu'il aura sous ses yeux tous les éléments de la
question. Au reste, je dois dire, avant de terminer ce
préambule, quMI a paru récemment, en Angleterre même,
un ouvrage remarquable intitulé Histoire descriptive de la
Machine à feu^ par M. Robert Stuart, et dans lequel tous
les essais qu'on a faits pour se servir de la vapeur d'eau
comme agent mécanique, se trouvent appréciés avec
beaucoup de discernement, et, ce qui est plus rare en-
core , avec une abnégation complète de tout préjugé
national ; sauf un petit nombre d'exceptions, les opinions
de M. Stuart sur le mérite relatif des ingénieurs qui ont
concouru à la création de cette merveilleuse machine ,
sont parfaitement conformes à celles que j'avais puisées
MACHINES A VAPEUR. 5
dans la lecture des titres originaux. Cet accord m'a trop
flatté pour que je ne doive pas m'en prévaloir avec em-
pressement J'ajouterai même que si ma Notice n'avait
pas été rédigée en très- grande partie lorsque j'eus con-
naissance de l'histoire de M. Robert Stuart, je me serais
probablement contenté de publier une simple analyse de
ce livre : le but que je me proposais aurait été également
atteint*
J'espère que les lecteurs apprécieront les motifs qui
m'ont déterminé à ne pas suivre strictement l'ordre chro-
nologique dans toutes les parties de cette Notice. J'ai
pensé qu'il y aurait plus de clarté à grouper ensemble les
paragraphes relatifs aux modes divers et plus ou moins
avantageux qui ont été successivement imaginés pour faire
agir la vapeur. Les détails du mécanisme, quoique fort
importants, ne me paraissent devoir marcher qu'en se-
conde ligne.
CHAPITRE II
UACHIIIES ATMOSPHÉRIQUES OU A BASSE PRESSION
§1-
120 ans avant J.-C, Héron d'Alexandrie '.
Lorsque les liquides , les gaz ou les vapeurs s'écoulent
des vases qui les renferment sous certaines conditions que
1. Héron d'Alexandrie, dit TAncien, vivait environ 120 ans avant
notre ère. La plupart des nombreux ouvrages qu'il composa sont
perdus : il n'en reste plus que trois. La machine à réaction dont il
doit être ici question se trouve décrite et représentée dans le traité
intitulé Spiritalia seu pneumatica. On a prétendu qu'Héron fut le
premier inventeur des roues dentées, mais cet honneur appartient»
6 MACHINES A VAPEUR.
je vais décrire, ils deviennent une cause de mouvement
qu'il est nécessaire de bien apprécier si Ton veut com-
prendre le jeu d'un petit appareil imaginé par Héron
d'Alexandrie, et qui offre, je pense, le premier exemple
de l'emploi de la vapeur comme force motrice.
Concevons (fig. i) un tube coudé ABC dont les deux
Fig. 1. — Principe des machines à réaction.
branches AB et BC se rencontrent rectangulaireraent.
Supposons que la branche BA soit verticale, qu'elle passe
librement dans un anneau fixe mn et qu'elle repose par
le bas sur une pointe aiguë T, de manière à pouvoir
tourner sur elle-même sans obstacle. Si dans cet état on
verse de l'eau par l'entonnoir supérieur, nous aurons deux
cas bien distincts à considérer. Quand l'écoulement du
liquide s'opérera par l'extrémité C, dans la direction BC,
tout l'appareil demeurera immobile. Quand, au contraire,
je crois , à son maître Ctésibias. Ses clepsydres et surtout ses auto-
mates excitèrent l'admiration de l'antiquité. La fontaine qui porte
le nom d'Héron a reçu diverses applications importantes, même de
nos jours : elle sert, par exemple, dans les mines de Schemnitz, en
Hongrie, comme machine d'épuisement
MACHINES A VAPEUR. 7
le tube BG sera bouché à son extrémité G et que le liquide
sortira seulement par une ouverture latérale S, dans une
direction horizontale, la machine prendra d'elle-même
du mouvement. Elle tournera autour de AB , tant que
l'écoulement durera , mais en sens contraire de la direo*
tion suivant laquelle se formera le jet. Si Teau, par
exemple , s'élance d'arrière en avant , le tube horizontal
BC se transportera, en tournant, d'avant en arrière»
comme par une espèce de recul.
Toutes les machines dans lesquelles l'eau a été em-
ployée de cette manière , portent le nom de machines à
réaction.
Un gaz qui parcourrait rapidement le tube coudé ABC,
produirait les mêmes effets que l'eau : le tube resterait
immobile quand le gaz s'échapperait dans la direction
BC ; il tournerait au contraire si l'écoulement avait lieu
latéralement.
Ces considérations préliminaires suffisent pour que l'on
comprenne le mode d'action de la vapeur dans la ma-
chine d'Héron.
Imaginons qu'une sphère métallique creuse (fig. 2,
page 8), susceptible de tourner entre deux tourillons A
et B, soit remplie d'une vapeur très-élastique ; que cette
vapeur puisse sortir de la sphère par un tuyau saillant DC
perpendiculaire à AB et placé sur le prolongement d'un
des rayons. On devine déjà que si le tuyau DC est ouvert
à son extrémité, il ne tendra pas à tourner, et que la
sphère restera en repos; que si, au contraire, l'écoule-
ment s'opère par une ouverture latérale S, d'arrière en
avant, par exemple, le tuyau reculera et tendra à faire
8
MACHINES A VAPEUR.
tourner d'avant en arrière la sphère à laquelle il est lié.
Pour rendre ce mouvement de rotation continu , il suffira
d'ajouter aux suppositions précédentes , celles qu'un des
deux tourillons (A si Ton veut) est creux, qu'il se trouve,
par un bout , en communication avec l'intérieur de la
sphère , et par l'autre , avec une chaudière : la vapeur
déposée en S sera ainsi continuellement remplacée au fur
et à mesure de son écoulement.
Fig. 2. — Mode d^actioa de la Tapeur dans la macliiue d'Héron.
Sur la figure qu'Héron a donnée de son petit appareil,
on aperçoit deux tuyaux semblables à celui que je viens
de décrire. Ils forment les prolongements opposés d'un
môme diamètre et leurs ouvertures latérales sont dispo-
sées de manière qu'ils tendent à faire tourner la sphère
dans le môme sens.
11 y a aussi dans les Spirttalia la description d'une
machine toute semblable à la précédente, avec cette dif-
férence seulement qu'un courant d'air échauffé y rem-
place le courant de vapeur.
En résumé , on trouve un certain emploi de la vapeur
MACHINES A VAPEUR. 9
aqueuse dans un des appareils décrits par Héron , mais
cette vapeur y agit tout autrement que dans les machines
modernes. Watt, à qui les essais du mécanicien grec
n'étaient pas inconnus, croyait qu'on ne pourrait jamais
en tirer rien d'utile. D'autres personnes, si je suis bien
informé , augurent au contraire assez favorablement des
effets qu'il serait possible d'obtenir avec le mécanisme
d'Héron perfectionné, pour avoir cherché, par un brevet,
à s'en assurer la jouissance exclusive : le temps et l'expé-
rience prononceront. On voit seulement que si, par des
modifications dont nous n'avons aucune idée, des ma-
chines à vapeur et à réaction réussissaient un jour et qu'on
jugeât à propos d'en écrire l'histoire, il faudrait s'em-
presser de signaler Héron comme leur premier inventeur.
Quant à moi, j'aurais pu me dispenser d'en parler,
puisque je ne dois m' occuper actuellement que des ma-
chines connues, que des machines employées dans les
usines, et que celles-ci n'ont aucune ressemblance avec
la sphère tournante du savant d'Alexandrie. Peut-être
même eût- il été convenable de citer ici de préférence les
auteurs qui, tels qu'Aristote et Sénèque, attribuent les
tremblements de terre à la transformation subite de l'eau
en vapeur. Cette transformation, suivant eux, s'opère
dans les entrailles du globe par la chaleur souterraine ; or,
les grands effets qu'ils veulent expliquer montrent bien
de quelle énorme puissance mécanique la vapeur leur
semblait douée. J'espère, en tous cas, qu'on me pardon-
nera ce paragraphe, quand on verra qu'il donne une solu-
tion naturelle de la question importante qu'a fait naître
naguère la pièce dont je vais maintenant m'occuper.
40 MACHINES A VAPEUR.
§2.
15&3. Blasco de Garay.
M. de Navarrete a publié en 1826, dans la Correspon-
dance astronomique de M. le baron de Zach, la Note
ci-après, qui lui avait été communiquée par M. Thomas
Gonzalez, directeur des archives royales de Simancas.
c Blasco de Garay, capitaine de mer, proposa , Pan
15ilt3, à l'empereur et roi Charles- Quint, une machine
pour faire aller les bâtiments et les grandes embarcations,
même en temps de calme, sans rames et sans voiles.
« Malgré les obstacles et les contrariétés que ce projet
essuya, Tempereur ordonna que Ton en fît l'expérience
dans le port de Barcelone, ce qui effectivement eut lieu
le jour 17 du mois de juin de ladite année 15/i3.
a Garay ne voulut pas faire connaître entièrement sa
découverte. Cependant on vit, au moment de l'épreuve,
qu'elle consistait dans une grande chaudière d'eau bouil-
lante et dans des roues de mouvement attachées à l'un et
à l'autre bord du bâtiment.
t On fit l'expérience sur un navire de 200 tonneaux ,
appelé la Trinité, arrivé de Colibre pour décharger du
blé à Barcelone , capitaine Pierre de Scarza.
a Par ordre de Charles- Quint, assistèrent à cette expé-
rience don Henri de Tolède, le gouverneur don Pierre
de Cardona, le trésorier Ravage, le vice -chancelier et
l'intendant de la Catalogne...
t Dans les rapports que l'on fit à l'empereur et au
prince , tous approuvèrent généralement cette ingénieuse
MACHINES A VAPEUR. 41
invention , particulièrement à cause de la promptitude et
de la facilité avec laquelle on faisait virer de bord le
navire.
« Le trésorier Ravage, ennemi du projet, dit qu'il irait
deux lieues en trois heures, que la machine était trop
compliquée et trop coûteuse, et que l'on serait exposé au
péril que la chaudière éclatât. Les autres commissaires
assurèrent que le navire virait de bord avec autant de
vitesse qu'une galère manœuvrée suivant la méthode ordi-
naire, et faisait une lieue par heure, pour le moins.
« Lorsque l'essai fut fait, Garay emporta toute la ma-
chine dont il avait armé le navire ; il ne déposa que les
bois dans les arsenaux de Barcelone, et garda tout le
reste pour lui.
« Malgré les oppositions et les contradictions faites par
Ravago, l'invention de Garay fut approuvée, et si l'expé-
dition dans laquelle Charles-Quint était alors engagé n'y
eût mis obstacle, il l'aurait sans doute favorisée.
« Avec tout cela, l'empereur avança l'auteur d'un grade,
lui fit un cadeau de 200,000 maravédis, ordonna à la
Trésorerie de lui payer tous les frais et dépenses , et lui
accorda en outre plusieurs autres grâces.
« Cela résulte des documents et des registres originaux
que l'on garde dans les archives royales de Simancas,
parmi les papiers de l'état du conunerce de Catalogne et
ceux des secrétariats de guerre, de terre et de mer dudit
an 1543.
cTuOMAS GOZALEZ.
« Simancas, 27 août 1825. n
Suivant M. de Navarrete, il résulte de la Note qu'on
42 MACHINES A VAPEUR.
vient de lire, « que les vaisseaux à vapeur sont une inven-
tion espagnole , et que de nos jours on Fa seulement fait
revivre. » De là découlerait aussi la conséquence que
Blasco de Garay doit être considéré comme le véritable
inventeur des machines à feu !
Ces prétentions me paraissent de nature à être repous-
sées Tune et l'autre. En thèse générale, l'histoire des
sciences doit se faire exclusivement sur des pièces impri-
mées. Des documents manuscrits ne sauraient avoir aucune
valeur pour le public, car le plus souvent il est dépourvu
de tout moyen de constater l'exactitude de la date qu'on
leur assigne. Des extraits de manuscrits sont moins admis-
sibles encore. Quelquefois Tauteur d'une analyse n'a pas
bien compris l'ouvrage dont il veut rendre compte , et il
substitue , même sans le vouloir, les idées de son temps ,
ses propres idées, aux idées de l'écrivain qu'il abrège.
J'accorderai, toutefois, qu'aucune de ces difficultés n'est
applicable dans la circonstance actuelle , que le document
cité par M. de Navarrete est bien de 1543, et que l'extrait
de M, Gonzalez est fidèle; mais qu'en résultera -t-il?
qu'on a essayé, en 1543, de faire marcher les bateaux
avec un certain mécanisme, et rien de plus. La machine
dit-on, renfermait une chaudière , donc c'était une ma-
chine à vapeur. Ce raisonnement n'est point concluant.
11 existe, en effet, dans divers ouvrages, des projets de
machines où l'on voit du feu sous une chaudière remplie
d'eau, sans que la vapeur y joue aucun rôle : telle est,
par exemple, la machine d' Amenions. Enfin, lors môme
qu'on admettrait que la vapeur engendrait le mouvement
dans la machine de Garay, il ne s'ensuivrait pas néces-
MACHINES A VAPEUR. 43
saîrement que cette machine était nouvelle et qu'elle avait
quelque ressemblance avec celle d'aujourd'hui, car Héron,
comme on Ta déjà vu, décrivait, 1600 ans auparavant,
le moyen de produire un mouvement de rotation par l'ac-
tion de la vapeur. J'ajouterai même que si rexpériencc
de Garay a été faite , que si sa machine était à vapeur,
tout doit porter à croire qu'il employait l'éolipyle d'Héron.
Cet appareil, en effet, n'est pas d'une exécution très-
dilTicile , tandis que (on peut l'assurer hardiment) la plus
simple des machines à vapeur d'aujourd'hui, exige dans
sa construction une précision de main-d'œuvre fort supé-
rieure à tout ce qu'on aurait pu obtenir au xvr siècle.
Au reste , Garay n'ayant voulu montrer sa machine à
personne, pas même aux commissaires que l'empereur
Charles- Quint avait nommés, toutes les tentatives qu'on
pourrait faire , après trois siècles , pour établir en quoi
elle consistait, n'amèneraient évidemment aucun résultat
certain.
En résumé , le nouveau document exhumé par M. de
Navarrete doit être écarté, 1* parce qu'il n'a été imprimé
ni en 1543 ni plus tard; 2* parce qu'il ne prouve pas que
le moteur de la barque de Barcelone était une véritable
machine à vapeur ; S* parce qu'enfin si une machine à
vapeur de Garay a jamais existé c'était, suivant toute
apparence, l'éolipyle à réaction décrite dans les Œuvres
d'Héron d'Alexandrie.
44 MACHINES A VAPEUR,
§3.
1615. Salomon de Caus *.
Salomon de Caus est l'auteur d'un ouvrage intitulé :
Les Raisons des forces mouvantes, avec diverses machines
tant utiles que plaisantes, etc. Cet ouvrage parut à Franc-
fort en 1615. On y trouve, entre autres choses ingénieuses
que plusieurs mécaniciens ont présentées de nos jours
comme nouvelles, un théorème ainsi conçu, sous le n** 5 :
Veau montera par aide du feu plus haut que san niveau.
Voici en quels termes Caus justifie cet énoncé :
L Par une bizarrerie bien digne de remarque, un homme que la
postérité regardera peut-être comme le premier inveuteur de la
machine à feu , n'est cité dans Thistoire des mathématiques de Mon-
tucla qu'à Toccasion de son Traité de perspective^ et encore la
citation n'est-elle que de cinq mots. A peine a-t-11 aussi obtenu les
honneurs d'un article de quelques lignes dans les volumineux dic-
tionnaires biographiques publiés de nos jours. La Biographie uni-
ver selle le fait naître et mourir en Normandie. Elle dit qu'il habita
quelque temps l'Angleterre, où il fut attaché au prince de Galles.
Dans les Raisons des Forces mouvantes^ Salomon de Caus prend lui-
même le titre d'ingénieur et d'architecte de Son Altesse palatine
électorale. Cet ouvrage fut composé, je crois, à Ueidelberg ; il a été
imprimé à Francfort ; ces trois circonstances ont fait supposer à
quelques personnes que Caus était Allemand. Mais remarquons
d'abord combien il serait peu probable qu'un AUemand eût écrit en
français dans son propre pays. Ajoutons que dans la dédicace au
roi très-chrétien (Louis XIII), la formule suivante précède la signa-
ture : de Votre Majesté, le très-obéissant subject; qu'enfin on lit
dans le privilège, et ceci tranche tous les doutes : « Nostre bien
aimé Salomon de Caus, maistre ingénieur, estant de présent au
service de nostre cher et bien aimé cousin le prince Électeur Pala-
tin, nous a fait dire, etc , désirant gratifier ledict de Caus,
comme estant nostre subject, etc. » Ainsi Salomon de Caus était
Français,
MACHINES A VAPEUR.
45
€ Le troisième moyen de faire monter l'eau est par
l'aide du feu, dont il se peut faire diverses machines.
J'en donnerai ici la démonstration d'une.
c Soit (Qg. â) une balle de cuivre marquée A, bien
F!g. 3. <— EiplicAtion de Tascension de l*eau dans la machino
de SalomoD de Gaos.
soudée tout à Tentour, à laquelle il y aura un soupirail
marqué D par où l'on mettra l'eau, et aussi un tuyau
marqué BC qui sera soudé en haut de la balle ; et le bout
C approchera près du fond , sans y toucher ; après faut
emplir ladite balle d'eau par le soupirail , puis le bien
reboucher et la mettre sur le feu ; alors la chaleur don-
nant contre ladite balle , fera monter toute l'eau par le
tuyau BC. »
L'appareil dont je viens de transcrire la description est
une véritable machine à vapeur propre à opérer des épui-
sements. Mais peut-être supposerait- on, si je me bornais
au passage précédent , que Salomon de Caus ignorait la
cause de l'ascension du liquide par le tuyau BC, Cette
46 MACHINES A VAPEUR.
cause lui était parfaitement connue, et j'en trouve la
preuve dans son théorème 1*% p. 2 et 3, où, à l'occasion
d'une expérience toute semblable, il dit que « la violence
de la vapeur (produite par l'action du feu) qui cause l'eau
de monter, est provenue de ladite eau, laquelle vapeur
sortira après que l'eau sera sortie par le robinet avec
grande violence. »
§*•
1629. Branca,
Branca est l'auteur d'une compilation intitulée : Le
macchine del sig. G. Branca; Roma 1629. Cet ouvrage
renferme la description de toutes les machines dont l'au-
teur avait eu connaissance. Dans ce nombre, on remarque
un éolipyle placé sur un brasier, et disposé de manière
que le courant de vapeur, sortant par un tuyau, allait
frapper les ailes ou les augets d'une petite roue horizon-
tale et la faisait tourner. Le vent de la tuyère d'un souf-
flet ordinaire aurait évidemment produit le même effet.
Je n'ai pas encore deviné d'après quelles analogies on
a pu voir dans cet éolipyle le premier germe des ma-
chines à vapeur employées de nos jours. En tout cas, et
je me bornerai à cette remarque, le recueil de Branca est
postérieur, de beaucoup , aux deux premières éditions do
l'ouvrage de Salomon de Caus.
MACHINES A VAPEUR. f7
§ 5.
1663. Le uarquis de Worcester *.
The Scantling ofone kundred Inventions ^ par le mar-
quis de Worcester, parut en 1663 pendant le règne de
Charles IL Ce livre est plus généralement connu sous le
titre de Ceniury àf Inventions. L'appareil que les auteurs
anglais regardent comme la première machine à feu, est
décrit dans ces termes (c'est la 68* invention) :
« J'ai inventé un moyen admirable et très-puissant
d'élever l'eau à l'aide du feu, non par aspiration, car
alors on serait renfermé , comme disent les philosophes ,
inlra sphœram activitatis^ l'aspiration ne s'opérant que
pour certaines distances; mais mon moyen n'a pas de
limite, si le vase a une force sufDsante. Je pris en effet un
canon entier dont la bouche avait éclaté, et l'ayant rem-
i. Edward Somerset, marquis de Worcester, que les Anglais re-
gardent comme le véritable inventeur de la machine à feu , vivait
sous le r^gne des derniers Stuarts. Jeté dans toutes les intrigues de
cette époque, H éprouva bien des traverses. Worcester perdit d'abord
son immense fortune; il ne passa en Irlande que pour y être em-
prisonné ; il s^évada, atteignit la France, retourna à Londres par les
ordres de Charles II, fut découvert et enfermé dans la Tour, d'oi\
il ne sortit qu'à la restauration. La tradition rapporte que les idées
•le Worcester sur l'emploi qu'il serait possible de faire de la force
dont la vapeur aqueuse est douée, furent éveillées pendant sa der-
nière détention, par le souh^vemcnt subit du couvercle de la mar-
mite dans laquelle ses aliments cuisaient. Si l'anecdote était vraie,
elle ferait beaucoup d'honneur à l'esprit inventif du prisonnier,
mais elle montrerait en même temps son peu d'érudition ; car il
faudrait admettre qu'il ne connaissait pas l'ouvrage de Salomon de
Caus ; or, on sait qu'une seconde édition de ce livre avait paru en
France pendant que Worcester y résidait,
V.— II. 2
48 MACHINES A TAPEUR.
pli d'eau aux trois quarts, je fermai par des vis l'extré-
mité rompue et la lumière ; j'entretins ensuite dessous un
feu constant, et au bout de vingt-quatre heures le canon
se brisa en faisant un grand bruit. Ayant alors trouvé le
moyen de former des vases de telles manières qu'ils sont
consolidés par la force intérieure *, et qui se remplissent
l'un après l'autre, j'ai vu l'eau couler d'une manière conti-
nue comme celle d'une fontaine, à la hauteur de quarante
pieds. Un vase d'eau raréfiée par l'action du feu, élevait
quarante vases d'eau froide. L'ouvrier qui surveille la
manœuvre n'a que deux robinets à ouvrir, de telle sorte
qu'au moment où l'un des deux vases est épuisé, il se
remplit d'eau froide pendant que l'autre commence à
agir, et ainsi successivement. Le feu est entretenu dans
un degré constant d'activité par les soins du même ou-
vrier; il a pour cela tout le temps nécessaire durant
1. Ce passage a été traduit presque toujours d'une autre manière :
« Ayant découvert, fait-on dire à Worcester, le moyen de fortifier
les vaisseaux intérieurement, etc., etc. » La plirase, je dois l'avouer,
est beaucoup plus raisonnable que celle de ma version , mais c'est
presque un argument contre sa fidélité, tant en général les projets
de W^orcester sont chimériques et extravagants. Au reste, voici le
texte original : « Having a way to make my vessels so that they are
strengthened hy the force within them, etc., etc. » Il m'a semblé
que force within them ne peut pas désigner des moyens de conso-
lidation intérieurs. Si j'ai bien compris ces paroles, Worcester, pour
répondre à une objection qu'il prévoyait, a jugé convenable d'as-
surer que ses nouveUes chaudières n'éclateraient jamais; et en effet,
il aurait atteint ce but si , comme U le dit, elles devenaient d'autant
plus fortes que la vapeur les presserait avec plus d'intensité de
dedans en dehors. Cette circonstance donnera un nouveau poids à
l'opinion de ceux qui pensent que Worcester n'a jamais fait l'essai
de sa machine, mais je m'empresse de faire remarquer que tout cela
est sans importance quant à la question de priorité qu'il faut dis-
cuter ici.
MACHINES A VAPEUR. 19
les intervalles que lui laisse la manœuvre des robinets. »
Le lecteur connaît maintenant tout ce que le marquis
de Worcester a jamais écrit sur la machine à feu. C'est
Tunique titre sur lequel se fonde M. Partington, de T In-
stitution de Londres, dans sa nouvelle édition (1825) de
la Century of Inventions, pour décider avec tous ses com-
patriotes que t Worcester est le premier homme qui ait
découvert un moyen d'appliquer la vapeur comme agent
mécanique; invention qui seule, ajoute -t- il, suffirait
pour immortaliser Tâge dans lequel cet homme vivait. »
Examinons à notre tour ce paragraphe tant de fois cité,
et voyons, sans partialité, ce qu'au fond on y trouve.
J'y vois d'abord une expérience propre à montrer que
l'eau réduite en vapeur peut , à la longue , rompre les
parois des vases qui la renferment. Cette expérience était
déjà connue en 1605, car Flurence Rivault dit expressé-
ment que les éolipyles crèvent avec fracas quand on em-
pêche la vapeur de s'échapper. Il ajoute même : « L'effet
de la raréfaction de l'eau a de quoi épouvanter les plus
assurés des hommes^. » {Éléments cT artillerie , p. 128.
Paris, 1605.)
J'y vois encore l'idée d'élever de l'eau à l'aide de la
force élastique de la vapeur. Cette idée appartient à
L J^empruDte cette citation à Tun des curieux articles histori-
ques, si riches d'érudition, que M. de Montgéry a publiés sur les
machines dans lesquelles le feu est employé d'une manière quel-
conque, et je la substitue au passage suivant de Salomon de Caus
que j'avais d'abord inséré dans le texte. Ce passage n'a paru que dix
ans plus tard, c'est-à-dire en 1615, mais près de cinquante ans toute-
fois avant la Century of inventions : « La violence sera grande
quand l'eau s'exhale en ah* par le moyen du feu et que ledit air est
20 MACHINES A VAPEUR.
Salomon de Caus, qui l'avait publiée quarante-huit ans
avant l'auteur anglais.
J'y trouve enfin la description d'un appareil propre à
opérer cet effet ; mais qui n'a pas reconnu que la boule
métallique de Salomon de Caus élèverait aussi de l'eau à
une hauteur quelconque , si l'on supposait ses parois suf-
fisamment fortes et la chaleur assez intense ? Peut-être
dira-t-on que la machine du marquis de Worcester est
préférable? Je pouri'ais l'accorder sans que cela tirât à
conséquence, car il n'est pas question , dans ce moment,
de rechercher quel ingénieur a imaginé la meilleure ma-
chine à feu, mais seulement qui a pensé le premier à tirer
parti de la force élastique de la vapeur pour soulever un
poids ou pour produire du mouvement. Au reste, avant de
comparer le projet du marquis de Worcester à tout autre
projet, il faudrait savoir bien exactement en quoi le pre-
mier consistait. Ce problème n'a pas encore été résolu ,
par la raison toute simple que la description de la soixante-
huitième invention du lord anglais manque totalement de
clarté. Personne, aujourd'hui , ne serait embarrassé s'il
fallait construire une machine d'épuisement dans laquelle
l'eau serait soulevée par l'action de la vapeur ; mais quand
il est question de reproduire celle du marquis de Wor-
enclos ; comme par exemple , soit une balle de cuivre d'un pied ou
deux en diamètre et épaisse d'un pouce , laquelle sera remplie d'eau
par un petit trou , lequel sera bouché bien fort avec un clou , en
sorte que Teau n'en puisse sortir; il est certain que si l'on met
ladite balle sur un grand feu, en sorte qu'elle devienne fort chaude,
qu'il se fera une compression si violente que la balle crèvera en
pièces, avec bruit semblable à un pétard, n {Les Raisons des Forces
mouvantes^ livre premier, feuillet premier, verso.)
MACHINES A VAPEUR. 21
cester, on doit s'astreindre à faire ce que dit Fauteur, et
pas davantage.
En s'imposant ces deux conditions , M. Stuart a trouvé
qu'on approcherait, autant que possible, de la description
de son compatriote, si Ton groupait deux appareils de
Salomon de Causde manière à produire par leur jeu alter-
natif un écoulement continu. Les autres solutions qu'on
a données jusqu'ici de la même question, celle de Mil-
lington , par exemple , sont évidemment inadmissibles.
Lorsque MM. Thomas Young, Robison, Partington,
Tredgold, Millington , Nîcholson, Lardner, etc. , présen-
taient le marquis de Worcester comme l'inventeur de la
machine à feu , l'ouvrage de Salomon de Caus leur était
sans doute inconnu. Puisqu'il demeure maintenant établi,
sans réplique, que la première idée de soulever des poids
à l'aide de la force élastique de la vapeur appartient à
l'auteur français ; que si même la machine de son compé-
titeur a jamais existé, elle était, suivant toute apparence,
l'appareil décrit près d'un demi -siècle auparavant dans
l'ouvrage intitulé Raisons des forces mouvantes^ il faut
supposer qu'on ne manquera pas à l'avenir d'inscrire le
nom modeste de Salomon de Caus partout où jusqu'ici
avait figuré en première ligne celui du marquis de Wor-
cester.
22 MACHINES A VAPEUR.
§6.
1683. Sir Samuel Morcland K
Si je ne voulais parler dans cette Notice que des per-
sonnes dont les travaux ont réellement contribué, soit b
créer, soit à améliorer les machines à vapeur, le nom du
chevalier Moreland n'y figurerait pas; mais ce nom étant
cité en Angleterre par la presque totalité des auteurs qui
se sont occupés des machines à feu , je n'ai pas pu me
dispenser d'en faire moi-même mention, ne fût-ce qu'afin
de justifier l'opinion que je viens d'émettre.
Il y a au Musée britannique un très-beau manuscrit du
chevalier Moreland, intitulé : Élévation des eaux par
toutes sortes de machines j réduites à la mesure^ au poids
et à la balance j présenté à Sa Majesté Très- Chrétienne
par le chevalier Moreland, gentilhoumie ordinaire de la
chambre privée et maître des mécaniques du roi de la
Grande-Bretagne 2, Dans ce manuscrit de 38 pages,
1. Sir Samuel Moreland prit, comme Worcester, une part active
aux événements de la guerre civile. Gromwell remploya daas plu-
sieurs missions diplomatiques. Ses compatriotes assurent jijuMl fut
simultanément secrétaire de Thurloê et espion en titre du roi. A la
restauration, Charles II le nomma baronnet Moreland s'était occupé
de diverses questions d'acoustique, entre autres de la meilleure
forme à donner aux porte-voix. Il mourut à Hammersmith dans le
mois de janvier 1696, après avoir eu l'idée bizarre de faire enterrer
à la profondeur de six pieds, en signe de repentir pour sa vie passée,
une grande collection d'ouvrages de musique qu'il possédait
2. Il existe un ouvrage de Moreland, imprimé à Paris en 1685»
et qui a presque exactement le même titre que le manuscrit du
British muséum. Le chapitre relatif à la vapeur ne s'y trouve pas.
L'auteur seulement, en énumérant dans sa préface toutes les espèces
MACHINES A VAPEUR. 23
rartlcle relatif à la machine à vapeur occupe /i pages seu-
lement , et se trouve distingué du reste par un titre par-
ticulier. Voici le paragraphe sur lequel on se fonde en
Angleterre pour attribuer à Moreland une certaine part
dans la création du Sleam Engine.
« L'eau étant évaporée par la force du feu, ses vapeurs
demandent incontinent un plus grand espace (environ
2,000 fois) que Teau n'occupait auparavant, et plutôt
que d'être toujours emprisonnées, feraient crever une
pièce de canon. Mais étant bien gouvernées selon les
règles de la statique, et par science réduites à la mesure,
au poids et à la balance, alors elles portent paisiblement
leurs fardeaux (comme de bons chevaux) ; et ainsi se-
raient-elles d'un grand usage au genre humain , particu-
lièrement pour l'élévation des eaux, selon la table suivante
qui marque le nombre de livres qui pourront être levées
1800 fois par heure, à 6 pouces de levée, par des cylin-
dres à moitié remplis d'eau, aussi bien que les divers
diamètres et profondeurs desdits cylindres. »
Si l'ouvrage de Moreland avait précédé ceux de Salo-
mon de Gaus ou de Worcester, le passage qu'on vient de
Kre serait un titre réel. En 1683, c'est-à-dire soixante-huit
ans après la publication des Raisons des Farces mouvantes ^
et vingt ans après la date de la patente de Worcester, le
projet de Moreland ne pouvait plus être considéré que
comme un plagiat. Disons toutefois, à l'honneur de ce
de moteurs que le mécanicien met en jeu , cite la force de la poudre
et celle de la vapeur d'eau, sans faire à ce sujet aucune remarque
d'où Ton puisse induire s'il se donne pour inventeur ou s'il parle
d'une chose déjà proposée par d'autres.
24 MACHINES A VAPEUR.
mécanicien, que les nombres qu'il donne pour exprimer
les volumes relatifs de l'eau et d'un poids égal de vapeur,
sont moins éloignés de la vérité qu'on n'aurait dû l'at-
tendre d'expériences faites en 1682.
§7-
1690 et 1695. Denis Papin *•
Concevons un large cylindre vertical ABCD (fig. 4),
Fig. 4. — Explication de VéléTiUon da pivtoa dans la macUine de Papin.
entièrement ouvert à la partie supérieure, et reposant sur
une base métallique armée d'une soupape S susceptible de
s'ouvrir de bas en haut à volonté. Plaçons dans le milieu
i. Denis Papin est né à Blois. U s'adonna dans sa jeunesse à la
n)édecine et prit ses grades à Paris ; ensuite il passa en Angleterre
où Boyle, qui l'avait associé à quelques-unes de ses expériences , le
fit nommer membre de la Société royale en 1681. Forcé de s'expa-
trier par la révocation de l'édit de Nantes, Papin se réfugia en Alle-
magne auprès du landgrave de liesse, et remplit avec distinction,
pendant plusieurs années, les fonctions de professeur de mathéma-
tiques à rcniversité de Marbourg; il mourut en 1710. On peut
MACHINES A VAPEUR. 25
de ce cylindre un piston mobile P qui en ferme bien exac-
tement Touverture. L'atmosphère pèsera de tout son poids
sur la face supérieure de ce piston ; elle le poussera de
haut en bas. Si la soupape S est ouverte, la portion d'at-
mosphère dont la capacité DCEF se remplira, tendra au
contraire par sa réaction, à faire remonter le piston. Cette
seconde force sera égale à la première, parce que, dans
un gaz comme dans un fluide, la pression en chaque point
est la même dans tous les sens. Le piston , sollicité ainsi
par deux forces opposées qui se font équilibre, descendra
toutefois, mais seulement en vertu de son propre poids. Il
suffira donc d'un effort un tant soit peu supérieur à ce
même poids, pour faire monter le piston jusqu'au haut du
cylindre et pour l'y maintenir.
Supposons qu'en effet le piston soit amené ainsi à l'extré-
mité supérieure de sa course, comme la figure 5 ( page 26 )
le représente, et cherchons à le faire descendre avec force.
Un moyen bien efficace consisterait à fermer la soupape S,
et ensuite, si cela était possible, à anéantir tout à coup et
complètement dans le corps de pompe la portion d'atmo-
sphère qui remplit la capacité ABCD. Alors le piston ne
recevrait plus d'action que de l'atmosphère extérieure
dont il est chargé. Cette action s'exercerait sur sa surface
regarder comme une singularité que l'Académie des Sciences de
Paris n^ait point nommé Papin l'un de ses associés, quand on songe
que dès 1690 il avait publié un Mémoire dans lequel se trouve,
comme on le verra tout à l'heure, la description la plus méthodique
et la plus claire de la machine à feu connue aujourd'hui sous le
nom de machine atmosphérique, et même celle des bateaux à
vapeur. L'homme de génie est toujours méconnu quand il devance
trop son siècle, dans quelque genre que ce soit.
26 MACHINES A VAPEUR.
supérieure, de haut en bas, et aurait pour mesure le poids
d'un cylindre d'eau de 10 mètres (32 pieds) de hauteur,
et dont la base serait égale à celle du corps de pompe ,
ou, ce qui revient au même, le poids d'un cylindre de
mercure d'une base pareille et de 76 centimètres (28
pouces 1 ligne) de hauteur seulement ; car tel est le
poids de l'atmosphère. Le piston descendrait alors néces-
sairement , et pourrait même entraîner dans sa course un
poids égal à celui du cylindre d'eau ou de mercure dont
je viens de païler.
Fig. 5. — Descente du pUton anîTé à l'extrémité de sa coiuse
dans la machine de Fapin.
En suivant toujours la même hypothèse, admettons qu'à
l'instant où le mouvement descendant s'est complètement
opéré , on ouvre la soupape S. L'atmosphère viendra agir
par-dessous et contre-balancer Taclion de l'atmosphère
supérieure. Il suffira dès lors d'un petit effort pour faire
rétrograder le piston jusqu'au sommet du corps de pompe
et ramener toutes les parties de l'appareil à leur position
initiale. Un second anéantissement, de l'atmosphère inté-
MACHINES A VAPEUR. 27
ricure fera descendre de nouveau le piston, et ainsi de
suite.
En résumé, dans cet appareil, il suffit d'une petite dé-
pense de force pour soulever le piston , tandis que son
mouvement descendant peut produire les plus grands
effets. Si une corde est attachée par un bout au centre du
piston et s'enroule par son autre extrémité sur la gorge
d'une poulie, on poun*a, à chaque mouvement descen-
dant, soulever un très-grand poids d'une quantité égale à.
la hauteur du corps de pompe. Avec un cylindre de
2 mètres de diamètre, le poids soulevé à chaque oscilla-
tion descendante du piston, serait de âlOOO kilogrammes.
L'idée de la machine dont je viens de parler appartient
à Papin. Elle est expliquée fort nettement dans les Actes
de Leipzig pour l'année 1688, p. 644, et ensuite avec
quelques nouveaux développements dans une lettre au
comte Guillaume Maurice. (Voyez l'ouvrage imprimé à
Cassel en 1695, et intitulé : Recueil de diverses pièces
touchant quelques nouvelles machines^ p. â8 et suiv.) Il
nous reste maintenant à faire connaître les moyens que
Papin avait proposés pour anéantir, aux moments conve-
nables, la couche d'air atmosphérique qui, placée sous
le piston, aurait empêché son mouvement descendant,
ou, ce qui revient au même, il nous reste à dire comment
il faisait à volonté le vide dans la partie inférieure du
corps de pompe.
Ce physicien eut quelque temps la pensée de se servir
pour cela d'une roue hydraulique qui aurait fait mouvoir
les pistons d'une pompe aspirante ordinaire. Lorsque le
cours d'eau chargé de mettre cette roue en mouvement
28 MACHINES A VAPEUR.
se serait trouvé très-éloigné de la machine , Papin aurait
lié celle-ci à la pompe par l'intermédiaire d'un tuyau
métallique continu , semblable aux tuyaux des usines à
gaz de nos jours : t c'était , disait-il , un moyen de trans-
porter fort loin la force des rivières. »
Dans cet état, en 1687, la machine fut présentée à la
Société royale de Londres, où elle donna lieu à des diffi-
cultés dont Papin fait mention , sans dire cependant en
quoi elles consistaient, {\oyez Recueil, p. W.) Aupara-
vant il avait essayé de faire le vide sous le piston au
moyen de la poudre ; mais t nonobstant toutes les précau-
tions qu'on y a observées , dit-il , il est toujours demeuré
dans le tuyau environ la cinquième partie de Tair qu'il
contient d'ordinaire, ce qui cause deux différents incon-
vénients : l'un est que l'on perd environ la moitié de la
force qu'on devrait avoir, en sorte que Ton ne pouvait
élever que 150 livres à un pied de haut, au lieu de âOO
livres qu'on aurait dû élever si le tuyau avait été parfai-
tement vide ; l'autre inconvénient est qu'à mesure que le
piston descend, la force qui le pousse en bas diminue de
plus en plus, etc. {Recueil, etc., p. 52.)
« J'ai donc tâché, ajoute-t-il , d'en venir à bout d'une
autre manière; et comme l'eau a la propriété, étant par
le feu changée en vapeurs, de faire ressort comme l'air,
et ensuite de se recondenser si bien par le froid , qu'il ne
lui reste plus aucune apparence de cette force de ressort,
j'ai cru qu'il ne serait pas difficile de faire des machines
dans lesquelles, par le moyen d'une chaleur médiocre et
à peu de frais, l'eau ferait ce vide parfait qu'on a inuti-
lement cherché par le moyen de la poudre à canon. »
MACHINES A VAPEUR. 29
Cet important paragraphe se trouve à la page. 53 du
Recueil imprimé à Cassei en 1695, comme extrait des
Actes de Leipzig du mois d'août 1690. Il est suivi de la
description du petit appareil dont Papin se servit pour
essayer son invention. Le corps de pompe n'avait que
2 pouces 1/2 de diamètre et ne pesait pas 5 onces. A
chaque oscillation, il élevait cependant 60 livres d'une
quantité égale à celle qui mesurait l'étendue de la course
descendante du piston. La vapeur disparaissait si com-
plètement quand on ôtait le feu, que le piston dont cette
vapeur avait amené le mouvement ascensionnel , « redes-
cendait jusque tout au fond , en sorte qu'on ne saurait
soupçonner qu'il y eût aucun air pour le presser du-des-
sous et résister à sa descente. » {Recueil^ p. 55.) L'eau
qui fournissait la vapeur, dans ces premiers essais, n'était
pas contenue dans une chaudière séparée ; elle avait été
déposée dans le corps de pompe même, sur la plaque
métallique qui le bouchait par le bas. C'était cette plaque
que Papin échauffait directement pour transformer l'eau
en vapeur; c'était la même plaque qu'il refroidissait en
éloignant le feu, quand il voulait opérer la condensation.
il rapporte qu'avec un feu médiocre, une minute lui suf-
fisait, dans les expériences de 1690, «pour chasser ainsi
le piston jusqu'au haut de son tuyau. » {Recueil^ p. 55.)
Mais dans des essais postérieurs, « il vidait les tuyaux en
un quart de minute. » {Recueil^ p. 61. )
Au reste, il déclare lui-même qu'en partant toujours du
principe de la condensation de la vapeur par le froid , on
peut arriver au but qu'il se propose « par différentes con-
structions faciles à imaginer. » (Voyez le Recueil y p. 53.)
30 MACHINES A VAPEUR.
La machine de Salomon de Caus, celle du marquis de
Worcester, étaient de simples appareils d'épuisement.
Leurs auteurs ne les avaient présentées que comme des
moyens d'élever de l'eau. Tel était aussi le parti principal
que Papin voulait tirer de sa machine à pression atmo-
sphérique; mais en même temps il avait parfaitement
bien vu que le mouvement de va-et-vient du piston dans
le corps de pompe pouvait recevoir d'autres applications
et devenir un moteur universel. On trouvera, en effet,
aux pages 58 et 59 du Recueil ^ et même déjà dans les
Actes de Leipzig de 1690, une méthode propre à trans-
former ce mouvement alternatif en mouvement de rota-
tion. Je n'insisterai pas davantage ici sur cet objet, parce
que nous aurons à nous en occuper plus loin, à l'occasion
des bateaux à vapeur, et je terminerai ce paragraphe
relatif à Papin en présentant au lecteur les conséquence
diverses qui me paraissent découler des extraits qu'il vient
de lire :
Papin a imaginé la première machine à vapeur à
piston ;
Papin a vu, le premier, que la vapeur aqueuse fournit
un moyen simple de faire rapidement le vide dans la capa-
cité du corps de pompe ;
Papin est le premier qui ait songé à combiner dans une
même machine à feu, l'action de la force élastique de la
vapeur, avec la propriété dont cette vapeur jouit et qu'il
a signalée, de se condenser par refroidissement K
1. MAî. Stuart et Partington ont explicitement reconnu tous ces
titres de Papin à la reconnaissance des mécaniciens; mais par com-
pensation les personnes qui liront V Histoire des Machines à vapeur
MACHINES A -VAPEUR. 31
§«.
1698. Le capitaine Savert.
Nous n'avons aucune preuve que Salomon de Caus ait
jamais fait construire sa machine à feu. J'en pourrais dire
du doctenr Robison ( voyez la dernière édition commentée par V^att),
y trouveront, p. li% que le premier mémoire de Papin {First publi-
cation) sur les Machines à feu est de 1707 ; que ce mécanicien n'a
point proposé d'employer un véritable piston, mais un simple flot-
teur; que jamais, et c'était là l'important, il n'avait songé à pro*
duire le mouvement descendant d'un piston par la condensation de
la vapeur. Ces arrêts sont consignés aussi dans l'Encyclopédie du
docteur Rees, feuille F2, article Steam engine. L'auteur de cet ar-
ticle a lu, dans les Actes de Leipzig, la description d&s machines
dans lesquelles Papin essayait de faire le vide à l'aide de la poudre,
car il les cite; mais, par une fatalité inexplicable, le Mémoire inséré
dans les mêmes Actes où Papin substitue la vapeur d'eau à la poudre
n'a pas attiré ses regards, puisqu'il déclare que jamais les appareils
du mécanicien français ne furent intented to be tvorked by s team.
M. Mîllington n'est guère plus favorable à notre compatriote, dont
les idées, dit-il, sur les moyens de produire une puissance motrice
à l'aide de la vapeur, sont toutes postérieures à la patente de Savery
(p. 255); (la patente de Savery est de 1698). M. Lardner assure
également, dans les leçons qu'il a publiées récemment, que les
Français appuient leurs prétentions à l'invention de la machine à
vapeur, sur un ouvrage de Papin qui n'a paru qu'en 1707, neuf ans
après la date du brevet de Savery. Cette remarque, ajoute-til,
tranche tout à fait la question : Papin n'a droit k aucun partage
dans l'invention de la machine à vapeur (Voyez Leçons sur la
Machine à vapeur^ p. 96, 97 et 101 de l'édition française).
N'est^il pas vraiment bizarre que la plupart des auteurs anglais
s'obstinent ainsi à ne citer qu'un seul ouvrage de Papin, celui de
1707 ; qu'ils ne veuillent tenir aucun compte de l'ouvrage beaucoup
plus volumineux auquel j'ai emprunté textuellement divers passages
et dont il a paru deux éditions dans la même année 1695 , l'une à
Cassel en français, l'autre à Marbourg en latin; que tous les Mé-
moires de cet auteur, insérés dans les Actes de Leipzig, leur parais-
32 MACHINES A VAPEUR.
autant du marquis de Worcester ^. CeUe des machines de
Papin dans laquelle Faction de la vapeur et sa condensa-
tion sont successivement en jeu, n'a été exécutée qu'en
petit, et seulement dans la vue de constater expérimen-
sent comme non avenus! J'accorderaî, si Ton veut, qu'il n'existe
pas de piston proprement dit dans la machine d'épuisement de 1707;
que la condensation de la vapeur n'y joue absolument aucun rôle ;
qu'en tout cas cette machine est postérieure à la patente du capi-
taine Savery, sans qu'on en puisse rien conclure, puisque ce n'est
pas l'ouvrage de 1707 que nous citons, mais bien un recueil de 1695,
mais bien les Actes de Leipzig de l'année 1690. Bossut s'autorise,
dans son Hydrcdynamiqve , de l'ouvrage de 1695 pour attribuer à
Papin une part importante dans l'invention de la machine à vapeur;
Robison répond que cet ouvrage n'existe pas! (rAe/orf is that Papin's
first publication was in 1707. ) Je concevrais qu'il eût déclaré ne
l'avoir point vu; mais cette dénégation tranchante, opposée à l'as-
sertion positive de Bossut était d'autant plus singulière, que le livre
de Papin n'est pas très-rare en Angleterre, qu'en tous cas les Actes
de Leipzig qui en renferment la substance se trouvent dans les
principales bibliothèques, et qu'enfin cet ouvrage, dont le célèbre
professeur d'Édinburgh nie l'existence, a été annoncé et analyste
en mars 1697, dans les Pilosophical transactions^ un an avant qu'il
fût question de la machine de Savery. L'analyse des Transactions
philosophiques y cette remarque ne doit pas être oubliée, donne
d'ailleurs textuellement le passage de l'ouvrage de Papin qui est
relatif à l'emploi de la vapeur, d'abord comme moyen de pousser le
piston, ensuite comme moyen de faire le vide dans le corps de
pompe. (Voyez Trans., t XIX, p. /i83.)
1. Le privilège sollicité par le marquis de Worcester, lui fut
accordé, au dire de Walpole, d'après la simple assurance qu'il donna
aux commissaires nommés à cet effet , qu'il avait inventé une ma-
chine marchant par l'action de la vapeur. Si la machine avait été
réellement construite, la remarque relative à la déclaration, comme
l'observe M. Stuart , n'eût pas été nécessaire. Je n'ignore pas qu'en
dernier lieu on a prétendu , au contraire , que le bill sollicité par
Worcester fut l'objet d'un examen long et minutieux ; mais pour
annuler le témoignage de Walpole, il aurait fallu prouver que les
commissaires du parlement avaient vu une machine fonctionnant
ou du moins un modèle, et personne jusqu'ici ne l'a prétendu.
Machines a vapeur. 33
talement rexactitude du principe sur lequel elle se fonde*.
Aussi quoique, à proprement parler, il n'y ait rien de
bien neuf dans les machines à feu de Savery, on ne pour-
rait, sans une grande injustice, se dispenser de les citer,
puisqu'elles sont véritablement les premières qui aient été
appliquées. Je ne pense, pas, au reste, devoir en donner
ici le dessin : le lecteur pourra, sans ce secours, s'en
faire une idée exacte , s'il veut bien se rappeler celle de
Salomon de Caus et prêter quelque attention aux considé-
rations suivantes :
D'après le projet de Caus, la vapeur motrice serait
engendrée dans le vase où se trouve l'eau à élever, et aux
dépens de cette même eau. Dans la machine de Savery,
il y a deux vases séparés; l'un renferme l'eau; l'autre,
qu'on peut appeler la chaudih^e^ contient la vapeur. Cette
vapeur, quand on la juge assez abondante, se rend à la
partie supérieure du vase d'eau par un tube de communi-
cation qui s'ouvre à volonté à l'aide d'un robinet. Elle
agit de haut en bas sur la surface du liquide et le refoule
dans un tube d'ascension vertical dont l'ouverture infé-
rieure doit toujours être située au-dessous de cette sur-
face, car sans cela la vapeur s'échapperait elle-même.
1. Le comte de Sintzendorff, propriétaire en Bohême de plusieurs
mines inondées, avait invité Papin à aller les dessécher avec sa
machine ; mais les circonstances malheureuses dans lesquelles se
trouvait alors l'Allemagne ne lui permirent pas de se déplacer. « Je
souhaiterois extrêmement , disait-il, de rendre à Votre Excellence
mes très-humbles services, n'estoit que les pays que nous voyons
ruinés dans notre voisinage et l'incertitude des événements de la
guerre m'avertissent que je ne doibs pas abandonner ma famille de
si loing, dans un temps comme celui-cy. » {Recueil de diverses
pièces, etc., p. 69.)
V. — II. ^
34 MACHINES A VAPEUR.
Jusqu'ici la différence entre les deux machines est insigni-
fiante : continuons la comparaison.
Dans la machine de Salomon de Caus, dès que la pres-
sion de la vapeur a produit son effet, un ouvrier ren^place
Teau expulsée, à l'aide d'un orifice situé à la partie supé-
rieure de la sphère métallique et qui s'ouvre ou se ferme
à volonté. 11 ne reste plus alors qu'à aviver le feu. Dans la
machine de Savery, ce n'est pas un ouvrier, c'est la presr
sion atmosphérique qui amène l'eau dans le vase à liquide.
La vapeur, en poussant devant elle, pendant ia première
période de son action , l'eau que ce vase contenait , s'est
substituée à celle-ci; or, la vapeur, quelle que soit sa
force élastique primitive , se précipitera en grande partie
«i l'on abaisse beaucoup sa température. 11 suffira pour
cela , et tel est en effet le procédé adopté par Savery, de
jeter de l'eau froide sur les parois du vase dont elle rem-
plit la capacité. Après cette opération , la presaon atnK)-
sphérique pourra sunnonter aisément le ressort à peine
sensible de la vapeur que le refroidissement n'aura pas
anéantie, et si le vase est en communication par un tube
avec une nappe d'eau dont le niveau ne soit pas de plus
de 8 à 10 mètres au-dessous, il se remplira par aspira-
tion. En ajoutant que, pour éviter les intennittences
d'écoulement, Savery avait employé un troisième vase
qui se remplissait de liquide quand le second se vidait, et
réciproquement ; que le second et le troisième vase étaient
l'un après l'autre en communication avec la chaudière à
l'aide d'un système convenable de tubes et de robinets,
j'aurai signalé tout ce qu'il y avait d'essentiel dans la
machine de cet ingénieur.
Machines a vapeur. 35
On a reproché à rappareil de Salomon de Caus de
n'élever Teau que chaude. Ce reproche, il faut l'avouer,
a quelque gravité sous les rapports économiques , mais il
s^applique aussi, jusqu'à un certain point, à la machine
deSavery. Dans cette machine, en effet, la vapeur pro-
venant de la chaudière devant agir sur ta surface de Teau
du second ou du troisième vase, sans intermédiaire , s'y
condense en grande quantité. Son ressort ne devient effi-
cace qu'après que l'eau a déjà acquis une température
élevée : quand l'eau commence à monter, elle est donc
chaude. Robison dit avoir reconnu expérimentalement
qu'en employant la vapeur comme le faisait Savery, il y en
a au moins les 11/12" de condensés, soit par les parois
du deuxième ou du troisième vase, soit par l'eau qu'ils
renferment, lors même que cette eau cède à la plus pe-
tite pression. Dans une machine analogue, pour éviter
l'énorme déperdition de vapeur dont je viens de parler,
Papin imagina, en 4707, de recouvrir l'eau d'un flotteur K
Cet artifice ne fut pas adopté, moins encore, je pense, à
cause de quelques difficultés d'exécution qu'à raison de
défauts très-graves qui sont inséparables de ce genre de
machines. Pour élever l'eau à la petite hauteur de G5
mètres (200 pieds), par exemple, Savery était forcé de
i. M. Robert Stuart croit qu'en introduisant un flotteur dans le
corps de pompe, Papin n'avait pas pour objet d'empêcber la conden-
sation de la vapeur. (Voyez a Descriptive history, 2* édit, p. 52.)
Papin s'explique cependant à ce sujet très-clairement, et Ton verra
même par le passage que je troirve à la page 26 de l'ouvrage de
1707, combien ce défaut l'avait frappé :
« Je remarque que les vapeurs chaudes qui passent dans la pompe
pour en chasser l'eau , rencontrent dans la machine ( celle de Savery)
de l'eau froide qui les condense et leur fait perdre la plus grande
36 MACHINES A VAPEUR.
porter la vapeur de sa chaudière à six atmosphères ; de
là des dérangements continuels dans les joints ; de là
également la fonte des mastics et même de dangereuses
explosions. Aussi, malgré le titre de son ouvrage, les
machines de cet ingénieur ne servirent point utilement
dans les mines. Elles ne furent employées que pour dis-
tribuer Teau dans les diverses parties des palais ou des
maisons de plaisance, dans des parcs ou dans des jardins,
partout, en un mot, où la différence de niveau à franchir
ne surpassait pas une quarantaine de pieds. A Taide de
la machine proposée par Papin , il n'est pas de hauteur,
au contraire, où Teau ne puisse être portée, même en
n'employant que de la vapeur à une très-faible tension :
tout se réduit pour cela à donner au corps de pompe un
assez grand diamètre.
En résumé, Savery a essayé de se servir de la force
élastique de la vapeur pour pousser Teau dans un tube
vertical; mais Salomon de Caus Tavait fait, précisément
de la même manière , quatre-vingt-trois ans auparavant.
Savery remplissait par aspiration les vases dans lesquels
la vapeur devait agir ensuite ; mais en 1698 Taspiration
n'était pas un principe nouveau, puisqu'on avait très-
anciennement inventé Vhorreur du vide pour l'expliquer.
partie de leur force... Ce n'est qu'après que Teau est échauffée qu'on
la peut pousser...; pour chauffer ainsi l'eau , il faut consumer beau-
coup de vapeur ; il faut donc remettre souvent de nouvelle eau dans
la cornue (la chaudière) et il faut bien du temps et du bois pour
la réchauffer. Mais par le moyen de notre piston (un flotteur à deux
fonds), les vapeurs ne rencontrent toujours que la même surface
de ce métal , qui acquiert bientôt une si grande chaleur que les
vapeurs ne perdent rien ou très-peu de leur force en s'appliquant
dessus. »
MACHINES A VAPEUR. 37
et qu'on en trouve d'ailleurs des applications toutes pa-
reilles à celle faite par le mécanicien anglais dans les Rai-
sons des Forces mouvantes, feuillet 19, verso; Taspiration,
au surplus, ajoutait très-peu à la valeur de la machine,
car elle accroissait d'une trentaine de pieds seulement la
hauteur à laquelle le liquide aurait été soulevé sans cela.
Savery, enfin, opérait le vide qui déterminait l'aspiration,
par le refroidissement de la vapeur ; ici la méthode est
importante, mais Papin l'avait dès longtemps publiée. La
ptitente concédée à Savery est du 25 juillet 1698 ; les
essais de sa machine devant la Société royale sont du mois
de juin 1699 ; la première édition de l'Ami du Mineur
{Miners' Friend) porte la date de 1702 ; ainsi , l'antério-
rité des titres de Papin serait de trois ans, alors même
que mettant de côté les Actes de Leipzig , on ne voudrait
remonter qu'au Recueil dans lequel se trouvent réunis
divers mémoires de ce mécanicien, car cet ouvrage a été
publié en 1695. Que reste-t-il donc à Savery? L'honneur
d'avoir, le premier, exécuté un peu en grand une machine
d'épuisement à feu, et, si l'on veut, celui d'avoir opéré
la condensation de la vapeur par le refroidissement que
des aspersions d'eau froide occasionnaient dans les parois
extérieures du vase métallique qui la renfermait. En dé-
crivant pour la première fois cet ingénieux moyen de faire
le vide, Papin, en effet, ne s'était pas expliqué sur les
différentes constructions faciles à imaginer ( ce sont ses
expressions), qu'on peut employer pour atteindre ce but.
Pendant ses expériences avec un petit cylindre, il se con-
tentait, comme on l'a vu, d'enlever le feu.
38 MACHINES A VAPEUR.
1705. Newcomen, Cawlet et Sàvert *.
La machine d'épuisement connue des artistes sous le
nom de machine de Newcomen ou de machine aimosphé-^
rique, est la première qui ait rendu de véritables services
à r industrie. Je dirai même que dans un grand nombre
de lieux qù le charbon ne coûte pas cher, elle est encore
en usage , et qu'on n'a point trouvé de profit à la rem-
placer^ Cette machine, au reste, sauf quelques détails de
construction fort essentiels et que je signalerai plus loin ,
n'est autre chose que la machine proposée en 1690 et
1695 par Papin, et qu'il avait essayée en petit.
Dans l'une comme dans l'autre on remarque, en effet,
un cylindre ou corps de pompe métallique vertical fermé
par le bas, ouvert par le haut, et un piston bien ajusté
destiné à le parcourir sur toute sa longueur. Dans l'une
comme dans l'autre, le mouvement ascensionnel du piston
s'opère par l'effet d'un contre -poids, quand la vapeur
d'eau peut arriver librement à la partie inférieure du
corps de pompe et la remplir. Dans la machine anglaise
1. Thomas Newcomen et John Cawley vivaient l'un et l'autre dans
la ville de Darmouth, en Devonshire. Le premier était quincaillier
ou forgeron , car il est désigné, dans ies Biographies anglaises, tan-
tôt comme ironmonger et tantôt comme blacksmith; l'autre exerçait
l'état de vitrier (a glazier). Newcomen possédait quelque instruc-
tion et était en commerce de lettres avec Hooke, secrétaire de la
Société royale, l'un des savants les plus ingénieux dont l'Angleterre
puisse se glorifier. On ignore si les deux associés ont pris une part
égale aux essais de divers genres qui amenèrent la construction de
la première grande machine à vapeur atmosphérique.
MACHINES A TAPEUR. 39
cx>inme dans celle de Papin , dès que le piston est parvenu
à Textrémité de sa course ascendante , on condense la
vapeur qui Ty avait poussé ; on fait ainsi le vide dans toute
la capacité qu'il vient de parcourir, et l'atmosphère le
force alors à descendre. Papin avait annoncé qu'il fallait
opérer la condensation par le froid ; c'est par le froid que
Newconnen, Cawley et Savery se débarrassent aussi de la
vapeur qui contre-balancerait la pression atmosphérique.
Ëitre plusieurs différentes constructions qu'on peut ima-
giner pour cela ( ce sont les expressions contenues dans
le Recueil de pièces y p. 53), les mécaniciens anglais
en adoptèrent une, préférable de beaucoup dans une
machine en grand, à celle que Papin avait lui-même
employée dans les expériences faites avec son petit mo-
lièle. Au lieu d'enlever le feu, comme le pratiquait celui-ci,
Newconnen, Cawley et Savery faisaient couler une abon-
iante quantité d'eau froide dans l'espace annulaire con^
pris entre les parois extérieures du corps de pompe et un
second cylindre un peu plus grand qui lui servait d'en-
yeioppe. Le refroidissement se communiquait ainsi peu à
[>eu à toute l'épaisseur du métal , et atteignait bientôt la
rapeur elle-même.
La machine de Papin, ainsi modifiée quant à la manière
Je refroidir la vapeur aqueuse, excita au plus haut point
['attention des propriétaires de mines, et sembla, dès le
lébut , fournir une solution inespérée d'un problème dont
les tentatives infructueuses de Savery avaient partrcUliè-
reroent montré la difficulté. Newcoraen et Cawley sollici-
taient une patente. Savery objecta qu'il était déjà en
possession d'un privilège exclusif concernant le moyen de
40 MACHINES A VAPEUR.
produire le vide par le refroidissement de la vapeur. Pour
éviter toute contestation , la patente fut prise au nom et
au profit des trois compétiteurs, qui s'attribuèrent ainsi,
dans le projet emprunté à Papin, les deux premiers,
ridée de la machine à vapeur à piston ; le troisième, celle
de la condensation *.
Au commencement du xviir siècle, Fart de construire
de grands corps de pompe parfaitement cylindriques,
Tart d'ajuster dans leur intérieur des pistons mobiles qui
les fermassent hermétiquement, étaient très-peu avancés.
Aussi, dans la machine de 1705, pour empêcher la va-
peur de s'échapper par les interstices compris entre la
surface du cylindre et les bords du piston, ce piston
était- il constamment couvert à sa surface supérieure
d'une couche d'eau qui pénétrait dans tous les vides et
les remplissait. Un jour qu'une machine de cette espèce
marchait sous les yeux des constructeurs, ils virent, avec
une extrême surprise, le piston descendre, plusieurs fois
L Dans les arts, comme dans les sciences, le dernier venu est
censé avoir eu connaissance des travaux de ses devanciers ; toute
déclaration négative à cet égard est sans valeur. La publication des
Mémoires que Papin a écrits sur la machine atmosphérique, étant
de beaucoup antérieure aux patentes de Savery et de Newcomen, je
n'aurais aucun motif de rechercher si la machine anglaise est ou
n'est pas une copie : dans la règle, elle est une copie, puisqu'elle
ressemble à la machine de Papin et qu'elle est venue après. Mais on
sait de plus, dans ce cas particulier, que Newcomen avait connais-
naissance des projets de notre compatriote. Il résulte, en effet, de
diverses notes trouvées dans les papiers de llooke , que l'artiste de
Darmouth avait consulté ce savant célèbre avant de se livrer à ses
essais, et alors, dans les confidences de l'intimité, c'était bien la
machine française qu'il voulait exécuter. (Voyez Robison, a Sfjs-
tcm, etc., tome II, p. 58.)
ilÂGIlINES A VAPEUR. il
de suite, beaucoup plus rapidement que de coutume.
Cette vitesse leur parut d'autant plus étrange, que le
refroidissement produit par le courant d'eau froide qui
descendait extérieurement le long de la surface du corps
de pompe, n'avait amené jusque-là la condensation de
la vapeur intérieure qu'assez lentement. Après vérification
il fut constaté que ce jour-15, c'était d'une tout autre
manière que le phénomène s'opérait : le piston se trou-
vant accidentellement percé d'un petit trou, l'eau froide
qui le recouvrait , tombait dans l'intérieur même du cy-
lindre, par gouttelettes, à travers la vapeur, la refroidis-
sait et dès lors la condensait plus rapidement.
Depuis cette époque, on a muni les machines atmo-
sphériques d'une ouverture en pomme d'arrosoir ; c'est
de là que part la pluie d'eau froide qui se répand dans la
capacité du cylindre et y condense la vapeur au moment
où le piston doit descendre. Le refroidissement extérieur
se trouve ainsi supprimé, et les va-et-vient sont beaucoup
plus prompts. Cette importante amélioration, comme tant
d'autres qu'on pourrait citer, fut le résultat d'un heureux
hasard. Je regrette beaucoup de ne pouvoir point dési-
gner ici celui des trois associés dont l'esprit inventif vit
sur-le-champ, dans l'événement imprévu dont j'ai rendu
compte, le principe d'un perfectionnement qu'on retrouve
encore dans les machines d'aujourd'hui ; mais la tradition
ne nous a rien appris à cet égard.
42 MACHINES A VAPEUR.
§ 10.
1769. James Watt *.
Avant de commencer l'analyse des inventions de Watt,
je devrais peut-être transcrire ici les titres des divers
1. James Watt naquit à Greenock, en Ecosse, dans l'année 1736,
de parents estimés, mais pauvres. L'extrême faiblesse de sa consti-
tution semblait ne pas lui promettre un long avenir. Cette fâcheuse
circonstance développa du moins en lui de très-bonne heure des
habitudes de retraite et d'application sans lesquelles il est rare
qu'on fasse de grandes choses. Le jeune Watt fréquenta jusqu'à seise
ans une de ces écoles publiques et gratuites nommées en Ecosse
grammar schooL Ensuite ses parents le placèrent en apprentissage
dans un petit atelier où l'on exécutait des compas, des balances,
quelques appareils de physique , des cadrans solaires et les divers
ustensiles nécessaires pour la pêche ; il y resta quatre ans. Hus tard
enfin, Watt se rendit à Londres chez un fabricant d'instruments de
mathématiques. Là, un travail particulier l'ayant retenu toute une
journée d'hiver près de la porte de l'atelier, il fut pris d'un violent
rhume dont les médecins ne purent pas le guérir complètement
Il résolut alors d'essayer les effets de l'air natal , retourna en Ecosse
et y forma un modeste établissement pour son propre compte. Dans
l'année 1757, l'Université de Glasgow accorda à Watt, alors âgé de
vingt et un ans, la charge de conservateur de sa collection de modèles.
A ce titre on lui donna un logement dans le collège avec la permis-
sion d'y continuer son petit commerce. Uobison était au nombre
des étudiants de l'Université. Il se lia avec Watt, lui confia le projet
qu'il avait conçu d'appliquer les machines à vapeur au mouvement
des voitures, et l'engagea à s'occuper lui-même de leur perfectionne-
ment Quelques essais faits par l'artiste en 1759, en 1761 et en 1762,
n'amenèrent point de résultat ; mais en 1764 de nouvelles tentatives
prirent beaucoup de consistance. Cliargé, à titre de simple ouvrier,
de réparer une machine de Newcomen qui faisait partie du cabinet
de physique. Watt y trouva des défauts que la petitesse des dimen-
sions de ce modèle rendait plus apparents, mais qui n'en devaient
pas moins exister dans les grandes machines, quoiqu'on ne les y eût
pas signalés. Telle est la date et l'origine des perfectionnements
expliqués dans le paragraphe que je consacre à Watt dans l'histoire
UÂCHINES A VAPEUR. 48
brevets quMl obtint pendant sa longue et glorieuse car-
rière. La lecture de ces titres montrerait nettement T objet
des améliorations importantes que cet illustre mécanicien
introduisit successivement dans les machines de ses pré-
décesseurs; elle détromperait, d'autre part, ceux qui
croient, sans aucun fondement, que la machine à feu
de la machine à vapeur. Plusieurs années s'écoulèrent cependant
avant que Watt pût les soumettre à une épreuve décisive. En 176^
il quitta l*CJniverslté après s'être marié, et exerça quelque temps
rétat de géomètre-arpenteur. Sa première machine améHorée ne
fut exécutée qu^en i7G8, mais sur d'assez grandes dimensions, car
le corps de pompe avait 18 pouces anglais (0"./i6) de diamètre. Le
docteur Roêbudc qoi, par ses avances pécuniaires, avait fourni &
Watt les moyens d'achever ce travaU , fit établir la nouvelle machine
à Kinnel, sur le puits d'une mine de charbon de terre appartenant
au doc d'BaftriltOD; tons ces noms m'ont paru devoir être conservés :
ils sont devenus historiques. Dans cette même année 1768, Watt
demanda sa première patente; il ne l'obtint toutefois qu'en 1769.
Enfin, Mathew Boulton de Birmingham devint son associé en 1773,
après la retraite volontaire du docteur Roêbucic. La fortune de ce
fabricant, l'étendue et l'activité de son esprit, les relations person-
nelles qu'il avait contractées avec une multitude d'individus appar-
tenant à toutes les classes de la société , donnèrent à l'entreprise la
plus vive impulsion. Le privilège concédé par la patente allait ce-
pendant expirer avant que la nouvelle fabrique de Soho eût donné
des profits assurés. Boulton s'adresse à l'autorité, sollicite la coopé-
ration de ses nombreux amis, intéresse à ses projets la cour et la
viUe, et obtient du parlement, par ses nombreuses et judicieuses
démarches, la prolongation du privilège primitif jusqu'à l'année
1800. A partir de cette époque (1775), l'association de Watt et
Boulton prospéra au plus haut degré. La colline stérile de Soho, près
de Birmingham , où l'œil du voyageur apercevait à peine la hutte
d'un garde-chasse, se couvrit de beaux jardins, de somptueuses
habitations et d'ateliers qui , soit par leur étendue, soit par llmpor»
tance et la perfection des ouvrages qu'on y exécutait , devinrent en
peu de temps les premiers de l'Europe. Les découvertes de Watt
étaient d'une application trop immédiate, trop populaire, pour que
des titres académiques pussent rien ajouter à la renommée de ce
grand mécanicien. lisons toutefois que les principales sociétés
44 MACHINES À VAPEUR.
employée de nos jours a été créée par un seul homme et
d'un seul jet; mais le besoin d'abréger cette Notice me
force d'entrer de suite en matière.
a. — Du condenseur.
Pour que la machine à feu atmosphérique , dite ma-
chine de Newcomen, produise de bons effets, il faut,
!• qu'à rinstant où le mouvement descendant du piston
commence, il y ait dans toute la capacité inférieure du
corps de pompe , le vide le plus parfait possible ; 2' que
pendant le mouvement ascendant , la vapem* qui se rend
de la chaudière dans la même capacité, ne perde rien de
la force élastique qu'elle avait acquise au prix de beau-
coup de charbon.
savantes, celles d*Édinburgh et de Londres, par exemple, s^empres-
sèrent de Tadmettre parmi leurs membres. L'Institut de France, de
son côté, le choisit dès 1808 pour un de ses correspondants et lui
accorda en 1814 la plus belle récompense qu'il puisse décerner, en
le nommant un de ses huit associés étrangers. Parvenu à un âge
avancé, possesseur d'une brillante fortune, fruit de ses nobles et
laborieux travaux, entouré de l'estime et du respect du monde
entier. Watt quitta les affaires commerciales et se retira dans sa
maison de Heatfield, près de Birmingham. Là, le patriarche de
l'industrie britannique , toujours bienveillant , modeste et résené ,
comme au temps où, dans sa jeunesse, il nettoyait les appareils de
runiversité de Glasgow, coulait des jours paisibles dans la société
d'un petit nombre d'amis. En 1817, Watt fit un voyage en Ecosse.
A son retour, sa santé s'affaiblit beaucoup. Enfin, il mourut le
25 août 1819, à la suite d'une courte maladie, et à l'âge de quatre-
vingt-quatre ans. Plusieurs statues lui ont été élevées aux frais du
public. Tout ce que l'Angleterre renferme do distingué, a mis
l'empressement le plus honorable à se faire comprendre au nombre
des souscripteurs. (Voir la Notice biographique détaillée consacrée
à Watt, t I des OEuvres et des Notices biographiques^ p. 371 à 510, )
MACHINES A VAPEUR. 45
La première condition exige impérieusement qu'au
moment de la condensation, Teau d'injection aille refroi-
dir les parois du corps de pompe. Sans cela, la vapeur
qu'on veut anéantir conserverait un ressort considérable,
et elle opposerait un grand obstacle au mouvement des-
cendant du piston, mouvement que la pression atmosphé-
rique doit déterminer. La seconde condition nécessite, au
contraire, que les mêmes parois soient très- chaudes. En
effet, la vapeur d'eau à 100* de température, ne conserve
en arrivant dans un vase toute la force élastique qui lui
est propre , qu'autant que les parois de ce vase sont elles-
mêmes à lOO*. Si la température des parois est moindre,
la vapeur afiluente perd aussitôt de sa chaleur primitive
et une portion plus ou moins considérable de la densité
ou de la force élastique qu'elle possédait. Ainsi, durant
le mouvement descendant du piston, les parois du cylindre
métallique qu'il parcourt, doivent être aussi froides que
possible, si c'est dans ce cylindre que la condensation a
lieu ; pendant le mouvement ascendant il serait très-utile,
au contraire, que ces mêmes parois fussent à 100*.
Le refroidissement s'opère, assez simplement, en pro-
jetant l'eau d'injection non -seulement au milieu de la
vapeur, mais encore sur les parois du cylindre. Quant à
réchauffement de ces parois qui doit suivre, comment
r obtenir de manière qu'il soit considérable et prompt? La
vapeur affluente elle-même produira bien h la longue
réchauffement désiré ; mais ce sera à la longue seulement,
et des lors les excursions ascendantes du piston étant fort
lentes, la machine ne fera pas dans les vingt -quatre
heures tout l'ouvrage sur lequel , sans ce genre d'obstacle,
46 JIACHINES A VAPEUR.
on aurait pu compter. Remarquons d'ailleurs que la va-
peur venant de la chaudière n'échauffe le corps de pompe
qu'aux dépens de sa propre chaleur, ou qu'en se conden-
sant en partie ; or, la vapeur a un prix élevé , lors même
que l'eau d'où elle provient ne coûte rien , car le com-
bustible à l'aide duquel s'opère la transformation est tou-
jours assez cher. Afin qu'on ne doute pas de la grande
attention qu'il importe d'accorder à cette considération
financière, je dirai que la quantité de vapeur employée
ainsi pour échauffer les parois du corps de pompe , rem-
plirait plusieurs fois la capacité qu'elles enceignent, en
sorte que la dépense de vapeur, ou , ce qui revient au
même, la dépense de combustible, ou, si on l'aime mieux
encore , la dépense en argent nécessaire pour mettre la
machine en jeu, serait plusieurs fois moindre, si l'on
parvenait à faire disparaître la nécessité des échauffe-
ments et refroidissements successifs dont nous venons de
parler. Tel est précisément le problème que Watt a résolu
par une méthode qui permet de laisser toujours au corps
de pompe sa température de 100^ Il lui a sulfi pour cela :
«D'opérer la condensation de la vapeur dans un vase
séparé, totalement distinct du corps de pompe, et ne
communiquant avec lui qu'à l'aide d'un tube étroit. »
• Expliquons cet ingénieux procédé, qui formera toujours
le principal titre de Watt à la reconnaissance de la pos-
térité.
S'il existe une libre communication entre un corps de
pompe rempli de vapeur et un vase vide de vapeur et
d'air, la vapeur du corps de pompe passera en partie et
très -rapidement dans le vase", l'écoulement ne cessera
MACHINES A VAPBDR. 47
qu'au moment où l'élasticité sera la même partout. Sup-
posons que le vase soit maintenu constamment froid dan^
toute sa capacité et dans son enveloppe, à Taide d'une
injection d'eau abondante et continuelle; alors toute la
vapeur dont le corps de pompe était primitivement rem-
pli viendra s'y anéantir successivement; ce corps de
pompe se trouvera ainsi purgé de vapeur, sans que ses
parois aient été le moins du monde refroidies, et la vapeur
nouvelle, dont il pourra devenir nécessaire de le remplir
on moment après, n'y perdra rien de son ressort.
Un vase, séparé ainsi d'un corps de pompe et dans
lequel la vapeur de celui-ci vient de temps en temps se
précipiter, s'appelle un condenseur. C'est la partie la plus
précieuse des machines de Watt.
Le vase ou condenseur que nous venons de mettre en
jeu , n'a entièrement absorbé la vapeur dont le corps de
pompe était rempli, qu'à cause qu'il contenait de l'eau
froide et que le reste de sa capacité se trouvait vide de
fluides élastiques*. Après que la condensation de la vapeur
s'y est opérée , ces deux conditions de réussite ont dis-
paru : l'eau condensante s'est échauffée en absorbant tout
le calorique de la vapeur ; une quantité notable de vapeur
s'est formée aux dépens de cette eau chaude ; l'eau froide
enfin contenait de l'air atmosphérique qui a dû se dégager
pendant son échauffement. Si l'on n'enlevait pas , après
1. A la rigueur, un vase n'est jamais entièrement purgé de fluides
élastiques tant qu'il contient de Teau, car l'eau la plus froide dégage
des vapeurs ; mais, lorsque le liquide d'injection n'a pas une tem-
pérature supérieure aux températures habituelles de l'atmosphère,
on peut, dans la pratique, ne pas tenir compte de la vapeur qui en
émane.
48 MACHINES A VAPEUR,
chaque opération, cette eau, cette vapeur, cet air que le
condenseur renferme, il finirait par ne plus produire
d'effet. Watt opère cette triple évacuation à l'aide d'une
pompe ordinaire qu'on appelle la pompe à air^ et dont le
piston porte une tige convenablement attachée au balan-
cier que la machine met en jeu. Quand on calcule les
effets d'une machine à feu de Watt, il est donc nécessaire
d'avoir égard à la portion de force qui est destinée à
maintenir la pompe à air en mouvement. Cette déduction,
au reste, n'est qu'une petite partie de la perte qu'amenait,
dans l'ancienne méthode, la condensation de la vapeur
sur les parois refroidies du corps de pompe K
1. On se fera une idée exacte de Timportance commerciale que
rinvention du condenseur a eue, si Ton veut bien jeter les yeux sur
le petit nombre de lignes qui suivent
Pour accorder la permission de substituer leurs machines à celles
dites de Newcomen^ Watt et Boulton exigeaient la valeur « du tiers
de la quantité de charbon dont chaque nouvelle machine, à égalité
d'effet, procurait Téconomie. » Une expérience préliminaire faite
sur deux machines de Tune et de l'autre espèce, ayant précisément
les mêmes dimensions, montra à combien Téconomie s'élevait,
pour miUe oscillations du piston, par exemple. Une simple pro-
portion donnait ensuite les droits à percevoir dès qu'on connais-
sait le nombre d'oscillations que la machine employée avait fait
chaque mois. Watt et Boulton déterminaient ce nombre d'oscilla-
tions à Taide d'une pièce d'horlogerie attachée au balancier et dis-
posée de manière que chacun de ses mouvements avançait l'aiguille
d'une division. Ce mécanisme ou counter était renfermé dans une
botte à deux clefs qu'on ouvrait à l'époque du règlement de comptes,
en présence d'un agent des inventeurs et du directeur de la mine.
Dans la mine de €hacewater, en Cornouailles, où trois machines
étaient en jeu, les propriétaires rachettîrent le droit des inventeurs
pour une somme annuelle de 60,000 fr., ce qui prouve que la substi-
tution du condenseur, à l'injection qu'on opérait précédemment
dans le corps de pompe, y avait procuré une économie de com-
bustible de plus de 180,000 fr. par an.
I
MACHINES A VAPEUR. i9
b. — Machine à double effet.
La machine atmosphérique, soit que Tinjection d'eau
froide s'opère au milieu du corps de pompe ou dans un
condenseur séparé, n'a de force réelle que pendant le
mouvement descendant du piston. C'est alors, et seulement
alors, que le poids de l'atmosphère produit tout son effet.
Durant l'oscillation ascendante, ce poids est contre-balancé
par la pression de la vapeur qui pousse le piston de bas
en haut. Le mouvement est alors uniquement déterminé
par un contre -poids qui surpasse à peine le poids du pis^
ton, de la valeur du frottement qu'éprouve celui-ci sur
les parois du corps de pompe. Cela n'est pas un incon-
vénient quand la machine à feu est employée à extraire
l'eau qui inonde les mines. Le mouvement descendant du
piston détermine, en effet, un mouvement de môme sens
dans l'extrémité du balancier auquel sa tige est attachée,
et dès lors un mouvement ascendant à l'autre extrémité.
Or, c'est pendant ce dernier mouvement que l'eau située
verticalement sous cette seconde extrémité du balancier,
est soulevée d'une quantité égale à l'excursion du piston
du grand corps de pompe. Quand le piston de la pompe
d'épuisement descend, quand il va se charger de nouveau
de liquide, il est parfaitement inutile qu'il soit poussé
vivement. La force qui servirait à cela serait de la force
perdue. Qui n'a remarqué , l'analogie en effet est com-
plète, que partout où l'on tire l'eau d'un puits, on laisse
le seau descendre par son propre poids ; que nulle part
on n'a imaginé de produire ce mouvement descendant
v.— II. A
50 MACHINES A VAPEUR.
par Taction du moteur? Ainsi, comme moyen d'épuise-
ment, la machine atmosphérique est parfaite; ses inter-
mittences d'action ne sont pas alors un défaut. Il n'en est
pas de même du cas où cette machme est employée
comme moteur. Les appareils, les outils qu'elle conduit,
ont des mouvements très-rapides durant la course descen-
dante du piston ; mais, pendant le mouvement ascendant,
ils s'arrêtent ou ne continuent à agir qu'en vertu de la
vitesse acquise. Une machine à feu qui aurait de la puis-
sance pendant que s'exécutent les deux excursions oppo-
sées du piston, présenterait donc des avantages réels.
Tel est l'objet de la machine inventée par Watt, et qu'on
appelle machine à double effeL
Dans cette machine, l'atmosphère n'a plus d'action.
Le corps de pompe est fermé dans le haut par un cou-
vercle métallique, percé seulement à son centre d'une
ouverture garnie d'étoupe grasse et bien serrée , à tra-
vers laquelle la tige cylindrique du piston se meut libre-
ment, sans pourtant donner passage à l'air ou à la vapeur.
Le piston partage ainsi le corps de pompe en deux capa-
cités fermées et distinctes. Quand il doit descendre , la
vapeur de la chaudière arrive librement à la capacité
supérieure par un tube convenablement disposé à cet
effet , et pousse le piston de haut en bas comme le faisait
Fatmosphère dans la machine atmosphérique. Ce mouve-
ment n'éprouve pas d'obstacle, attendu que, pendant
qu'il s'opère, le dessous du corps de pompe, mais ce des-
sous tout seul , est en communication avec le condenseur.
Dès que le piston est entièrement descendu, les choses se
ti'ouvent complètement renversées par le simple mouve-
MACHINES Â VAPEUR. 51
ment de deux robinets. Alors la vapeur que fournit la
chaudière ne peut aller qu'au-dessous du piston qu'elle
doit soulever, et la vapeur supérieure qui, l'instant
d'avant, produisait le mouvement descendant, va se liqué-
fier dans le condenseur avec lequel elle est, à son tour,
en libre communication. Le mouvement contraire des
mêmes robinets replace toutes les pièces dans l'état pri-
mitif, dès que le piston est au haut de sa course. La
machine marche ainsi indéfiniment, avec une puissance
à peu près égale, soit que le piston monte, soit qu'il
descende ; mais, il importe de le remarquer, la dépense
de vapeur est précisément double de celle qu'une machine
atmosphérique ou à simple effet aurait occasionnée *.
i. Papln, comme je Pai dit plas haat , avait bien prévu en 1695,
que les machines à feu ne seraient pas toujours exclusivement
employées aux épuisements des mines. A cette époque, il avait
déjà indiqué comment on pourrait lier la tige du piston à Taxe
d'une roue tournante et transformer le mouvement rectiligne de
va-et-vient de la tige en mouvement de rotation de la roue. Le
défaut de continuité dans Taction de la machine atmosphérique
attira aussi son attention. Pour empêcher que sa roue ne marchât
par secousses trop brusques, il proposa d'agir sur l'axe à l'aide des
tiges de deux ou même d'un plus grand nombre de pistons appar-
tenant à des corps de pompe distincts et disposés de manière que,
dans le cas de deux, par exemple, la tige du premier descendît pen-
dant que celle de l'autre monterait, et réciproquement Deux corps
de pompes de machines atmosphériques ainsi combinées, produi-
raient exactement l'effet de la machine de Watt. La dépense de
vapeur serait aussi précisément la même. L'idée de faire une ma«
chine à double effet à l'aide de deux corps de pompe distincts, fut
présentée comme nouvelle, en 1779, par le docteur Falck.
52 MACHINES A VAPEUR.
c. — Machine à détente.
Dans la machine à double effet dont je viens de parler*,
le piston est alternativement poussé par la vapeur, de
haut en bas et de bas en haut Si la chaudière est en libre
communication avec le corps de pompe pendant tout le
temps que chacune de ces oscillations nécessite, le piston
se trouvera soumis à Faction d'une force accélératrice
constante ; il arrivera donc à Tune et à Tautre extrémité
du cylindre vertical qu'il parcourt , avec une vitesse très-
grande et qui, sans produire aucun effet utile, contri-
buera à ébranler Tensemble de TappareiU Si, au con-
traire, les robinets adaptés aux deux tubes qui établissent
la communication entre la chaudière et le corps de pompe
ne demeurent pas ouverts pendant toute la durée des
excursions du piston; s'ils se ferment, par exemple,
chacun à leur tour, quand le piston est parvenu aux deux
!• D'après Partington, la machine à double effet construite par
Watt pour les mines de Cornouailles {Union mine) est de la force
de 250 chevaux; le diamètre du cylindre est de i".6; le poids de
Teau soulevé dans les pompes est de 37,000 kilogrammes ; sous cette
charge, le piston fait par minute 6 1/2 doubles excursions; chaque
excursion est de 2". 28, d'où il résulte que le poids de 37,000 kilo-
grammes fait, dans une minute, un mouvement de 30 mètres. Le
charbon de terre consumé est, par minute, d'environ l/i kilo-
grammes.
Dans la machine à double effet, il faut que les excursions verti-
cales de la tige du piston puissent s'effectuer librement au travers
du couvercle supérieur du corps de pompe, sans que pour cela l'air
extérieur y pénètre au moment de la condensation , et sans qu'en-
suite la vapeur s'échappe, quand elle vient agir de haut en bas.
Dans ce but on se sert avec beaucoup de succès d'une boîte à étoupc
bien graissée, dont l'invention appartient à Watt.
MACHINES A VAPEUR. 53
tiers de sa course , le tiers restant sera parcouru en vertu
de la vitesse acquise, et surtout par l'action que la vapeur
déjà introduite alors continuera à exercer* Cette action
deviendra de moins en moins forte pendant ce dernier
tiers du mouvement du piston , attendu que la vapeur se
dilatera graduellement, et qu'à mesure qu'elle occupera
des espaces de plus en plus grands, son élasticité, comme
celle de tout autre gaz , diminuera. Dès lors il n'y aura
plus de vitesse nuisTBle vers les deux limites des excur-
sions du piston , et , ce qui est encore plus important, une
moindre quantité de vapeur sera employée pour produire
les mouvements désirés. Qui ne voit, en eflfet, que si le
robinet était ouvert pendant toute la course du piston ,
l'injection détruirait chaque fois un volume de vapeur égal
à celui du corps de pompe et d'une densité pareille à celle
de la vapeur de la chaudière , tandis que si le robinet se
ferme quand le piston est aux deux tiers de sa course, il
entrera et il se détruira un tiers de vapeur de moins. Les
mécaniciens ont cité des expériences d'après lesquelles il
semblerait qu'en employant ainsi la détente de la vapeur,
on peut économiser, à égalité d'effet , une quantité consi-
dérable de combustible; aussi rangent -ils la proposition
que Watt a insérée à ce sujet dans sa première patente,
au nombre des plus lumineuses dont l'industrie lui soit
redevable. Il ne paraît pas cependant que, dans la plu-
part des machines sorties des ateliers de Soho, la détente
ait été employée sur une grande échelle : on n'y a eu
recours que pour rendre le mouvement du piston à peu
près uniforme»
Si MACHIXES A TAPETB»
d. — Emrtloppe om ckemUe dm corps de pompe.
Le condenseur isolé, la plos bdie des ûnrentkms de
Watt, a pour objet, comme on Ta vo plos haut, de laisser
ccmstanmient le corps de pompe à la température de la
vapeur, afin cpi^elle ne s*y ccMMloise pas en partie quand
die arrive de la chaudière. Hais ce corps de pompe est
en contact avec Tatmo^bère sur toute retendue de ses
parois extérieures^ Il y aura donc sur ces parois, et, par
suite, dans toute Pépaisseur du cylindre, un refiroîdisse-
ment OHitinoel auquel la vapeur motrice devra pourvoir
aux dqp^as de sa propre élasticité. Watt a proposé d'atté-
nuer cet efiet en enveloppant le corps de pompe dans un
second cylindre. Une telle enveloppe, à efle est fermée
en haut et en bas, empédi^^ qu^il ne se forme des courants
d'air refroidissants, et ce sara déjà beaucoup de gagné.
Mais on pourra de plus introduire de la vapeur dans Tes-
pacc annulaire compris entre les deux c>'lîndres, et dès
lors la température du corps de pompe prt^)rement dit
sera si peu différente de celle de la vapeur fournie par la
cbaudière, que, dans la pratique, on pourra les considérer
comme étant parfaitement égales.
MACHINES A VAPEUR. 55
CHAPITRE III
MACH18ES A HAUTE PRESSION
§ 1. — Machines à baale pression sans condensation.
— Macliines locomotives.
Les machines dont nous avons parlé jusqu'ici n'exigent
pas que la vapeur qui les fait mouvoir exerce une pression
supérieure à celle de l'atmosphère. Pour se débarrasser
de la vapeur quand elle a agi , il suffit de la condenser.
Cette opération nécessite l'emploi d'une abondante quan-
tité d'eau froide;. dans beaucoup de localités , c'est un
inconvénient majeur. Quant aux machines bcomoiives
propres à faire marcher des chariots sur des chemins de
fer, on ne peut pas songer à les construire sur ce système.
Elles devraient, en effet, porter avec elles non-seulement
le charbon nécessaire à l'alimentation du foyer, non-seu-
lement l'eau qui doit remplacer incessamment dans la
chaudière celle qui est graduellement transformée en
vapeur, mais encore une énorme quantité d'eau froide
destinée à opérer la condensation. Une telle machine ne
produirait pas de grands effets : elle pourrait à peine se
traîner elle-même. Le besoin de se soustraire à la néces-
sité de la condensation de la vapeur, donne beaucoup de
prix aux machines à haute pression.
Dans ces machines, quand la vapeur a poussé, par
exemple, le piston de bas en haut, l'ouverture d'un
robinet lui permet de s'échapper dans l'air. C'est la diffé-
rence d'élasticité qui détermine cet écoulement; il cesse
56 MACHINES À VAPEUR.
donc dès que la pression de la vapeur intérieure ne sur-
passe plus celle de F atmosphère. Ainsi le corps de pompe
n'est pas entièrement vidé, comme dans le cas de l'injec-
tion. La vapeur qui après Toscillation ascendante devra
pousser le piston de haut en bas , aura donc à surmonter
une résistance égale à la pression atmosphérique, avant
de produire aucun effet utile. La même remarque s'ap-
plique à Toscillation ascendante, car au moment où elle
s'opère, le haut du corps de pompe renferme de la vapeur
et ainsi de suite.
Papin est le premier qui ait construit une machine dans
laquelle la vapeur à haute pression s'échappait dans l'at-
mosphère après avoir produit son effet. Cette machine
était exclusivement destinée à élever de l'eau. Leupold,
qui l'a fait connaître , en a décrit une du même genre en
1724, dans son Theatrum Machin, hydraul. Celle-ci était
à piston et à balancier, mais à simple effet. Enfin , en
1802, MM. Trevithick et Vivian obtinrent, en Angleterre,
une patente pour une machine à haute pression et à double
effet, qui a été appliquée, soit par eux, soit par d'autres
constructeurs, au mouvement des voitures sur des ornières
en fer. Dans sa première patente de 1769, Watt s'était
déjà réservé le droit, «pour le cas où l'eau froide serait
rare , de faire marcher les machines à l'aide de la seule
vapeur, laquelle pourrait s'échapper dans l'ah* après
qu'elle aurait produit son effet ; » mais il ne paraît pas
qu'on ait jamais construit dans ses ateliers une seule ma-
chine sur ce principe.
MACHINES A VAPEUR. 57
§ 2. — Machines à hante pression et à condensation.
Il existe des machines à haute pression dans lesquelles
on condense la vapeur après qu'elle a agi , comme dans
les machines à pression simple. Les machines ^de cette
espèce, les plus estimées, sont celles que M. Arthur Woolf
a proposées en 1804; mais elles ne pourraient pas être
appliquées aux appareils locômotifs. Dans les machines
de cet ingénieur, la vapeur à haute élasticité venant direc-
tement de la chaudière, pénètre d'abord dans un premier
corps de pompe, tantôt par-dessus et tantôt par- des-
sous , comme dans une machine à double effet. Seulement
cette vapeur n'est pas condensée aussitôt qu'elle a amené
le piston à l'une des deux extrémités de sa course;
M. Woolf en tire encore un certain parti avant de l'anéan-
tir ; voici de quelle manière.
A côté du premier corps de pompe, il en existe un
second de même hauteur environ, mais d'un plus grand
diamètre. La partie supérieure du premier communique
par un tuyau avec la partie inférieure du second, et réci-
proquement. Quand la vapeur a poussé le piston du
premier cylindre jusqu'au bas de sa course, au moment
précis où ce même piston commence à monter par l'action
de la nouvelle vapeur, venant directement de la chau-
dière, qui le pousse de bas en haut, toute la vapeur dont
le cylindre qu'il parcourt est rempli , et qui a déjà amené
le premier mouvement descendant, se répand dans le
second cylindre au-dessous de son piston et le pousse
aussi de bas en haut. Ainsi , les deux pistons marchent
dans le même sens. Dès que ce mouvement est achevé ,
58 MACHINES A VAPEUR.
la vapeur dilatée qui occupe toute la capacité du grand
cylindre , va se liquéfier dans un condenseur isolé. Une
nouvelle quantité de vapeur venant de la chaudière se
rend alors au-dessus du premier cylindre et pousse son
piston de haut en bas. L'ancienne vapeur, dont tout le
bas de ce cylindre était rempli à la suite du premier
mouvement, passe en se dilatant au-dessus du piston du
second cylindre et le force à descendre, en sorte. que les
deux pistons , encore cette fois , marchent dans le mêioe
sens. Si chaque piston porte une tige verticale , et si les
deux tiges sont attachées à deux points du balancier situés
du même côté de son centre de rotation , les oscillations
que ce balancier éprouvera, s'opéreront en vertu des
impulsions réunies des deux pistons; la même vapeur
aura donc produit deux effets avant d'être condensée K
1. D'après Partington, dans la machine à double cylindre établie
il la mine de Whealvor en 1815, le diamètre du grand cylindre est
de i".3/i ; la capacité du petit cylindre est le cinquième environ de
celle du grand; retendue des excursions du piston est 2". 75. La
machine conduit six pompes, et son effet moyen peut être évalué &
6,300,000 kilogrammes élevés à un mètre par boisseau de charbon
(36 litres). Un laboureur qui travaille dix heures fait, terme moyen,
par minute un travail correspondant à Télévation de 516 kilo-
grammes à un mètre, ce qui correspond à 309,600 kilogrammes
élevés à un mètre par jour. D'après ces données ,. avec la machine
de Woolf, on ferait la journée de vingt hommes en brûlant un bois-
seau de charbon. En 1822, quand il publiait son ouvrage, Partington
affirmait qu'il y avait en Angleterre 10,000 machines à feu an
moins, exécutant un travail qui aurait exigé 200,000 chevaux.
On trouve dans une enquête dirigée par une commission de la
ehambre des communes que les machines à haute pression de Woolf
peuvent moudre, terme moyen, 6 hectoUtres 1/2 de blé par boisseau
(36 litres) de charbon, et que les machines à basse pression de
Watt ne donnent p&s plus de U hectolitres 1/3 pour la môme quan-
tité de combustible.
MACHINES X VAPEUR. 59
Cette machine de Woolf est une véritable machine à
détente^ assez semblable à celle que M. Hornblower a
décrite dans sa patente de 1781. On ne voit point à priori
pourquoi la détente de la vapeur ne produirait pas y en
Topérant comme Watt T avait proposé, dans un seul corps
de pompe, autant d'effet qu'en suivant le système de
WoolL Des eiq;>ériences publiées dans les Rapports men-
suels des Mines de Comouailles, semblent, il est vrai,
très -favorables à ce système ; mais elles n'obtiendront
Tassentiment général qu'après qu'on les aura faites en
rendant tout égal de part et d'autre, à l'exception du
mode de dilatation de la vapeur.
CHAPITRE IV
BATIAUX A TAPE UR
Uapplication des machines à vapeur à la navigation
est, de toutes les inventions des mécaniciens modernes,
celle qui, dans certaines contrées, en Amérique, par
exemple , semble devoir donner les plus importants résul-
tats. Aussi la question de priorité a-t-elle été l'objet
d'une controverse fort animée. Dès l'origine, on a mis la
France hors de cause : le débat a paru ne devoii* s'établir
qu'entre les Anglais et les Américains du Nord. Ceux-ci
attribuent l'application à Fulton. Les Anglais produisent
les écrits , fort antérieurs, de Jonathan HuU et de Patrick
Millei'. L'argument est sans réplique contre Fulton ; mais
n'existe-t-il pas des ouvrages encore plus anciens que
celui de Jonathan Uull , et dans lequel les idées de ce
60 MACHINES À VAPEUR.
mécanicien se trouveraient déjà consignées? Le lecteur
va juger si mes recherches à cet égard ont été infruc-
tueuses.
L'ouvrage de Jonathan Hull est de 1737. Voici la
traduction du titre : « Description et Figure d'une machine
nouvellement inventée pour amener les navires et les vais-
seaux dans les rades, les ports et les rivières, ou pour
les en faire sortir contre le vent et la marée , ou par un
temps calme ; à l'occasion de laquelle S. M. Georges II
a accordé des lettres-patentes au profit de l'auteur, qui
en jouira l'espace de quatorze ans; par Jonathan Hull. t
Cet ouvrage renferme, 1* la figure et la description de
deux roues à palettes placées sur l'arrière du bâtiment :
l'auteur voulait substituer ces roues aux rames ordinaires;
2* la proposition de faire tourner les axes des roues à
l'aide de la machine de Newcomen, alors bien connue,
mais employée seulement, d'après les propres expressions
de Hull, pour élever de l'eau à l'aide du feu. {With fjoich^
he (Newcomen) raises waler by fire.)
L'ouvrage de Patrick Miller parut à Edinburgh en
1787. On y trouve aussi la description des roues à pa-
lettes, considérées comme moyen de faire avancer les
bateaux dans les canaux , et l'indication des essais aux-
quels l'auteur s'était livré pour faire tourner ces roues
convenablement. Ce dernier article se termine par la
remarque suivante : « J'ai quelque raison de croire que la
force de la machine à vapeur peut être employée pour
faire tourner les roues, de manière à leur donner un
mouvement plus prompt et à augmenter conséquemmcnt
la vitesse du bateau. »
MACHINES A VAPEUR. 61
Voilà tout ce que les critiques anglais ont rapporté de
plus précis et de plus ancien, dans les discussions qu'ils
ont eues avec leurs antagonistes d'Amérique*. Je vais
maintenant fournir aussi mon contingent.
L'ouvrage de Papin, que j'ai tant de fois cité, le
Recueil de 1695, renferme textuellement ce qui suit, aux
pages 57, 58, 59 et 60,
• Il serait trop long de rapporter ici de quelle manière
cette invention (celle de la machine à vapeur atmosphé-
rique) se pourrait appliquer à tirer l'eau des mines , à
jeter des bombes, à ramer contre le vent... Je ne puis
pourtant m'empêcher de remarquer combien cette force
serait préférable à celle des galériens pour aller vite en
mer. » Suit la critique des moteurs animés, qui occupent,
dit l'auteur, un grand espace et consomment beaucoup ,
lors même qu'ils ne travaillent pas. Il remarque que ses
tuyaux (ses corps de pompe) seraient moins embarras-
sants; «mais, comme ils ne pourraient pas, dit-il, com-
modément faire jouer des rames ordinaires, il faudrait
employer des rames tournantes. » Papin rapporte qu'il a
vu de semblables rames attachées à un essieu sur une
barque du prince Robert , et que des chevaux les faisaient
tourner. Quant à lui , comme c'est le mouvement de va-
et-vient de son piston qu'il veut transformer en mouve-
ment de rotation, voici comment il s'y prendrait : « Il
faudrait que les manches des pistons fussent dentés pour
tourner de petites roues dentées, affermies sur les essieux
des rames. » Mais comme un piston ne fait aucun effort
1. Yoyez le Quarlerly Revîew pour 1818, t. XIX , p. 353 et 355.
62 MACHINES À VAPEUR.
utile dans le bas de sa course , pour que le mouvement
de rotation soit continu , il imagine d'employer plusieurs
corps de pompe dont les pistons marcheraient en sens
contraires; l'un commencerait à descendre quand un
autre serait arrivé au bas de sa course, etc. rMais on
m'objectera peut-être, ajoute Papin, que les dents des
manches des pistons (des crémaillères) étant engagées
dans les dents des roues , devraient , en montant et en
descendant, donner à l'essieu des mouvements opposés,
et qu'ainsi les pistons montants empêcheraient le mouve-
ment de ceux qui descendraient, ou ceux qui descen-
draient empêcheraient le mouvement de ceux qui devraient
monter. Mais cette objection est facile à résoudre ; car
c'est une chose fort ordinaire aux horlogers d'affermir
des roues dentées sur des arbres ou essieux, en telle sorte
qu'étant poussées vers un côté, elles font nécessairement
tourner l'essieu avec elles ; mais vers le côté opposé, elles
peuvent tourner librement sans donner aucun mouvement
à l'essieu, qui peut ainsi avoir un mouvement tout opposé
à celui desdites roues. Toute la plus grande difficulté ne
consiste donc qu'à ériger une manufacture pour faire
avec facilité des tuyaux légers, gros et égaux d'un bout
à l'autre, etc. »
Papin a donc proposé, dans un ouvrage imprimé, de
faire marcher les navires à l'aide de la machine à vapeur,
42 ans avant Jonathan Hull , qui est regardé en Angle-
terre comme l'inventeur. >
Le procédé que Papin indique pour transformer le
mouvement rectiligne du piston en un mouvement de
rotation continu, n'e^t pas inférieur, je crois, à celui du
MACHINES À VAPEUR. 63
mécaniciefi anglais ; car, dans ce dernier, les roues atta-
chées à Taxe principal et les roues à palettes, ne conunu-
niquent entre elles que par des cordes.
Les deux corps de pompe, agissant alternativement,
dont Papin songea à se servir pour régulariser le mou-
vement des roues, ne sont pas tant à dédaigner qu'on
pourrait le croire : M. Maudsley, l'un des plus habiles
constructeurs qu'il y ait en Angleterre, les a employés
récemment pour suppléer, sur plusieurs de ses grands
bateaux , au volant, qui ne s'installe pas sans de grandes
difBciiItés dans un espace resserré.
La substitution d'une roue à palettes aux rames ordi-
paires, n'appartient ni à Papin ni à Hull ; sans parler de
la chaloupe du prince Robert , citée par le premier, nous
trouverions dans des auteurs fort anciens des preuves
évidentes de l'emploi des roues. Quant aux premières
expériences exactes qui aient permis de juger des avan-
tages relatifs de ces deux modes d'impulsion , elles ne
remontent guère qu'à l'année 1699, et c'est à M. du Quel
qu'on les doit *. ( Voy. Machines approuvées par C Aca-
démie ^ t. r'. )
i. L'ouvrage de M. Robert Stuart (voyez page 83, 3* édition)
renferme le passage suivant : a Jonathan Hull doit être cité hono-
rablement pour avoir indiqué des roues à palettes mues par une
machine à vapeur, comme un moyen de faire marcher les navires
sans vent et sans voiles. Ce projet exigeait la transformation du
mouvement rectiligne et alternatif de la tige du piston , en un mou-
vement de rotation. UuU montra qu*une manivelle coudée donnait
une solution ingénieuse du problème. On voit aujourd'hui, avec
raison , dans cette invention , Toriglne de l'introduction des ma-
chines à vapeur dans les usines, comme moteurs de toutes les
variétés possibles de mécanique.» Ainsi, dans Topinion de M. Stuart,
Jonathan Hull aurait le double mérite d'avoir inventé les bateaux à
64 MACHINES A VAPEUR.
En parlant des machines à vapeur en général, j'ai
essayé de faire la part des inventeurs proprement dits
et celle des ingénieurs qui , les premiers , les ont exécu-
tées. Si nous suivons ici la même marche, nous trouve-
rons:
Que M. Perier est le premier qui , en 1775, ait con-
vapeur et d^avoir montré que la machine à feu pouvait être substi-
tuée aux agents mécaniques employés jusque-là dans les manufac-
tures de toute espèce. Je n'ai qu'une seule difficulté à opposer à ces
conclusions : c'est que l'ouvrage de Papin , où se trouve l'idée des
bateaux et celle d'un mouvement de rotation continu communiqué
à une roue par une pompe à feu , a précédé de /Ii2 ans celui de
l'ingénieur llull.
Un savant anglais de mes amis à qui je faisais part verbalement
des résultats contenus dans cette Notice, me dit que si je les publiais
jamais, il combattrait toutes mes assertiOBs par des passages em-
pruntés à des auteurs français. Ce serait, ajoutait-il en riant, une
guerre de guillemets. En le priaut de s'expliquer davantage, je
découvris que les arguments qu'il doit m'opposer seront puisés, soit
dans un article biographique sur Newcomen dû à un des plus illus-
tres physiciens de notre époque , soit dans un rapport concernant
les bateaux à vapeur, rédigé par le célèbre professeur de mécanique
du Conservatoire et approuvé par l'Académie des sciences. Dans
ces deux articles, je suis forcé de le reconnaître, les opinions des
auteurs anglais sur les inventeurs de la machine à feu ont été adop-
tées sans réserve. L'objection a donc quelque gravité, mais elle ne
me semble pas insoluble. En ce qui concerne la Notice sur Newco-
men, je remarquerai d'abord qu'elle est évidemment calquée sur
l'histoire de Robison ; que l'écrivain distingué à qui on la doit,
n'annonce nulle part qu'il ait fait à cette occasion des recherches
particulières, qu'il ait consulté les sources originales. S'il avait cité
Salomon de Caus, j'aurais sans doute des scrupules au sujet de
l'importance qu'il m'a semblé juste d'accorder aux recherches de
ce mécanicien français ; mais son nom ne se trouve pas une seule
fois dans l'article biographique, quoiqu'on y lise, en toutes lettres,
ceux de Worcester et de Savqry. De là je crois pouvoir conclure
avec certitude, que les œuvres de Salomon de Caus, et je suppose
même celles de Papin, étaient inconnues à mon savant confrère;
son opinion ne saurait donc m'étre opposée, car j'aurais le droit.
MACHINES A VAPEUR. ' 65
struit un bateau à vapeur (un ouvrage de M. Ducrest,
imprimé en 1777, renferme la discussion des expériences
auxquelles cet ingénieur avait assisté ; leur date est ainsi
constatée authentiquement) ;
Que des essais sur une plus grande échelle furent faits
en 1778, à Baume- les- Dames, par M. le marquis de
Jouffroy ;
comme un ancien philosophe grec , d'en appeler de Philippe à Phi-
lippe mieux informé. Si je dois aborder ensuite la seconde objection,
j'écarterai aisément l'autorité de l'Académie des sciences, en faisant
remarquer que sa règle constante est de ne se prononcer que sur
les conclusions des rapports qu'on lui préseote. Les développements
plus ou moins étendus qui ont accompagné ces conclusions, ne
donnent lieu, de sa part, à aucune délibération : le rapporteur en
est seul responsable. Or, le rapport très-détaillé concernant les
bateaux a vapeur dont l'Académie entendit la lecture le 27 janvier
1823, se termine par des conclusions dans lesquelles je ne vois pas
un seul mot qui ait trait aux inventeurs des machines à feu. L'Aca-
démie n'a donc rien décidé qu*on puisse m'opposer. Quant au texte
même du rapport, j'y trouve, il est vrai, que les Anglais ont les
premiers employé la force de la vapeur pour élever les eaux ; que
Worcester est l'inventeur dont Savery développa les idées ; que c'est
Jonathan Hull qui a songé à faire marcher les navires à Taide de la
machine à feu ; mais comme je n'y vois ni le nom de Salomon de
Caus ni celui de Papin , quoique, bien ou mal , ils se fussent occupés
de ces mêmes questions avant les mécaniciens anglais , j'aurais le
droit de reproduire ici les réflexions que l'article de la Biographie
universelle m'avait tout à l'heure suggérés. Au reste, des autorités,
quelque respectables qu'elles puissent être, n'ont ici aucune impor-
tance. La question se réduit à savoir si les ouvrages dont je me suis
étayé ont bien la date que je leur assigne et si mes extraits sont
fidèles. Toutes les académies du monde auraient décidé , d'un com-
mun accord, que Worcester a imaginé le premier de pousser l'eau
par la force élastique de la vapeur, qu'il n'en resterait pas moins
établi que l'idée appartient à Salomon de Caus, car 1615 a précédé
1663. Tant qu'on n'aura pas prouvé de môme que l'année 1695 a
a suivi 1736, Papin , malgré l'autorité de tous les rapports présents,
passés et futurs, aura le mérite d'avoir proposé les bateaux à vapeur
&2 ans avant Jonathan Hull, son compétiteur.
V.— II. 5
66 MACHINES A VAPEUR.
Qu'en 1781, M. de Jouffroy, passant de Fexpérience
à l'exécution , établit réellement sur la Saône un grand
bateau du même genre qui n'avait pas moins de 46 mètres
de long avec û à 5 mètres de large ;
Que le ministère d'alors adressa à TAcadémie des
sciences, en 1783, le procès-verbal des résultats favo-
rables donnés par ce bateau, dans la vue de décider si
M. de Jouffroy avait droit au privilège exclusif qu'il
réclangait * ( MM. Borda et Perier furent nommés com-
missaires) ;
Que les essais faits en Angleterre par M. Miller, lord
Stanhope et M. Symington sont d'une date bien posté-
rieure (les premiers doivent être rapportés à l'année 1791,
ceux de lord Stanhope à 1795, et l'expérience faîte par
Symington, dans un canal d'Ecosse, à l'année 1801) ;
Qu'enfin les tentatives de MM. Livingston et Futton , à
Paris, n'étant que de 1803, elles pourraient d'autant
moins donner des titres à l'invention, que Fulton avait
eu , en Angleterre , une connaissance détaillée des essais
de MM. Miller et Symington, et que plusieurs de ses
compatriotes, M. Fitch , entre autres, s'étaient livrés sur
cet objet à des expériences publiques dès l'année 1786.
Disons toutefois que le premier bateau à vapeur auquel
on n'ait pas renoncé après l'avoir essayé ; que le premier
qui ait été appliqué au transport des hommes et des mar-
chandises, est celui que Fulton construisit à New- York
1. Le bateau essayé à Lyon renfermait deux machines à vapeur
distinctes. Les événements de la Révolution ft'ançaise forcèrent
M. de Jouffroy d'^igrer, et toutes ses tentatives ne purent avoir
aucune suite.
MACHINES A VAPEUR. 07
en 1807, et qui fit le voyage de cette ville à Albany. En
Angleterre, le premier bateau à vapeur qu'on y ait vu en
activité pour les beâoins du commerce et des voyageurs,
date de 1812 seulement; il naviguait sur la Glyde et s'ap-
pelait la Comète. Le second date de 1813; il faisait la
traversée de Yarmooth à Norwich.
CHAPITRE V
UVEHTIOS DBS PAI1IC1FA0X 0R6A9E9 DES MACaiHCS
A VAPEVR
§ t. — Artifices qvà donnent à la machine à Tapeur la propriété
de marcher d'elle-même et sans le secours d'aucun ouvrier.
Les premières machines de Newcomen exigeaient la
présence constante d'une personne qui ouvrit ou fermât à
propos alternativement divers robinets , tantôt pour intro-
duire la vapeur aqueuse dans le corps de pompe , tantôt
pour y amener l'eau destinée à la condenser. La tradition
attribue à un enfant, nommé Humphry Potter, la pre-
mière invention du mécanisme à l'aide duquel la machine
elle-même tourne les robinets à l'instant convenable. On
raconte que Potter, contrarié un jour de ne pouvoir pas
aller jouer avec ses camarades, imagina d'attacher les
extrémités de quelques ficelles aux manivelles des deux
robinets qu'il devait ouvrir et fermer ; les autres extré-
mités ayant été liées au balancier, les tractions que
celui-ci occasionnait en montant ou en descendant, rem-
plaçaient les efforts de la main. L'ingénieur Beighton
perfectionna beaucoup cette première idée, en fixant
verticalement au balancier une tringle de bois , nommée
68 MACHINES À VAPEUR.
en anglais plug-frame. Cette tringle était année de diffé-
rentes chevilles qui venaient presser, aux moments conve-
nables déterminés par les excursions du -balancier, les
tige5 des différentes soupapes. Le mécanisme de Beighton
fut adopté par Watt avec quelques modifications avanta-
geuses. Maintenant, la distribution de la vapeur dans les
diverses parties du corps de pompe, s'opère par un moyen
plus simple et qui a permis de renoncer entièrement au
plug-frame^ du moins dans les machines dont la force
n'est pas excessive et qui sont destinées à faire tourner un
axe. Ce moyen, dont je n'essaierai pas de donner ici une
description qui, sans figures, serait peut-être inintelli-
gible, s'appelle un tiroir ou glissoir. Une roue excen-
trique attachée à l'arbre que la machine doit faire tourner,
imprime aux tiroirs deux mouvements opposés pendant
chacune de ses révolutions; ces deux mouvements suffi-
sent pour amener successivement la vapeur de la chau-
dière au-dessus et au-dessous du piston , et pour fournir
à celle qui a déjà agi , un écoulement convenable vers le
condenseur.
Le mécanisme du tiroir et de son excentrique a été
imaginé par M. Murray, de Leeds, en 1801.
Dans les machines à forte pression et à double effet , la
vapeur se rend successivement dans le haut et dans le
bas du corps de pompe, et lorsqu'elle a produit son effet,
elle s'écoule dans l'atmosphère. Tout cela n'exige qu'un
quart de tour d'un seul et même robinet , désigné par le
nom de robinet à quatre voies ou à quatre fins. Cet appa-
reil, extrêmement ingénieux, est également employé de
nos jours dans toutes les grandes machines à colonne
MACHINES A VAPEUR. G9
a exécutées en Allemagne. C'est à Papin qu'on en doit
ention : on le voit dans la machine à haute pression
8 mécanicien dont Leupold nous a conservé la figure,
ins celle que Leupold lui-même a proposée plus tard,
l^à-dire en 172â.
§ 2. ^ Manivelles et volants.
L Keane Fitzgerald publia dans les Transactions phi^
ohiques, en 1758, p. 727 et suiv., la description d'un
rédé propre à transfoiroer le mouvement rectiligne de
et- vient qu'éprouve le piston d'une machine à feu,
in mouvement de rotation continu. II se servait pour
d'un système assez compliqué de roues dentées,
ni lesquelles plusieurs devaient être à rochet. Jusque-
la méthode de cet ingénieur rentre dans celle de
in; mais il avait imaginé, de plus, de joindre à son
«nisme un volant : c'est un moyen précieux de régu-
3er le mouvement des machines à feu qui, de nos
•s, est généralement employé, et dont il est juste de
e honneur à M. Keane Fitzgerald.
Tant que le mouvement oscillatoire du balancier d'une
îhine à feu ne se transmettait à un axe de rotation que
l'intermédiaire de roues dentées , on était exposé à
ruptures, très - fâcheuses en elles-mêmes et plus
ore à cause des interruptions de travail qu'elles
asionnaient. En 1778, M. Washbrough, de Bristol,
posa d'opérer cette communication à l'aide d'une ma-
elle coudée faisant corps avec l'axe tournant : c'était,
ame on voit , se servir du moyen qui se trouve dans
70 MACHINES A TAPEUR.
tous les rouets des fileuses, dans toutes les roues des
rémouleurs. Néanmoins une patente avait été prise ^ un
privilège avait été concédé, et un artifice que tout le
monde aurait pu employer quand le moteur était le pied
d'un homme ou un courant d'eau , se trouvait interdit à
l'ingénieur dont la machine marchait à l'aide de la vapeur.
Afin de se soustraire à la redevance qu'il aurait dû payer
à M. Washbrough pour chacune de ses machines, Watt
se servit, jusqu'à l'expiration du brevet dont ce dernier
était en possession , d'une communication de mouvanent
un peu différente ; chez lui tout s'opérait à l'aide d'une
roue dentée liée à l'axe tournant, qu'il appelait la roue
solaire, parce que son centre demeurait fixe, et d'une
autre roue également dentée, attachée à l'extrémité de la
bielle du balancier, et que par opposition il nommait la
roue planétaire. Il serait inutile de décrire ce mécanisme
plus particulièrement, puisque Watt lui -m^ne revint à
la manivelle sim^de dès qu'il le put
§ }. — Moyens de diriger verticaleiDeiit la tige dn pisUm
et de la lier au balancier.
Dans la machine à simple effet de Newcomen ou de
Watt, le balancier se terminait par un arc de cercle, et
une chaîne flexible, attachée à l'extrémité de cet arc la
plus éloignée du piston , était le seul moyen de commu-
nication de ces deux parties de l'appareil. Quand le piston
descendait par la pression de l'atmosphère, il tirait le
balancier ; quand le piston remontait par Faction d'un
contre- poids placé à l'extrémité opposée, c'était le balan-
cier qui tirait le piston. Or, une chaîne, située entre deux
MACHINES A VAPEUR. 74
points, qudque fleuble qu*eUe soit, est toujours un excel-
lent moyen d'opérer une traction ; son emploi , dans la
machine à simple effet, ne pouvait donc donner lieu à
aucune difficulté.
II n'en est pas ainsi de la machine à double effet. Dans
son excursion descendante, le piston tire bien le balan-
cier ; mais dans le mouvement suivant, ou quand le balan-
cier remonte, il doit être poussé de bas en haut : or, une
chaîne ffexible ne peut jamais servir à pousser. L'ancien
mécanisme exigeait donc ici une modification.
La première qu'on ait employée consistait à denter la
portion de la tige du piston qui reste toujours en detiors
du corps de pompe, à en former ime véritable crémaillère
et à la faire engrener dans un arc circulaire également
denté, fixé à l'extrémité du balancier. C'était ce que Papin
avait proposé en 1695,
Plus tard, Watt imagina une méthode de beaucoup
préférable, et qui maintenant est généralement adoptée
partout où l'espace ne manque pas ; c'est celle qu'on
appelle méthode du parallélogramme ou du mouvement
parallèle. Il me serait bien difiCicile d'en donner sans
figures une description complète. Je me contenterai de
dire qu'un parallélogramme aux quatre angles duquel se
trouvent quatre tourillons , et qui , conséquemraent , peut
prendre toutes sortes de formes sans cesser d'être paral-
lélogramme , est fixé par ses deux angles supérieurs au
balancier de la machine ; que la tige du piston est atta-
chée à l'un des angles inférieurs, et que le quatrième
angle est Hé à une verge rigide, inextensible, et mobile
autour d'un centre (ae. Quelle que puisse être la position
73 MACHINES A VAPEUR.
de ce centre, il suffit que le levier qui en part ait une lon-
gueur invariable, pour que le parallélogramme se déforme
inévitablement durant les oscillations du balancier, pour
qu'il soit tantôt rectangle et tantôt obliquangle. Mais,
quand le centre auquel le levier aboutit est convenable-
ment choisi (c'est en cela que la découverte de Watt
consiste), l'angle du parallélogramme mobile et de forme
variable auquel la tige du piston est attachée , ne quitte
pas sensiblement la verticale pendant les oscillations du
balancier. La tige du piston se trouve ainsi parfaitement
dirigée , et sa communication avec le ba:Iancier ayant lieu
par l'intermédiaire d'un système rigide, elle peut tout aus^
bien tirer le balancier de haut en bas durant le mouvement
descendant du piston, que le pousser de bas en haut quand
le piston remonte.
Le parallélogramme articulé excite au plus haut degré
l'attention des personnes qui voient pour la première fois
marcher une machine à vapeur. Aux yeux du mécanicien
exercé, il se présente comme un appareil d'une exécution
facile, entièrement exempt de secousses, et susceptible
d'une durée indéfinie. C'est incontestablement une des
plus ingénieuses inventions de Watt. La patente dans
laquelle elle se trouve décrite est du mois d'avril 1784.
§ 4. — Régulateur à force centrifuge,
Le tuyau qui, dans les machines de Watt, amène la
vapeur de la chaudière dans le corps de pompe, renferme
une plaque mince ou soupape semblable aux plaques
qu'on adapte aux tuyaux de nos poêles. Dans une certaine
MACHINES A VAPEUR. 73
position, la plaque laisse l'ouverture du tuyau presque
entièrement libre; dans une autre, le tuyau est tout à fait
fermé; pour les positions intermédiaires, l'ouverture a
ies dimensions plus ou moins grandes suivant qu'on
s'approche davantage des deux limites dont je viens de
parler. Les mouvements de la plaque peuvent s'opérer à
l'aide d'un axe qui se prolonge jusqu'à l'extérieur du
tuyau.
Si la soupape est entièrement ouverte, la vapeur rem-
plit le corps de pompe très -rapidement; si elle est presque
Termée , il faut , au contraire , un temps assez long pour
opérer l'écoulement de la même quantité de vapeur. Or, le
nombre de secondes que les oscillations du piston exigent
dépend évidemment de la rapidité avec laquelle la vapeur
va le presser sur l'une ou l'autre de ses faces. La soupape
tournante du tuyau donne donc, jusqu'à un certain point,
le moyen de régulariser cette vitesse. Si Taxe qui la porte
est tenniné par un coude de manière à fonner à l'exté-
rieur une manivelle, il suffira de la faire tourner dans un
sens ou dans le sens contraire pour accélérer ou retarder
les oscillations du piston. 11 faudra, par exemple, que la
manivelle monte si le piston va trop vite et qu'on veuille le
retarder; qu'elle descende , au contraire, quand il va trop
lentement. En adaptant à la machine une pièce qui doive
nécessairement monter quand son mouvement s'accélère,
et nécessairement descendre dès qu'il se ralentit, le pro-
blème se trouvera résolu , car il suffira de lier cette pièce
d'une manière quelconque à la manivelle de la soupape.
Tel est l'objet du mécanisme que Watt appelait le gouver-
neur (governor)j et qu'on nomme plus généralement
74 MACHINES A TAPEUR.
aujourd'hui régulateur à force centrifuge. Cet appareil
est formé d'un axe vertical que la machine fait tourner
plus ou moins rapidement, suivant qu'elle mardie elle-
même plus ou moins vite. Sur l'extrémité supérieure de
cet axe se trouve implanté un tourillon horizontal auquel
deux tringles métalliques sont suspendues par des collets
un peu libres , de manière qu'elles puissent s'écarter plus
ou moins de la verticale. Chaque tringle porte dans le
bas une grosse boule métallique. Quand l'axe vertical est
mis en mouvement par la machine , les boules qui tour*
nent avec lui s'en écartent jusqu'à une certaine limite,
par l'effet de leur force centrifuge. Si le mouvement
8*accélère, l'écartement devient plus fort ; il diniinQe dès
que le mouvement se ralentit. Les boules montent donc
dans le premier cas , et elles descendent dans te second.
Ces oscillations ascendantes et descendantes se conmnH
niquent par des leviers à la manivelle de la soupape
tournante du tuyau qui fournit la vapeui", et tout change-
ment trop considérable dans la vitesse de la machine se
trouve ainsi prévenu.
Cet appareil , composé de tringles mobiles [portant des
boules, ce pradule conique (c'est le nom qu'on lui don-
nait autrefois) avait été employé fort anciennement
comme régulateur dans les moulins à farine. On s'en
était également servi pour régler l'ouverture de la vanne
(pie traverse le liquide destiné à mettre une roue à augets
en mouvement. Cette dernière application était exacte-
ment semblable, pour le but et pour les moyens, à celle
que Watt en a farte à la machine à vapeur dans l'année
1784.
MACHINES A VAPEUR. 75
§ 5. — Soupape de sûreté.
Le feu placé sous les chaudières des grandes machines
n'est jamais réglé avec assez d'uniformité pour qu'on
puisse éviter de donner, de temps en temps, à la vapeur
dont ces chaudières sont à moitié remplies, une force
élastique supérieure à celle que la résistance de leurs
parois surmonterait. Prévenir cet inconvénient et les dan-
gereuses explosions qui en seraient là suite , tel est le but
du petit appareil qu'on nomme avec raison une soupape
de sûreté.
La soupape de sûreté a été inventée par iPapin. Elle
forme une partie essentielle de son digesteur, et l'on en
trouve la description aux pages 6, 7, 8, 9 et 10 d'un
petit ouvrage imprimé à Paris en 1682 sous le titre de
La Manière d^ amollir les os, etc., etc. ^. Le mécanisme
de Papin est précisément celui des soupapes de sûreté le
1. On trouve dans YHUtolre de la machine à feu de Robison,
édition commentée par Watt, p. 48, le paragraphe que voici : « Le
docteur Papin, Français, inventa vers ce temps-là (vers 1699), un
moyen de dissoudre les os dans Veau et autres matières animales
solides, en les renfermant dans des vases parfaitement clos qu'il
appelait digesteurs. Ces matières acquéraient ainsi un grand degré
de chaleur. Je dois observer ici que Hooke, le plus subtil expérimen-
tateur d'un siècle si fécond en recherches ingénieuses, avait trouvé
longtemps auparavant, c'est-à-dire en 168/i, que Teau ne peut ac-
quérir au delà d'une certaine température quand on la chauffe en
plein air, et qu^aussitôt qu'elle commence à bouillir, elle marque
toujours le même degré, n Pour que ce passage fût exact, il fau-
drait que La Manière d'amollir les os n'eût pas été publiée en 1682 ;
mais comme 1682 est bien la véritable date de l'ouvrage de Papin ,
il faudra transformer le longtemps auparavant du docteur Robison,
en quelque temps après. Les arguments empruntés à l'arithmétique
sont irrésistibles.
76 MACHINES A VAPEUR.
plus généralement en usage aujourd'hui. Son principe
d'ailleurs est très -simple.
On veut éviter qu'une chaudière éprouve jamais inté-
rieurement des pressions trop fortes. Pour cela faire , on
découpe circulairement une très-petite partie de sa paroi,
et Ton couvre le trou qui en résulte avec une plaque bien
dressée et mobile de dedans en dehors : c'est comme si
la portion correspondante de la chaudière était devenue
mobile elle-même. Supposons que le trou ait, par exemple,
un centimètre carré de surface. Papin calcule alors ce
qu'un centimètre carré de la chaudière éprouvera de
pression quand l'élasticité de la vapeur y aura atteint la
limite convenue ; on trouve ainsi de quel poids le bou-
chon doit être chargé, pour qu'il ne soit pas soulevé dans
toutes les pressions inférieures à cette limite, et pour qu'il
se soulève, au contraire, et donne un libre passage à la
vapeur, dès que la limite en question est dépassée. Ce
moyen présenterait quelques inconvénients si la soupape
ayant une grande ouverture, la pression devait être un
peu forte : les poids dont il faudrait alors la charger
seraient très -considérables et d'un ajustement difficile ;
aussi Papin préféra-t-il agir sur la plaque mobile par
l'intermédiaire d'un levier. Un poids médiocre suffit alors
pour contre -balancer les plus fortes pressions. Ce poids,
suspendu successivement sur des entailles pratiquées le
long du levier, à diverses distances du centre de rotation ,
comme le poids d'une romaine , procure des pressions
variables et graduées parmi lesquelles le mécanicien
adopte journellement celle qui convient le mieux au genre
de travail qu'il veut exécuter.
MACHINES A VAPEUR. 77
Je suis entré dans tous ces détails concernant la sou-
pape de sûreté de Papin , parce que ce petit appareil est
d'une extrême importance ; parce qu'il prévient en très-
grande partie les accidents désastreux auxquels les explo-
sions des chaudières donnaient inévitablement lieu avant
son adoption ; parce qu'enfin j'ai trouvé ainsi une nouvelle
occasion de rendre à notre compatriote une justice qu'on
lui a trop longtemps refusée *.
A l'époque où des explosions de marmites autoclaves
montrèrent qu'une soupape de sûreté ordinaire ne peut
pas être confiée sans danger à des mains inexpérimentées,
on songea à munir ces ustensiles d'une pièce qui dût agir
inévitablement d'elle-même dès que la température serait
devenue trop élevée. On fit choix pour cela de l'alliage
connu des chimistes sous le nom de métal fusible, et qui
est composé de bismuth , d'étain et de plomb. Une por-
tion de cet alliage ajustée sur un trou fait à la marmite,
se fondait et laissait le trou libre dès que la vapeur acqué-
rait une élasticité, ou, ce qui est la même chose, une
température trop forte. Depuis , ces plaques fusibles sont
appliquées en France à toutes les chaudières des machines
à haute pression : l'autorité en a imposé l'obligation. Le
degré de fusibilité de la plaque, variable avec la propor-
1. PartlngtOQ affirme, dans son intéressant ouvrage, que les pre-
mières machines de Savery avaient déjà une soupape de sûreté;
mais c'est une erreur : la figure insérée dans le tome XXI des Tran-
sactions philosophiques n'en offre aucune trace. Au demeurant, cela
serait vrai , que Papin n'en resterait pas moins le véritable inven-
teur, puisque sa description imprimée est de 1682, que la patente de
Savery ne remonte qu'à 1698 et que le premier essai de sa machine
devant la Société royale est de 1699. {Trans., tome XXf, p. 288.)
78 MACHINES A VAPEUR.
tion des divers métaux qui entrent dans sa formation, est
toujours réglé d'avance par l'élasticité sous laquelle le
constructeur annonce que sa machine marchera.
CHAPITRE VI
RÉSUMÉ £T COIfCLUSIOlfS
Je n'ai parlé que des machines à vapeur éprouvées par
une longue expérience. J'avais l'intention de consacrer
quelques pages aux machines qui ne sont encore, pour
ainsi dire , qu'en projet , telles que les machines à rotation
immédiate, les machines à explosion de gaz hydrogène,
les machines à gaz liquéfié , etc. ; mais la trop grande
étendue que cette Notice avait acquise m'a forcé de re-
noncer à mon projet. Par la même raison , j'ai supprimé
aussi les considérations détaillées que je voulais exposer
sur les meilleures formes des chaudières et des four-
neaux ; sur les causes présumées des explosions que les
chaudières éprouvent si fréquemment ; sur les effets les
plus avantageux fournis par les machines les plus par-
faites que l'on connaisse ; sur ceux que des améliorations
futures pourront donner un jour, à en juger par les
connaissances qu'on a acquises depuis plusieurs années
sur les propriétés de la vapeur, etc. Je me contenterai de
présenter, en terminant mon étude historique sur l'inven-
tion de la machine à vapeur, un résumé succinct des
diverses conséquences qui me paraissent en découler :
1615, Salomon de Caus est le premier qui ait songé à
MACHINES A TAPEUR. 79
se servir de la force élastique de la vapeur aqueuse, dans
la construction d'une machine hydraulique propre à opé-
rer des épuisements.
1690. C'est Papin qui a conçu la possibilité de faire
une machine à vapeur aqueuse et à piston.
1690. C'est Papin qui a combiné le premier dans une
même machine à feu et à piston , la force élastique de la
vapeur d'eau avec la propriété dont cette vapeur jouit de
se précipiter par le froid.
1705. Newcomen, Cawley et Savery, ont vu les pre-
miers que, pour amener une précipitation prompte de la
vapeur aqueuse, il fallait que l'eau d'injection se répandît
sous forme de gouttelettes dans la masse même de cette
vapeur.
1769. Watt a montré les immenses avantages ccono-
iniques qu'on obtient en remplaçant la condensation qui
s'opérait avant lui dans l'intérieur du corps de pompe ,
par la condensation dans un vase séparé.
1769. Watt a signalé le premier le parti qu'on pourrait
tirer de la détente de la vapeur aqueuse.
II
1690. Papin a proposé le premier de se servir d'une
machine à vapeur pour faire tourner un arbre ou une
roue, et a donné, pour atteindre ce but, un mode particu-
lier de transformation d'un mouvement rectiligne alter-
natif en un mouvement de rotation continu. Jusqu'à lui,
les machines à feu avaient été considérées comme propres
seulement à opérer des épuisements.
80 MACHINES A VAPEUR.
1690. Papin a proposé la première machine à feu
à double effet , mais à deux corps de pompe.
1769. Watt a inventé la première machine à double
effet et à un seul corps de pompe.
III
Avant 1710, Papin avait imaginé la première machine
à vapeur à haute pression et sans condensation.
1724. Leupold a décrit la première machine de cette
espèce à piston.
1801. Les premières machines à haute pression loco-
motives sont dues à MM. Trevithick et Vivian.
IV
1690. Papin doit être considéré comme le véritable
inventeur des bateaux à vapeur.
Dans les pièces principales dont une machine à vapeur
se compose :
1718. Beighton a inventé la tringle verticale, mobile
avec le balancier, ou plug-framcy qui ouvre et ferme les
soupapes dans les grandes machines.
1758. Fitzgerald s'est servi le premier d'un volant
pour régulariser le mouvement de rotation communiqué
à un axe par une machine à vapeur.
1778. Washbrough a employé la manivelle coudée
pour transformer le mouvement rectiligne du piston en
mouvement de rotation.
MACHINES A VAPEUR. 81
1784. Watt a- imaginé le parallélogramme articulé.
178/i. Watt a appliqué, avec beaucoup d'avantage, à
ses diverses machines, le régulateur à force centrifuge,
déjà connu avant lui.
1801. Murray a décrit et exécuté les premiers tiroirs
ou glissoirs manœuvres par un excentrique.
Avant 1710, Papin avait inventé les robinets à (|uatre
voies, qui jouent un si grand rôle dans les machines à
haute pression.
1682. Papin a inventé la soupape de sûreté.
CHAPITRE Vil
KXAMEN DES OBSERVATIONS CRITIQUES DONT LA NOTICE PRÉCÉDENTE
A ÉTÉ l'objet
La première édition de la Notice historique qu'on
vient de lire remonte à 1828 [Annuaire du Bureau des
Longitudes pour 1829). Alors les résultats de ce petit tra-
vail étaient, sous beaucoup de rapports, trop éloignés des
idées généralement admises chez nos voisins d'outre-mer,
pour que j'eusse pu me flatter qu'ils ne soulèveraient pas
des objections. Les objections, en effet, ne se firent point
attendre. D'abord timides et anonymes, elles se hasardè-
rent dans quelques coins inaperçus des journaux politi-
(|ues. Bientôt cependant il se présenta un ingénieur,
M. Ainger, qui les prit sous sa responsabilité, qui -les
réunit en faisceau, qui en composa une réfutation eu
forme. M. Ainger était peu connu dans le monde scienti-
fK[ue ; son nom ne rappelait aucun de ces travaux qui
V.— II. ^
82 MACHINES A VAPKUR.
commandent la confiance ; j'avais donc toute raison de
supposer que la réfutation de ma Notice , annoncée d'ail-
leurs avec beaucoup d'éclat, serait jugée sans partialité
et d'après sa valeur réelle. Je crois qu'il n'en fut pas
ainsi : le Quarterly journal ofthe Royal Institution s'em-
pressa de lui ouvrir ses colonnes, de l'enrichir de nom-
breuses et jolies gravures ; plusieurs lectures publiques,
dans les beaux salons d' Albermarle street^ suppléèrent
aux lenteurs inévitables de la presse ; ma défaite, enfin,
imprimait -on de toute part, était complète, irrévocable,
humiliante : je n'avais pas cité fidèlement ; mes figures
fourmillaient d'inexactitudes; je m'étais abstenu , sciem-
ment, de parler de plusieurs auteurs, tant anciens que
modernes, dans lesquels les mécaniciens français avaient
dû puiser leurs prétendues inventions, etc., etc. ! ! !
Je ne pensai pas devoir rester sous le coup d'imputa-
tions aussi graves; aussitôt que l'article de M. Ainger eut
paru, je le réfutai. Mon antagoniste avait oublié les règles
de la politesse la plus commune; j'eus la faiblesse de
m'en irriter et de lui répondre avec une vivacité qui, toute
provoquée qu'elle était, ne pouvait convenir à V Annuaire
du Bureau des Longilndes. Aucun autre moyen naturel de
publication ne s'étant ofl'ert à moi, pour le moment, je
jetai mon manuscrit dans un carton d'où probablement
il ne serait jamais sorti , sans la circonstance singulière
dont je vais rendre compte.
J'allais mettre le bon à tirer sur la dernière feuille de la
troisième édition de ma Notice, dans V Annuaire de 18.*i7,
lorscjue je reçus du docteur Measc, de Philadelphie, un
article relatif aux machines à vupeur, faisant partie de
MACHINES A VAPEUR. 83
rédition américaine de V Encyclopédie du docteur Brewsler.
Cet article renferme, sans aucune réflexion critique, une
partie du Mémoire de M. Ainger ; mais, dans la lettre
manuscrite qui raccompagnait. M, Mease exprime le
regret de n'avoir pu se procurer ma réponse, et s'engage
à la donner dans un supplément dès qu'elle lui parvien-
dra. Une personne éclairée et bienveillante à mon égard ,
trompée par le ton d'assurance de M. Ainger, a donc pu
attribuer quelque valeur à ses arguments. J'avoue que je
ne le croyais pas possible ; j'avoue que je me reposais
avec confiance sur ces quelques paroles que m'adressait,
en 1834, un savant anglais que tout le monde prendrait
pour juge en pareille matière : « Ce que vous avez voulu
établir dans votre histoire des machines à vapeur, est à
mes yeux prouvé mathématiquement. » Mais, puiscjue
cette conviction n'existe pas encore de l'autre côté de
l'Atlantique, je me décide, dans l'intérêt des sciences,
comme aussi, pourquoi .ne l'avouerais-je pas, dans l'mté-
rèt de la gloire nationale, à exhumer un écrit que j'avais
condamné à l'oubli. Je le donne, au surplus, tel qu'il fut
composé en 1829, sauf quelques modifications de forme
dont je viens d'indiquer les motifs. Je crains même, à
vrai dire, que ces modifications n'aient pas été assez
nombreuses, et qu'il ne soit resté çà et là plus d'un indice
de la vivacité de ma première rédaction ; mais le temps
m'a manqué pour faire d'autres changements.
Les critiques de M. Ainger sont de deux sortes. Dans
les premières, il me reproche une foule de prétendues
erreurs dont j'aurais pu me rendre coupable sans que le
fond de la question se trouvât changé le moins du monde.
84 MACHINES A VAPEUR.
Les autres sont plus sérieuses, car si M. Ainger avait rai-
son , j'aurais eu moi le plus grand tort de mêler des noms
français à l'histoire de la machine à feu ; celles-ci exige-
ront un examen minutieux. Disons d'abord quelques mots
des critiques de détail.
«Ma Notice a excité, dit M. Ainger, plus d'attention
qu'un sujet aussi vulgaire ne semblait le comporter...
Cette attention extraordinaire s'explique par le dernier
paragraphe de la préface de M. Arago. »
Un auteur n'est pas responsable de l'attention, bien
ou mal fondée, que le public daigne accorder à ses
œuvres; ainsi j'aurais pu ne pas noter l'explosion de
mauvaise humeur de mon critique, si elle ne me four-
nissait une occasion, la seule peut-être que je trouverai
dans ce chapitre , de me rapprocher de son avis. D'ail-
leurs le témoignage qu'il a bien voulu me transmettre de
l'indulgence du public , expliquera le prix que je mets
aujourd'hui à prouver qu'à défaut de tout autre mérite,
ma Notice ne renfermait rien d'inexact.
Suivant M. Ainger, «j'ai accusé tous (ait) les auteurs
anglais, un seul excepté, d'avoir sacrifié la vérité à des
préjugés nationaux. » Cette assertion n'a aucun fonde-
ment ; je n'en veux pour preuve que ce seul passage :
«Lorsque MM. Thomas Young, Robison, Partington,
Tredgold, Millington, Nicholson, Lardner, etc., présen-
taient le marquis de Worcester comme l'inventeur de la
machine à feu , l'ouvrage de Salomon de Caus leur était
sans doute inconnu. » Si l'on ne croyait pas à la sincérité
do cette déclaration, je ferais remarquer (jue dans les
sept noms qu'on vient de lire, se trouve celui d'un
MACHINES A VAPEUR. 85
savant illustre (Thomas Young) qu'une mort prématurée
a enlevé aux sciences, et dont j'ai eu l'avantage d'être
l'ami durant un grand nombre d'années.
Ainsi je n'ai pas dit, ainsi je n'ai pas pu dire que tous
les auteurs anglais, M. Stuart excepté, avaient sciem-
ment altéré la vérité ; le lecteur jugera lui-même dans un
moment si , d'autre part , tous ces mêmes auteurs ont fait
preuve d'impartialité.
D'après M. Ainger, la figure qui, dans ma Notice,
accompagne la description empruntée à Salomon de Caus,
d'une machine propre à élever de l'eau par l'action du
feu, est inexacte. Avant de répondre, je placerai ici la
copie trait pour trait (fig. 6, p. 86) du dessin original
de Salomon de Caus.
Que le lecteur veuille bien maintenant consentir à
écouter les critiques de M. Ainger. Selon lui, le tube
d'ascension et le petit entonnoir servant à introduire le
liquide dans la boule métallique, seraient l'un et l'autre
trop longs dans la figure primitivement donnée (voir
fig. 3, p. 15). Une seconde altération consisterait dans
la suppression de la nappe liquide épanouie qui termine
le jet ascendant.
J'avoue que n'ayant aucun argument à présenter sur la
longueur de ces tubes, je n'avais point recommandé à la
personne qui a copié la première figure, de conserver les
proportions du dessin original. Quanta la nappe d'eau,
le graveur l'avait supprimée pour simplifier son travail.
M. Ainger aurait même pu ajouter qu'il n'avait pas figuré
l'eau dans la boule, et que les bûches enflammées, pla-
cées au-dessous, ne ressemblaient pas parfaitement à
m MACHINES A VAPEUR.
celles de Salomon de Caus. Je lui recommande ces nbseï^
vations si sa brochure arrive à une seconde édition.
I.'exfr(*me fulilit»^ des critiques dont je viens de parler
ne doit pas m'rmpprlier d'ajouter une courte remarque :
MACHINES A VAPKUR. 87
je n'ai annoncé nulle part, ni pour la figure d'Héron
(fig. 2, p. 8), ni pour celle de Salomon de Caus (fig. 3,
p. 15), qu'elles fussent copiées minutieusement et dans
des proportions géométriquement exactes; ainsi M. Ainger
s'exposait à des observations sévères quand il disait :
• M. Arago donne la figure comme extraite du même
ouvrage (celui de Salomon de Caus). »
En voyant à l'article Savery que M. Ainger revient une
seconde fois sur cet allongement du tube, qu'il le présente
comme une altération importante et faite à dessein, j'ai
eu la curiosité de porter successivement un compas sur le
tube de la figure 3 des premières éditions de cette Notice
(voir ci-dessus, p. 15), et sur le jet liquide qu'on voit dans
celle de Salomon de Caus (fig. 6) ; or, il arrive que le
jet est de près de trois fois plus long que le tube. Ainsi
M. Ainger se trouve dans cette alternative, ou de rétracter
ses outrageantes insinuations, ou de soutenir que la force
en vertu de laquelle un jet d'eau s'élance dans l'air ne por-
terait pas le liquide à la même hauteur le long d'un tuyau.
Je l'engagerai , chiaritablement, à ne faire son choix à cet
égard qu'après avoir consulté un traité d'hydraulique.
Cet allongement du tube paraît avoir été aux yeux de
M. Ainger un vrai coup de fortune. Il l'exploite de toutes
les manières; il n'en aurait pas retranché un millimètre
pour un trésor, et cependant le tout avait fini par lui
paraître bien long, puisqu'il déclare que les deux tubes
sont indéfiniment allongés {imiefinitely elonyate). Je
viens de dire que le tube est moins long que le jet de
l'original ; aussi, quelque malveillance qu'on puisse avoir,
il faut reconnaître que le changement, si changement il y
88 MACHINES A VAPEUR.
a, n'a pas été fait dans la vue d'ajouter à la puissance de
la machine. Si j'avais cru devoir insister sur les grandes
hauteurs auxquelles la vapeur dans l'appareil de Caus
pourrait élever l'eau , je les aurais trouvées non pas sur
une figure sans échelle, nnais bien dans cette phrase, déjà
citée : « La violence est grande quand l'eau s'exhale en
air par le nioyen du feu... il est certain que si l'on met
ladite balle (une balle de cuivre contenant de l'eau) sur
un grand feu , en sorte qu'elle devienne trop chaude , il
se fera une compression si violente, que la balle crèvera
en pièces. »
J'avais pensé, en écrivant l'histoire de la machine à
feu, que le meilleur moyen de ménager l'attention du
lecteur, serait d'indiquer, pas à pas, en quoi chaque nou-
veau projet améliorait la machine déjà existante. C'est
ainsi , par exemple , que j'ai analysé tous les perfection-
nements apportés par Savery à la machine de Salomon
de Caus. Cette méthode paraît avoir singulièrement déplu
à M. Ainger ; expliquer la machine de Savery et l'expli-
quer clairement sans avoir besoin d'en donner la figure,
est à ses yeux un vrai scandale; au reste, il ne dit, ni que
la description soit inexacte (voir p. 34), ni qu'elle lui
paraisse insuffisante : le péché par omission qu'il me re-
proche a donc été seulement relevé pour faire nombre.
Au surplus, le lecteur peut juger par la figure suivante,
copiée sur celle de Savery, que ma description était très-
suffisante (fig. 7 et 8) ; en A on aperçoit le fourneau, en
B la chaudière , en C deux robinets qui , tournés tour à
tour, conduisent la vapeur successivement dans chacun
des vases I) ; ces deux vases D reçoivent vers le bfis l'eau
MACHINES A VAPEUR.
90 MACHINKS A VAPEUR.
qui vient du niveau inféricîur I par le tuyau d'aspiration
H ; cette eau est refoulée par la vapeur dans le tuyau
d'ascension G ; ces tuyaux d'ascension qui se bifurquent
pour se rendre dans les vases D, sont munis de soupapes
dont le jeu est facile à comprendre, et de robinets pour
le cas où les soupapes auraient besoin d'être nettoyées.
Si quelqu'un avait la pensée d(î ne point circonscrire sa
responsabilité dans l(»s strictes limites de ses paroles ; s'il
était assez imprudent ptun- l'étendre aux conséquences
qu'on pourrait en déduire, certains commentateurs l'en
feraient bien repentir. Deux petites figures (fig. 4 et 5,
p. 2/| et 26) m'ayant s(»jnblé propres à expliquer les idées
qui dirigèrent Papin dans les tentatives variées auxquelles
il se livra avant d'imaginer la machine à vapeur atmo-
sphérique , je les plaçai dans la première édition de ma
Notice, en tête des raisonnements dont elles étaient, en
quelque sorte, la représentation graphique. Que fait à cette
occasion M. Ainger? 11 dit que ces dessins se trouvant
immédiatement sous le titre : Denis Papin , « le lecteur
conséquemment en conclut qu'ils donnent les portraits de
l'invention de Papin {(he reader, of course conclûmes are
the portraits of Papin s invention); mais, ajoute-t-il,
on aura de la peine h croire qu'ils ne sont rien de sem-
blable; qu'ils offrent les portraits d'un appareil exécuté
(|uinze années plus tard par un Anglais, Newcomen. »
Ma réponse sera bien simple: en thèse générale, je
n'accepte pas les conclusions qu'il prendra au premier
venu (le tirer de mos paroles; je ne me s(»ntirais pas de
forc(» îi résister h co. genre d'attaque ; j'ajouterai , dans ce
cas particulier, ((ue n'ayant dit nulle part : « I^s deux
MACHINES A VAPEUR. 91
petites figures dont je me sers sont tirées des ouvrages de
Papin », il devrait m'importer peu d'cMitendre mon (M'i-
lique s'écrier qu'elles ne s'y trouvent pas; mais j'ai par-
Initement le droit de soutenir qu'elles y sont, car la ma-
chine dans laquelle Papin proposait de faire le vide sous
le piston h l'aide d'une roue hydraulique éloignée (lig. 9,
p. 92 ) , n'est autre chose que celle dont j'ai donné le trait,
sauf cette unique modification que la soupape ou plutôt le
robinet destiné h laisser rentrer l'air, au lieu d'«Hre situé
sur la plaque métallique qui supporte le corps de pompe,
comme dans mon dessin, est de côté, h l'extrémité d'un
petit tuyau horizontal, aboutissant au fond de ce mémo
corps de pompe. Si , profitant du peu d'habitude que les
lecteurs d'un journal peuvent avoir des artifices des méca-
niciens, M. Ainger a prétendu faire croire qu'un tel
déplacement de la soupape ou robinet avait qté fait dans
la vue d'améliorer le projet de Papin, je ferai remarquer
que jamais dans les machines modernes la soupape n'est
au fond du coips de pompe; que toujours, comme dans
le véritable dessin que je reproduis ici (fig. 9), elle se
trouve sur le tuyau h peu près horizontal qui amène la
vapeur motrice.
Pour qu'on ne puisse avoir aucun doute sur la connais-
sance approfondie qu'avait l\apin des divers moyens mé-
caniques nécessaires pour faire marciver la machine dont
j'ai seulement résumé le principe, je donnerai la des-
cription textuelle faite par 1^1pin lui-même de sa machine
propre h transporter fort loin la force mouvante des
rivièrrs el tirer l'eau des mines. Cette description a paru
en latin dans les Actes de Leipzif/ de 1(588; il en a donné
MACIllNBS A VAPEUR.
MACHINES A VAPEUR. 93
|a traduction en français dans le Recueil de diverses pièces
touchant quelques nouvelles machines, publié à Casse! en
1695. C'est cette traduction que je copie :
«Qu'on fasse, dit Papin , une grande roue comme A\
(fig. 9), et qu'on la place à l'ouverture de la mine : en
telle sorte que la corde BBB, passant sur ladite roue,
fasse monter et descendre l'un après l'autre deux seaux ,
dont Tun est ici marqué C, et qui, étant attachés aux
deux bouts de ladite corde, doivent nécessairement avoir
toujours des mouvements opposés, l'un en haut et l'autre
bas. Par le centre de la roue AA, doit passer l'essieu
DDD, et V être bien affermi; et sur cet essieu doivent
passer deux cordes EE, FF, de telle manière que les
deux pistons GH, attachés au bas de ces cordes, ne puis-
sent aussi monter ni descendre que l'un après l'autre, et
que (|uand l'un descend l'autre doive nécessairement
monter. Il faut concevoir ces pistons exactement ajustés
aux tuyaux IILL : aii)si il est manifeste que si par le
tuyau MM, par exemple, on tire l'air du tuyau LL, il
faudra que le piston G soit pressé en bas avec beaucoup
de force par l'air extérieur qui pèse dessus : et qu'ainsi
il fasse tourner l'essieu et la roue A A , par le moyen de la
corde FF : ce qui fera monter le piston H et le seau C ,
([u'on pourra vider de l'eau ou des' autres matières qu'il
aura apportées du fond de la mine : et comme il se trou-
vi»ra ([ue le piston H sera en même temps parvenu en
haut du luyau U, on pourra incontinent tirer l'air dudit
tuyau 11 par le tuyau NN, et ainsi le piston H, ù son
tour poussé en bas et fera monter le piston opposé (î avec
le sc*au attaché h l'autre bout de la corde BBB, ol les
94 MACHINES A VAPEUR.
matières dont il sera rempli. II faut seulement avoir soin
que Pair extérieur ait Tcnlrée libre au-dessous du piston
qui monte ; car autrement le piston opposé ne pourrait
le tirer en haut : mais moyennant que cela se fasse el
qu'on continue de tirer ainsi l'air de dessous les pistons
l'un après l'autre, il est certain que l'on pourra venir à
bout de ce que l'on prétend. 11 ne me reste donc que de
faire voir comment une rivière fort éloignée pourra tirer
l'air de dessous les pistons.
«Qu'on fasse deux pompes 00, 00, dont les pistons
V V doivent monter et descendre l'un après l'autre, quand
on fait tourner l'essieu PPPP, et que sur cet essieu soit
affermie la roue QQ qui doit être mise en mouvement par
le courant de quelque rivière : il est miinifeste que si les
pompes 00, 00, avec leurs pistons, sont garnies de sou-
papes de même que les pompes aspirantes le sont d'ordi-
naire, elles devront nécessairenjent tirer continuellement
l'air par le tuyau RRRR et le robinet S8; or il est facile
de faire ledit robinet SS, en telle sorte qu'en tournant la
clef comme il faut , l'on fera deux effets en même temps :
l'un sera d'ouvrir l'entrée à l'air extérieur, au-dessous
du piston qui doit monter; l'autre sera de faire que la
communication avec le tuyau RRR soit ouverte au-
dessous du piston qui doit descendre , ci qu'elle soit
fermée au-dessous du piston qui doit monter : ainsi donc
on viendra facilement à bout de faire que lorsque le pis-
ton (i , par exemple, est prêt à descendre du haut du
tuyau LL, l'air extérieur n'aura point d'entrée au-dessous
de Ci) piston, mais il y aura une communication libre par
le tuyau IVIM et le robinet SS, jusques au tuyau RR;
MACHINES A VAPEUR. 95
mais qu'au contraire au-dessous du piston H Pair exté-
rieur entrera librement, et la communication avec le
tuyau RR sera absolument formée. Mais quand ce sera le
piston H qui devra descendre, on pourra, en retournant
la clef du robinet., faire que les trous, qui auparavant
étaient ouverts, se trouveront fermés, et qu'au contraire,
ci'ux qui étaient fçnnés se trouveront ouverts : et (|u'ainsi
nous produirons l'effet prétendu.
• On pourrait trouver quelciue manière de faire que la
machine elle-même 'tournât le robinet dans le temps qu'il
faudrait; mais je crois qu'il vaudrait mieux avoir un
honnne qui eût soin de faire cela, et de vider les seaux à
mesure qu'ils arriveraient à l'ouverture de la mine. »
« M. Arago, dit M. Ainger, donne six pag(\s do descrip-
tion de cet appareil (celui de Papin), dans lequel il
amène la vapeur d'une chaudière dans le cylindre à tra-
\ers la soupape S (celle de la plaque inférieure, voir
fig. 4, p. 24). » Je suis vraiment fâché qiw mon aula-
j^onistc me mette si souvent dans le cas de lui répondre
|)ar de simples dénégations; mais en vérité je ne puis
pas admettre sa version, puisque j'ai dit : « J/eau (|ui
fournissiut la vapeur, dans ces premiers essais, n'était
pas contenue dans une chaudièn* séparée; elle avait été
déposée dans le corps de p()m])e, sur la plaque métal-
lique (|ui le bouchait par le bas (voir plus haut, p. 29). »
Dans tout le reste du paragraphe consacré à Papin, il
n'est plus question de là production d(* la vapour.
Voici du reste la description même, avec le fac-similé du
dessin (fig. 10, p. 97) de la machine A va|)eur de Papin ;
i'ilc» a paru en latin dans les Àcics de Lvipziij pom* i()90;
96 MACHINES A VAPEUR.
j'emprunte le texte qui suit à la traduction de cette des-
cription donnée dans le Recueil de machines de 1695. Le
lecteur ayant désormais sous les yeux, non plus un extrait
mais le texte entier de la description de Papin, nul ne se
laissera plus prendre aux critiques de nouveaux Ainger:
« On a fait divers essais pour tâcher de faire un vide
exact par le moyen de la poudre à canon : car de cette
façon, n'y ayant aucun air pour résister au-dessous du
piston , toute la colonne de l'atmosphère qui pèse dessus
la pousserait toujours avec une force égale depuis le haut
jusqu'au bas. Mais c'a été en vain qu'on a travaillé à cela
juscfu'ici : et comme j'ai déjà dit , après que la flamme de
la poudre est éteinte , il reste toujours près de la cin-
quième partie de l'air dans le tuyau. J'ai donc tâché d'en
venir à bout d'une autre manière : et (comme l'eau a la
propriété, étant par le feu changée en vapeurs, de faire
ressort comme l'air, et ensuite de se recondenser si bien
par le froid , qu'il ne lui reste plus aucune apparence de
cette force de ressort), j'ai cru qu'il ne serait pas difficile
de faire des machines dans lesquelles, par le moyen d'une
chaleur médiocre et à peu de frais, l'eau ferait ce vide
parfait qu'on a inutilement cherché par le moyen de la
poudre à canon : et entre plusieurs différentes construc-
tions qu'on peut imaginer pour cela , celle-ci m'a paru la
meilleure. A A (fig. 10) est un tuyau égal d'un bout h
l'autre et bien fermé par en bas : BB est un piston ajusté
h ce tuyau : Dl) est le manche attaché au piston : EE une
vorge de fer qui se peut mouvoir autour d'un axe qui est
en F.
o(i est un rCv^sort qui presse la verge de fer EE, en
yACHINBS A VAPEUR 97
(u*elle entre dans l'échancrure H, sitAt que le pis-
ec aon manche est élevé assez haut pour que ladite
nire H paraisse au-dessus du couvercle II.
Kifl. ta. — VacbiD» 1 iipenr da Pipin, di
wt un petit trou au piston par où l'air peut sortir
id du tuyau AA, lorsqu'on y enfonce le piston pour
miëre fois.
■ur se servir de cet instrument on verse un peu
98 MACHINES A VAPEUR.
d'eau dans le tuyau AA jusqu'à la hauteur de trois à
quatre lignes ; on y fait ensuite entrer le piston et on le
pousse jusqu'au bas, en sorte que Teau qui est au fond du
tuyau regorge par le trou L. Alors on ferme ledit trou
avec la verge MM, et on y inet le couvercle H , qui a
autant de trous qu'il en faut pour entrer sans obstacle.
Ayant ensuite mis un feu médiocre sous le tuyau A A , il
s'échauffe fort vite parce qu'il n'est fait que d'une feuille
de métal fort mince, et l'eau qui est dedans se changeant
en vapeur fait une pression si forte qu'elle surmonte le
poids de l'atmosphère et pousse le piston BB en haut ,
jusqu'à ce que l'échancrure H paraisse au-dessus du cou-
vercle 11, et que la verge de fer EKy soit poussée par le
ressort G, ce qui ne se fait pas sans bruit. Alors il faut
incontinent éloigner le feu , et les vapeui's dans ce tuyau
léger se recondensent bientôt en eati par le froid et lais-
sent le tuyau absolument privé d'air. Alors il n'y a qu'à
tourner la verge EE autant qu'il est nécessaire pour la
faire sortir de l'échancrure H , et laisser le piston en
liberté de descendre , et il arrive que le piston est incon-
tinent poussé au bas par tout le poids de l'atmosphère et
produit le mouvement qu'on veut» avec d'autant plus de
force que le diamètre du tuyau est grand. Et il ne faut
point douter que l'air n'agisse sur ces tuyaux avec toute
la force dont la pesanteur est capable : car j'ai vu par
expérience que le piston ayant été élevé par la chaleur
jusqu'au haut du tuyau A A , est ensuite redescendu
jusque tout au fond ; et cela plusieurs fois de suite, en
sorte qu'on ne saurait soupçonner qu'il y ait eu aucun air
pour le presser en dessous et résister à la descente. Or
MACHINES A VAPEUR. 99
mon tuyau, qui D*a que deux fyouceâ et demi de diamètre,
est pourtant capable d'élever soixante livres à toute la
hauteur dont le piston descend , et le corps du tuyau ne
pèse pas cinq onces. Je ne doute pas qu'on ne pût faire
des tuyaux qui ne pèseraient pas quarante livres et qui
pourtant pourraient élever deux mille livres, à chaque
opération, jusqu'à la hauteur de quatre pieds. J'ai éprouvé
aussi que le temps d'une minute suffit pour faire qu'un
feu médiocre chasse le piston jusqu'au haut de mon tuyau;
et comme le feu doit être proportionné à la grandeur des
tuyaux, on pourrait échauffer les gros à peu près aussi
promptement que les petits : ainsi l'on voit combien cette
machine, qui est si simple, pourrait fournir de prodi-
gieuses forces et à bon marché. Car on sait qu'une colonne
d'air qui s'appuie sur un tuyau d'un pied de diamètre,
pèse presque deux mille livres; mais si le diamètre était
de deux pieds, la pesanteur serait de près de huit mille
livres, et qu'ainsi la pression s'augmente toujours en rai-
son doublée des diamètres : d'où il s'ensuit que le feu ,
dans un fourneau dont le diamètre serait d'un peu plus
de deux pieds, suffirait pour élever toutes les minutes
huit mille livres à la hauteur de quatre pieds, si on faisait
les tuyaux de cette hauteur : car, le feu étant dans un
fourneau de plaques de fer peu épaisses, on pourrait faci-
lement le pousser d'un tuyau à un autre : et ainsi ce même
feu ferait continuellement dans quelque tuyau ce vide qui
pourrait ensuite produire de si grands effets. A piésent,
si on considère la grandeur des forces que l'on produira
de cette manière et le peu que pourra coûter le bois (ju'il
faudra pour cela, on avouera assurément (|ue cette mo-
100 MACHINES A VAPEUR.
Diode est de beaucoup préférable à Tusage de la poudre
à canon, dont j'ai parlé ci-dessus, vu principalement que
de cette manière on fait un vide parfait, et qu'ainsi on
remédie aux inconvénients que j'ai marqués. »
Je ne pense pas qu'on puisse dire, après avoir médité
la description rédigée par Papin , que j'ai donné dans
ma Notice (p. 28 h âO) une idée inexacte de sa machine
à feu , et que j'ai attribué à notre illustre compatriote une
invention qu'il n'avait pas faite.
Papin, il est vrai, a proposé deux espèces de nmchines
à feu. L'une, celle de 1690, est la machine à piston con-
nue depuis que Newcomen l'a exécutée en l'améliorant,
sous le nom de machine atmosphérique, et dont nous
venons de copier la description faite par Papin lui-même;
l'autre, décrite en 1707, reposait sur des principes diffé-
rents; elle était simplement destinée à élever de l'eau.
Je ne crois pas utile de discuter les critiques dont cette
dernière machine a été l'objet; j'accorderai donc, si l'on
veut, qu'elles sont toutes fondées; mais qu'en pourra-t-on
conclure? Que Papin était plus habile ou plus heureux
en 1690 qu'en 1707; que son esprit s'affaiblissait avec
l'âge ; qu'à la seconde époque , tout le mérite de la dé-
couverte qu'il avait faite dix-sept ans auparavant^ n'était
plus assez présent à sa mémoire; mais en quoi tout cela
affaiblirait- il ses droits comme inventeur? Newton cessa-
t-il d'fitre l'auteur des Principes ou de roptique^ quand il
rédigea un mauvais traité de chronologie?
La peine que M. Ainger et d'autres écrivains se sont
donnée on critiquant la seconde machine de 1707, est
donc en pure perte. Papin aurait été à cette époque un
MACHINES A VAPEUR. tOI
extravagant, on Taurait détenu dans une maison d'alié*
nés, que sa machine de 1690 n'en resterait pas moins
comme le premier germe de toutes les machines à feu
existantes. Au reste, il n'est peut-être pas difficile de
trouver un motif plausible à l'abandon que Papin avait
fait de son preipier projet : ce motif est probablement la
difficulté de fondre et d'aléser les cylindres ou corps de
pompe dont il aurait eu besoin. En 1695, cette difficulté,
qui de nos jours a totalement disparu, lui paraissait si
grande qu'il proposait d'établir une manufacture où l'on
fabriquerait tout exprès les tuyaux destinés à former les
corps de pompe de celles de ses machines dont on se
servirait pour faire marcher les navires.
M. Ainger n'admet pas les doutes que j'ai élevés con-
cernant le sens qu'on a donné jusqu'ici à un passage
relatif à la chaudière dont Worcester voulait se servir. Le
défaut de temps m'oblige de passer condamnation à ce
sujet, quoique, si la chose en valait la peine, je pusse
citer à l'appui de mon sentiment un des plus célèbres
ingénieurs anglais. Ce même motif ne me permettra pas
de relever une ou deux méprises vraiment singulières dans
lesquelles M. Ainger est tombé en voulant faire de l'éru-
dition hors de propos, à l'occasion d'une expérience
d'Otto de Guericke. On comprendra que je ne consente
pas à perdre de longues heures pour relever les mille
erreurs de détail de M. Ainger; je me hâte d'arriver h
ses grandes objections.
Pour peu qu'on ait considéré attentivement le jeu d'une
machine à feu , on y a aperçu deux choses capitales :
premièrement, l'idée d'employer la force élastique de la
102 MACHINES A VAPEUR.
vapeur comme principe de mouvement ; en second lieu ,
ridée, non moins importante, de se débarrasser de cette
vapeur, par voie de refroidissement, dès qu'elle a agi.
Celui qui , réfléchissant le premier sur Ténorme l'essort
qu'acquiert la vapeur d'eau quand elle est fortement
échaufiée, a montré qu'elle pouvait servir à élever de
grands poids ; celui qui le premier a proposé et décrit
une machine dans laquelle l'élasticité de la vapeur était le
seul principe de mouvements utiles à l'industrie, doit-il
être considéré comme l'inventeur de la machine à feu ?
Telle est la première question que l'histoire de cette ma-
chine fait naître ; or, elle a été résolue affirmativement
dans tous les ouvrages dont j'ai eu connaissance : Thomas
Young, Robison, Partington, Tredgold, Millington,
Lardner, Nicholson, etc., sont unanimes à cet égard.
Pour mon compte , je n'ai fait qu'adhérer à l'opinion de
tant de physiciens et d'ingénieurs habiles. Je ne me suis
séparé d'eux qu'en un seul point : en Angleterre on ap-
pelle généralement marquis de Worcester la personne à
laquelle la découverte est due ; moi je soutiens qu'elle se
nomme Salomon de Caus, et je me fonde sur ce que
l'ouvrage de cet ingénieur renferme la figure et la des-
cription d'une machine destinée à soulever l'eau par
l'action de la vapeur; sur ce que celle du marquis de
Worcester, dont pei'sonne au reste ne connaît la forme,
avait précisément le même objet ; sur ce que le peu qu'on
en sait n'a paru qu'en 1663, quarante-huit ans après la
publication de La Raison des forces mouvantes.
Voici venir maintenant M. Ainger, qui trouve aussi
une machine destinée h élever de l'eau, dans un auteur.
MACHINES A VAPEUR. 4<K3
J.-B. Porta, plus aacien que Salomon de Caus. Si le fait
est vrai, le nom de Salomon de Caus, que je substituais
à celui de Worcester, devra sans aucun doute êtfe rem-
placé à son tour par le nom de Porta. Aussi , je vais sur-
le-champ vérifier l'assertion de M. Ainger, sans même
faire remarquer combien il est bizarre que le nom du
savant napolitain n'ait jamais été prononcé tant que
Worcester jouissait , sans contestation, du titre d'invcn-
feur, et qu'on s'en soit ressouvenu à point nommé , dès
qu'il a semblé pouvoir nuire aux droits d'un auteur
français.
La machine du physicien napolitain se trouve , dit
M. Aînger, t dans une traduction de l'ouvrage d'Héron
d'Alexandrie, qui fat publiée en italien, par J.-B. Porta,
en 1606, »ll ajoute plus loin : tLes lecteurs qui désire-
ront vérifier les faits donnés ici , pourront consulter les
différentes éditions des Sinritalia d'Héron, et spéciale-
ment la traduction qu'en a donnée Porta, en 1606, et
intitulée : / tre libri Spiritalia. Un exemplaire de cet
ouvrage existe au Brilish Muséum. »
Lorsque l'écrit du Quarierly- Journal me parvint, j'avais
parcouni diverses éditions de l'ouvrage d'Héron ; je ne
connaissais pas celle de Porta que cite M. Ainger. Je me
suis un moment reproché cette négligence ; mais , vérifi-
cation faite avec le secours de nos plus célèbres biblio-
graphes, il s'est trouvé que l'ouvrage en question n'exist<*
pas; qu'il n'y a, enfin, aucune traduction d'Héron faite
par Porta. Cet auteur, il est vrai, a publié un ouvrage
en latin intitulé, comme celui du mécanicien grec ( Pncu-
maticomm libri ires^ Naples, 16(M , in-/i*), mais il n'osf
4U4 MACHINES A VAPEUR.
pas plus l'ouvrage d'Héron que Y Histoire naturelle de
Buffon n'est la traduction de celle d'Aristote. JLes Pneu-
matiques de Porta, traduites en italien et en espagnol par
un nommé Juan Escrivano^ ont été publiées, en 1606,
sous le titre de : / tre libri de Spiniali di Giovam Bai-
lista délia Porta Napolitano^ un volume petit in-4*. C'est
ce livre que M. Ainger a pris pour une traduction ita-
lienne faite par Porta, tandis qu'elle est de Juan Escri-
vano; pour une traduction de l'ouvrage grec d'Héron,
tandis que c'est la traduction d'un ouvrage latin de Porta.
M. Ainger est parvenu à réunir sur ce point Routes les
erreurs dans lesquelles il était possible de tomber.
A la page 75 des Spiritali de Porta, publiées par
Escrivano, se trouve l'appareil que cite M. Ainger,
comme une machine que Porta avait inventée pour élever
de l'eau à l'aide de la force élastique de la vapeur, comme
un grand perfectionnement {great improvement) d'une
machine d'Héron dont j'aurai tout à l'heure à parler. Je
vais donner ici la traduction du chapitre de Porta, ou
plutôt du chapitre d'Escrivano, car ce chapitre n'existe
pas dans l'ouvrage original , et l'on verra alors jusqu'à
quel point M. Ainger a mis en jeu son esprit inventif.
« Pour savoir en combien de parties se transforme une
simple partie d'eau. — Faites une boîte en verre ou en
étain , dont le fond soit percé d'un trou par lequel passera
le col d'une bouteille à distiller renfermant une ou deux
onces d'eau (a fig. 11). Le col sera soudé au fond de la
boîte, de manière que rien ne puisse s'échapper par là.
De ce même fond partira un canal dont l'ouverture le
touchera presque, l'intervalle étant tout juste c^ qui est
MACHINES A VAPEUR.
405
nécessaire pour que Peau puisse y couler. Ce canal pas-
sera par une ouverture du couvercle de la boUe, et
s'étendra au dehors, à une petite distance de sa surface
{passi per lo coverchio fuori^ poco lonlano dalla sua super-
ficia). JjA boîte sera remplie d'eau par un entonnoir qu'on
bouchera bien ensuite, afin qu'il ne laisse pas échapper
d'air {che non passa respirare) ; enfin, la bouteille sera
placée sur le feu , et on réchauffera peu à peu ; alors
l'eau, transformée en vapeur, pressera l'eau dans la boîte,
lui fera violence et la fera sortir par le canal c et couler
Pig. II. — Machine dp Porta.
à l'extérieur. On continuera toujours ainsi à échauffer
l'eau, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus; et tant que l'eau
fumera {sfumera)^ l'air pressera l'eau dans la boîte b, et
l'eau sortira à l'extérieur. L'évaporation étant finie , on
mesurera combien il est sorti d'eau de la boîte, et il y
sera resté autant d'eau qu'il en sera sorti (de la bouteille),
et vous conclurez de la quantité d'eau écoulée, en com-
bien d'air elle s'était transfornjée. On peut encore facile-
ment mesurer en combien une once d'air, dans sa consis-
406 MACHINES A VAPEUR.
tance ordinaire^ peut donner de parties d'un aîr plus
subtil. »
Rappelons maintenant la manière dont M. Ainger an-
nonce ce passage :
«Une traduction, dit -il, de l'ouvrage d'Héron fut
publiée en italien par J.-B. Porta, en 1606. Porta répète
rinvention d'Héron, et ajoute la suivante comme lui ap-
partenant Dans la figure destinée à en faciliter l'intelli-
gence , on voit le fourneau pour chauffer l'eau. »
La vérité est que Porta ne parle point de la machine
d'Héron, qu'il n'a eu, en aucune manière, l'intention de
la perfectionner; qu'il ne songeait pas même à faire une
machine ; que son but, son but unique, était de détenni-
ner expérimentalement et par un moyen dont il est inutile
de signaler ici tous les défauts, les volumes relatifs d'une
quantité donnée d'eau et de la vapeur en laquelle la cha-
leur la transforme. Porta songeait si peu à donner son
appareil comme propre à élever de l'eau, qu'il dit en
termes formels que le tuyau de dégorgement passe à une
petite distance de la surface du couvercle de la petite
boîte. Ainsi, je n'ai aucun désir de le nier. Porta n'igno-
rait pas que la vapeur d'eau peut presser un liquide à la
manière de l'air; mais non, rien absolument, ne prouve
qu'il eût quelque idée de la grande force que cette vapeur
est susceptible d'acquérir, et de la possibilité de l'em-
ployer comme moteur efficace. Si cette notion spéciale ne
lui avait pas manqué , Porta , le plus enthousiaste faiseur
de projets dont l'histoire des sciences fasse mention, n'au-
rait certainement pas négligé d'en parler. Au surplus,
tout ce que Porta avait vu dans son expérience aurait été
MACHINES A VAPEUA. 107
«
également produit si sa grande bouteille, au lieu d'eau,
eût renfermé seulement de Pair.
La double notion que la vapeur convenablement en-
fennée élève Teau au-dessus de son niveau et qu'elle est
susceptible de produire les plus grands effets; que, dès
lors, elle peut servir à la construction de machines utiles,
se trouve pour la première fois, à ma connaissance, dans
Touvrage de Salomon de Caus, Peut-être découvrira-t-on
quelque chose d'analogue dans des auteurs encore plus
anciens. Eh bien , si cela arrive , le nom de Salomon de
Gaus, je le répète, devra disparaître de l'histoire de la
machine à feu, comme j'en avais écarté celui du marquis
de Worcester; mais, à moins que ce nom nouveau n'ap-
partienne à quelque personnage né dans les lies Britan-
niques, il y aura toujours lieu à rectifier cette assertion si
souvent reproduite : t La machine à vapeur a été inventée
par un petit nombre d'individus tous Anglais. »
Beaucoup de savants et de mécaniciens très-éclairés
attachent une médiocre importance h la première idée de
l'application de la vapeur comme force motrice. Les an-
ciens, disent- ils, qui attribuaient les tremblements de
terre à des développements instantanés de vapeur ; le
mécanicien qui prétendait, avec le môme agent, faire
osciller tous les planchers de la maison de son voisin, en
savaient autant que Salomon de Caus, que Worcester,
et, au fond, en avaient dit autant qu'eux. S'il existait,
ajoutent-ils, une machine utile d'épuisement, dans laquelle
l'action immédiate de la vapeur soulevAt le liquide, on
concevrait l'importance qu'on a attachée aux essais dos
deux ingénieurs français et anglais; on pourrait alors, h
408 MACHINES A VAPEUR.
titre de premiers germes, donner quelques instants d'at-
tention à la boule métallique du premier et aux obscures
descriptions du second ; mais rien d'analogue ne se voit
dans les machines à vapeur en usage aujourd'hui. L'inven-
tion de ces machines réside donc tout entière dans un
corps de pompe le long duquel on imprime au piston un
mouvement de va-et-vient , et dans les moyens d'obtenir
cet elTet. Si le premier emploi de la vapeur, dans un appa-
reil quelconque, comme principe de mouvement , donnait
des droits au titre d'inventeur, ce serait Héron d'Alexan-
drie qu'il faudrait citer. Mais on a avec raison écarté du
concours la machine rotative de ce mécanicien , parce
qu'elle n'a ni par sa forme ni par le mode d'aetion de la
vapeur, aucune affinité avec les machines de nos jours ;
celles de Salomon de Caus et de Worcester, qui ne leur
ressemblent pas davantage, doivent donc être écartées de
même. La vitesse de l'eau est également la cause du
mouvement d'une roue hydraulique et de l'ascension du
liquide dans le bélier ; si de là on avait conclu que l'in-
venteur de la roue doit aussi être considéré comme inven-
teur du bélier, tout le monde se serait récrié. Eh bien ,
pour les machines à feu on a raisonné ainsi sans s'en
apercevoir. Caus ou Worcester, transportés aujourd'hui,
avec les connaissances de leur époque, devant une ma-
chine de Watt en action , ne soupçonneraient pas même
ni l'un ni l'autre que c'est la vapeur d'eau qui engendre
le mouvement; et cependant on les appelle les inven-
teurs !
En rapportant ces réflexions, je leur ai laissé toute leur
force. On se tromperait cependant si l'on voulait en con-
MACHINES A VAPEUR. 109
dure que je les adopte sans modification. J^accorderais
très-volontiers que les inventeurs de la machine à piston ,
du mouvement alternatif et des artifices qui le produi-
sent, doivent être placés hors ligne; cette concession
faite, je ne saurais admettre que la première idée d'em-
ployer la vapeur comme principe de mouvement ne doive
pas figurer dans l'histoire des machines à feu actuelle-
ment en usage.
Au reste, il est juste de le reconnaître, et c'est une
erreur à laquelle moi - même je n'ai pas entièrement
échappé, on a eu tort de considérer la machine à vapeur
comme un objet simple, dont il fallait absolument trouver
l'inventeur. A quoi aurait-on pu s'arrêter si l'on avait ,
par exemple, suivi cette voie en écrivant l'histoire de
Phorlogerie? Quel est l'inventeur d'une montre? Per-
sonne; mais il est naturel de demander qui a inventé le
barillet, l'échappement à roue de rencontre, l'échappe-
ment à repos ou libre, le balancier compensé, etc., etc.
Dans la machine à vapeur, il existe ausvsi plusieurs idées
capitales qui peuvent ne J)as être sorties de la même tête.
Les classer par ordre d'importance, donner à chaque
inventeur ce qui lui appartient, rapporter exactement les
dates des diverses publications, tel doit être l'objet de
l'historien. En essayant de m'acquitter de cette tAche,
j'avais signalé ainsi les traits caractéristiques des machines
actuellement en usage :
Idée d'une machine à vapeur aqueuse, portant un pis-
ton doué d'un mouvement alternatif;
Production de ce mouvement alternatif, par une com-
l)inaison de la force élastique de la vapeur avec la pro-
110 &IÂCHINES A VAPEUR.
priété dont cette vapeur jouit de perdre tout ressort, ou
de se précipiter quand on la refroidit ;
Moyens divers , et plus ou moins avantageux, d'opérer
ce refroidissement.
Personne ne contestera que ce soient là les traits
principaux des machines en usage. Or, j'ai prouvé que
les deux premières idées appartiennent à Papin. Recon-
naître la vérité de ma démonstration , c'était mettre fin
au débat, c'était avouer que les Français sont entrés
pour une très-grande part dans l'invention de la machine
à vapeur. Aussi s'est-on bien gardé de me faire cette
concession. Cependant la publication de Papin est incon-
testablement antérieure de plusieurs années aux publica-
tions de Savery, de Newcomen et de Cavvley ; la discussion
n'était pas soutenable sur ce terrain-là, et M. Ainger, qui
sans doute l'a reconnu, en a choisi un tout diiférent : il a
décidé que la découverte de Papin se trouverait, coûte
que coûte, dans un auteur plus ancien, et c'est Héron
d'Alexandrie qu'il a choisi. Il est bien vrai que par là on
faisait une nouvelle et large brèche à cette assertion : t La
machine à feu n'est due qu'à des Anglais ; » mais le dés-
agrément était comparativement peu de chose, dès qu'on
parvenait à exclure tous les noms français. Examinons
donc les nouveaux titres d'Héron , découverts par
M. Ainger.
«Dans un autre appareil d'Héron, dit M. Ainger, EF
(fig. 12) est un globe à moitié rempli d'eau qui se con-
verti! en partie en vapeur {wich is parilfj converled inlo
vapour) quand on l'expose au soleil. De là résulte sur la
surface de l'eau une pression qui fait monter ce liquide le
MACHINES A VAPEUR.
III
>ng du siphon G ; ensuite elle se répand sur la coupe c ,
t descend par le tuyau d dans le vase fermé ACDB,
empli aussi de liquide à moitié. Quand le globe EF se
efroîdit, Feau qu'il contient se trouve soustraite par
ondensatioD à la plus grande partie de la pression qu'elle
upportait, et Teau s'élève du vase ACDB par un tuyau,
our remplacer ce que l'élasticité de la vapeur avait
Pig. IS. — Appareil d*Hérou pour l'euiploi de la force élastique rie l'air.
txpulsé {what had been driven over by tlie elaslicily of
he vapour). Ainsi, alternativement, l'eau sort du globe
ît y revient par une alternative de production et de
condensation de vapeur élastique {elastic vapour) (page
126 du Mémoire de M. Ainger). »
t Cet appareil, dit M. Ainger, anticipe {anticipa(rs)
e principe des deux idées {conlrivafices) sur lesquelles
d. Arago bâtit sa théorie que la machine à vapeur est
me invention française. »
442 MACHINES A VAPEUR.
Ce n'est pas là tout ; je lis à la page 337 du Méuioire
de M. Ainger : Tappareil dans lequel Papin engendra le
mouvement alternatif d'un piston par la production et la
condensation de la vapeur t servait seulement à rendre
sensible {illuslrcUe) un fait physique bien connu « car on
savait déjà du temps d'Héron qu'en condensant la vapeur
on produit le vide, • et plus loin, page 338 : « Papin ne fut
pas le premier, à 2,000 ans près, qui vit que la vapeur
en se condensant laissait un vide... L'appareil de Papin
n'emploie pas à la fois la force élastique de la vapeur et
sa condensation ; et quand cela serait, Papin n'est pas le
premier qui combina dans la même machine, la force
élastique de la vapeur et sa condensabilité {condensabi-
lily)j car l'appareil d'Héron faisait la même chose. »
J'ai quelque peine à retenir, je l'avoue, l'expression
des sentiments que ces divers paragraphes font inévitable-
ment naître. Le lecteur, au reste, y suppléera, car je vais
placer en regard de tant de passages où il est si explici-
tement question de vapeur produite et de vapeur conden-
sée, une traduction fidèle de l'explication qu'Héron a
donnée de son appareil. Je dis une traduction fidèle^ et
personne n'en doutera quand j'avertirai qu'elle est de
M. Letronne, à qui je l'avais demandée pour avoir, en
quelque sorte, une autorité légale, irrécusable.
« Soit une base fermée ACDB, à travers laquelle passe
un entonnoir dont le tuyau soit très-peu distant du fond
[de cette base] ; soit [de plus] un globe EF, d'où un tube
descend dans la base jusqu'à une petite distance du fond
de l'appareil. Un siphon recourbé est ajusté de manière à
pénétrer dans l'eau du globe. Lors donc que le soleil
MACHINES A VAPEUR. 413
vient à frapper ce globe, l'air qu'il contient étant échauffé
presse le liquide ; celui-ci s'échappera par le siphon et
descendra dans la base par l'entonnoir. Mais quand l'ap-
pareil sera à t'ombre, l'air [moins dilaté] cédant de la
place dans le globe, le tube reprendra le liquide. Ce phé-
nomène aura lieu autant de fois que le^ soleil frappera
[le globe]. • (Les mots entre crochets sont ajoutés au
texte pour plus de clarté. )
Le lecteur a maintenant sous les yeux le passage, mais
le passage non altéré, d'après lequel on veut priver Papin
de l'honneur, qui lui revient si légitimement, d'avoir
le premier employé la vapeur d'eau pour faire le vide
sous un piston et pour produire un mouvement alternatif.
Je le prie donc de vouloir bien comparer les paroles de
Fauteur grec avec les explications de M. Ainger, et il
verra que les mots vapeur j vapeur élastique, condensation
de la vapeur pour produire le vide , sont de pures inven-
tions ; qu'Héron n'en dit rien , qu'il n'y a pas songé ; que
son but, que son but unique, est d'employer la force élas-
tique de l'air contenu dans le globe EF , quoique le mot
air ne se trouve pas une seule fois dans la paraphrase de
l'auteur anglais.
M. Ainger n'a pas dû supposer que je laisserais son
Mémoire sans réponse. Alors comment expliquer les alté-
rations si nombreuses, si graves, qu'il a fait subir aux
paroles d'Héron d'Alexandrie? La question n'est certai-
nement pas facile à résoudre ; voici cependant de quelle
manière M. Ainger a peut-être raisonné.
Puisque l'appareil du mécanicien grec renfermait de
l'eau, il y avait dans son globe de la vapeur mêlée à l'air;
V.— II. 8
444 MACHINES A VAPEUR.
cette vapeur devait être d'autant plus abondante quMl fai-
sait plus chaud (nous le savons aujourd'hui parfaitement);
ainsi rien ne m'empêche d'affirmer que c'est à la vapeur,
plus élastique le jour que la nuit, qu'était dû le mouve-
ment du liquide. On dira peut-être que l'effet dépendant
de cette cause, n'était qu'une très -petite partie de cehiî
qu'amenait la <lilatatk>n de Pair; mais dès que la discus-
sion portera seulement sur des quantités, elle se terminera
en ma faveur.
Au besoin, j'auraas répliqué qtfil ne s'agit pas de savoir
^11 y avait une petite quantité de vapeur en jeu dans l'ap-
pareil d'Héron , mais bien si ce mécanicien Favait soup-
çonné; or Héron ne parle que d'air. Si Ton devait
enregistrer comme découvertes de celui qui a fait ime
(^ération , tous les phénomènes que cette opération réa-
lise, l'analyse de l'air atmosphérique n'appartiendrait
phis à Lavoisier, car le premier dans les mains duquel
un morceau de métal se rouilla, avait sans s'en douter
séparé l'oxygène de l'azote; Black ne serait pas l'inven-
teur de la théorie de la chaleur latente , car on ne fait
jamais bouillir de l'eau sans que la vapeur s'empare
inévitablement de la grande quantité de calorique qui est
nécessaire à sa constitution ; la découverte de l'électricité
par contact n'appartiendrait plus à Volta, mais bien à
celui qui le premier superposa deux pièces métalliques
de nature différente, etc., etc. Au reste, je dois le dire,
M. Ainger, entraîné par son zèle, s'est même ôlë l'usage
des arguments que je viens de combattre. Pour s'en con-
vaincre, il suffit de se rappeler cette phrase : « On savait
du temps d'Héron, etc.;» ou bien cette autre : « L'ap-
MACHINES ▲ VliPCra. 445
jMureil de PapÎB servait seuiemeDt à rendre sensible un
iait bien caamsL, car,^ etc. »
Dans les diverses citations çgae j'ai dû lui préseatter, le
lecteur aura certainement remarqué ce passage : t L'ap-
pareil de Papin E^emploietpas à la fois la force élastique
et la condensation de la vapeur. » {Papiri's apparatus
é9€S not Mte both èbe elcMie force and ^condensation ofthe
Êteam.)
Après de semblables paroles, toute discussion devient
impossible. Quelle concession espérer, en effet, d'un
antagoniste décidé àiûer l'évidence? Painii, dites-vous,
ii%mployait pas à la fois la force élastique et la conden-
sation de la vapeur ! Mais pourquoi mettait-ril donc de
Teau sur la plaque inférieure de son corps de pompe?
Pourquoi la faisait-il bouillir lorsqu'il voulait donner au
piston un mouvement ascendatit? Pourquoi retirait-il le
feu quand le moment était venu de faire descendre le
piston sous l'action de la pression atmosphérique?
Les inqualifiables dénégations de M. Ainger sont sans
doute bien étonnantes ; mais ce qui doit surprendre encore
davantage, c'est qu'un Mémoire dépourvu à ce degré-là
de tout esprit de justice, de toute vérité, de toute logique,
ait pu être débité, écouté, accueilli dans une institution
que les leçons d'un Humphry Davy, d'un Thomas Young
ont jadis tant illustrée; dans un établissement qui a eu
l'inappréciable avantage de compter parmi ses profes-
seurs des savants du mérite de MM. Faraday et Millington.
Au reste, tout bien considéré , ces efforts impuissants des
passions ou des préjugés nationaux, sont un hommage
solennel rendu aux inventions de Papin. Je n'hésite donc
446 MACHINES ▲ VAPEUR.
pas à reproduire ici les trois propositions capitales qui ,
dans ma Notice historique , terminent l'analyse des tra-
vaux de cet ingénieur. M. Aingeraura, sans le vouloir,
contribué à leur donner une incontestable évidence.
Papin a imaginé la première machine à vapeur a
piston;
Papin a vu le premier que la vapeur aqueuse fournit
le moyen de faire le vide dans une capacité, quelque
grande qu'elle soit ;
Papin est le premier qui ait songé à combiner, dans
une même machine à feu , la force élastique de la vapeur
d'eau avec la propriété dont cette vapeur jouit, et qu'il a
signalée, de se condenser par refroidissement.
EXPLOSIONS DES MACHINES
A VAPEUR
CHAPITRE PREMIER
ATAIIT-PROPOS
Les machines à vapeur pourront être considérées
comme le chef-d'œuvre de Tindustarie humaine, lorsqu'on
sera parvenu, soit à rendre tout à fait impossibles les
explosions qu'aujourd'hui elles éprouvent quelquefois,
soit du moins à empêcher, par des voies certaines , que
ces accidents ne donnent lieu aux scènes de destruction
et de mort qui les signalent trop souvent. Ce problème,
il faut l'avouer, n'a pas été jusqu'ici complètement résolu,
quoiqu'il ait excité la sollicitude des physiciens et des
artistes les plus habiles. Les ingénieux mécanismes ima-
ginés par Papin et connus sous le nom de soupapes de
sûreté^ suffisent, il est vrai, dans les cas ordinaires; mais
il est des circonstances , heureusement assez rares , dans
lesquelles ils sont insuffisants et même dangereux. Signaler
ces circonstances, autant du moins que l'état imparfait de
nos connaissances à cet égard peut le permettre, indiquer
les causes qui les amènent, et quelques moyens plus ou
moins plausibles de les éviter, tel est le but de cette Notice.
Je vais mettre sous les yeux du lecteur une relation
abrégée de toutes les explosions, à moi connues, qui ont
448 EXPLOSIONS DES MACHINES
eu pour témoins ou pour historiens des ingénieurs expéri-
mentés. C'est là que nous trouverons les moyens d'appré-
cier les diverses explications qQ*0n a données de ces
effrayants phénomènes»
CHAPITRE II
VARIATION Dl LA FORC£ ÉLASTIQVB DB hk VAPEUR D'£AU
AVEC LA TEUPÉRATURE
Avant d'entrer en matière je rappellerai que la force
flastique de la vapeur d'eau qui, combinée avec son
refroidissement , est le principe du mouvement des ma*
chines à feu , varie avec la température de production de
cette vapeur. Quelle loi régit cette dépendance de la
force disponible et de la chaleur qui donne naissance à la
vapeur? Cest ce qu'il était nécessaire de rechercher pour
régler remploi des chaudières à vapeur. Le gouverne-
ment a demandé à l'Académie des sciences de faire les
recherches nécessaires dans ce but. 11 est résulté du
grand travail qui fut entrepris une table des forces élas-
tiques de la vapeur d'eau et des températures corresponr
dantes de ï à ^k atmosphères d'apris l'observation ^ et
(fc 24 A 50 atmosphères par le calcuL Les expériences
pénibles et souvent très - dangereuses dont cette table
offre pour ainsi dire le résumé, ont été faites par Dulong
et par moi. Ces expériences sont décrites dans un Mémoire
spécial. Ici je dois me contenter de reproduire les chiffres
qui peuvent servir de mesure à la puissance de la va-
peur et à la résistance que doit présenter la chaudière
destinée à supporter une certaine température.
A VAPEUB.
449
ÉlMticitéi
de la vaprar
«n atmosphères
«îe Ona.76
de xucrcuie.
ÈaiticiUs
de la Tapeiir
eiprimées
en nanteort
métriqnes
de mercuvii
Tempéraftoret
correapendniM
exprimées
m deffrét
centigrades.
Pressions
iurtin
centimètre carré
exnhméet
en kirogrammes.
1
0-.76
100* .0
Ik
.033
1.5
1 .14
112 .2
1
.549
2
1 .52
121 .4
2
.066
2.5
1.90
128 .8
2
.582
3
2 .28
135 .1
3
.099
3.5
2 .66
140 .6
3
.615
à
3 .04
145 .4
4
.132
4.5
3 .Zi2
149 .1
4
.648
5
3 .80
153 .1
5
.165
5.S
4.18
156 .8
5
.681
6
4 .56
160 .2
6
.198
6.5
4 .94
163 .5
6
.714
7
5 .32
166 .5
7
.231
7.5
5 .70
169 .4
7
.747
8
6 .08
172 .1
8
.204
9
6 .84
177 .1
9
.297
10
7 .60
181 .6
10
.330
11
8 .36
186 .0
11
.363
12
9 .12
190 .0
12
.396
13
«f .OO
193 .7
13
.429
14
10 .64
197 .2
14
.462
15
U .UO
200 .5
15
.495
16
12 .16
203 .6
16
.528
17
12 .92
206 .6
17
.561
18
13 .68
209 .4
18
.594
19
14 M
212 .1
19
.627
20
15 .20
214 .7
20
.660
21
15 .96
217 .2
21
.693
22
16 .72
2J9 .6
22
.726
23
17 ./|8
221 .9
23
.759
24
18 .24
224 .2
24
.792
25
19 .00
226 .3
25
.825
30
22 .80
236 .2
30
.990
35
26 .60
W\ .9
36
.155
hO
30 .40
252 .6
41
.320
45
34 .20
259 .5
46
.485
50
38 .00
265 .9
51
.650
420 EXPLOSIONS DES MACHINES
La barre que Ton voit dans le tableau précédent,
indique la séparation entre les résultats des expériences
directes et ceux du calcul. Ce n'est pas du reste ici le
lieu d'expliquer comment ont été calculées les tempéra-
tures qui correspondent aux tensions de plus de 24 atmo-
sphères. Je me contenterai de dire que l'erreur ainsi
commise n'est pas considérable, et que des expériences
entreprises postérieurement aux recherches que j'ai faites
avec mon illustre ami Dulong, ne conduisent pas à modi-
fier sensiblement nos chiffres, au moins pour les besoins
de la pratique.
CHAPITRE III
SÉPARATION SN DEUX PARTIES D^DNE CHAUDIÈRE ET PROIECTION
D^DNE DE SES PARTIES A UNE GRANDE HAUTEUR
Lochrin est le nom d'une immense distillerie située
près d'Édinburgh. Le propriétaire, dans des vues d'éco-
nomie, imagina, il y a quelques années, de remplacer
l'ancien mode de travail par la distillation à la vapeur.
De larges tubes de métal dans lesquels circulait constam-
ment un courant de vapeur d'eau très-chaude traversaient
donc, d'outre en outre, les vases renfermant les liquides
qu'il fallait mettre en ébullition. La vapeur échauffante
était engendrée dans une chaudière en fer forgé de plus
d'un centimètre d'épaisseur, de 11"*. 27 de long, d'une
largeur de 0".90 au fond et de O^.ei à la naissance du
couvercle; enfin , de l^.SS de hauteur. Le poids total de
cette chaudière était de 9,140 kilogrammes. On remar-
quait à sa paroi supérieure deux soupapes de sûreté ,
A VAPEUR. 424
disposées de manière qu'elles dussent s'ouvrir dès que
la pression intérieure surpasserait 4^^3 par centimètre
carré , ce qui correspondait à quatre atmosphères, comme
on le voit par la table du chapitre précédent. De peur
que les ouvriers ne surchargeassent les soupapes , Tune
des deux était contenue dans une cage grillée fermée à
clef.
Cet immense appareil commença à travailler le 21 mars
1814. Douze jours après, il n'existait déjà plus : une
explosion Tavait totalement détruit.
Au moment de la catastrophe, la chaudière se partagea
en deux portions distinctes et inégales. La portion supé-
rieure, composée du couvercle et des deux côtés, pesait
7,112 kilogrammes. Elle fut projetée de bas en haut avec
une telle violence, qu'après avoir traversé la voûte en
briques qui couvrait l'atelier et le toit, elle s'éleva dans
l'air à une hauteur verticale de 21 mètres. Cette énorme
masse tomba ensuite à 46 mètres du point de départ sur
un des bâtiments de la distillerie, l'enfonça, et, au terme
de sa chute, réduisit en pièces une vaste cuve de fonte de
fer, située au rez-de-chaussée.
Il n'y avait heureusement que deux ouvriers près de
l'appareil au moment de l'explosion. Ce furent les deux
seules personnes qui perdirent la vie , circonstance d'au-
tant plus extraordinaire que les autres parties des ateliers
étaient alors encombrées de monde , et que la chaudière,
semblable en cela à un immense fourneau de mine, lança
dans tous les sens et avec une prodigieuse vitesse une
immense quantité d'ustensiles et de débris. Le corps d'un
des ouvriers avait été partagé en deux; l'on regarda
422 EXPLOSIONS DES MACHINES
comme un fait digne de remarque que les jaiid)es fussent
restées dans la distillerie, tandis que le buste ae trouva
au loin , hors du bâtiment , parmi les décombres»
La ligne le long de laquelle la chaudière se déchira
était parfaitement horizontale et suivait isoe rangée de
dous d'une manière tout atissi réguli^ que si Vovk eut
coupé le fer avec de fortes cisailles.
La chaudière, semblable à celles dont Watt avait donné
le modèle, était concave à Textérieur dans sa face la pkis
voisine du feu. Elle formait là une espèce d^àrceau; qoî
fermi^^tait à la flamme du fourneau de pénétrer presque
jusqu'au centre de la masse liquide. Après Texplosion, la
même paroi se trouva convexe , tant elle avait été forte-
ment pressée de dedans en dehors. Cette déformatioa
n* offre rien qu'on n'eût pu deviner; mais on aurait cm
difficilement, si l'inspecUon des lieux n'en avait fourni une
preuve dânonstrative, que le fond de la chaudière, dont
le poids était de 2,028 kilogrammes, et qui portait de si
évidentes traces de l'énorme pression qu'il avait éprouvée
de haut en bas, eût été cependant soulevé pendant l'ex-
plosion, à une hauteur de près de 5 mètres, et transporté
à quelcfue distance du massif de maçonnme sur lequel il
se trouvait primitivement établi*
Aucune circonstance , il importe beaucoup de le faire
remarquer, n'autoriserait la supposition que l'accident de
Lochrin ait dépendu d'une mauvaise construction des
soupapes de sûreté. J'ai déjà dit que l'une d'elles était
sous clef : ainâ , il faut également écarter toute idée de
surcharge*.
A YAPEUB. 423
CHAPITRE IV
EXPLOSION SIHULTANÉE DE PLUSIEURS CHAUDIÈRES
Le bateau à vapeur le Rhône, construit par MIL Aitlria
et Sted , était destiné à faire roffice de remorqueur entre;
Arles et Lyon. It portait une immense machine, parfaite-
ment bien exécutée à Paris dans les ateliers de la Gare^
et alimentée par quatre chaudières en fer laminé, de I^.Sd
de diamètre chacune. Depuis Tévénement, on a recomm:
que le métal , sur beaucoup de points , n'avait que 5 mili^
limètres d'épaisoeur.
Le A mars 1827, pendant qu^on se préparait à Texpés-
rience qui, ce jour- là, devait avoir toutes les autorités
de la ville de Lyon pour témoins, le bateau fit explosiom
Plusieurs pers(mnes, M. Steel entre autres , périrent vie*
tîmes de cet accident II y eut même des spectateurs tué&
sur te quai du Rhône par quelques pièces de la charpente
du bateau. Le pont tout entier fut projeté à une grande
distance ; les tirages et les tuyaux des cheminées, pesant
plus de âvOOO kilogrammes^ s'élevèrent presque verti-
calement jusqu'à une hauteur considérable ; le dôme de.
l'une des chaudières alla tomber à 250 mètres du point
de départ, et cependant il ne pesait pas moius de 2,000
kilogrammes.
Cette horrible catastrophe fut une conséquence inévi-
table de l'imprudence de l'ingénieur. Contrarié de ne pas
vaincre la rapidité du courant aussi complètement qu'il
l'avait espéré , M. Steel fixa invariablement les soupapes
de sûfeté des quatre chaudières; il leur ôta toute mobi-
42i EXPLOSIONS DES MACHINES
lité. Ce fait, quelque incroyable qu'il puisse paraître, a
été constaté d'une manière authentique.
Nous avons remarqué qu'il y avait quatre chaudières
sur le bateau. II est certain que deux d'entre elles écla-
tèrent presque simultanément. Si je suis bien informé, en
retirant du Rhône une troisième chaudière qui y était
tombée, on a reconnu qu'elle avait aussi éclaté. Cette rup-
ture, dans la même seconde, de deux ou trois chaudières
difiérentes, est un fait très- singulier et dont nous aurons
à rendre ccnnpte en parlant des diverses explications
qu'on a données de ces phénomènes.
Je ne dois pas oublier de dire qu'à Lyon, comme à
Lochrin, le dôme, que l'explosion projeta à la distance
de 250 mètres, s'était séparé de la chaudière le long
d*une ligne à peu près horizontale, quoique, dans l'éten-
due de cette ligne, le métal présentât des différences
d'épaisseur de plus de 2 millimètres. M. Tabareau, à qui
j'emprunte ces précieux détails , a calculé que 2 milli-
mètres donnaient aux portions les plus épaisses des parois
un excès de résistance de plus de 6 atmosphères sur 20
à 25 qui était leur force totale. Ainsi , il y a eu rupture
simultanée dans des parties de la chaudière dont les téna-
cités différaient de 6 atmosphères au moins.
Je viens de faire remarquer combien l'explosion simul-
tanée de plusieurs chaudières placées sur des fourneaux
différents était un phénomène digne d'attention. Il pourra
donc être utile d'en citer un second exemple.
A l'entrée de la mine d'étain de Polgooth , il existe une
immense machine à feu, alimentée par trois chaudières
distinctes. Cette machine ayant été arrêtée quelques in-
A VAPEUR. 425
stants pour donner à Tingénieur les moyens de réparer la
pompe foulante d'épuisement, deux des chaudières écla-
tèrent coup sur coup. Le capitaine Reed , qui se trouvait
alors très-près de la mine , rapporte que le bruit de la
première explosion avait à peine cessé, quand la seconde
se fit entendre.
CHAPITRE V
EXPL0S10:«S OCCASIONNÉES PAR UNE SURCHARGE DE LA SOUPAPE
DE SUREÎÉ
Après l'explosion qui démolit entièrement la raffinerie
de sucre de Wellclose- Square à Londres, il fut constaté
que la fonte dont la chaudière était formée n'avait pas
partout une épaisseur suffisante. Au fond , on ne trouva
pas moins de 63 millimètres ; sur les deux parois verti-
cales, 38 millimètres; dans la partie inférieure du dôme,
11 millimètres seulement, et sur quelques autres points
l'épaisseur était réduite à 3 millimètres.
Quelques instants avant Tévénement, contrarié des
faibles résultats que l'appareil donnait , un agent du con-
structeur, malgré les vives représentations des raffineurs,
avait chargé la soupape de sûreté d'un énorme poids,
tandis qu'en même temps il poussait le feu autant que
possible.
Remarquons qu'à Londres, comme à Lyon, la chau-
dière éclata à la fois dans des parties qui avaient des
épaisseurs si inégales qu'on aurait dû supposer que Tune
de ces parties cédant à la force 1, l'autre résisterait à une
action décuple.
U6 EXPLOSIONS DBS MACHINES
Dorant Tenqnête que la chambre des commcmes insti-
taa en 1817, à roccasion de Texplosion d*un bateau à
vapeur à Norwich, M. William Chapman, ingénieur civil
de Newcastle, cita Texplosion d*une chaudière déterminée
comme la précédente , par une surchai^e de la soupape
de sûreté; mais cette fois du moins raraour-pro|Mie du
constructeur ne joua aucun rôle dans l'événement, car il
fut occasionné par un ouvrier qui s'assit sur la soupape,
afin de donner à ses camarades le spectacle du mouve-
ment oscillatoire qu'il éprouverait, disait -il, quand la
vapeur serait devenue assez puissante pour le soulever.
Or, il arriva , comme on pouvait le prévoir, que la sou-
pape ne s'ouvrit point, mais que la chaudière creva. Les
éclats blessèrent et tuèrent un grand nombre de per-
sonnes.
En Amérique , un bateau à vapeur sauta sur TOhio ,
pendant que l'équipage levait l'ancre, c'est-à-dire dans
un moment où la machine ne marchant point, il n'y avait
aucune consommation de vapeur, quoique le feu fût déjà
dans toute sa force. Lever ou décharger la soupape , était
le moyen de prévenir les accidents ; par une inadvertance
inexplicable, l'ingénieur, au contraire, y plaça un poids
additionnel.
CHAPITRE VI
EXPLOSIONS PRÉCÉDÉES d'uN GRAND AFFAUtLISSElIElfT
DANS LE RESSORT DE LA VAPEUR
Dans tous les cas d'explosion que j'ai cités juscju'ici,
celui de Lochrin excepté, il a été constaté que la soupape
de sûreté se trouvait ou complètement fermée ou chargée
▲ VAPEUR. 4»
I poids trop fort. Les causes de reffraction semblaient
c évidentes. Maintenant nous allons entrer dans une
e de faits beaucoup moins simples. Plusieurs même ,
avouerai sans détour, ont une apparence paradoxale
, au premier abord, inspire des doutes; mais les
mples sont nombreux et les autorités irrécusables,
^elques instants avant que la chaudière en fonte et à
mou moyenne établie à Essoiines dans la filature de
Feray, fît explosion le 8 février 1823, la machine
îlle alimentait marchait plus lentement qu'à l'ordi-
•e , et à tel point que les ouvriers s'en plaignaient.
md l'explosion eut lieu, les deux soupapes venaient de
ivrir et la vapeur en sortait avec abondance.
Jn accident en tout semblable à celui d'Essonnes eut
i quelques jours après sur le boulevard du Mont-Par-
se, à Paris. Ici, comme chez M. Feray, les ouvriers
rmuraient de ce que la marche excessivement lente de
nachine ne leur permettait de faire dans la journée
une très-petite quantité d'ouvrage, lorsque tout à coup
îhaudière, qu'ils supposaient presque vide de vapeur,
ita. Cette chaudière était en cuivre laminé. Rien n'an-
içait que la soupape de sûreté eût été en mauvais état ;
a même toute raison de supposer qu'une abondante
Le de vapeur précéda l'explosion.
Lors de l'explosion du bateau à vapeur VEtna^ en Amè-
ne, la machine ne donnait que 18 coups de piston par
nute. Dans sa marche habituelle, ce nombre de coups
it de 20. Ainsi la chaudière éclata sous l'action d'une
yexw sensiblement moins élastique que celle qu'elle
)portait ordinairement.
42$ EXPLOSIONS DBS MACHINES
Le jour de Texplosion du bateau le Rapide, h Boche-
fort , le manomètre avait souvent indiqué une élasticité de
la vapeur de âO centimètres de mercure supérieure à celle
de l'atmosphère. Quelques instants avant Tévénement , le
manomètre n'était qu'à 15 centimètres.
Il est résulté de l'enquête à laquelle donna lieu l'ex-
plosion du bateau à vapeur le Grdham, qu'à l'instant où
l'événement arriva, on venait d'ôter un poids de 10 kilo-
grammes de dessus la soupape de sûreté.
CHAPITRE VII
EXPLOSIONS IMMÉDIATEMENT PRÉCÉDÉES DE L^OUYERTimB
DE LA SOUPAPE DE SÛRETÉ
Je rappellerai d'abord que l'explosion de la chaudière
d'Essonnes pourrait être classée dans ce chapitre, car la
soupape venait de s'ouvrir quand elle arriva.
Une chaudière construite pour produire de la vapeur
à basse pression, fit explosion, au milieu d'un atelier de
Lyon, immédiatement après qu'on eut ouvert un large
robinet de décharge par lequel la vapeur commençait à
s'échapper avec rapidité. Ouvrir le robinet ou soulever la
soupape de sûreté, c'est évidemment tout un : l'explosion,
dans ce cas , fut donc déterminée par une manœuvre qui
généralement semble devoir la prévenir.
Ce fait , quelque étrange qu'il puisse paraître , sera
certainement adopté de confiance, quand je dirai qu'on
en doit le récit à M. Gensoul de Lyon, et, de plus, que
cet habile ingénieur en a été témoin.
A VAPEUR. 429
U dans un cas extrême, comme celui qiie je viens de
K>rter, Pouverture d'une soupape peut amener la
ure de la chaudière , il doit arriver fréquemment que
3 ouverture , sans occasionner aucun accident , déter-
e cependant une augmentation sensible et brusque
3 la force élastique de la vapeur. Le phénomène , dans
limites , peut être étudié sans trop de danger. Je sais
i Lyon Texpérience a été tentée, et que sur une petite
udière à haute pression , dès qu'on ouvrait un large
inet de décharge, la soupape de sûreté se levait. Je
i dire qu'à Paris, Dulong et moi, nous avons tou-
•s vu au contraire une diminution de tension accom-
;ner Touverture des soupapes ; mais je n'en regarde
moins l'expérience de Lyon comme certaine, puis-
îlle a pour garants M, Tabareau , directeur de l'École
la Martinière, et M. Rey, professeur de chimie. Les
ses probables de ce désaccord, que je signalerai plus
, montreront peut-être comment on peut prévenir le
ire particulier d'accidents auquel celte Notice est
sacrée.
CHAPITRE Vlll
ÉCRASEMC.NTS INTÉRIEURS DES CIIAUDIÈRES
Les chaudières constmites avec des plaques malléables
fer ou de cuivre, celles surtout qu'on a destinées à
vailler sous une faible pression, éprouvent dans quel-
îs circonstances des accidents qui sont précisément
iverse de ceux dont nous venons de nous occuper.
Ces chaudières, quelquefois, s'écrasent complètement
V.-H. 9
à
430 EXPLOSIONS DES MACHINES
par ane flexion subite de leurs parois, qoi s^ophre de
dehors en dedans. Les villes de Lyon et de Saint-Etienne
ont été naguère le théâtre de plusieurs accidents de ce
genre, contre lesquels il importe de se prémunir, ne
fût-ce que pour ne pas voir des ateliers considérables
réduits tout à coup à une complète inaction.
Les petits cylindres des chaudières à foyer intérieur,
s^écrasent aussi de temps en temps. Leurs parois ne
pouvant pas, dans certaines circonstances, résistera la
pression de la vapeur contenue dans l'espace annulaire ,
cèdent et s'aplatissent tout à coup. Or, comme ce mou-
vement ne saurait avoir lieu sans que le métal se déchire
quelque part , Teau bouillante se répand par torrents dans
les ateliers environnants et produit souvent de grands
malheurs. M. John Taylor, membre de la Société royale
de Londres , me fournira un exemple de ce genre d'ac-
cidents.
Dans le Fliiitshire, aux Mold-Mines, il y a une immense
machine à feu , alimentée par trois chaudières à foyer
intérieur. Un jour, la machine était arrêtée depuis cinq
minutes ; le contre-maître avait déjà levé les portes des
foyers des trois chaudières et fermé les registres des che-
minées de deux ; il s'occupait à faire la même opération
sur la troisième cheminée ; mais à peine la plaque métal-
lique fut-elle en place, qu'il vit une bouffée de flamme
s'élancer du foyer vers l'atelier, et une explosion suivit
immédiatement. Deux ouvriers, qui se trouvaient mal-
heureusement placés dans la direction suivant laquelle
s'élança l'eau bouillante, périrent sur-le-champ.
Un examen attentif de la chaudière montra que le
A VAPEUR. 134
cylindre extérieur n'avait ni bougé ni éprouvé de doni-
mage. On reconnut même que le poids suspendu au levier
de la soupape de sûreté était encore à sa place après
l'accident. Le petit cylindre n'avait pas éprouvé non plus
le mouvement de translation qui , dans ce genre de chau-
dières, est quelquefois la suite des explosions; mais il
s'était tellement aplati, dans une grande partie de sa
longueur, par le rapprochement des parois latérales,
qu'il restait à peine assez de place pour y introduire la
main.
Au premier coup d'oeil , on peut trouver étrange que
j'aie placé un écrasement de chaudière dû à un excès de
force de la vapeur, à côté des accidents pour ainsi dire
inverses dont il est question au précédent chapitre;
mais on verra bientôt que ces deux genres d'effets, sui-
vant toute apparence, ont une semblable origine.
CHAPITRE IX
ACCIDENTS PARTICULIERS AUX CHAUDIÈRES A FOYER INTÉRIEUR
Pour peu qu'on ait réfléchi sur les causes nombreuses
qui peuvent amener l'explosion d'une chaudière, et sur
les combinaisons diverses dont elles sont susceptibles, on
reconnaît bientôt à quel point il serait inutile de recher-
cher à cet égard des règles invariables. On doit remar-
quer cependant qu'en général la forme de la chaudière
est la cause prépondérante , et que c'est elle qui , le plus
ordinairement, détermine le genre de l'effraction. C'est
en ce sens surtout que les tableaux détaillés et complets
432 EXPLOSIONS DES MACHINES
des accidents qui arrivent journellement auraient une
grande utilité. Grâce aux précieux renseignements qu*a
publiés il y a deux ans M. John Taylor, on peut déjà
dire, par exemple, que dans les chaudières à foyer inté-
rieur ou à cylindres concentriques, ce sont les parois
du petit cylindre qu'il faut considérer comme la partie
faible.
Après Texplosion preèque simultanée de deux chau-
dières, à la mine d'étain de Polgooth, on trouva que
les cylindres intérieurs de Tune et de Tautre, étaient tor-
dus sur eux-mêmes et crevassés dans un grand nombre
de points.
A la mine d*Est-Crennis, le petit cylindre s'était non-
seulement aplati par le rapprochement de ses parois supé-
rieure et inférieure , mais il avait même été lancé hors
de l'atelier avec beaucoup de force , sans que le grand
cylindre qui l'enveloppait eût bougé, et sans qu'on y
remarquât aucune avarie importante. On a dans le chapitre
précédent vu un autre exemple, encore plus remarquable,
de déformation et de rupture complète du petit cylindre
d'une chaudière avec invariabilité du cylindre enveloppe.
CHAPITRE X
EXPLOSION PRÉCÉDÉE D'UN GRAND ÉCHAUFFEMENT DES PAROIS
DE LA CHAUDIÈRE
Un échauffement trop considérable de la portion de
chaudière qu'on appelle le réseiToir à vapeur, peut don-
ner lieu à des accidents. La fonderie de Pittsburg, en
Amérique , en fournira un exemple.
A VAPEUR. 433
Dans cet établissement , une machine à haute pression
de la force de 80 chevaux , recevait la vapeur de trois
chaudières cylindriques séparées , ayant chacune 76 cen-
timètres de diamètre et 5". 5 de long. On s'était aperçu
depuis assez longtemps qu'à cause de quelque défaut
dans un tuyau aboutissant à la pompe alimentaire, Tune
de ces chaudières ne recevait pas assez d'eau et deve-
nait rouge; mais conune la vapeur fournie par les deux
autres était suffisante, on crut pouvoir se dispenser de
réparer le mal. Or, il arriva qu'un jour la chaudière
rouge fit explosion, que sa majeure partie se sépara de
l'une des extrémités, qu'elle partit comme une fusée sous
l'angle d'environ 45% traversa le toit du bâtiment et alla
tomber à 183 mètres de distance.
CHAPITRE XI
EXPLOSION d'une CHAUDIÈRE EN L'AIR
On a rarement des détails bien précis sur les circon-
stances dont les explosions des machines à vapeur sont
accompagnées, soit parce que ces accidents arrivent
inopinément et durent à peine quelques dixièmes de
seconde, soit parce que les témoins en sont presque
toujours victimes. Une inspection attentive des localités,
de la forme, de la masse et de la distance des débris,
fera souvent connaître quelle partie de la chaudière a dû
céder la première, avec quelle vitesse les fragments ont
ét<* projetés; mais ordinairement on sera forcé de s'arrêter
là. Il importe donc de recueillir avec soin tout ce que
434 EXPLOSIONS DES MACHINES
d'heureux hasards pourront nous apprendre de plus, sur
des accidents si fâcheux et si dignes d'être étudiés. Je
m'empresse donc d'extraire d'une lettre de M. Perkins,
le fait qu'on va lire, et qui j'espère ne paraîtra pas dé-
pourvu d'intérêt.
c J'ai eu connaissance, m'écrivait cet habile ingénieur,
d'une explosion qui se trouva précédée de la formaticHi
d'une fissui'e par laquelle la vapeur s'échappait avec une
énorme vitesse. Malgré cette soupape de sûreté impro-
visée, la chaudière fut détachée de la maçonnerie sur
laquelle elle reposait, soulevée en masse à quelques mè-
tres du sol, et c'est en l'air qu'eut lieu l'explosion qui la
partagea en deux. La moitié supérieure s'éleva très-haut ;
l'autre retomba aussitôt sur le sol avec un grand fracas.
Je me trompe fort , ou les mêmes circonstances ont dû
se rencontrer dans l'explosion de Lochrin (ch. m, p. 120).
Appuyé sur les faits dont on vient de lire la relation , il
nous reste maintenant à rechercher quelles sont les causes
diverses qui ont pu amener tant d'accidents et les raoyeni
d'en prévenir le retour.
CHAPITRE XII
kécessité des soupapes de sûreté; soupapes de papin; leurs
défauts; accidents qu'elles peuvent prévenir
Fiurence Rivault, Salomon de Caus, le marquis de
Worcester, avaient déjà remarqué en 1605, en 1615 et en
1663, ainsi qu'on a pu le voir dans ma Notice historique
sur l'invention de la machine à vapeur (p. 106), qu'un
vase contenant de l'eau, quelque fortes que fussent ses
A VAPEUR. 435
parois, se brisait indabitablement eu éclats quand on le
laissait un temps suffisant sur un feu bien vif, à moins
qu'une certaine ouverture ne donnât passage à la va*
peur à mesure qu'elle était engendrée. La malheureuse
expérience de M. Steel , à Lyon , a du reste trop bien
montré la vérité de cette opinion (voir p. 123).
La température qui amène ainsi la rupture d'un vase
dépend de la forme et des dimensions qu'on lui a don-
nées, de la ténacité et de l'épaisseur de ses parois. Si
dans chaque circonstance on était certain de ne pas dé-
passer un degré de dialeur fixé d'avance, toute autre
précaution deviendrait inutile ; mais dès qu'on a vu une
seule fois comment se charge un grand fourneau ordi-
naire, dès qu'on a remarqué à quel point la combustion
dépend, je ne dis pas seulement de la nature du charbon ,
mais encore de son morcellement, de sa répartition plus
ou moins uniforme sur la grille, voire même des circon-
stances atmosphériques , on renonce bien vite à l'idée de
puiser dans le foyer des moyens de sécurité contre les
explosions.
Nous devons donc partir de la supposition qu'une chau-
dière complètement fermée, dont l'épaisseur ne serait pas
énorme (et il y aurait des inconvénients de plus d'un
genre à dépasser, sous ce rapport, certaines limites),
renfermera de temps à autre une vapeur d'une élasticité
supérieure à celle que la résistance de ses parois pourrait
vaincre. Éviter que cela n'arrive est cependant le seul
moyen d'empêcher les explosions.
La soupape imaginée par Papin , semble couper court
à toute difficulté.
43G EXPLOSIONS DBS MACHINES
Cette soupape, je Fai déjà expliqué (p. 75), se com-
pose d'un trou de 1 centimètre carré, par exemple, pra-
tiqué à la paroi supérieure de la chaudière , et sur lequel
on a déposé une plaque métallique chargée d'un certain
poids. N'est-il pas évident que le trou restera fermé tant
qu'intérieurement la pression de la vapeur sur 1 cen-
timètre carré, sera inférieure au poids de la soupape
augmenté de celui de l'atmosphère, et qu'aussitôt qu'elle
deviendra plus forte, la plaque devra se soulever et
donner un libre passage â la vapeur ?
Cherchons maintenant comment il peut arriver qu'un
moyen si rationnel, si simple, d'une exécution si facile,
ne soit pas infaillible.
La plaque de la soupape se soulève au moment où le
poids dont elle est chargée devient inférieur à la pression
de la vapeur ; mais pour empêcher toute augmentation
de tension dans la chaudière, cela ne suffit pas : il faut
en outre que la fuite par la soupape égale au moins l'excès
de production. La perte de vapeur dépend du diamètre
de l'ouverture ; or, celle qui ordinairement satisfait à tous
les besoins peut être beaucoup trop petite lorsque des
circonstances rares amènent la transformation presque
subite d'une grande quantité d'eau en vapeur. Dans ce
cas, la soupape diminue le mal , mais elle ne le prévient
pas ; elle est, qu'on me passe la comparaison , comme le
lit de ce torrent qui suffit à l'écoulement des eaux dans les
temps ordinaires, tandis qu'à la suite d'un orage, ses rives
se trouvent beaucoup trop resserrées. Si des difficultés
d'ajustement et l'énormité des poids dont il faudrait alors
faire usage, ne forçaient pas de se renfermer dans certaines
A VAPEUR. 137
limites, il y aurait donc tout avantage à employer des
soupapes à très-larges ouvertures. Sans pousser les choses
à l'extrême, on pourrait, je crois, admettre qu'on s'en
est tenu jusqu'ici à de trop petites dimensions. La justesse
de cette assertion ne sera pas contestée par ceux-là sur-
tout qui voudront bien se rappeler les curieux phénomènes
récemment découverts dans l'écoulement des fluides par
de petites ouvertures. On a trouvé, en effet, en présen-
tant perpendiculairement une plaque libre, très-légère, à
un courant de vapeur sortant par un petit trou pratiqué
dans la paroi d'une chaudière à très- haute pression,
qu'elle n'est pas toujours repoussée. Parvenue à une faible
distance de ce trou , la plaque se trouve sollicitée à la fois
par la vapeur, qui tend à l'éloigner, et par la pression
atmosphérique dont l'action s'exerce en sens contraire :
or, ces deux forces se faisant équilibre, la plaque est
comme suspendue en l'air dans une complète immobilité.
Je ne puis pas examiner ici comment il arrive que la
vapeur perde, dans l'acte de son écoulement, une si
énonne partie de sa force que la seule pression atmo-
sphérique suffise pour contre-balancer ce qui en reste;
je me contente de dire, comme un fait, que la plaque libre
s'écarte très-peu du trou ; que la même chose arrivera à
la plaque de la soupape, et qu'ainsi au moment où elle
se soulèvera, il sortira beaucoup moins de vapeur qu'on
ne l'avait espéré quand on comptait sur un jet d'une lar-
geur égale à celle de l'ouverture que cette plaque recou-
vrait.
M. Clément, qui a étudié ces phénomènes avec un
soin tout particulier, y a vu la condamnation en dernier
438 EXPLOSIONS DES MACHINES
ressort des soupapes à plaque mobile. L'arrêt peut paraître
trop absolu; mais toujours est*il que le soulèvement par-
tiel de la plaque est une difficulté de plus offerte aux
méditations des constructeurs, et qu'il peut ratrer pour
une petite part dans les causes d'explosion, quand la
soupape est mal construite.
Passons à des difficultés d'une autre espèce.
£n France 9 d'après la législation en vigueur, toute
chaudière en fonte, avant d'être estampillée, doit avoir
supporté une pression intérieure cinq fois plus forte que
celle qu'elle subira quand elle sera en action ; cette pres-
sion d'épreuve est réduite du quintuple au triple pour les
chaudières en cuivre et en fer laminé ou battu. Ces limites
semblent bien larges et excitent même souvent les récla-
mations des constructeurs ; nous allons voir cependant
qu'elles sont loin d'offrir une garantie complète.
Tout le monde sait comment les épreuves se font; il
me suffira de rappeler ici qu'on opère à la température
ordinaire. Or, à cette température, les métaux ont plus
de ténacité qu'à cjiaud. Quand on approche du terme
de l'incandescence, la diminution est énorme. Des expé-
riences de M. Trémery ont prouvé, par exemple, que la
ténacité du fer forgé chauffé jusqu'au rouge sombre, n'est
que la sixième partie de celle du fer froid. Si donc , par
malheur, une certaine portion de la chaudière passait au
rouge, on se trouverait très-près des limites de rupture,
sans que la soupape s'ouvrît, et quoique, d'après les expé-
riences faites à froid , on eût le droit de s'en croire très«
éloigné.
Mais pourquoi, dira-t-on, ne pas faire une expérience
A VAPEUR. 139
complètement décisive? pourquoi ne pas placer la chau-
dière dans les conditions sous lesquelles elle doit travailler?
pourquoi , en un mot , ne pas substituer la vapeur à Teau
dans la production des pressions d'épreuve ? On répondra
d'abord qu'à l'aide d'une pompe l'expérience peut se faire
en tout lieu , dans l'atelier même de l'ouvrier, avec très-
peu d'appareil et de dépense; que l'épreuve à la vapeur,
au contraire, exigerait pour chaque chaudière la construc-
tion d'un fourneau, un assez grand local, et que l'indus-
trie est paralysée partout où on l'entoure de semblables
entraves. Ajoutons que les spectateurs de l'épreuve à la
pompe ne courent presque aucun danger, lors même que
la chaudière éclate , mais qu'il n'en serait pas de même
si, au lieu d'eau, elle renfermait de la vapeur. Les pré-
cautions qu'il faudrait prendre, dans ce dernier cas, pour
garantir les expérimentateurs, ajouteraient beaucoup aux
difficultés de ces essais préparatoires et à la dépense qu'ils
entraînent Ainsi , suivant toute apparence , les épreuves
à l'eau, malgré les défauts que j'ai déjà signalés, malgré
ceux dont il me reste à parler, continueront à prévaloir.
Lorsqu'on agit sur les parois d'une chaudière avec une
pompe foulante , la pression intérieure s'accroît progres-
sivement et par des degrés presque insensibles. On n'ap-
prend donc rien , en opérant ainsi , sur les efforts que
surmonteraient ces parois dans le cas d'un changement
considérable et brusque ; or, de tels changements peuvent
avoir lieu quand la chaudière est en action.
Faut- il, enfin, remarquer que Tépreuve faite dans
l'atelier de l'artiste, sur une chaudière neuve, montre
seulement ce qu'elle vaut alors, et non ce qu'elle sera
440 EXPLOSIONS DES MACHINES
après quelques semaines, après quelques mois de travail,
lorsque des inégalités de température auront tiraillé le
métal en tout sens et désuni ses fibres, lorsque la rouille
l'aura altéré, etc., etc.?
On voit en résumé que , malgré la bonne construction
et le bon état des soupapes de sûreté, il n'est pas impos-
sible qu'une chaudière fasse explosion :
1* Parce que l'ouverture de la soupape peut ne pas
être assez large pour donner passage à la vapeur qui se
serait engendrée subitement et en grande abondance ;
2' Parce que la chaudière a été essayée à froid, et
qu'à chaud, surtout quand les parois parviennent à une
température très-élevée, la ténacité du métal est fort
amoindrie ;
3** Parce qu'une augmentation brusque dans l'élasticité
de la vapeur peut occasionner des ruptures là où une
pression plus grande, mais produite graduellement,
n'avait été accompagnée d'aucune circonstance fâcheuse;
4** Et enfin, parce que la chaudière se détériore assez
promptement au feu , et qu'après un certain nombre de
mois de travail sa ténacité est souvent fort affaiblie.
Les soupapes de sûreté, quelque bonnes qu'elles
soient, ne doivent donc pas dispenser l'ingénieiu* d'éprou-
ver sa chaudière de temps à autre ; de prévenir, par tous
les moyens en son pouvoir, des changements brusques
dans l'élasticité de la vapeur, et enfin d'empêcher que
jamais aucune partie des parois n'acquière une trop haute
température.
J'ai supposé jusqu'ici la soupape en bon état; et, en
effet, au premier coup d'œil il semble difficile qu'un appa-
A VAPEUR. U4
reil aussi simple se dérange ; mais si Ton remarque que
la plaque mobile se rouille souvent, qu'elle contracte par
là, et surtout durant le repos, une forte adhérence avec la
paroi métallique fixe sur laquelle elle s'ajuste, on concevra
qu'elle puisse ne pas bouger sous des pressions bien supé*
rieures à celle que l'ingénieur avait fixée d'avance comme
devant amener la fuite de la vapeur. M, Maudslay, dont
l'habileté et la haute expérience sont bien connues, disait
qu'une soupape de sûreté ne mérite plus ce nom dès
qu'on l'a laissée une seule semaine sans la faire jouer;
aussi voyait-on à côté de quelques-unes de ses chaudières
un cordon placé à portée du chauffeur, et qui servait à
soulever la soupape de temps en temps. On a même été
jusqu'à produire ce mouvement à l'aide de plusieurs
leviers dépendants de la machine ; mais quand la chau-
dière en est un peu éloignée, ce moyen h' est guère pra-
ticable.
L'opération du chauffage est ordinairement confiée à
de simples ouvriers, dépourvus de toute prudence, et qui,
trop souvent, surchargent les soupapes, soit pour accé-
lérer le travail quand des plaintes leur sont adressées ,
soit assez ordinairement pour faire parade de leur cou-
rage. On se met à l'abri dé ce danger, le plus grand
peut-être qu'on doive redouter, en adaptant toujours deux
soupapes à chaque chaudière : Tune, entièrement libre,
sert au chauffeur toutes les fois que la vapeur doit être
évacuée ; l'autre est renfermée sous un treillage dont il
importe que l'ingénieur ou le propriétaire de la machine
conserve seul la clef. L'emploi de la double soupape a été
recommandé, presque unanimement, par les nombreux
U2 EXPLOSIONS DES MACHINES
ingénieurs que la chambre des communes appela devant
elle dans Tenquête de 1817 ; en France, une ordonnance
royale en fait une condition de rigueur. Peut-être pour-
rait-on exiger aussi que chaque chaudière se trouvât
munie d'un mécanisme simple et commodément placé, à
Taide duquel le chauffeur pût reconnaître de temps en
temps que la soupape n'a pas contracté d'adhérence :
ceux qui ont un peu visité les ateliers des usines où
rhonmie manie même les agents les plus dangereux,
savent bien , en effet , que les ouvriers s'astreignent diffi-
cilement à faire avec régularité les opérations dont il ne
doit pas rester de trace^ si elles donnent un peu de peine.
Un tableau analogue à ceux dont les navigateurs font
usage et dans lequel le chauffeur serait tenu d'inscrire
chaque jour à quelles heures les vérifications prescrites
auraient été faites, préviendrait^ je crois, bien des
oublis, et par suite beaucoup d'accidents.
CHAPITRE XIII
PLAQUES FUSIBLES
Dès qu'il fut constaté que les soupapes ordinaires se
dérangent quelquefois, qu'elles n'offrent pas on préser-
vatif infaillible, on proposa de les remplacer par un appa-
reil d'une tout autrç espèce, et dont l'action ne pût
jamais être incertaine. Ce sont les soupapes à alliage
fusible, déjà indiquées dans ma Notice historique (p. 77).
Pour bien comprendre l'utilité de ces soupapes, il faut
savoir qu'il est possible que la vapeur d'eau ait une très-
A VAPEUR. 443
haute température et peu de ressort, mais qu'il n'arrive
jamais, au contraire, qu'une grande élasticité ne soit pas
accompagnée d'une forte température.
On a vu que Dulong et moi nous avons déterminé
expérimentalement (chap. n, p. 118) , par quelles tem-
pératures minima la vapeur peut acquérir des tensions
d'une, de deux, de trois, de dix, etc., atmosphères. A
l'aide de ces résultats, on saura que la température de la
vapeur ne devra jamais s'élever au delà de tel degré du
thermomètre, lorsqu'on aura décidé de ne pas dépasser
telle ou telle autre tension. Si l'on applique donc sur une
ouverture de la chaudière, une plaque formée avec un
alliage de plomb, d'étain et de biamuth, dont les pro-
portions aient été tellement choisies qu'il se fonde à la
température limite déterminée d'avance, il semble impos-
sible que cette température soit jamais dépassée, puisque
aussitôt qu'on y arrive la plaque doit couler et donner
passage à la vapeur.
En France, une ordonnance royale exige que toute
chaudière soit munie de deux plaques fusibles de gran-
deurs inégales. Le point de fusibilité de la plus petite est
de 10* supérieur à la température de la vapeur saturée
ayant une élasticité égale à celle dont la vapeur motrice
doit être douce dans le travail ordinaire. La seconde
plaque se fond 10** plus haut que la première.
Quoiqu'on puisse citer divers cas dans lesquels les
plaques fusibles ont probablement empêché des explosions
et prévenu de grands malheurs, la plupart des construc-
teurs les emploient h regi'ct, et préféreraient de beaucoup
les soupapes ordinaires, dont au reste leurs machines
444 EXPLOSIONS DES MACHINES
doivent aussi être pourvues. Examinons donc les objec-
tions qu'elles ont fait naître.
On a dit d'abord que ces plaques, accusant seulement
la température et nullement la pression, peuvent se fondre
quand la vapeur, d'ailleurs très-chaude, a fort peu d'élas-
ticité ; mais si Ton examine dans quelles circonstances la
vapeur intérieure peut n'être pas saturée d'humidité, on
trouve que c'est uniquement lorsque l'eau manque et
qu'une partie des parois de la chaudière est devenue très-
chaude, peut-être même rouge; or, dans ce cas, une
explosion est imminente ; cette première objection semble
donc tomber à faux.
La plaque n'arrive pas au terme de sa liquéfaction sans
s'être un peu ramollie ; ainsi , il est à craindre qu'elle
n'éclate sous une tension très-inférieure à celle qui déter-
minerait sa fusion. A l'origine, cela avait lieu en effet;
mais depuis qu'on recouvre la plaque d'une toile métal-
lique à mailles un peu serrées avant de la fixer par des
boulons au tuyau qu'elle doit fermer, la difficulté a dis-
paru. Il se forme bien encore çà et là quelques boursou-
flures quand on approche du degré de la fusion ; mais
c'est seulement très-près de ce degré, l'expérience Ta
montré, que la plaque cède, est projetée de bas en haut,
et ouvre un libre passage à la vapeur.
Quand la «plaque fusible a disparu, toute la vapeur
s'échappe par l'ouverture qu'elle fermait. Le temps de la
remplacer, de remplir de nouveau la chaudière et de la
chauffer, pourrait être assez long ; or, pendant ce temps-
là, rien ne saurait marcher. Sur un bateau à vapeur, près
des côtes et particulièrement au moment d'entrer dans
A VAPEUR. 4i5
un port , une absence subite de la force motrice amène- .
rait les plus fâcheux accidents. Cette difficulté est grave
et très-réelle ; peut-être même est-ce là la vraie raison
qui a empêché nos voisins d'adopter les plaques fusibles,
et leur a fait préférer les soupapes ordinaires. Celles-ci,
en effet , ne laissent jamais sortir toute la vapeur. Si elles
s'ouvrent, c'est seulement quand la tension a dépassé un
certain terme ; or, comme elles retombent nécessairement
dès qu'en s'affaiblissant peu à peu l'élasticité est rentrée
dans les limites' fixées d'avance par l'ingénieur, la force
motrice ne peut jamais manquer entièrement.
Les partisans des plaques fusibles mettaient au premier
rang, dans les avantages dont ils les croyaient douées ^
l'impossibilité physique de les altérer : avec ce genre de
soupapes, disaient-ils, on est entièrement à l'abri des
imprudences des ouvriers. Il est très- vrai qu'alors toute
surcharge, dans le sens littéral de ce mot, serait inutile;
mais quand les chauffeurs veulent pousser le feu plus que
de coutume , ils savent très-bien , pour prévenir la fusion
de la plaque , diriger sur sa surface un courant continu
d'eau froide, en sorte que de ce côté on pourrait bien
n'avoir rien gagné.
CHAPITRE XIV
LAMES MIKGES
Une soupape de sûreté, celle de Papin comme la
plaque fusible, n'est autre chose, tout bien considéré,
que l'affaiblissement artificiel d'une certaine partie des
parois de la chaudière. Cet affaiblissement , on a proposé
V. — II. 10
446 EXPLOSIONS DBS MACHINES
de Topérer en recouvrant de petites ouvertures faites ad
hoc , avec des plaques de métal laminé dont Tépaisseur
devait être calculée de manière qu'elles se rompissent
sous dies pressions d^une, de deux, de troi&,... de dix
atmosphères, suivant qu'on aurait arrêté de ne pas dé-
passer dans le travail deux, ttois, quatre,. •* onze de ces
pressions. Il est évident que les éclate d^une plaque ausri
petite et aussi mince n'occa^nneraient jamais d'accident
grave.
Ce moyen , quelque spécieux qu'il puisse paraître , a
été très- rarement employé, soit parce q«*îl n'est pas trèff-
aisé de déterminer expérimentalement, pour chaque dia-
mètre du trou, l'épaisseur de la lame qui amènerait la
rupture à telle ou telle autre pression donnée ; soit parce
qu'on ne pourrait pas répondre d'avoir toujours des lames
identiques. La lame mince, quand elle est en place, se
trouve plus que la plaque fusible hors des attehites â»
ouvriers; on pourrait, il est vrai, l'aflaiblir, mais jamais
la fortifier, et cela est l'important. A cet égard, les lames
minces sont préférables aux plaques fusibles ; mai» mal-
heureusement eltes ont , comme ces plaques , l'inconvé-
nient de laisser échapper toute la vapeur quand elles
éclatent.
CHAPITRE XV
SOUPAPE BIANOMÉTRIQUE
Le tube manométrique, dont j'ai parié plus^haut (chap.
vn, p. 128) , fait aussi l'office de soupape de sûreté ; il est
même, sous ce rapport, bien préférable et aux soupapes
A VAPEUR. 447
ordinaires et aux plaques fusibles. La soupape ordinaire
n'indique rien tant qu'elle ne se lève pas ; la plaque fusible,
tant qu'elle ne se fond pas. Le chauffeur apprend tout à
coup qu'on est arrivé à la pression limite qu'il importe
de ne pas dépasser, mais il n'avait point été averti qu'on
en approchait. Le . manomètre , au contraire, lui donne
à chaque instant la mesure de l'élasticité de la vapeur;
il parle également bien, si je puis m' exprimer ainsi,
sous une faible et sous une forte pression.
La plaque de la soupape ordinaire peut avoir perdu
toute mobilité sans qu'on le sache ; tandis que s'il arri-
vait, pai* hasard, que des impuretés vinssent à boucher
le tube manométrique, la complète immobilité du mercure
le montrerait à l'instant : il est clair, en effet , que dans
un appareil aussi grand qu'une chaudière, et d'où la
vapeur s'échappe par bouffées, l'élasticité ne saurait être
parfaitement constante. Or, dès que la chaudière et le
manomètre communiquent , toute fluctuation de la vapeur
produit une oscillation dans la colonne mercurielle.
Les manomètres à mercure doivent donc être considé-
rés comme les meilleures soupapes de sûreté qu'on ait
inventées jusqu'ici, pourvu que leur diamètre soit suffi-
samment grand. Toutes les fois qu'une longueur exces-
sive ne les rend pas inapplicables, on pourra donc les
regarder couune un préservatif assuré contre les acci-
dents dont les soupapes ordinaires les mieux construites
ou les plaques fusibles auraient garanti. Le lecteur cour
naîtra le motif de cette restriction, lorsque j'aurai montré
tout fi l'heure qu'il est des cas dans lesquels le soulève-
ment de la soupape peut être la cause de l'explosioa
lis EXPLOSIONS DES MACHINES
CHAPITRE XVI
SOUPAPES INTÉRIEURES OU A AIR; LEUR OBJET
Au moment où l'on allume du feu sous une chaudière,
l'espace que Teau ne remplit pas renferme de Tair atmo-
sphérique. Cet air, mêlé à de la vapeur, passe peu à peu
dans la machine que la chaudière alimente, et à la longue
il est complètement expulsé. Les choses étant dans cet
état, supposons que le travail soit interrompu et qu'on
laisse tomber le feu ; la vapeur se précipitera graduelle-
ment à mesure que le refroidissement fera des progrès, et
après un certain temps l'espace qu'elle remplissait sera à
peu près vide. Alors la chaudière se trouvera pressée de
dehors en dedans par tout le poids de l'atmosphère, sans
que rien à l'intérieur contre-balance cette action. Quand
la condensation de la vapeur s'opère insensiblement , elle
ne semble pas devoir donner lieu à des accidents, puisque
les parois des chaudières les plus faibles ont dû résister
dans les épreuves préparatoires à des pressions, dirigées
il est vrai de dedans en dehors, mais qui n'étaient pas de
moins de cinq atmosphères. L'événement au contraire
pourrait être grave, si la condensation avait lieu brusque-
ment : par exemple, si un jet d'eau froide venait à tra-
verser la vapeur; alors l'action de l'atmosphère cessant
d'être contre-balancée, en un instant presque indivisible,
produirait l'efTet d'une percussion sur toute l'étendue
des parois de la chaudière , et déterminerait sans doute
l'uh de ces écrasements dont j'ai parlé précédemment
(chap. vui, p. 129).
A VAPEUR. U9
C'est pour prévenir les accidents de ce genre qu'on a
imaginé la soupape intérieure ^ connue aussi sous le nom
de soupape à air. Cette soupape ne peut s'ouvrir que de
dehors en dedans. Elle est maintenue par un ressort à
spirale situé dans la chaudière , et dont la force surpasse
ù peine son poids ; ou bien elle se trouve comme suspen-
due horizontalement à un levier extérieur, disposé de
manière que la plaque vienne toucher tout juste les parois
intérieures de l'ouverture qu'elle doit boucher. D'après
cet arrangement, le ressort de la vapeur ne pourra de-
venir moindre que la pression atmosphérique, sans qu'aus-
sitôt la soupape se baisse pour donner passage à l'air
extérieur; ainsi, quand le travail viendra à cesser, on
n'aura plus à craindre qu'il se forme un vide dans la
chaudière. Il me semblerait plus difficile d'affirmer que
le même artifice préviendra infailliblement tout écrase-
ment des parois, car ces accidents, comme nous l'avons
vu, sont le résultat d'un affaiblissement considérable et
brusque dans l'élasticité de la vapeur. L'action graduelle
d'une soupape peut bien , dans ce cas, amoindrir le mal
à un certain point, mais elle ne saurait l'empêcher.
Contre ce genre d'accidents il n'y a qu'un seul remède :
il consiste à surveiller avec le plus grand soin les moyens
d'alimentation, et à empêcher que jamais la chambre à
vapeur de la chaudière ne soit subitement refroidie,
comme cela arriverait , par exemple , si une grande quan-
tité d'eau froide venait à se répandre sur ses parois.
Les écrasements des chaudières à foyer intérieur s'ex-
pliqueraient tout aussi aisément, si nous pouvions prouver
que quelquefois il se forme subitement un vide dans le
452 EXPLOSIONS DES MACHINES
incandescent s'échauffe énormément sans acquérir pour
cela une grande tension, soit parce qu'elle n'est point
saturée, soit par une autre raison que je donnerai plus
bas.
Prenons la chaudière dans cet état. L'eau y est peu
abondante, et une partie de la vapeur qui la presse a une
température extrêmement élevée, mais une élasticité
médiocre. Supposons que la soupape de sûreté vienne à
s'ouvrir complètement ; une prompte fuite de vapeur en
sera la conséquence. L'eau , déchargée du poids qui la
pressait , s'élancera en écume dans toute la capacité de
la chaudière : ce sera le phénomène qu'offre le vin de
Champagne au moment où la bouteille est débouchée ;
mais ici l'eau projetée par gouttelettes dans un gaz pres-
que incandescent, se transformera subitement en une
vapeur très-élastique, et la soupape, quoique entièrement
ouverte, ne fournissant plus une issue suffisante, les
parois de la chaudière devront se déchirer.
11 y a trois hypothèses dans cette explication. L'auteur
suppose d'abord qu'à partir de la hauteur où elles ne sont
plus baignées par l'eau, les parois de la chaudière peu-
vent acquérir une température très- élevée et la commu-
niquer à la vapeur qu'elles enveloppent, sans que l'eau
sur laquelle cette vapeur repose se ressente beaucoup de
cet échauffement. II admet ensuite que l'eau en ébullition
est projetée de bas en haut, jusqu'à une certaine hau-
teur, sous la forme de mousse, dès que l'on supprime ou
même dès que l'on diminue seulement beaucoup l'atmo-
sphère élastique qui la pressait, pourvu que le change-
ment se fasse subitement; il imagine enfm que l'eau
A VAPEUR. 453
ainsi disséminée dans une masse de vapeur surchargée de
calorique, se transforme elle-même subitement en vapeur.
Je pense que personne ne refusera d'accorder le pre-
mier point. Quand un vase métallique placé sur un brasier
ardent ne rougit pas, c'est que Teau enlève continuelle-
ment la chaleur dont ses parois s'imprègnent et empêche
qu'elle ne s'y accumule. La vapeur ne saurait évidem-
ment produire cet effet au même degré. Si la flamme du
foyer atteint la chaudière dans une partie située au-dessus
du niveau de l'eau, cette partie pourra acquérir la chaleur
rouge et la communiquer à la couche de vapeur voisine
qui , à son tour, la disséminera aussitôt dans toute l'éten-
due de la chaudière où elle circulera en montant , c'est-
à-dire dans l'espace non rempli d'eau, qu'on appelle la
chambre à vapeur. Voici des exemples de ces effets :
M. Moyle découvrit une fois, en visitant ses machines de
Comouailles, qu'une d'entre elles était si bien dans toutes
les conditions dont je viens de parler, qu'une échelle en
bois qui reposait par son pied sur le sommet de la chau-
dière avait pris feu. Un semblable événement arriva dans
l'un des paquebots qui font la traversée de Liverpool à
DubUn : une planche de sapin qu'on avait jetée acciden-
tellement sur le couvercle de la chaudière, s'était enflam-
mée. J'ai déjà rapporté l'événement de Pittsburg ( ch. x,
p. 132) : ici, comme on peut se le rappeler, l'ingénieur
depuis assez longtemps avait vu qu'une des chaudières
devenait rouge. Voici enfin, sur le même objet, une
expérience directe de M. Perkins.
Une chaudière cylindrique de 1"*.22 de long et de
0".30 de diamètre, ayant été placée verticalement sur un
454 EXPLOSIONS DES MACHINES
fourneau , la base fut entourée de feu qui B'éievait au tiers
de la hauteur de la chaudière « tandis que Teau, plus
basse , ne baignait que le sixième de cette même hau-
teur. Il résultait de cet arrangement que deux fiixièmes
de la surface du vase recevaient immédiatement Taclion
.du feu. L'un de ces sixièmes était au-dessus de Teau,
r.autre au-dessous. La soupape de sûreté, diargée oPeD-
iriron une .atmosphère^ se trouvait jsut le côté de la
.ehfiudière, àia moitié de sa hauteur. On remplaçait ïeaxi
(transformée en vapeur que cette soiq)ape laissait échaj^r
Aufur et à mesure de sa fuite.
Un thermomètre plongé dans Teau et descendant jus-
qu'au fond du vase , marquait iO&* centigrades. Telle
était aussi la température de la couche de ivapeor placée
à la surface de Peau ; mais au milieu de la hauteur de la
>chaudière , le thermomètre accusait 260'' et le couvercle
tétait rouge.
de premier point éclairci ^ je passe au second.
Il est des liquides qui, pendant leur éhullitioa, éprou-
vent quelquefois d'assez violents soubresauts. L'scdde boI-
;furique, par exemple, est dans ce cas. Le lait âst otjet
-au même •accident^ mais à un nraindre degré. £n «xami-
nant avec attention de Teau qui bout vivement, on aper-
çoit de temps à autre de petites gouttelettes qui sont
iprojetées assez haut. Tout cela dépend évid^nment de la
viscosité du liquide et de la difficulté qu'éprouvent les
bulles de vapeiu* à se frayer un ipassage dans k masse
qu'elles doivent traverser. Lorsque ces bulles en^prisott-
nées sont très-nombreuses et qu'une forte pression exercée
à la surface du liquide enipôche seule leur ascension, on
A VAPEUR. 45S
conçoit que si la pression cesse tout à coup , le dégage-
ment, au lieu d'être graduel comme dans les circonstances
ordinaires, soit tumultueux ; que le liquide mousse comme
les eaux gazeuses, qu'il devienne tout entier une espèce
d'écume , mi-partie composée d'eau et de vapeur, et que
par là son volume B^étant prodigieusement accru, il se
répande dans toute la capacité de la chaudière. Une expé-
rience directe^ faite dans on vase tran^arent, montre-
rait bientôt entre quelles limites toutes ces déductions
sont exactes.; mais, «n attendant, on voit que Panalogie
nous autorise à admettre, comme M. Perkins le fait,
qu'en cas d'une subite diminution dans Télasticité de la
vapeur, l'eau peut sortir de son niveau et aller f emplir
toute la capacité de la chaudière»
Occupons -nous enfin de la troisième hypothèse de
l'ingénieur américain : je veux dire de la brusque trans-
formation de l'eau en fluide élastique. Ici des expériences
directes nous serviront de guide.
M. Perkins ayant rempli d'eau un de ces cylindres
métalliques qu'il appelle des générateurs , porta sa tem-
pérature à 260* centigrades. A côté de ce cylindre existait
un récipient dans lequel il n'y avait point d'eau et qui
renfermait seulement de la vapeur très- peu dense ; sa
température était de 650* environ. Ces deux vases pou-
vaient communiquer par un tube intermédiaire qu'une
soupape suffisamment chargée fermait ordinairement.
Cela posé, il est évident que lorsqu'à Faide d'une
pompe foulante on injectait un certain volume d'eau
froide par l'un des bouts du générateur, la soqpape de
communication devait s'ouvrir à l'autre bout et donner
456 EXPLOSIONS DES MACHINES
passage à un égal volume d'eau chaude qui pénétrait tout
à coup dans le récipient pour s'y transformer en vapeur ;
or une soupape particulière dont ce récipient lui-même
était armé, donnait le moyen de reconnaître si cette trans-
formation s'opérait subitement.
M. Perkins affirme qu'en effet elle était instantanée;
qu'à peine la pompe foulante d'injection avait agi , que
la soupape de sûreté du récipient accusait des élasti-
cités de quarante à cent atmosphères: quarante pour une
médiocre injection, et cent dans le cas d'une injection
abondante.
L'expérience que je viens de rapporter ne donnerait
lieu à aucune difficulté, elle compléterait la théorie de
M. Perkins, elle présenterait l'image fidèle de ce qui peut
se passer dans une chaudière ordinaire , si elle avait été
faite avec de l'eau à 100 ou 120 degrés centigrades. Au
reste, comme 260*, température de l'eau employée, sont
bien loin de correspondre à une élasticité de 100 atmo-
sphères, il demeure toujours établi qu'une partie de cette
eau est devenue instantanément de la vapeur ; or c'est là,
pour le moment , tout ce qui nous était nécessaire.
Observons, toutefois, qu'il ne résulte en aucune ma-
nière de l'expérience en question , que ce soit par l'in-
fluence de la vapeur rare, mais portée à la température
du fer rouge, que l'eau devienne subitement de la vapeur
très-élastique. Cette partie de l'opinion de M. Perkins,
comme Dulong en a fait la remarque, se concilierait
difficilement avec ce qu'on sait de la chaleur spécifique
de la vapeur d'eau. Tout porte donc à croire que Tingé-
ïïieur américain a eu tort de nier l'action directe que les
A VAPEUR. 457
parois incandescentes exercent sur le phénomène dont il
s'est occupé»
Voyons, à présent, si, en partant de la production
subite de vapeur comme d'un fait, on peut donner une
explication satisfaisante de Tensemble des événements
extraordinaires que j'ai précédemment cités.
Quant à l'explosion de la chaudière de M. Gensoul
(chap. vïi, p. 128), elle se rattache si bien aux idées de
M. Perkins, qu'elle semble être arrivée tout exprès pour
les confirmer. On peut dire, en effet, qu'au moment de
l'ouverture du robinet, l'eau déchargée tout à coup d'une
grande partie de la pression qu'elle supportait, put s'élever
jusqu'au couvercle, et qu'en traversant un vase à parois
probablement très-échauffées, semblable en cela aux géné-
rateurs de M. Perkins , elle se transforma si brusquement
en vapeur que le robinet n'offrit plus une ouverture
suffisante.
Le même raisonnement s'appliquera à l'expérience de
MM. Tabareau et Rey (p. 129), car leur chaudière étant
fort petite et placée à nu sur un brasier de charbon,
pouvait, comme je m'en suis assuré, être enveloppée par
la flamme dans la portion que l'eau ne remplissait pas. Si
nous n'avons pas trouvé, Dulong et moi, qu'une augmen-
tation de pression suivît l'ouverture de la soupape , c'est
que notre chambre à vapeur étant assez grande , et le
trou de la soupape très-petit, il ne pouvait y avoir qu'une
détente insensible et graduelle dans le ressort de la va-
peur intérieure, et qu'en tout cas notre chaudière, établie
avec soin sur un fourneau de maçonnerie, était exposée
au feu dans la seule partie que l'eau remplissait.
4S» EXPLOSIONS DRS^ MACHINES
Le ralentissement dans la marche de la machine,
observé quelque temps avant l'explosion, soit à Essonnes,
soit à Paris , soit en Amérique , me paraît également une
conséquence de la théorie de M. Perkins. On a va, en
effet, que, d'après cette théorie, iorsqu*une explosion
arrive, le niveau de Teau doit avoir beaucoup baissé dans
la chaudière, soit que la pompe alimentaire se trouve mal
en ordre ou que le tuyau, nourricier ait été engorgé; or,
tft quantité de vapeur produite dans un temps donné,
étant en général proportionnelle à retendue de la surface
métallique en contact avec le liquide, si tout se trouvait
primitivement calculé de manière à fournir juste à la
consommation, après la diminution de surface de chauffe,
comme disent les constructeurs, ii ne doit plus y avoir
assez de vapeur pour donner aux appareils leur allure
habituelle. Peut-être imaginera-t-on qu'à l'aide de l'excès
de température que la vapeur produite va puiser sur les-
parois très -chaudes du couvercle de la chaudière, il y
aura compensation ; mais une considératioa très-simple
prouvera qu'on aurait tort de compter sur cet effet. Dans
un vase déterminé, la vapeur doit évidemment avoir
partout la même élasticité. La couche inférieure, celle
qui est en contact avec l'eau , a une tension déterminée
par la température du liquide ; la tension des couches
supériciu-es , échaufiécs par les parois rouges dont elles
sont entourées, ne pourra donc jamais surpasser celle de
la couche basse. Ainsi , au total , la chaudière contiendra
de la vapeur d'une densité inférieure à c^lle de la vnpeiu"
saturée do jnême élasticité, mais voilà tout.
Dans les idées de M. Perkins , au moment qui précède
A VAPEUR. 459>
Texplosion, c*est-à-dîre an moment où la soupape s^ouvrey
la vapeur se trouvait avoir atteint la tension limite sous-
laquelle la machine était destinée à agir ; mais alors même
le mouvement du piston devait être peu rapide , car de
la vapeur plus chaude que les parois du corps de pompe,
perd par voie de refroidissement une grande partie de
son ressart.
Ce serait , je croîs , une prétention bien vaine , que de
votiloîr déduire de Texplication précédente ou de toute
autre théorie, la forme des lignes le long desquelles une
chaudière se déchirera, le nombre et la grosseur des
fragments, lies directions dans lesquelles ils seront pro-
jetés, etc. , etc. Tout cela , en effet , peut être modifié de*
mille manières par des circonstances qu'on aurait de la
peine à saisir, alors même que le phénomène se dévelop-
perait lentement sous nos yeux. Mais il arrive trop souvent
que la ligne de rupture est régulière et horizontale, pour
qu'il ne soit pas naturel de supposer qu'elle marquait la
hauteur de l'eau sur les parois de la chaudière , et dès'
lors il devient curieux de rechercher comment, malgré
les inégalités d'épaisseur qu'on y remarque souvent, cette
ligne de niveau , par cela seul que le liquide en dessine
le contour, semble devenir la ligne de moindre résis-
tance. Si je ne me trompe, cette particularité pourrait être*
expliquée ainsi qu'il suit.
Dans l'instant indivisible qui précède l'explosion, la
tension de la vapeur est considérablement et subitement
affaiblie. A cela doit correspondre un mouvement de
flexion de la chaudière de dehors en dedans ; mais comme
ce mouvement se fait d'une manière brusque, la partie
460 EXPLOSIONS DES MACHINES
pleine l'éprouvera à peine, à cause de l'inertie du liquide,
qui, évidemment, ne saurait être surmontée dans un
temps extrêmement court
Cette flexion de dehors en dedans se fera donc autour
de la ligne de niveau du liquide intérieur comme char-
nière; mais on a vu qu'un subit développement de vapeur
très-élastique succède à l'ouverture de la soupape; ainsi,
après s'être contractée, la chaudière s'étendra tout à
coup. Or, lors même qu'on admettrait qu'elle éprouvera
simultanément ce second effet dans toutes ses parties,
toujours est- il que le mouvement rétrograde sera très-
faible au- dessous du niveau primitif de l'eau , par cela
seul que le mouvement direct y avait été insensible. Le
plan de ce niveau primitif tracera ainsi sur les parois de
la chaudière la ligne où la première fois la flexion de
dehors en dedans avait cessé de se faire sentir, comme
aussi la seule ligne où dans l'oscillation rétrograde les
parties contiguës du métal n'auront pas des mouvements
pareils. Or il suffit d'avoir vu une seule fois avec quelle
facilité les ouvriers brisent des lames des métaux les plus
malléables, quand ils leur font éprouver subitement deux
flexions contraires le long d'une certaine ligne, pour
comprendre que la courbe où le niveau du liquide s'élève
dans une chaudière, en tant qu'elle est aussi la charnière
autour de laquelle les deux mouvements de flexion se sont
opérés, doit être le plus ordinairement la ligne de rup-
ture, quoique par l'épaisseur du métal, comme à Lyon,
elle ne soit pas sur tous ses points la ligne de moindre
résistance. Cette même ligne, au demeurant, et la remar-
que ne doit pas être omise , est celle où le métal , com-
à
A VAPEUR. 4C4
mençant à s'échauffer plus que Teau, partage la chaudière
en deux zones de ténacités très-r différentes.
J'ai insisté précédemment sur la rupture presque simul-
tanée de plusieurs chaudières employées conjointement à
l'alimentation d'une même machine à feu, comme sur un
fait très -digne d'attention et dont il importerait de cher-
cher la cause. Mais serait-il bien difficile de la trouver, si
l'on admet, avec M. Perkins, qu'une explosion a presque
toujours pour origine un grand abaissement du niveau de
l'eau , et un échauffement extraordinaire des parois de la
chaudière ? Ne pourrait-on pas dire qu'ordinairement ces
conditions doivent se rencontrer à la fois dans les diverses
chaudières? car, d'une part, c'est la même pompe qui
les alimente, et, de l'autre, dès qu'un ralentissement
se manifeste dans la marche de la machine, il est bien
naturel que les ouvriers poussent vivement le feu dans
chaque fourneau. Cela posé, supposons qu'une première
chaudière éclate à la suite de l'ouverture de sa soupape.
Le tube par lequel passait la vapeur de cette chaudière
pour se rendre au corps de pompe, a dès cet instant son
embouchure dans l'atmosphère ; or, chaque chaudière est
surmontée d'un pareil tube, et tous aboutissent à un seul
et même tuyau métallique. Par ce tuyau, la deuxième,
la troisième, etc., chaudières, se trouvent ainsi en libre
communication avec l'air; la vapeur, qui les remplissait,
suit rapidement cette large voie pour s'échapper, et, dans
un temps inappréciable, les conditions d'effraction se
rencontrent là comme dans la chaudière déjà brisée, sans
qu'on ait besoin d'admettre que toutes les soupapes
s'étaient ouvertes presque en même temps.
v.— n. il
162 EXPLOSIONS DES MACHINES
rai parié (chap. ïi, p. 13S) d'nne chaudière qui fit
explosion en Faîr. Snirant toute apparence , quand celle
de Lochrin (p. 120) éclata, elle s'était aussi élevée de i
à 5 mètres au-dessus de la maçonnerie qui la supportait.
Quoique ce fait semble se rattacher également bien à
plusieurs des théories qu^on a données des explosions , et
que dès lors il ne puisse point nous diriger dans notre
choix , il ne sera pas superflu de montrer comment celle
de M. Perkins s'y applique sans eflbrt.
On se trompait beaucoup quand on supposait qu^une
chaudière composée de plaques malléables resterait néces-
sairement en place, quelque ouverture qui s'y formât
Cette erreur, dans laquelle étaient tombés, par exemple,
plusieurs de ceux qui naguère s'occupaient des appareils
à gaz portatif, pourrait être la cause de graves accidents.
Il est bien vrai qu'un vase complètement fermé reste
immobile , quelle que soit l'élasticité du gaz qu'il con-
tient ; mais c'est qu'alors la pression en chaque point de
l'enveloppe est exactement contre-balancée par la pres-
sion qu'éprouve le point opposé. Par Teffet de la pression
sur la face supérieure , le vase tend à monter, et il mon-
terait , en effet , en supposant cette pression suffisante, si
l'on pouvait anéantir la force précisément égale qui , en
même temps, pousse de haut en bas la paroi inférieure;
or, tout le monde doit voir que détruire brusquement cette
paroi ou anéantir la force dont elle était le point d'appui,
c'est tout un.
La force non contre -balancée qui engendre le mouve-
ment dans tous les cas analogues au précédent , s'appelle
force de réaction. C'est, par exemple, en vertu d'une force
A VAPEUR. m
de cette nature qu'une fusée s'élève dans Taîr ; car le gaz
résultant de Tinflamniation de la poudre trouve une paroi
sur laquelle il peut agir vers la poinjte de la fusée, tandis
qu'à Topposite, à la base du cône, la paroi manque.
Ces préliminaires établis , quelques mots vont suffire
pour montrer comment , dans les idées de M. Perkins ,
une chaudière peut faire explosion en Tair.
L'explosion , suivant ce mécanicien , eèt toujours pré-
cédée d'un grand dégagement de vapeur. Quand c'est
par la soupape, ordinairement placée dans le haut du
couvercle, que ce dégagement s'opère, la force de réac-
tion , loin de tendre à soulever la chaudière , l'appuie au
contraire davantage sur sa base ; mais si la fuite de vapeur
a lieu de haut en bas par quelque fissure située vers les
parois inférieures, la chaudière pourra être projetée sui-
vant la direction opposée, car alors elle se trouvera dans
les mêmes conditions qu'une fusée. Il suffira pour cela
de douer la vapeur d'un ressort convenable. Ajoutons que
les oscillations du liquide, suite de cet énorme boulever-
sement, ne pourront manquer d'amener, indépendam-
ment des autres causes déjà signalées, la brusque pro-
duction de vapeur dont l'explosion de la chaudière est la
conséquence.
La théorie de M. Perkins, ainsi qu'on vient de le voir,
rend un compte assez satisfaisant de toutes les explosions
dont j'ai pu réunir les circonstances, et qu'un affaîbhsse-
ment dans le ressort de la vapeur avait précédées ; comme
d'ailleurs elle n'emprunte à la physique aucune hypothèse
que la science repousse, il semble qu'on doive se hâter,
dès ce moment, sinon de l'adopter, du moins de prendre
464 EXPLOSIONS DBS MACHINES
les mesures de précaution qu'elle suggère. Ces mesures,
au reste, sont très-simples :
Empêcher, par tous les moyens possibles, par exemple,
à l'aide de plaques fusibles , qu'aucune partie de la chau-
dière ne devienne jamais rouge ou ne s'échauffe trop
fortement ;
Donner conséquemment la plus grande attention , soit
aux moyens d'alimentation, soit aux appareils dépendants
de la chaudière, et à l'aide desquels on peut toujours
savoir où se trouve le niveau de l'eau ;
Si , malgré les soins de l'ingénieur, les parois venaient
à rougir en quelques points, éviter alors toute brusque
ouverture des soupapes, ou des manœuvres analogues
qui permettraient à la vapeur déjà produite de se ré-
pandre rapidement dans l'atmosphère ;
Enfin , éteindre le feu aussi rapidement qu'on le pourra.
§ 8. — Comparaison de l'explication de M. Perkins avec les théories qne
d'autres ingénieurs Ont proposées; nouvelles causes d'explosions.
Quoique j'aie présenté avec beaucoup de détail et
sous un jour favorable les idées dont on est redevable à
M. Perkins , concernant les dangereuses explosions que ,
malgré le bon état des soupapes, les chaudières éprou-
vent trop souvent, je suis loin cependant de regarder
cette explication comme tellement évidente qu'on ne puisse
conserver aucun doute. Je vais donc réunir ici quelques
aperçus sur le même sujet, que j'ai puisés dans les ou-
vrages imprimés ou manuscrits qu'il m'a été donné de
consulter, et j'y joindrai l'indication de plusieurs causes
A VAPEUR. 465
particulières d'explosion dont ringénîciu: américain n*a
pas parlé. J'aurai ainsi rempli la tâche que je m'étais
imposée : elle consistait à présenter le tableau le plus
complet possible des connaissances qu'on a acquises sur
les fâcheux accidents que la rupture des chaudières occa-
sionne; ceux qui se croiraient appelés à l'étendre sauront
ainsi quel doit être leur point de départ.
L'un de nos plus habiles constructeurs de vaisseaux,
M. Marestier, a donné pour le genre particulier d'explo-
sions dont M. Perkins s'est occupé, une théorie qui, dans
son ensemble, a quelque analogie avec celle de cet ingé-
nieur; il est un point cependant sur lequel les deux auteurs
diffèrent essentiellement.
M. Marestier, comme M. Perkins, admet que quelques
instants avant l'explosion l'eau manque en partie dans la
chaudière ; qu'une portion des parois destinée par le
constructeur à recevoir directement l'action du feu , étant
alors laissée à découvert, acquiert une haute température
et peut même devenir rouge ; qu'au moment de l'ouver-
ture d'une soupape ou d'une fuite accidentelle de vapeur,
le niveau de l'eau monte, ainsi que nous l'avons déjà
expliqué, soit à cause de l'espèce d'ébullition tumultueuse
qu'amène l'affaiblissement de la pression intérieure , soit
à cause de la flexion que la chaudière éprouve, au même
moment, de dehors en dedans, et d'où résulte inévitable-
ment une diminution dans sa capacité. M. Marestier sup-
pose de plus que l'eau ainsi soulevée venant à toucher la
partie des parois que la flamme du fourneau a portée au
rouge, se transforme subitement en vapeur, et en telle
abondance, qtie la soupape de sûreté ne suffit plus à son
466 EXPLOSIONS DES MACHINES
dégagement. Dans les chaudières des bateaux, les grandes
oscillations que les vagues font naître sont une cause par-
ticulière qui contribuera avec les autres à porter Teau sur
1^ parois rougies.
On se rappelle que, suivant M. Perkins, c'est la dissé-
mination de Teau dans de la vapeur rare, uîais à une
très-haute température, qui donnerait subitement lieu à
un grand développement d'élasticité ; tandis que, d'après
TA. Marestier, ce serait l'ariivée de l'eau sur le métal
rouge qui ferait naître tout à coup une énorme quantité
de vapeur. Rien assurément, au premier coup d'œil, no
doit paraître plus raisonnable que cette dernière supposi-
tion ; mais dans l'étude des phénomènes naturels , il faut
bien se rappeler, comme disait Fontenelle, c que dès
qu'une chose peut être de deux façons, elle est ordinai-
rement de celle qui semble la plus contraire aux appa-
rences. » Il arrive, en effet, quelque bizarre que cela
puisse paraître, qu'un métal porté au rouge-blanc semble
très-peu propre à produire de la vapeur : si l'on dépose
une goutte d'eau dans un vase métallique incandescent ,
elle est fort longtemps à se vaporiser, tandis que dans ce
même vase médiocrement chaud elle disparaît sur-le-
champ.
Dans une expérience de Klaproth, la seule que je
citerai, une seule goutte d'eau jetée sur une cuiller de
fer portée au rouge -blanc, employait 40 secondes à se
vaporiser. Si après ce temps on laissait tomber une
deuxième goutte , comme la cuiller s'était déjà refroidie ,
son évaporation complète n'exigeait que 20 secondes. La
goutte qu'on versait après l'évaporation de la deuxième^
A VAPEUR. i|67
disparaissait en 6 secondes ; une quatrième goutte en k
secondes ; une cinquième en 2 secondes ; la sixième, enfin,
s'évaporait dans un temps inappréciable.
Malgré ces curieuses observations , je Tai déjà dit
(p. 156), il semble que l'action directe des parois incan-
descentes d'une chaudière joue le principal rôle dans la
transformation d'eau en vapeur dont l'explosion est la
conséquence; mais, il faut le reconnaître, pour compléter
sa théorie, M. Marestier devrait expliquer pourquoi l'eau
de la chaudière se comporte tout autrement que les petites
gouttes dans l'expérience de Klaproth. Si l'on trouvait,
par exemple, qu'ime goutte d'eau projetée avec force sur
une surface métallique incandescente.se vaporise sur-le«
champ, tous les doutes auraient disparu et l'explosion 4e
la chaudière rouge de Pittsburg (chap. x, p. 132) ne
semblerait plus une anomalie pour laquelle il faudrait
chercher de nouvelles causes. Au reste, je dois le remar-
quer en terminant, MM. Perkins et Marestier ne diffèrent
que sur un point de théorie. Le fait de la transformation
brusque de l'eau en vapeur, constaté expérimentalement
par le premier, étant admis par le second, il importe
peu, quant aux mesures de sûreté qu'il faudra adopter,
que les parois incandescentes aient amené cette transfert
mation, ou comme le suppose M. Perkins, ou comme l'ad-
met M. Marestier. Dans l'une et dans l'autre hypothèse,
il faudra empêcher la chaudière de rougir, et, si le cas se
présente , éviter toute brusque ouverture des soupapes.
M. Gensoul, dont le nom est si honorablement lié aux
progrès de l'industrie lyonnaise, explique tout autrement
que MM. Perkins et Marestier les fâcheux effets qu'une
468 EXPLOSIONS DES MACHINES
brusque ouverture des soupapes amène quelquefois. Voici
un aperçu des idées de cet habile praticien :
Lorsqu'un tuyau métallique renferme un liquide très-
fortement pressé , il suffit pour le rompre de frapper ses
parois d'un petit coup sec , tandis qu'une augmentation
de pression, même très-grande, aurait pu ne pas pro-
duire d'effraction, si elle avait eu lieu d'une manière
graduelle et sans secousse. Ce fait est bien constaté ;
M. Gensoul croit pouvoir l'étendre aux chaudières. Sui-
vant lui, quand les parois de ces grands vases. ont été
fortement tendues de dedans en dehors par la vapeur, le
moindre choc doit les rompre , comme s'ils étaient rem-
plis d'un liquide soumis à une grande pression; or, il
pense pouvoir assimiler à un choc le vif mouvement de
recul que la chaudière reçoit dans la partie de sa paroi
diamétralement opposée à celle qui, tout à coup, livre
passage à la vapeur. Si c'est , par exemple , la soupape
du couvercle qu'on ouvre brusquement, ce sera le fond
de la chaudière qui recevra le contre-coup; la secousse
aura lieu sur la paroi de droite, si c'est par la gauche que
la vapeur s'est échappée, etc., etc.
Cette ingénieuse explication fait naître plusieurs doutes.
D'abord, il ne paraît pas évident qu'à égalité de pression
intérieure, un choc doive produire un égal dommage sur
deux vases dont l'un serait rempli d'eau et l'autre de
vapeur : l'incompressibilité du liquide semble en effet
pouvoir être ici de quelque importance. En second lieu,
M. Gensoul suppose qu'avant l'explosion, la vapeur con-
tenue dans la chaudière avait un très-grand ressort; et,
au contraire, nous avons vu qi^'il arrive souvent de tels
A VAPEUR. I6Î)
accidents au moment même où la marche lente des
machines semblerait devoir inspirer toute sécurité. Ainsi,
sous ce rapport, l'explication est au moins incomplète.
Après cela, on ne saurait nier que dans tous les cas d'une
rupture subite, la réaction de la vapeur ne doive jouer
un rôle important, comme le croit Phabile ingénieur de
Lyon. J'ai même indiqué, aux pages 162 et 163, le genre
d'accidents que cette réaction pourra le plus ordinaire-
ment occasionner.
Quelques personnes, frappées de la grandeur et de
l'instantanéité des effets qui résultent souvent des explo-
sions des chaudières, se sont persuadé que la vapeui*
seule ne saurait les produire , et ont appelé à leur aide
des gaz susceptibles eux-mêmes de faire explosion. Pour-
quoi, disent-elles, puisque dans les laboratoires de chimie
on obtient le gaz hydrogène en faisant passer de la
vapeur d'eau le long d'un tube de fer rougi au feu, pour-
quoi le même gaz ne s'engendrerait-il pas au sein de la
chaudière où la vapeur est aussi quelquefois en contact
avec des parois métalliques rougies? Voilà bien, nous
l'accordons, le gaz produit. Mêlé à la vapeur, il passera
avec elle dans le corps de pompe ; or, comme il n'est pas
susceptible de condensation, on ne l' évacuera qu'au prix
d'une grande dépense de force, et les effets de la machine
seront considérablement affaiblis. J'admettrai, si l'on
veut, que c'est là l'origine de la perte de vitesse qui pré-
cède ordinairement la rupture de la chaudière dans le
genre d'accidents dont nous nous occupons ; mais cette
rupture, enfin, comment arrivera-t-elle? L'hydrogène
tout seul ou mêlé à de la vapeur d'eau ne saurait détoner.
no EXPLOSIONS DES MACHINES
Un mélange dans des proportions convenables d'hydro-
gène et d'oxygène est susceptible de faire explosion;
mais comment rassembler ces deux gaz dans la chau-
dière? L'hydrogène était le fruit de l'oxydation du métal;
l'oxygène, d'où proviendrait-il? Peut-être dira-t-on que
c'est de l'air contenu dans l'eau d'alimentation ; mais à
cela je répondrai que l'eau est chaude, qu'elle renferme
dès lors une quantité d'air fort petite, et, de plus, qu'au
fur et à mesure de son dégagement , elle passe dans le
corps de pompe avec la vapeur motrice. J'ajouterai,
enfin, que l'oxygène de l'air se combinerait beaucoup
plutôt avec les parois incandescentes de la chaudière que
celui de la vapeur d'eau, et qu'ainsi, en cas de pro-
duction d'un mélange gazeux, il se composerait, non
d'hydrogène et d'oxygène, mais d'hydrogène et d'azote.
Au reste, cette difficulté serait résolue qu'on ne serait
guère plus avancé. En efi*et, un corps porté au rouge vif
et l'étincelle électrique sont les seuls moyens que Ton
connaisse de réunir brusquement les deux principes con-
stituants de l'eau. Or des chaudières ont éclaté sans avoir
atteint la température qui semble nécessaire pour pro-
duire une détonation. Reste donc l'étincelle électrique;
mais où la prendrions-nous? Je n'ignore pas qu'en Amé-
rique on a prétendu que l'explosion de la chaudière du
bateau Y Entreprise de Savannah fut occasionnée par une
décharge électrique à laquelle le courant ascendant de
fumée qui sortait de la cheminée avait sei^vi de conduc^
teur ; mais , en supposant le fait vrai , rien ne dit que la
foudre trouva dans la chaudière un mélange gazeux à
enflammer, et qu'elle n'agit pas là seulement comme elle
A VAPEUR. m
le fait d'ordinaire, c*est-à-dire en brisant en éclats les
corps qui se trouvent sur son passage. Au reste, j'admet-
trai, si Ton veut, avec les partisans du système dont je
viens de donner l'analyse, que l'étincelle électrique ait
pu être une cause CKceptionnelle d'explosion , qu'elle en
soit une cause possible ; mais j'aurai grand' peine à me
persuader qu'on veuille sérieusement faire jouer un rôle
à cet agent, je ne dis pas dans toutes, mais seulement
dans la centième partie des explosions.
Découragés par la difficulté de réunir dans la chau-
dière même les deux éléments gazeux qu'ils voulaient
faire détoner, quelques ingénieurs ont supposé qu'il n'y
en avait qu'un, l'hydrogène, et que ce gaz, après une
déchirure des parois, venant se mêler avec l'air du foyer^
détonait. Ainsi l'inflammation du mélange explosif ne
serait plus la cause première de la rupture de la chau-
dière, mais elle en aggraverait les effets : ce serait- une
explosion dans le foyer qui lancerait au loin, ou la chau-
dière tout entière, ou ses éclats et ceux du fourneau.
Que dirai-je de ces idées, si ce n'est que je ne connais
pas une seule explosion dans laquelle on ait pu s'assurer
que de l'hydrogène engendré dans la chaudière avait
contribué à la produire.
Examinons maintenant si, comme, divers ingénieurs
l'ont pensé, les éléments détonants ne pourraient passe
trouver naturellement dans le foyer même, et produii'e
de fâcheux effets.
Suivant ces ingénieurs, l'hydrogène carboné serait
fourni par le charbon de terre, comme dans les usines à
gaz, et l'hydrogène pur, si c'était nécessaire, par la
172 EXPLOSIONS DES MACHINES
décomposition de Teau qui suinte entre les plaques impar-
faitement assemblées de la chaudière et tombe sur le
charbon. Quant à Toxygène, sans lequel il rfy aurait pas
de détonation , ils l'empruntent à cette portion assez
grande du courant Jair ascendant qui traverse le cen-
drier sans être décomposée.
Quand on a vu ces brillantes colonnes de flamme qui,
de temps à autre, apparaissent aux plus hautes che--
minées d'usines, on ne saurait douter que les gaz qu'en-
traîne le tirage ne puissent quelquefois constituer des
mélanges explosifs. Or, il suffit de supposer qu'un de ces
mélanges se soit formé dans quelque encoignure du foyer
pour qu'on ait tout à redouter de son inflammation. Si la
détonation est un peu forte, il semble difficile, en effet,
que les parois de la chaudière résistent et ne soient pas
écrasées.
J'ai dit comment il était possible que des mélanges
explosifs se formassent dans le foyer même; je dois
ajouter que certains accidents n'ont pu évidemment tenir
qu'à cette cause : je veux parler des explosions qui se
manifestent sous des chaudières à évaporation entière-
ment ouvertes par le haut. Je tiens de mon illustre ami
Gay-Lussac, qu'un fourneau de la raffinerie de salpêtre
établie à l'Arsenal de Paris fut démoli en totalité par
une explosion de cette espèce; la chaudière demeura
intacte.
Pour prévenir ce genre d'accidents, il faut, autant que
possible, éviter les coudes montants et descendants dans
les conduits destinés à la fumée; car c'est principalement
dans ces coudes qu'il peut se confiner des mélanges déto-
A VAPEUR. 473
nants. li est nécessaire aussi que le registre de la che-
minée ne se ferme jamais hermétiquement, comme je
Tai expliqué ailleurs (chap. xvi, p. 150). Pour éviter,
enfin , que le gaz du charbon se dégage sans brûler, il
importe de maintenir des vides suffisants entre les bar-
reaux de la grille. Si le charbon est bitumineux et col-
lant, les différents morceaux se soudent les uns aux
autres, et forment une croûte presque impénétrable à la
flamme quand la couche est très-épaisse. Le foyer devient
alors un véritable appareil distillatoire, donnant beaucoup
d'hydrogène carboné et très-peu de chaleur. Charger la
grille par petites couches de charbon n'est donc pas seu-
lement un procédé économique, c'est encore une impor-
tante mesure de sûreté. Les chauffeurs qui, par paresse,
encombrent les fourneaux de combustible, nuisent à la
marche de la machine, l'exposent aux plus graves acci-
dents , et compromettent leur propre vie : on ne saurait
donc les surveiller avec trop de soin.
Me voilà presque parvenu au terme de ma tûche;
il ne me reste plus qu'à signaler une dernière cause
d'explosion qui n'est pas sans importance.
11 est bien rare que l'eau dont on se sert pour alimenter
les chaudières soit pure. Le plus souvent cette eau con-
tient des matières salines qui se déposent pendant l'ébul-
lition, et finissent par former sur les parois intérieures
une croûte pierreuse dont l'épaisseur va croissant chaque
jour. Tant que cette croûte n'existait pas, la chaleur
absorbée par le métal se transmettait très -rapidement
à l'eau, et les parois de la chaudière n'acquéraient
jamais une température très-élevée; mais dès qu'une
Mi EXPLOSIONS DES MACHINES
substance peu conductrice, comme le sont toutes les
matières pierreuses, tapisse la chaudière, la chaleur ne
parvient à l'eau qu'avec beaucoup de lenteur; les parois
métalliques, recevant du foyer à chaque instant plus de
calorique que le dépôt pierreux ne leur en enlève,
deviennent de plus en plus chaudes -et finissent même
quelquefois par arriver à Ja température rouge; or, il
faut remarquer que ce n'est pas là seulement l'occasion
d'une grande perte de chaleur, car les métaux incan-
descents ayant très -peu de ténacité, les explosions
deviennent alors imminentes. On apercevra d'ailleurs
aussi sans difficulté combien il faut craindre, quand la
chaudière est rouge, que l'eau comparativement très-
firoide qu'elle renferme, ne vienne à se répandre sur sa
surface par quelque fissure de la croûte pierreuse. Dans
cette circonstance, une chaudière de fonte craquerait
probablement à l'instant; et quant aux chaudières com-
posées de plaques malléables, si elles ne cédaient pas ,
elles éprouveraient du moins les tiraillements les plus
fâcheux. J'ajouterai enfm que les portions métalliques
qui rougissent, s'oxydent et se détériorent très-prompte-
ment. Comme exemple, je pourrais citer la chaudière
destinée au chauffage d'un des plus grands monuments
de la capitale, dont la paroi inférieure se troua dans la
partie où, par mégarde, un ouvrier avait intérieurement
laissé un chiffon.
On voit à quel point il importe que la chaudière soit
bien nettoyée. Dans les bateaux à vapeur qui emploient
de l'eau de mer, l'enlèvement du dépôt salin doit être
effectué toutes les vingt-quatre heures au moins. Quand
A VAPEUR. 475
Teau d'alimentation est pure, on peut ne faire cette opé-
ration qu'à de grands intervalles. On ne saurait, sur
cela, donner de règle générale; c'est à l'ingénieur à voir
expérimentalement de quelle manière et avec quelle rapi-
dité les éléments salins se précipitent des eaux qu'il est
forcé d'employer. Depuis qu'il est reconnu que la fécule
de pomme de terre et la drêche empêchent les dépôts
pierreux de se former, on a proposé de jeter de temps à
autre uiie certaine quantité de ces matières dans la chau-
dière ; . mais je ne sache pas que cet usage se soit encore
beaucoup répandu.
Je placerai ici une Note que m'a remise, le 17 mai
1837, un des chimistes illustres qu'a possédés l'Académie
des sciences, M. d'Arcet. Cette Note est relative à la
théorie de la formation des croûtes pierreuses des chau-
dières à vapeur; elle est ainsi conçue :
€ L'eau ordinaii*e, servant à l'alimentation des chau-
dières à vapeur, n'y augmente pas de densité, en s'y
concentrant par évaporation ; au moins elle n'y augmente
pas de densité, à beaucoup près, dans la proportion où
cela devrait être à en juger d'après la quantité de sub-
stances salines contenues dans l'eau employée.
« J'ai souvent vu l'eau de chaudières à vapeur travail-
lant sans interrupticm depuis deux mois, ne marquer que
xéro au pèse-liqueur. Voici probablement quelle est la
Cause de ce fait.
t Lors de la vaporisation de l'eau sous une certaine
pression, il se forme du carbonate d'ammoniaque par
suite de la décomposition des matières organiques ; le
carbonate d'ammoniaque décompose les sels terreux qui
476 EXPLOSIONS DES MACHINES
laissent ainsi précipiter leurs bases ; les sels ammoniacaux
formés se volatilisent et sont éliminés avec la vapeur.
t Le sulfate de chaux, s'il est en excès, se précipite
par suite de la seule concentration de l'eau.
« Le bicarbonate de chaux se sépare et tombe, en per-
dant , par le fait de la chaleur, l'excès de son acide car-
bonique.
« Quant aux sels à base de soude et de potasse, je pense
qu'ils sont entraînés avec les sels insolubles et forment
avec eux les combinaisons doubles et triples dont on con-
naît plusieurs exemples en minéralogie.
« Je ne sache pas que ce fait de la non -concentration
de l'eau ordinaire dans les chaudières à vapeur ait été
observé ; je l'ai remarqué si souvent que je le regarde
comme constant, au moins dans les limites indiquées au
commencement de cette Note. »
Je ne dois pas terminer ce chapitre, dans lequel il a
été si longuement question des moyens d'expliquer les
explosions, sans faire remarquer que si je n'ai point
séparé les chaudières à basse pression de celles où la
vapeur possède une tension élevée, c'est uniquement parce
qu'il m'a semblé qu'il n'y avait pas heu à faire cette dis-
tinction. Qui ne voit, en effet, qu'au moment où l'accident
amve, toutes les chaudières sont à haute pression. J'ajou-
terai qu'il ne paraît nullement établi que les chaudières
à pression élevée aient éclaté plus fréquemment que les
autres ; le contraire a même été soutenu par divers ingé-
nieurs, au nombre desquels je puis citer MM. Perkins,
Oliver Evans, etc. C'est un fait facile à comprendre,
ainsi que je vais le montrer dans un dernier chapitre.
A VAPEUR. in
CHAPITRE XVIIl
m
REMARQUES RELATIVES AUX PRÉTENDUS DANGERS DES HACIIIKES
A HAUTE PRESSION
On a cru longtemps, beaucoup de personnes s'imagi-
nent encore que les machines à vapeur à haute pression
présentent plus de dangers d'explosion que celles à pres-
sion ordinaire. J'ai dû plusieurs fois combattre cette
erreur, soit dans le sein de l'Académie des sciences , soit
devant la Chambre des députés.
Dans l'état actuel de notre législation, les explosions
qui peuvent dépendre d'une augmentation graduelle de la
force élastique de la vapeur et du mauvais état des sou-
papes de sûreté , doivent être moins fréquentes dans les
machines à haute pression que dans les machines à pres-
sion ordinaire. Le fait et le raisonnement se réunissent
pour dissiper tout ce que ce résultat offre de paradoxal au
premier aspect.
Une chaudière est aujourd'hui essayée à la presse
hydraulique , sous une tension triple de celle qu'elle est
destinée à supporter. Ainsi la chaudière d'une machine à
basse pression est soumise à une épreuve de trois atmo-
sphères évaluées en colonnes d'eau de 10 mètres de hau-
teur. La chaudière d'une machine à 10 atmosphères,
subit une épreuve de 30, c'est-à-dire subit la pression
d'une hauteur de 300 mètres d'eau.
Chacun comprendra maintenant que si l'inattention du
chauffeur, une trop forte charge de charbon dans les
fourneaux, une variation accidentelle dans la qualité du
y.— il. 12
478 EXPLOSIONS DES MACHINES
combustible, des changements dans le tirage, peuvent
faire passer inopinément la force élastique de la vapeur
de 1 à' 3 atmosphères, de 1 à la pression au-dessus de
laquelle les épreuves préalables ne donnent plus aucune
garantie contre les explosions, toutes ces circonstances
isolées ou réunies seraient insuffisantes pour élever cette
même force de 1 à 30. En effet, nous ne pûmes jamais,
Dulong et moi, quoi que nous fissions, dépasser 24 atmo-
sphères dans la chaudière qui servait à nos expériences
sur la détermination des forces élastiques de la vapeur et
des températures correspondantes (chap. ii, p. 118).
Quant aux explosions dépendantes des abaissements du
niveau de Teau et des retours subits du liquide , il est
évident qu'elles ne sont pas de nature à se présenter plus
souvent dans les chaudières à haute pression que dans les
chaudières à pression ordinaire.
CHAPITRE XIX
NÉCESSITÉ DE LÀ SURVEILLANCE DES MACHINES A VAPEUR
Un de mes amis , après avoir lu les chapitres précé-
dents, me témoignait la crainte qu'un tableau aussi dé-
taillé des causes diverses qui peuvent amener Texplosion
des chaudières, ne dégoûtât beaucoup de personnes des
machines à vapeur. Si tel avait dû être réellement l'effet
de cette dissertation, je me serais empressé de la sup-
primer ; mais je ne pouvais partager ces appréhensions
lorsque je me suis décidé à en publier la première édition
dans Y Annuaire du Bureau des Longitudes de 1830, car
A VAPEUR. i79
si on lit ce qui précède avec un peu d'attention, comme
il m'est peiroisde le supposer, on trouvera, sans excep-
tion aucune, que chaque cause d'explosion signalée peut
être évitée par des moyens simples et à la portée de tout
le monde. Depuis longtemps on a reconnu combien il est
dangereux de laisser des armes à feu dans les mains des
enfants; or, pour moi, je crois tout aussi nécessaire de ne
jamais confier la direction des machines à vapeur à des
ouvriers maladroits, inexpérimentés et dépourvus d'intel-
ligence. On se trompe beaucoup, lorsqu'on regarde ces
machines comme des appareils qui , par cela seul qu'ils
marchent ordinairement d'eux-mêmes, n'exigent presque
aucun soin ; Watt a fortement combattu cette erreur, et
si ma Notice pouvait contribuer à la rendre moins com-
mune, je croirais être bien récompensé de la peine que
j'ai prise en l'écrivant.
Dès 1823 le gouvernement s'est préoccupé de la néces-
sité d'exercer une surveillance active sur les chaudières
à vapeur et de prescrire quelques-uns des moyens de
sûreté dont j'ai discuté l'efficacité dans cette Notice. Avant
cette époque, on ne comptait en France qu'un petit
nombre de ces appareils. Le décret du 15 octobre 1810
et l'ordonnance du Ift janvier 1815, relatifs aux établis-
sements insalubres ou incommodes, ne s'étaient occupés
de machines à vapeur, qu'ils désignaient sous le nom de
pompes à feu, qu'en ce qui concerne les inconvénients
de la fumée pour le voisinage. L'ordonnance du 29 oc-
tobre 1823 prescrivit plusieurs conditions de sûreté, mais
seulement pour les machines dans lesquelles la force élas-
tique de la vapeur dépasse deux atmosphères. Les règles
480 EXPLOSIONS DES MACHINES A VAPEUR.
des épreuves préalables furent déterminées par les ordon-
nances des 7 mai 1828 et 23 septembre 1829, et par
l'ordonnance du 22 juillet 1839 pour les chaudières des
machines locomobiles employées sur les chemins de fer.
L'ordonnance du 25 mars 1830 s'occupa spécialement
de chaudières à basse pression, où la tension de la vapeur
ne dépasse pas deux atmosphères. Toutes les mesurCvS
ainsi prises étaient insuffisantes. Le gouvernement com-
prit l'importance de régler la matière en s'entourant de
toutes les garanties désirables ; il consulta l'Académie des
sciences, d'abord sur l'emploi des rondelles fusibles,
ensuite sur tous les moyens de sûreté. L'Académie, dans
une matière si grave, ne pouvait se prononcer à la légère;
et n'ayant pas la possibilité de se livrer à des expériences
indispensables pour apprécier certains systèmes, elle dut
garderie silence. Une commission spéciale, nommée par
le ministre des travaux publics, put se livrer aux recher-
ches nécessaires, et c'est sur son rapport que la législation
actuelle des machines à vapeur a été établie. Les ordon-
nances des 23 mai 1843, 15 juin 1844 et 17 janvier
1846 ont fixé toutes les mesures à prendre pour l'essai
préalable, la conduite, l'entretien et la surveillance des
machines fixes, des machines locomotives des chemins
de fer et de celles des bateaux à vapeur. La plupart des
dispositions que nous avions conseillées, nous sommes
heureux de le dire, ont été adoptées par le gouvernement.
NÉCESSITÉ D'ENCOURAGER
EN FRANCE
LA CONSTRUCTION DES MACHINES
A VAPEUR
I
[Dans la séance de la Chambre des députés du 7 mai 183/!i, à
l'occasion de la discussion du budget, M. Arago a pris la parole
dans les termes suivants, extraits du Moniteur du 8 mai. ]
Messieurs, le ministre de la marine demande une
somme d'un million pour la construction de machines à
vapeur. Je viens appuyer cette demande de mon vote ,
mais avec une condition : à savoir que ces machines seront
exécutées dans les ateliers français, et d'après des mar-
chés conclus avec concurrence et publicité.
Lorsqu'on voit les événements qui se succèdent, tout
le monde sent l'urgente nécessité de s'occuper du sort des
omTiers, de leur créer des travaux , d'étayer des indus-
tries qui menacent ruine , et d'en former de nouvelles.
Je ne vois pas. Messieurs, que le ministre de la marine
soit dans l'intention de faire exécuter ces machines en
France. Il y a dans le rapport de la commission quelques
phrases qui manquent de clarté ; car on pourrait croire
182 CONSTRUCTION DES MACHINES
qu'il en est autrement en lisant le passage conçu dans
ces termes : « Afin d'encourager l'industrie française, la
marine royale fait exécuter chaque année pour une somme
assez considérable de machines à vapeur, entreprises par
des mécaniciens du commerce. En 1835 on destine à ce
genre de travaux un million de francs. »
On dirait par là que le ministre de la marine à Tinten-
tion de faire exécuter ces machines en France ; mais en
lisant le chapitre vi, vous serez bientôt détrompés; vous
y verrez en effet qu'on demande à M. le ministre de
faire exécuter ces machines en Angleterre. Voici ce que
contient ce chapitre : «De très -habiles constructeurs
anglais, revenant aux principes de Watt et Boultôn , pré-
viennent les diances d'explosion si redoutables dans une
marine militaire, en substituant presque partout à la fonte
le fer forgé. »
Qu'il me soit permis de faire une observation sur
cette assertion de M. le rapporteur, qui n'est rien moins
que scientifique. Les explosions des machines ne peuvent
avoir lieu que par l'effet des chaudières. Eh bien, il
n'existe pas en Angleterre de machines dont les chau-
dières soient en fonte ; ainsi l'assertion du rapporteur ne
pieut avoir aucune valeur, attendu que personne en Angle-
terre n'emploie de chaudières en fonte. Il serait trop
. dangereux d'employer ces chaudières , dont l'explosion
aurait de terribles effets, à cause de la grande masse des
morceaux projetés. Personne n'a même songé à établir
sur les bateaux à vapeur des chaudières en fonte. Pour
qu'elles offrissent la résistance nécessah^ , il faudrait leur
donner une grande épaisseur qui augmenterait tellement
A VAPEUR. 4Ô3
le poids de la machine qu'on ne pourrait plus la faire
porter par un bateau avec son combustible.
A quoi donc peut-on faire allusion par ces prétendus
perfectionnements qui détermineraient la marine à s'a-
dresser aux ingénieurs anglais ? Est-ce le corps de pompe
qu'on ferait en fer forgé? Mais personne n'a pu y penser.
D'ailleurs le corps de pompe n'est jamais sujet à faire
explosion. Ainsi les améliorations sur lesqtielles on se
fonde pour nous dire qu'on commandera les machines à
l'industrie anglaise sont imaginaires.
Je dis que vous devez faire les machines en France ;
vous avez des xîonstructeurs d'un talent reconnu, que je
ne saurais jamais assez signaler à la reconnaissance pu-
blique. Parmi eux , je citerai MIVL Hallette , Saulnier et
Cave, qui ont travaillé déjà pour la marine et avec un
grand succès.
Il est très-vrai qu'on leur a commandé des machines à
vapeur pour la marine. Il est très- vrai que ces machines
ont réussi ; mais M. le rapporteur ne parait pas avoir une
grande bienveillance pour ces honorables et habiles fabri-
cants. Les phrases d'éloges sont r&jervées pour des con-
structions exécutées au compte de la marine, pour des
constructeurs anglais et pour l'établissement d'Indret.
Je dis cependant qu'il est possible en France de faire de
très-bonnes machines. Et qu'on ne vienne pas argumen-
ter de la différence du prix ; il diminue tous les jours, et
il s'affaiblira de plus en plus lorsque vous occuperez
davantage nos ateliers. ^ vous ne commandez qu'une
seule machine, le constructeur vous fait payer tous les
outils dont il a eu besoin pour la confectionner. Si vous
I8i CONSTRUCTION DES MACHINES
en commandez deux, îl est évident que cette mise de
fonds pour les outils se répartira sur le prix des deux ma-
chines ; si vous en demandez trois, le prix des outils ne
sera plus que du tiers, comparé à ce qu'il aurait été dans
le premier cas.
11 est extrêmement important que vous vous adressiez
à nos constructeurs , parce que dès que vous leur assu-
rerez un travail annuel, leurs prix deviendront de jour
en jour plus modérés.
Veuillez remarquer ensuite. Messieurs, que le prix élevé
des machines françaises provient en partie de circon-
stances qui dépendent entièrement de vous:c'est que vous
interdisez l'entrée de la fonte , du fer et de la houille,
que les constructeurs obtiennent en Angleterre à bien
meilleur marché.
11 est très- vrai que les machines anglaises sont frap-
pées d'un fort droit à leur entrée en France; mais ce
droit n'est que pour les petites machines destinées aux
particuliers , et presque jamais pour celles commandées
par le gouvernement. A tort ou à raison , le gouverne-
ment trouve toujours une amélioration considérable dans
les machines qu'il veut introduire , et je dois vous dire
que les règlements des douanes portent que lorsqu'une
machine, par son genre de construction, présente une
amélioration, qu'elle est destinée à servir de modèle, elle
n'est pas soumise aux droits.
Eh bien, on ne citerait aucune grande machine qui
ait payé les droits. La machine du Sphinx ^ la grande
machine soufflante commandée pour l'établissement de
M. Decazes, la grande machine de la gare de Saint-Ouen,
A VAPBUR. 4^5
et en un mot toutes les grandes machines dont il me serait
facile de compléter Ténumération, ont été exemptes de
droit parce qu'on trouve toujours moyen d'y faire aperce-
voir un perfectionnement.
Je disais que nous avons de très-habiles constructeurs.
Je voudrais, d'après cette considération, qu'il fût bien
stipulé, bien convenu , soit par l'assentiment du ministère,
soit par un vote de la Chambre, que les machines s'exé-
cuteront en France.
Je dis que les précautions que je réclame ne sont pas
superflues. En effet, je vais citer une circonstance où
Ton a fait éprouver une grande injustice à un construc-
teur que j'oserais dire un homme de génie, à un homme
de beaucoup de talent, qui a apporté dans l'emmanche-
ment des différentes parties dont une machine à vapeur
se compose des améliorations capitales. Il a été traité par
le ministère de la marine d'une manière qu'il me serait
bien pénible de qualifier, mais qui le sera suffisamment
par les faits eux-mêmes que je vais exposer.
Il s'est trouvé un ingénieur des ponts et chaussées,
homme de talent , de patriotisme, de persévérance, qui
a eu la pensée de faire à la porte d'une très-petite ville
de Bretagne, à Landernau, un établissement de ma-
chines à vapeur. Il s'est établi dans un champ; il a, en
très-peu de temps, construit une manufacture, et dès le
début il a voulu lutter avec les premiers constructeurs
cinglais. C'est M. Frimot. Il a construit d'abord une
machine pour la marine dans cet atelier établi sans le
secours d'aucun ouvrier anglais, avec des ouvriers qui
jamais n'avaient entendu parler de machines à vapeur, ni
4S6 CONSTRUCTION DES MACHINES
VU les outils très- compliqués qui servent à ce genre de
construction.
Cette machine, que M. Frimot a constraite pour un
service d'épuisement, a été reçue avec applaudissement;
fille fait à Brest un service journalier excellent Quelque
temps après (c'était sous le ministère de M. Hyde de
Jieuville), M. Frimot, encouragé par ces succès, demanda
la permission de faire deux machines, chacune de 80 che-
vaux, pour un bateau à vapeur. Ce sont les plus grandes
machines qu'on ait encore vues.
II demanda à entrer en lice avec les plus célèbres con-
structeurs anglais. A cette époque, le ministère de la
marine avait fait acheter en Angleterre, d'un habile
•constructeur de Liverpool, M. Sawcett, une machine
qui, encore aujourd'hui, fonctionne sur le Sphinx ^ bàtà-
ment qui jusqu'ici a été à la tète de notre marine à
vapeur, et qui sous tous les rapports peut soutenir la
comparaison avec les meilleurs navires anglais.
Ce fut alors que M« Frimot contracta un n^arché avec
la marine. Remarquez , Messieurs, que je dis un marché,
j'aurai plus tard à revenir sur ce mot.
Si la marine s'était associée aux expériences de M. Fri-
mot, si elle avait consenti à entrer pour une part quel-
conque dans ses essais, je ne prendrais pas ici sa défense ;
car je ne crois pas que le gouvernement doive s'immiscer
dans des expériences ; il doit encourager, favoriser, ré-
compenser largement , noblement, ceux qui ont fait des
découvertes; mais il ne doit pas s'associer à des essais
•dont le succès paraît même certain. Enfin , M. Frimot
passe un marché avec le ministère de la marine , il tra-
A VAPEUR. 4S7
vaille avec des ouvriers tous français, pris dans la partie
la plus reculée de la Bretagne, et construit une machine,
^oubliais de vous dire la condition du marché. La voici :
M. Frimot devait recevoir une certaine somme s'il fai-
sait une machine qui marchât aussi bien que celle du
SphifiXf qui eût le même poids et consommât la même
quantité de charbon qu'en consomme le Sphinx.
M. Frimot, qui prévoyait qu'avec les améliorations qu'il
avait conçues il parviendrait à obtenir plus encore qu'on
ne lui demandait, stipula que, dans le cas où il réduirait
le poids de sa machine, et qu'il obtiendrait une vitesse
égale avec une moindre quantité de combustible, il lui
serait alloué une prime. Cette condition était juste, con-
venable, et M. le ministre de la marine qui y souscrivit fit
alors un acte honorable,
H. Frimot, après avoir construit sa machine et l'avoir
installée à bord de V Ardent j demande qu'il en soit fait
une expérience comparative avec le Sphinx^ comme il
était convenu.
On lui oppose une fin de non-recevoir, on lui dit : « Des
expériences ont été faites sur le Sphinx dans la Charente.
Nous devons les prendre pour terme de comparaison des
épreuves qui seront faites à Brest sur V Ardent. »
M. Frimot représente qu'il peut ne pas croire à la
vérité des expériences de Rochefort, et persiste à récla-
mer une comparaison directe et simultanée en pleine
mer des deux bâtiments V Ardent et le Sphinx.
Je ne vous mettrai pas sous les yeux. Messieurs, la
correspondance qui s'est établie entre M. le ministre de la
marine et M, Frimot. Cette correspondance vous affli-
488 CONSTRUCTION DES MACHINES
gérait. M. le ministre de la marine, dont les sentiments
patriotiques ne peuvent être mis en doute , a signé pro-
bablement sans les lire des dépêches dans lesquelles se
trouvent des expressions que l'on ne saurait justifier lors
même qu'elle seraient adressées à un valet, et c'est un
homme de talent, un homme de génie que M. le ministre
de la marine n'a pas craint de traiter avec cette rigueur,
avec ce mépris.
Voici la suite de ce qui s'est passé : M. Frimot vient à
Paris; il s'adresse au conseil d'amirauté, et ce conseil
décide qu'il sera fait une épreuve comparative entre les
deux bâtiments, V Ardent et le Sphinx^ dans des circon-
stances tout à fait semblables, attendu qu'on ne pouvait
pas apprécier la marche des deux navires placés dans des
circonstances entièrement différentes.
Ainsi le conseil d'amirauté annula les épreuves anté-
rieures et les rapports de la commission qui les avait
dirigées.
Voici les points qu'il y avait à constater : 1* la ques-
tion de poids, 2** la question de vitesse.
La machine de M. Frimot pèse-t-elle moins que celle
du Sphinccl — Elle pèse la moitié moins ; elle gagne cent
tonneaux sur le poids de celle-ci.
Or^ Messieurs, c'était une amélioration immense, et
devant laquelle on aurait dû presque se prosterner. Qu'a-
t-on fait, pourtant? On n'a pas daigné y attacher la
moindre importance.
Reste la question de la vitesse. On fit l'expérience à
Brest. Toute la population s'y intéressa, et cet émoi
d'une population maritime est naturel. L'Ardent et le
A VAPEUR. 489
Splmix sont en présence, lis partent; V Ardent dépasse
largement le Sphinx. Tout le inonde en est émerveillé ;
on a été si souvent inférieur lorsqu'on a été en conilit
avec les Anglais, que Ton est bien aise de remporter sur
eux cette victoire scientifique.
Eh bien , ce résultat si national semble avoir contrarié
la marine. En effet, un article du Monileur du 6 novem-
bre 1833 dit, et c'est honteux, que c'était une affaire de
parti ; qu'il n'était pas probable que l'Ardent allât aussi
vite que le Sphinx; en d'autres termes, qu'il n'était pas
probable, malgré le résultat de l'expérience constaté par
tous les officiers de la marine de Brest et la population
tout entière de cette ville, qu'un bâtiment construit en
France sous les inspirations d'un ingénieur français mar-
chât aussi bien que le Sphinx, c'est-à-dire qu'un bâti-
ment anglais.
Messieurs, ces expressions-là ont montré jusqu'à quel
point l'administration était malveillante pour M. Frimot.
Cette malveillance n'a fait que se développer dans la
suite ; en effet, M. Frimot ayant demandé qu'on lui déli-
vrât un certificat constatant que dans la première épreuve
son bâtiment avait marché mieux que le Splwix, on le lui
refusa ; et cependant le ministre de la marine regardait
cette expérience comme décisive, du moins quant à lu
vitesse ; car dans une dépêche qu'il adressait à M. Frimot,
il convenait que cette vitesse ne différait pas beaucoup
de celle du Sphinx; elle avait été en fait plus grande.
M. Frimot demande ensuite que l'on fasse une expé-^
riencc pour la vitesse et la consommation du charbon,
mais en présence d'une commission supérieure. Là-dessus
490 CONSTRUCTION DES MACHINES
survinrent des difficultés et une correspondance très-
fàcheuse.
La première fois, comme je Tai dit, le bâtiment fran-
çais r Ardent avait dépassé le SphificOy c'est-à-dire le
meilleur bâtiment de notre marine. La seconde fois, V Ar-
dent perdit quelque chose de sa vitesse.
Je dois rappeler que M. Frimot s'était engagé à obte-
nir la même vitesse que le Sphinx.
Eh bien, cette dernière expérience est la seule dont on
ait voulu tenir compte.
Mais je vais dire quelques mots pour expliquer com-
ment r Ardent a perdu la seconde fois un peu de sa vitesse.
Le jour où l'Ardent n'a pas suivi le Sphinx y on s'est
écarté d'une condition capitale que je dois signaler à la
chambre.
Vous savez, Messieurs, que lorsqu'on alimente les chau-
dières avec l'eau de mer, on est obligé de se débarrasser
de l'eau avant qu'elle soit trop chaînée de sel , de peinr
que la précipitation des substances salines ne détermine
des dépôts, l'une des principales causes d'explosion. Il
avait donc été convenu que l'eau serait renouvelée. Quand
on effectue cette opération, la vapeur étant plus difficile
à former, la force des machines est diminuée, et la vitesse
du travail singulièrement réduite.
Eh bien, il était convenu que, sur le Sphinx y on re-
nouvellerait l'eau comme suf F Ardent. Or, M. Frimot, qui
a scrupuleusement exécuté la condition de son côté, sait
par son agent à bord du Sphinx, qui à cet égard a pré-
senté son procès-verbal écrit, que l'eau n'a pas été renou-
velée dans les chaudières de ce bâtiment ; ce qui confirme
A VAPEUR. 494
le mieux la vérité de cette protestation , c'est que M. Fri-
raot a demandé à diverses reprises communication du
procès-verbal oflBcîel, et qu*on la lui a refusée. M. Frimot,
en discussion avec l'administration de la marine, qui par
humeur pouvait ne pas accueillir ses justes réclamations,
a pensé qu'une demande appuyée par des députés appar-
tenant à toutes les nuances d'opinion de cette Chambre,
aurait plus de succès.
M. Frimot a demandé, sans obtenir de réponse, com-
munication du procès-verbal officiel , de l'expérience faite
à bord du Sphinx le jour où le Sphinx a eu un petit avan-
tage de vitesse sur F Ardent. Eh bien, on place M. Frimot
dans l'impossibilité de demander justice même au conseil
d'État ; c'est là quelque chose de monstrueux ; la légis-
lation n'a pas prévu qu'un ministre ne répondrait pas ;
M. Frimot ne peut<îonc pas s'adresser au conseil d'État
pour se plaindre d'un déni de justice.
Enfin le procès-verbal n'a pas été communiqué ; toutes
les sollicitations des députés siégeant dans diverses par-
ties de la Chambre ont été sans résultat. Vous voyez qu'il
y a eu, de la part de l'administration, je le dis avec
regret, mais enfin il y a eu, de la part de l'administra-
tion, envers un homme de mérite qui a créé, dans une
localité presque sauvage, une fabrique superbe de ma-
chines à vapeur, une partialité qui a rendu indispensable
la discussion qui a lieu aujourd'hui, et l'insistance que je
mets à obtenir du ministre ou d'un vote de la chambre
l'assurance que la somme d'un million servira à alimenter
la fabrique française.
J'ai cité beaucoup de faits pour montrer que l'admi-
499 CONSTRUCTION DES MACHINES
nistration n'avait aucune bienveillance pour M. Frimot.
* Je vais en citer un plus monstrueux encore. Vous savez
qu'à la Révolution de juillet, toutes les branches de l'in-
dustrie et du commerce en général eurent beaucoup à
souffrir. M. Frimot avait fait faire un bateau à remorquer;
ce bateau était à Brest, il n'y avait aucune possibilité de
l'employer à une nouvelle entreprise de remorquage sur
la Seine. M. Frimot l'offre à la marine ; l'amiral Roussin,
qui sent combien il est utile au port de Brest d'avoir un
remorqueur^ fait l'acquisition de ce bateau au prix d(î
160,000 francs. Ce bateau est-il utile? il n'a pas servi
beaucoup ; mais il suffit d'une circonstance pour montrer
qu'il pouvait rendre des services importants. Effective-
ment, il y avait, hors de la rade une frégate, qui faisait
de vains efforts pour y pénétrer ; le remorqueur alla à sa
rencontre et la fit rentrer dans le port avec une vitesse
de quatre milles à l'heure.
L'appareil de ce bateau paraissait si bon, si bien con-
struit, que l'amiral Roussin, quand il partit de Brest pour
aller dans le Tagc, eut la hardiesse de sortir de la rade
avec des vents contraires, se confiant à la puissance de ce
bateau remorqueur. Il sortit, mais à sept ou huit lieues
de la rade de Brest, le vaisseau le Suffren aborda le re-
morqueur, et fit quelques avaries dans le bâtiment et dans
la machine ; ces avaries furent évaluées à 10,000 francs
par messieurs les ingénieurs de la marine de Brest.
M. Frimot offrit de réparer son appareil ; on ne le voulut
pas. Ne vous imaginez pas qu'on Tait installé à bord d'un
autre bâtiment, ou qu'on l'ait soigneusement conservé dans
un magasin ; non, on l'a laissé en plein air, de sorte que
\
A VAPEUR. 49a
toutes les parties de la machine, qui étaient polies comme
un miroir, comme si elles sortaient des mains d'un opti-
cien, sont tellement détériorées, corrodées, qu'on ne
pourrait plus vendre la machine que comme de la fer-
raille.
Je le répète, Messieurs , vous voyez d'après toutes ces
circonstances, je n'en accuse pas M. le ministre, mais
vous voyez qu'il y a dans l'administration de la marine
une partialité en faveur des constructeurs anglais que
nous devons combattre.
11 y a capacité, capacité très-grande chez nos construc-
teurs ; il y a dans les ateliers même de M. Frimot des
moyens excellents de satisfaire à tous les besoins de la
marine ; et cependant vous voyez comment les construc-
teurs français, si dignes d'encouragement, sont traités
dans les bureaux du ministère de la marine.
Messieurs, en parlant des résultats obtenus par M. Fri-
mot, j'ai signalé la diminution de poids de la machine de
plus de la moitié ; une diminution notable sur la dépense
en combustible ; il n'y aurait de douteux que quelques cir-
constances relatives à la vitesse comparée des deux bâti-
ments, si on s'en rapporte aux résultats de la dernière
expérience.
Je dois ajouter qu'il y a, dans les bateaux dç M. Frimot,
des inventions très-remarquables. La Chambre les consi-
dérera comme telles quand elle saura que l'Académie
des sciences, appelée dernièrement à les examiner et à
donner son avis, s'est écartée de ses règles ordinaires, de
ses habitudes, pour adresser la description des appareils
de M. Frimot à M. le ministre du commerce, afin qu'il les
v.—ii. 13
494 CONSTRUCTION DES MACHINES
fit connaître à tous les constructeurs qui peuvent avoir
intérêt à les copier ; car M. Frimot a eu la générosité de
ne s'en pas réserver le privilège au moyen d'un brevet
^invention.
Je demande donc que le million soit accordé, mais
qu'il soit statué , soit par le consentement du ministre ,
soit par une disposition que je proposerai, que les ma-
chines seront construites dans nos ateliers qui sont par-
faitement en mesure de les exécuter; je demanderai ausa
que M. le ministre veuille bien répondre à M. Frimot.
(THarques ntmibreuses d'assentiment.)
•
II
[Dans la séance du 8 mai, le débat a continué sur Tamendement
développé dans le discours qu^on vient de lire ; M. Arago a de nou-
veau pris la parole, et il s'est attaché à démoatror que les machioes
à- vapeur à haute pression ne présentaient pas les dangers qu'on
leur attribuait La discussion suivante est extraite du Moniteur du
9 mai 1834. ]
M. ÂRAOO. Je demande à la Chambre la permission de
lui faire remarquer... (Marques d'impatience au centre.)
Je demande à la Chambre la permission de lui faire
remarquer que des erreurs graves ont été commises à
cette tribune ; je pourrais même dire des erreurs hon-
teuses sur 1^ fal^rication et les propriétés des machines à
viB4)eur. . .
M. LE Ministre DE \.k uarihe. Il n^ arien eu de honteux!
A Gauche : Non , si l'ignorance est un honneur I
M. Ab AGO. Je le répète, des erreurs honteuses. . •
M. le Ministre de là marine. U n^a rien été dit de hont^x.
M. Arago, Des erreurs inqualifiables sur la fabrication
A VAPEUR. «95
des machines à vapeur ont été commises à cette tribune
par les personnes qui sont à la tête de l'administration de
la marine. Il a aussi été commis des erreurs de fait que
je dois relever. Veuillez, au surplus, remarquer de quelle
manière une question incidentelle a été introduite dans la
question générale. (Violents murmures au centre. )
J'ai proposé un amendement : dans cet amendement
se trouvait comprise nécessairement, implicitement, cette
idée que Tadministration de la marine ne favorisait pas ,
ne voyait pas avec bienveillance les travaux de nos con-
structeurs; c'est pour cela que je suis arrivé à expliquer
quelle a été la conduite que l'administration de la marine
a cru devoir tenir à l'égard de M. Frimot. Je n'ai pas
proposé de délibérer sur l'affaire de cet ingénieur. Je n'ai
pas demandé que la Chambre fût appelée à prononcer
dans l'affaire judiciaire qui existe en ce moment entre
M. Frimot et l'administration de la marine. Je me suis
contenté de dire et d'affirmer que ce fabricant , que cet
homme du plus haut mérite avait obtenu des résultats
excellents et parfaitement constatés ; que cependant , au
lieu de le traiter avec bienveillance, le ministère s'était
conduit à son égard avec une rigueur, avec une malveil-
lance déplorables.
Ainsi je n'ai pas cherché à introduire dans la Chambre
une question qui ne la concerne pas. J'ai cité des faits à
l'appui de mon amendement. Je dis maintenant qu'en
combattant ma proposition , M. le commissaire du roi a
commis des erreurs matérielles, des erreurs de fait qu'il
est de mon devoir de signaler. (Marques d'impatience
dans une partie de l'assemblée. )
496 CONSTRUCTION DES MACHINES
Autres voix. Parlez I
Plusieurs membres. Nous ne sommes pas juges compétents!
M. Arago. Vous n'êtes pas juges connpétents sur des
questions de machines à vapeur, à la bonne heure; mais
vous êtes juges compétents sur des questions de finances ;
or, ma proposition concerne une dépense d'un million.
Les mêmes voix. Vous élevez une question de science et de
théorie.
M. Arago. On vous demande un million pour la con-
fection des machines à vapeur. Je propose de déclarer
que ce million sera dépensé en France. Je dis et je sou-
tiens que nos usines sont parfaitement en mesure de
satisfaire aux besoins de la marine. J'ai cité des faits ;
j'ai cité des artistes qui travaillent à merveille. L'admi-
nistration cependant parait être dans l'intention de faire
construire ces appareils en totalité ou en partie à l'étran-
ger. Telle est la prétention que j'ai combattue. Comment
y a-t-on répondu? On ne m'a pas opposé un seul fait.
A-t-on seulement fait mention de perfectionnements incon-
testables sur le mérite desquels l'Institut a prononcé?
Plusieurs voix. L^Instîtut prononce sur les théories ; nous ne
sommes pas ici à Tlnstitut.
M. Arago. Lorsque je cite des perfectionnements re-
marquables qui distinguent les machines de M. Frimot ,
que répond-on? M. le commissaire du roi se contente de
jeter vaguement de la défaveur sur le système de cet
habile ingénieur.
Ce système, s'écrie-t-il , est fondé sur l'emploi de la
haute pression ; or, en Angleterre comme en Amérique, il
n'existe pas sur les bateaux de machines à haute pression.
\
A VAPEUR. <97
L'assertion est tranchante ; eh bien , l'honorable M. Tu-
pinier est tonibé dans une erreur de fait, dans une erreur
complète en ce qui concerne rAmérique.
En effet, j'ouvre au hasard, un ouvrage sur les ma-
chines à vapeur. J'entends qu'on demande par qui cet
ouvrage a été publié. Je réponds qu'il a été publié par
la marine elle-même ^ que c'est l'ouvrage de M. Mare&-
tier ; je l'ouvre donc au hasard , et je trouve :
€ VEtna, bateau à vapeur des États-Unis sur la Dela-
ware, marche sous la pression de 10 atmosphères ;
« La Pensylvanie est un bateau à haute pression, etc. i
Vous voyez donc,. Messieurs, que l'assertion de M. le
commissaire du roi n'était pas exacte.
M. TupniiER, commissaire du roU Je n*ai pas dit qu'il n*y en eût
pas... Voyez le Moniteur l...
M. Arago. Vous l'avez dit. Monsieur.
Vous avez jeté de la défaveur au sujet des machines
de M. Frimot, dans l'esprit d'un très -grand nombre de
membres de la Chambre de qui je le liens, en aiflirmant
positivement que ni en Angleterre ni aux États-Unis on
n'employait de la vapeur à une haute pression. Eh bien ,
vous savez maintenant ce qu'il en est, et mes citations,
je les ai puisées , non pas dans des ouvrages sans auto-
rité, mais dans te traité d'un de vos anciens collègues,
dans un ouvrage dont la marine elle-même a fait faire la
publication à ses frais.
Je dirai d'ailleurs que cette défaveur que vous avez
voulu répandre sur l'emploi des machines à haute pres-
sion n'est pas fondée, et qu'il serait très-fàcheux de voir
la marine persister dans de déplorables préventions.
198 CONSTRUCTION DES MACHINES
Voulez-vous savoir corainent il est arrivé qu'en Angle-
terre les machines à haute pression ne sont pas employées
sur les bateaux à vapeur ?
Ces bateaux sont construits par la marine marchande,
et leur destination exclusive est de faire Toffice de paque-
bots. Or, les passagers craignant Texplosion des machines
à haute pression , les constructeurs ont dû les proscrire.
Quelques voix* Us ont raison.
M. Arâgo. Vous dites qu^ils ont raison ; moi , je dis
qu'ils ont tort , Messieurs.
Je crois avoir le droit d'émettre une opinion sur une
question de cette nature. ( Bruit aux centres. )
Gomment, Messieurs, il s'agit de savoir si l'on accor-
dera un million k la marine pour la construction de
bateaux à vapeur; la marine manifeste l'intention de
repousser de toutes ses forces l'emploi des machines à
haute pression , et je n'aurai pas droit de dire à cette
tribune que la détermination de l'autorité est le résultat
d'une erreur, d'un défaut de lumières?
Voix nombreuses aux extrémités. Si ! si I
Voix au centre. Nous iie sommes pas Ici à TÂcadémiedes sciences.
M. LE COLONEL Lamt. NOUS ûe sommes pas ici comme dans un
collège royal, pour suivre un cours de machines à vapeur.
r M. Arago. Je crois avoir le droit de soumettre une
opinion... {Voiœau centre. G^est une question étrangère
au budget. ) Nous traitons la question de savoir si Ton
accordera un million à la marine pour construire des
machines à vapeur. La marine parait dans l'intention de
repousser les machines à haute pression ; n'ai-je pas le
droit de dire & cette bribune que c'est un préjugé?
A VAPEUR. 499
(IL Arago descend de la tribune. )
Nombre de voix aux extrémités. Parlez! parlez.
M. Petou. Ce serait une honte que d'empêcher l'orateur de parler.
M. Arago, remontant à la tribitne. Je suis dans la
question , et eompféteroent dans la questimi.
A DROITE ET A GAUCHE. Oull OUil COUtinuezI
Bi. GàMsvorPAAÈBk Si l'oii Br'écoute pas DOS orateurs, nous n'écou-
terons plus personne. (Exclamations ironiques au centre.)
Quelques membres* Attendez le silence.
M. Arago. La question est devenue une question géné-
rale, et je ne sais vraiment pas pourquoi l'on s'irrite
lorsque je parle des avantages que présentent les ma-
chines à haute pt easion sur les machines à pression ordi-
naire.
Mr Pbcatokt. ce n*est pas à la Chambre à juger celât
M. Arago. Quand \Gm donnez, M. Piscatory, on
conseil sur la colonisation d'Alger, vous avez des opinions
arrêtées sur la colonisation et vous cherchez à les in-
culquer dans fesprit des ministres et de la Chambre ;
eh bien, moi, j'ai une epinion arrêtée sur l'emploi des
machines à haute pression. Il y a dans le budget un
article relatif aux machines à vapeur, et puisque l' admi-
nistration témoigne l'intention de ne point faire usage des
machines à haute pression , je ne sais pas pourquoi il ne
me serait pas permis de parler de l'emploi de ces machines.
Bf. Piscaxort. Je demande la permission...
Voix KOMBRECSEs AUX EXTRÉMITÉS. Vous u'avcz pas la parole I
Laissez parler M. Arago I
M. PiscATORT. JQ ne dois pas laisser sans réponse ce que Tient
de dire l'honorable orateur. (Non, non !... Agitation.)
H. Arago. U est loin de ma pensée , de mon désir et
de mon intention,, de soulever dans la Chambre de l'agi-
200 CONSTRUCTION DES MACHINES
tdtion et da désordre ; par conséquent , je renonce à la
parole.
Aux EXTRÉMITÉS. Parlez I parlez!
M. Arago. Mais si Ton ne veut pas m'entendre... (Si,
si! Parlez!)
M. Gharlehagne. Nous voudrions éviter de tomber dans les abus...
(Bruit )
M. LE Président. Vous n^avez pas la parole.
. Cette discussion. Messieurs, devient très-pénible. L*orateur est
dans son droit, en discutant la matière qu*il discute en ce moment
(Assentiment aux extrémités) et quMl connaît si bien. J^lnvite donc
la Chambre à lui accorder son attention. (Très-bien 1 très-bien!)
M. ÂRAGOt Je regrette que vos fréquentes interruptions
me forcent de me répéter. Je disais , Messieurs , que le
commissaire du gouvernement, et ce commissaire occupe
dans le ministère de la marine un poste élevé, s'était
trompé en affirmant qu'il n'existe nulle part de bateaux
à vapeur à haute pression. J'ai expliqué comment il se
faisait que les machines de cette espèce ne sont pas em-
ployées sur les bateaux anglais. J'en ai trouvé la raison
dans les craintes des passagers.
' Une voix. Ils ont raison.
M. Arago. Ils ont raison, dites -vous, eh bien, je
prouverai en deux mots que cette crainte est sans fonde-
ment. Mes arguments seront de deux espèces, assez clairs,
je crois, pour détromper en même temps et M. le com-
missaire du roi et les personnes qui pensent comme lui.
M. Oliver Evans, le plus célèbre constructeur de
machines à vapeur de l'Amérique du nord, fit en 1818 un
relevé statistique de toutes les explosions qui avaient eu
lieu aux États-Unis. Il résulta de ses recherches que pas
A VAPEUR. 201
un seul bâtiment , avec des machines à liante pression ,
n'avait fait explosion. Il n'était arrivé d'accident qu'à
des machines à pression ordinaire.
Voilà un fait constant , voilà un fait incontestable. Gela,
Messieurs, a l'air d'un paradoxe; mais il n'y a paradoxe
en cette matière , et en générai dans les questions scien-
tifiques, que quand on n'a pas bien étudié les causes des
phénomènes.
Les ingénieurs et l'administration se sont prescrit la
règle d'essayer la chaudière d'une machine quelconque à
une pression triple, par exemple, de celle où elle est des-
tinée à travailler. Ainsi, pour une machine à 10 atmo-
sphères, on ferait l'essai à 30 atmosphères; pour une
machine à une atmosphère, l'essai serait fait à 3 atmo-
sphères seulement.
Or, veuillez bien le remarquer, Messieurs, dans les
machines à pression ordinaire, plusieurs circonstances
peuvent porter subitement la pression à une pression trois
fois plus forte et même davantage. A ce moment, la
machine ordinaire devient machine à haute pression; la
chaudière est insuffisante, et rcxplosion arrive. Quant à
la machine à pression très-élevée, quant à la chaudière
essayée à 30 atmosphères, il faudrait des conditions qui
sont exceptionnelles, et qu'on réunirait difficilement, même
en les cherchant tout exprès pour amener l'explosion.
Une expérience dans laquelle j'ai été moi-même acteur
rendra la vérité de mon assertion évidente.
L'administration ayant eu besoin, pour régler le ser-
vice des machines ordinaires et des machines des ba-
teaux, de connaître l'élasticité de la vapeur correspon-
202 CONSTRUCTION DES MACHINES
dante à chaque degré du thermomètre, s'adressa à TAca-
démie des sciences. Deux membres furent chargés de
faire le travail nécessaire pour répondre aux désirs du
gauvemement. Le savant M. Dulong était Tun d'eux;
j'étais le second. Les expériences étaient dangereuses;
mais comme les artistes en désiraient les résultats, comme
elles devaient être utiles, nous nous dévouâmes. Eh bien ,
je le déclare ; quoique nous eussions pris toutes les pré-
cautions nécessaires pour éviter les courants refrmdis-
aanta, quoique nous nous plaçassions constamment dans
ime cabane bien fermée, nous ne pûmes jamais amener
l'élasticité de la vapeur de la chaudière à plus de vingt-
^atre atmosphères. Ainsi il n'eût pas dépendu de nous
d'amener même volontairement l'explosion de cet appa-
reil, si, comme la chaudière d'une machine de dix atmo-
iphères^ on l'avait essayée à trente..
Le résumé statistique d'Oliver Evans avait prouvé
que les machines à pression ordinaire font plus souvent
explosion que les machines à haute pression. Ce fait,
constaté par l'expérience, n'a plus rien de paradoxal.
Il trouve une explication toute simple dans ce que je viens
de dire.
An surplus, la grande- répugnance du public pour les
machines à haute pression a disparu. Les machines loco-
motrices qui transportent lés voyageurs sur les chemins
éb fer sont, en effet, des machines à haute pression.
Qui cependant éprouve aujourd'hui la moindre répu-
gnance à se placer à la suite d'une de ces machines?
La marine n'aurait donc aucun motif de se préoccuper
de ces anciens préjugés, alors môme que la majorité des
A VAPBUR. Î03
riches voyageurs qui viennent tf Angleterre en France
les conserveraient.
Il y a un avantage immense, un avantage incontestable
et aujourd'hui incontesté, à se servir de machines à haute
pression. Ces machines permettent d'employer la détente
de la vapeur dans une grande échelle, de ne la con-
denser ou de ne la perdre qu'au moment où sa tension
devient insignifiante. Ces avantages, la théorie les avait
prévus; mille expériences les ont confirmés. Toutes les
machines d'épuisement du Gomouailles en font foi.
Expliquez-moi donc. Messieurs, quel inconvénient il peut
y avoir à signaler à Fadministration de la marine, qui
parait Fignorer, une telle source d'importantes éco-
nomies.
Cette question, qui vient de soulever tant de difficultés,
n'avait au fond rien d'irritant. Elle était d'ailleurs inévi-
table, puisque les machines de M. Frimot sont à haute
pression, mais à 10 atmosphères seulement, tandis que,
je le répète , certaines machines des États-Unis marchent,
sans inconvénient, à 20 atmosphères.
Je suis fâché que les détails personnels, relatifs à
M. Frimot; que des griefs destinés à trouver leur solu-
tion ailleurs; que des débats qui ne seront jamais dé-
sertés par ceux qui savent combien M. Frimot s'est fait
honneur par ses travaux , combien il serait utile à Fin-
dustrie si on lui tendait loyalement la main ; je suis fâché,
dis-je, que ces diverses circonstances aient jeté sur la
discussion une irritation qui peut-être compromettra le
sort de l'amendement que j'ai proposé. Cet amendement
est ainsi conçu :
204 CONSTRUCTION DES MACHINES
« Les machines seront exécutées dans les ateliers fran-
çais, et d'après les marchés conclus avec concurrence et
publicité. »
Le budget a souvent renfermé de semblables disposi-
tions. Ainsi, de ce côté, point de difficulté; mais, en ter-
minant, j'appellerai Tattention sur une circonstance qui
milite en faveur de la disposition que je sollicite de la
chambre.
Le haut prix de nos machines tient aujourd'hui en
grande partie à la cherté de la matière première. Nos
usines à fer ne produisaient pas de fonte qui pût être
employée avec avantage dans leur construction. Notre
fonte perdait ses principales propriétés quand on la sou-
mettait à deux ou trois fusions successives. Je suis heu-
reux de dire que plusieurs maîtres de forges, parmi les-
quels je cite avec plaisir Tun de nos honorables collègues
de la Nièvre, sont tellement près d'avoir résolu le pro-
blème, que cette cause de différence entre le prix des
machines anglaises et celui des machines françaises est
sur le point de disparaître.
Je dirai, avec une égale satisfaction, que dans les
forges que je viens de citer on est parvenu à donner à la
fonte une propriété qui ne paraissait pas devoir appartenir
à cette matière, une certaine flexibilité dont on tirera
peut-être un très- grand parti dans la construction des
machines à vapeur. J'ajoute, enfin, qu'on commence à
essayer dans nos usines l'emploi de l'air chaud. Tout fait
donc espérer que d'ici à peu de temps nous serons dis-
pensés d'aller à l'étranger chercher les métaux employés
dans la construction des machines à vapeur.
 VAPEUR. 205
Eh bien, faites qu'au moment où Tamélioration dont
je parle aura eu lieu, nos ateliers ne soient pas déserts,
ne soient pas détruits ; faites en sorte que les usines qui
existent, qui ont déjà donné d'excellents résultats, qui
nous en promettent encore de plus grands, ne soient pas
totalement abandonnées lorsque les améliorations métal-
lurgiques que je prévois, que j'annonce comme pro-
chaines, se seront réalisées. Soyez persuadés qu'alors
vous aurez des ateliers où l'on exécutera, aussi bien et à
aussi bon marché qu'en Angleterre , toutes les machines
à simple ou à haute pression dont la marine militaire,
dont la marine marchande et dont les manufacturiers
pourront avoir besoin.
M. PiscATORT. Je demande la parole pour un fait personnel... Je
ne suis pas dans Thabitude d'interrompre personne, j'écoute avec
attention toutes les opinions. J'aime les longues discussions t je les
crois utiles au triomphe de la vérité et de la raison.
J'arrivais dans la Chambre lorsque la discussion était déjà com-
mencée. Je ne sais quelle parole m'a échappé , je ne sais même si
j'en ai prononcé une : M. Arago m'a interpellé en disant qu'il ne
concevait pas que quelqu'un qui avait traité la question d'Alger,
et qu'on avait bien voulu écouter, empêchât de parler sur les
machines à vapeur.
La comparaison est étrange.
Sans contredit la question des machines à vapeur est importante;
mais permettez-moi de dire qu'il y a une grande différence, quant
à l'importance politique, entre la question d'Alger et la question
scientifique de la vapeur à haute ou à basse pression. J'en demande
bien pardon à M. Arago, dont je reconnais la science et l'esprit;
mais il me semble que nous sommes venus ici pour faire les affaires du
pays, et non pour suivre un cours. (Interruption, murmures, hilarité.)
M. Arago a établi fort habilement la différence qui existe entre
les machines à haute et celles à basse pression. Je l'ai écouté avec
grand plaisir; mais j'avoue que cela n'a pas suffi pour éclairer mon
intelligence , fort médiocre, il faut le dire , en pareille matière.
Comme député, J'ai donc perdu un temps utile.
206 CONSTRUCTION DES MACHINES
Je dirai encore qu'il ine semble qu'il n'y a pas beaucoup de géné-
rosité de la part de M. Arago à venir faire ici de la science ; car
véritablement personne ici n'est en état de lui répondre ni de com-
battre l'opinion qu'il émet sur les objets tout scientifiques, qui nous
sont étrangers, et qui ne touchent en rien aux intérêts dont nous
sommes chargés.
M. ARAGO* Un mot. Messieurs, un seul mot sur la
question personnelle. Ce n'est pas moi qui ai soulevé
ici la question des machines à haute pression : c'est
M. le commissaire du roi qui est venu exprimer sa répu-
gnance pour les machines à haute pression. Plusieurs
membres de la Chambre ont désiré savoir ce qu'il pouvait
y avoir de fondé dans cette répugnance, et c'est à leur
demande que j'ai dû donner à la Chambre des explications
qui, à ce qu'il paraît, n'ont pas été du goût de l'honorable
préopinant.
III
[Dans la séancQ de la Chambre des députés du 29 mai 1835, à
l'occasion d'un projet de loi relatif à l'établissement d'un senice
de paquebots à vapeur entre la France et le Levant, M. Arago a
de nouveau pris la parole dans les termes suivants, extraits du
Moniteur des 29 et 30 mai. ]
Messieurs, j'ai demandé la parole afîn d'obtenir, soit
par voie d'amendement , soit par une promesse de M. le
ministre des finances, l'assurance que les machines qui
doivent être placées dans les bateaux à vapeur seront
exécutées par nos artistes. Voici, en abrégé, les motifs
de ma proposition.
En fait de machines à vapeur, nous sommes encore, il
faut l'avouer, dans l'enfance. Jetez un coup d'œil sur ce
que ce genre d'industrie a produit de merveilles en Angle-
A VAPEUR. te?
terre, et vous verrez que mon vœu n*a rien que de fort
naturel.
En 1819, en Angleterre, une seule manufacture, celle
de Soho, près de Birmingham, avait déjà exécuté un
nombre de machines à vapeur qui, à elles seules, fai-
saient annuellement le travail de cent mille chevaux,
c'est-àr-dire de six à sept cent mille hommes. L'économie
résultant de la substitution de ces moteurs aux moteurs
anin^ était, au moins, de 75 millions de francs par an.
A la même époque de 1819, il existait en Angleterre
dix mille machines à vapeur d'une force totale de six cent
mille chevaux, ou de â à & millions d'ouvriers. C'était là
l'origine d'une économie de 300 ou 400 millions de francs.
Aujourd'hui on peut dire, sans être taxé d'exagération,
que ces résultats doivent être doublés ; de sorte que, par
l'emploi de la vapeur, nos voisins obtiennent, tous les
ans, sur leurs produits, une économie de main-d'œuvre
de 800 millions de francs.
Consultez maintenant les tableaux officiels qui vous ont
été distribués, et vous verrez qu'aujourd'hui, en France,
le nombre total des machines à vapeur ne dépasse guère
un millier, et que leur force n'est que d'environ 14,000
chevaux.
U est donc important que la construction des machines
à vapeur reçoive chez nous des encouragements. Je de-
mande en conséquence à M. le ministre des finances de
vouloir bien, dans cette circonstance, prendre devant la
Chambre Rengagement de s'adresser à nos artistes, et
de leur commander des travaux utiles, importants, et
dont ils s'acquitteront à merveille.
208 CONSTRUCTION DES MACHINES
Ici, je le sais, se présente la question de savoir si les
grandes machines à vapeur, dont Tadministration a be-
soin, pourront être exécutées dans une année, et si elh.'s
auront la perfection de celles qui seraient fabriquées à
rétranger. Sur ce dernier point je n'aurai qu*à citer, qu'à
vous rappeler ce que le gouvernement lui-même a dit
dans un rapport qui vous a été récemment distribué.
Vous trouverez dans le rapport en question que « les ma-
chines qui sortent actuellement de nos ateliers peuvent,
sans crainte, soutenir la concurrence avec celles qui nous
viennent de l'étranger, i Voilà, Messieurs, une décision
formelle; elle n'est pas de moi, elle appartient au corps
des mines.
Les machines dont il est question dans ce paragraphe
ont , il est vjrai , je m'empresse de l'avouer, d'assez petites
dimensions; tandis qu'il en faudra d'une force considé-
rable pour les nouveaux bateaux à vapeur. Je crois , en
effet, que notre honorable collègue M. Tupinier a eu rai-
son en proclamant pour le service de mer l'insufOsance
des machines d'une force moyenne, en réclamant une
puissance de 160 chevaux au moins.
Or, il existe en ce moment, en France, divers ateliers
où des appareils de cette force sont exécutés.
Ces appareils sont-ils bons? Je n'hésite pas à répondre
^irmativement ; on les a comparés, en effet, aux meil-
leures machines exécutées en Angleterre , à celle qui jus-
qu'ici a été considérée comme modèle, à la machine du
Sphinx; et de très -bons juges, et nos officiers de marine
les plus expérimentés, ont déclaré positivement que les ma-
chines exécutées dans les ateliers de M. Hallette d'Arras,
A VAPEUR. SÛ9
et dans ceux tfindret, sont aussi parfaites que celles du
Sphinx. Je pourrais, au besoin, citer à l'appui de cette
opinion les rapporta du capitaine Favin-Lévêque, du
Crocodile, et celui du capitaine Gaubin, du Vautour.
Ainsi il existe en France des ateliers qui sont en me-
sure d'exécuter d'excellentes naachines de 160 et de
200 chevaux.
J'arrive à la question de savoir si ces grands travaux
pourraient se faire dans un temps assez court. Eh bien,
il paraît constant que M. Gavé exécuterait deux machines
en un an; M. Hallette, trois; M. Gengembre à Indret,
trois. Peut-être y a-t-il encore d'autres manufactures
qui pourraient entrer en concurrence avec celles-ci ; mais
je ne dois pas les citer, parce que je ne veux articuler
ici que des choses parfaitement certaines. Ainsi, en ne
considérant que des usines qui me sont personnellement
connues, je ne pense pas m'éloigner de la vérité en affir-
mant que les deux tiers des machines désirées y seraient
exécutées en un an.
Venons maintenant aux prix. Je reconnais que les
machines qu'on exécute en France sont beaucoup plus
chères que les machines anglaises. Mais vous en savez
la principale raison : c'est que la matière première est
chez nous d'un prix plus élevé. Or, la matière première
entre pour une part considérable dans le prix des ma-
chines. Quand vous aurez supprimé les droits des douanes,
il sera tout naturel de demander que nos appareils indus-
triels ne coûtent pas plus cher que ceux de nos voisins;
mais tant que ces droits existeront, il faudra bien se
résigner à payer les machines françaises à des prix élevés,
v.-ii. iU
210 CONSTRUCTION DES MACHINES
Je m'empresse de reconnaître que, pour favoriser nos
artistes, l'administration a frappé les machines qui vien-
nent de l'étranger, d'un droit de 30 pour cent.
M. LE Ministre des finances. De 33 pour cent, et le décime!
M. Arago. De 33 pour cent, si vous voulez ; eh bien,
ajoutez au prix qu'a coûté le Sphinx en Angleterre 33
pour cent, et vous trouverez à très- peu de chose près
les prix qui ont été payés par MM. Hallette et Gavé pour
leurs dernières machines. I^ marché ne vous sera donc
pas onéreux, car il aérait injuste que vous, gouverne-
ment, vous ne payasi^ez pas les droits que vous exigez
des particuliers.
Je sais très-bien que l'on cherche sans cesse à se sous-
traire à cette obligation ; je sais très-bien que la loi qui a
frappé de 33 pour cent les machines venant de l'étranger
a. décidé que si ces machines pouvaient servir de modèle,
elles ne seraient pas passibles du droit, et que les moindres
changements de forme sont présentés comme des amélio-
rations importantes ; mais M. le ministre des finances est
trop juste pour vouloir dans cette circonstance recourir à
ce moyen, quoiqu'il ait été déjà tenté par la direction des
postes elle-même.
M. LS Ministre des finances. Non I
M. Arago. Pénnettez-moi , M. le ministre, pour ré-
pondre à votre dénégation, de dire que j'ai été chargé
de faire un rapport sur une demande en franchise de
droits présentée par la direction des postes; je croîs
même me rappeler qu'elle avait reçu votre assentiment.
Au surplus, je regrette bien vivement que l'adminis-
N
A VAPEUR. ÎU
1 ration n'ait pas profité de cette circonstance pour faire
examiner à fond la question capitale de l'emploi des ma-
chines à haute pression dans les bâtiments de rÉtat«
Dans la dernière séance, M. Tupinier a émis sur ^et
objet des opinions trop arrêtées. Il a dit, par exemple,
que ces machines n'offraient pas d'économie ; que théo-
riquement an devait en espérer, mais qu'expérimentale-
ment elles n'en donnaient pas.
Théoriquement^ Messieurs, on ne sait pas grand' chose
aujourd'hui des avantages de la haute pression sur la
pression ordinaire, mais expérimentalement, la grande
infériorité de cette dernière ne semble pas douteuse, du
moins quand on fait usage de la détente. Deux ou trois
chiffres que je vais vous citer ne laisseront aucun doute
à cet égard.
Dans le comté de Cornouailles on n'emploie guère
aujourd'hui que des machines à haute pression ; eh bien,
plusieurs donnent des résultats quadruples de ceux qu'on
obtenait avec les anciennes machines de Watt. M. John
Taylor, le plus eélèbre ingénieur de cette contrée indus-
trieuse, m'écrivait naguère que, suivant lui, ces im-
menses effets étaient le résultat de l'emploi de la haute
pression combinée avec la détente. Les rapports des offi-
ciers de notre marine vous conduiraient à la même con-
séquence. M. Gaubin obtenait de l'emploi de ces deux
moyens im sixième d'augmentation sur la vitesse du
VaiUour.
On répète sans cesse que les machines à haute pression,
présentent de très-grands dangers. L'expérience justifie-
t-elle ces craintes? En aucune manière. On a dit aussi
242 CONSTRUCTION DES MACHINES
qu'elles effrayaient les passagers. Voici ma réponse :
Nous avons aujourd'hui sur la Seine un grand nombre de
bateaux à haute pression ; l'un d'entre eux qui s'appelle
le Théodore^ fait le service entre Paris et Melun ; il mar-
che à cinq atmosphères. J'ai voulu savoir si les craintes
dont l'honorable M. Tupinier parlait étaient réelles ; j'ai
été au quai de la Grève demander quel était le nombre
des voyageurs : on m'a répondu que dimanche dernier
on en avait compté quatre cent vingt-quatre. Vous le
voyez, Messieurs, si des craintes ont existé, il n'en reste
plus de traces aujourd'hui ; j'affirme, au surplus, que les
machines à haute pression ne, sont pas plus dangereuses
que les autres. A Paris, sur cent soixante-seize machines
à vapeur, il y en a cent trente-trois à haute pression.
Depuis dix ans que les constructeurs sont astreints à des
règlements bien combinés, il n'est pas arrivé un seul
accident. Les bateaux qui, depuis six ans, font sur la
Seine le service de Paris à Rouen, ont tous des machines
à pression élevée : est-il jamais arrivé aucune explosion?
Dans une autre circonstance j'essayai de démontrer, et
nous hommes d'étude, nous ne prodiguons pas ce mot,
qu'il y avait moins de chance d'explosion dans les ma-
chines à haute pression cfue dans les machines à pression
ordinaire, et cela attendu la nature des épreuves aux-
quelles on soumet les chaudières.
Je n'y reviendrai pas aujourd'hui; je me borne, et
cette preuve en vaut bien une autre, à faire remarquer
qu'à Paris et dans ses environs, un grand nombre de ma-
chines à haute pression sont depuis longtemps employées,
sans qu'il y ait eu une seule explosion.
A VAPEUR. 243
N'y eûHl aucune économie à faire usage de ce genre
(le machines , il faudrait encore les recommander. Quand
on veut imprimer une vitesse considérable à un bateau à
vapeur, il faut un appareil puissant ; or cette puissance,
avec la basse pre^ion, on ne Tobtient qu'en augmentant
les dimensions du corps de pompe. Un grand corps de
pompe absorbe à chaque oscillation du piston une grande
quantité de vapeur qui ne peut être fournie que par une
énorme chaudière. Une chaudière est aujourd'hui une
véritable maison qui emploie près des trois quarts du
volume du bateau à vapeur. Cherchez la même force
dans une machine à haute pression, vous gagnerez un
espace considérable, et cela, je le répète encore, sans
aucun danger ; car il est telle de ces machines où l'explo-
sion, à peu près impossible, ne pourrait pas d'ailleurs
entraîner des accidents de quelque gravité.
On a insisté avec beaucoup de raison sur les avantages
que l'administration trouverait en cas de guerre dans les
bateaux à vapeur, dont aujourd'hui elle demande la con-
struction pour le transport des voyageurs ; on vous a dit
qu'ils seraient transformés en bâtiments de guerre ; mais
pour cela l'espace est nécessaire, et vous en auriez très-
peu avec des machines à pression ordinaire. J'exprime
de nouveau le regret que M. le ministre des financés
n'ait pas profité de cette occasion pour soumettre cette
question capitale à une discussion approfondie. Il aurait
trouvé dans les lumières des ingénieurs, de divers profes-
seurs, et des membres des corps académiques, les moyens
d'ajTivcr à une solution définitive.
Chaque jour on parvient à concentrer, à l'aide de la
214 CONSTRUCTION DES MACHINES
haute pression, une pmssance immense dans des espaces
de plus en plus restreints. Récemment on a pu voir sur
le chemin de fer de Liverpooi à Manchester, une voiture
locomotive de MM. Sharp et Roberts qui parcourait un
mille en 57 secondes, une lieue en 2 minutes 22 secondes,
et 25 lieues à Theure. La machine marchait avec une
telle rapidité, que, par parenthèse, la cheminée tua
ûms sa course un corbeau qui traversait la route en
volant, (On rit.)
Hàtons-nous d'appliquer ces merveilleuses concentra-
tions de force à la navigation.
Pour le moment, je ne m'oppose pas toutefois à ce
qu'on suive la route ordinaire ; mais je prie M. le ministre
des finances de déclarer si son intention est de faire exé-
cuter en France la totalité ou du moins une grande partie
des machines demandées. Après la réponse de M. le
ministre, je verrai si je dois soumettre un amendement à
la Chambre, si je dois luipropoeer de prendre elle-même
une détermination à ce sujet
[Après la réponse du ministre des finances, M. Arago s*est
exprimé ainsi : ]
Je ne propose pas d'amendement, après ce que M. le
ministre des finances vient de dire; j*ai la certitude
qu'il n'oubliera pas des artistes français qui sont dignes
de toute sa confiance , et qui font honneur à notre in-
dustrie»
 VAPfiUû. 215
IV
[Dans la séance du 16 Juin 18&0, à propos de la discussion du
projet de loi sur rétablissement de divers chemins de fer. M. Arago
a proposé un article additionnel ainsi conçu :
« Les neuf dixièmes au moins des machines locomotives dont la
compagnie fera usage, devront être exécutés en France ;
« Cette prescription cesserait d^ôtre obligatoire, dans le cas où le
prix des machines françaises surpasserait le prix moyen des ma-
chines anglaises de plus de 15 pour 100. »
J^L Arago a développé sa proposition dans le discours suivant,
extrait du Moniteur du 17 juin. ]
Messieurs, ramenderaent que je propose doit avoir des
conséquences importantes. J'espère cependant qu'il me
sera possible de le justifier en très-peu de paroles. Je com-
mence d'abord par faire remarquer que cet amendement
s'applique exclusivement aux chemins subventionnés, aux
chemins dont le gouvernement est devenu le plus fort
actionnaire. Cette réflexion répondra à plusieurs criti-
ques que j'ai entendues sur nos bancs. En tout cas, je me
réserverai le droit de répondre avec plus de détail dans
le cas où par erreur on trouverait dans la prescription
impérieuse qui est contenue dans mon amendement une
atteinte à la liberté commerciale.
La question que mon amendement soulève, serait
appréciée d'une manière mesquine, si on la traitait seu-
lement du p(Hut de vue de la liberté commerciale. Au fond,
ce dont il s'agit dans les conséquences de la proposition
que je fais, c'est d'indépendance, de force nationale.
Les machines à vapeur sont des armes; c'est à coups
de machines & vapeur qu'on se battra , si jamiais , ce que
246 CONSTRUCTION DES MACHINES
je regarderais comme un malheur , nous avons à lutter
avec l'Angleterre. Nos voisins ont aujourd'hui 800 bateaux
à vapeur ; tous , je le reconnais , ne porteraient pas une
puissante artillerie , mais tous pourraient pénétrer dans
nos rades , dans nos ports, dans les anses les plus cachées,
et enlever jusqu'à la dernière de nos barques de pêcheurs,
si nous n'avions moyen d'opposer bateau à bateau, ma-
chine à machine.
Que diriez-vous, Messieurs, d'un gouvernement qui
confierait aux étrangers la fabrication de la poudre ,
des canons et des fusils? Vous diriez qu'il manque d'in-
telligence, peut-être même lui adresseriez-vous un repro-
che plus sévère : eh bien , je le répéterai à satiété , les
machines à vapeur joueront dans une guerre maritime
un rôle aussi essentiel que les fusils, les canons et la
poudre. Ce que je demande, c'est qu'en temps de paix
vous formiez, vous encouragiez les ouvriers, les con-
tre-maîtres qui fabriqueront nos machines lorsque les
Anglais ne nous en fourniront plus ; c'est qu'en temps de
paix vous songiez que des mécaniciens sont nécessaires
à berd des navires, et qu'ils y jouent un rôle capital.
C'est une chose heureuse , Messieurs , pour notre pays,
que cette transformation que la marine doit subir , qu'elle
subira d'ici à peu de temps, et dont M. Paixhans vous
entretenait récemment avec tant d'autorité; c'est une
chose avantageuse , car, dans nos conflits miaritimes avec
les Anglais, notre infériorité, quand elle a eu lieu, a dé-
pendu , non pas assurément d'un plus grand courage des
matelots ennemis , mais d'une plus longue expérience.
Eh bien , cette plus longue expérience sera sans gravité
A VAPEUR. 217
dans la marine à vapeur. Nos officiers entrent dans cette
nouvelle voie avec un admirable dévouement, avec une
remarquable habileté. Préparez , messieurs , préparez de
longue main , les quatre ou cinq mécaniciens qui devien-
dront dans chaque navire les auxiliaires indispensables
des capitaines. Remarquez-le , messieurs , beaucoup de
nos bateaux ont des mécaniciens anglais. Disons-le à leur
honneur, ils nous quitteraient tous le jour où nous serions
en guerre avec leur pays.
11 y a peu de jours encore , vous avez failli à sacrifier
une industrie nationale, l'industrie du sucre indigène, au
désir bien naturel d'encourager et d'étendre notre marine
marchande. Ce que je vous demande, moi, n'exigera de
sacrifice d'aucune sorte; je désire que le temps présent
ne vous détourne pas de songer que la guerre peut lui
succéder; je demande que, sans négliger la marine à
voile , vous réunissiez les-éléments d'une marine à vapeur.
J'ai dit que je ne demande, que je ne sollicite aucun
sacrifice. Remarquez en effet que la loi du 2 juillet 1836
avait établi un droit de 30 p. 0/0 sur les machines à va-
peur étrangères. Ce droit , avec le décime , conduisait en
définitive à une prime de 33 p. 0/0; elle a été depuis
réduite de moitié quant aux locomotives.
Vous dire par quelle interprétation , par quel jeu d'ima-
gination, on est arrivé à trouver que les locomotives ne
sont pas des machines à vapeur, est au-dessus de ma
portée.
Quoi qu'il en soit, le droit d'entrée se trouve réduit à
15 p. 0/0. En ce moment , les machines anglaises entrent
en France au droit de 15 p. 0/0. Je ne demande pas,
218 CONSTRUCTION DES MACHINES
quant à moi , que ce droit soit augmenté ; je ne désire
nullement qu'on revienne aux dispositions de la loi du
2 juillet 1836 ; je ne sollicite, enfin, aucun accroissement
de droit.
Nos constructeurs ont assurément de très-bonnes rai-
sons pour soutenir que les loconK)tives sont des machines
à vapeur , et pour demander qu'on les comprenne de nou-
veau dans les prescriptions de la loi du 2 juillet 1836.
Cette prétention , toute légitime qu'elle soit , je ne l'ap-
puie pas ; je ne demande même le maintien du droit
actuel de 15 p. 0/0 , qu'aûn que les constructeurs fran-
çais aient la matière première au même prix que les
constructeurs anglais ,. et qu'ils puissent lutter contre eux
à armes égales.
Mon amendement réduira le prix des machines fran-
çaises aux prix des machines anglaises ; les compagnies
ne perdent rien de leur position actuelle ; je n'entends
leur imposer aucun nouveau sacrifice.
Mais , dira-t-on, quel est , en ce cas, le but que vous
vous proposez? Messieurs, ce but , le voici, je l'ai déjà
indiqué : je vçux afl*ranchir nos constructeurs des consé-
quences fâcheuses d'un préjugé très-enraciné dans notre
pays. On croit généralement que nos ingénieurs ne sont
ni aussi habiles ni aussi expérimentés que les ingénieurs
anglais.
Qu'ils ne soient pas aussi expérimentés, je le reconnais;
quoique cependant, au prix d'énormes sacrifices, ils
aient acquis depuis peu de temps une grande habileté.
€eci n'entraîne cependant pas la conséquence que les
locomotives anglaises sont meilleures que les locomotives
A VÀP£UR. 2\%
françaises. Vous sentez, Messieurs, qu'avant de vous pro-
poser mon amendement, j'ai dû fortement me préoccuper
de cette question. C'est donc après un examen approfondi
que je déclare sans hésiter que les constructeurs français
sont en mesure d'exécuter les machines locomotives tout
aussi bien et au morne prix que les constructeurs anglais,
lorsque vous aurez fait la défalcation du prix de la ma-
tière première.
Lorsqu'il se manifeste un accident, et il en arrive fré-
quemment aux locomotives , si la machine est anglaise,
ou range l'accident parmi les événements inévitables ; la
machine est-elle française, on en parle trois cent soixante-
cinq fois dans les années ordinaires et trois cent soixante-
six fois dans les années bissextiles. (On rit. )
Voyez ce qui est arrivé ces jours derniers à une loco-
motive de la compagnie d'Orléans. Elle conduisait, je
crois, une . commission de la chambre à Choisy. Un des
tuyaux de la chaudière fit explosion. Grande rumeur aus-
sitôt contre les machines françaises. Il n'y avait qu'un
malheur à cela : la ma.chine était anglaise.
Ce n'est pas seulement en fait de locomotives qu'on a
eu des préjugés dans notre pays. Remontons à une épo-
*
que éloignée , et vous y trouverez l'idée très-arrétée de
notre insurmontable infériorité en fait d'instruments de
précision et d'instruments d'optique.
J'ai été forcé de combattre, d'anéantir cette fausse
opinion ; pour arriver à un résultat national et éminem-
ment désirable, j'ai été quelquefois obligé d'engager
ma responsabilité. Où en sommes-nous maintenant? il
ne viendrait à personne, l'idée de commander en Angle-
220 CONSTRUCTION DES MACHINES
terre un instrument de précision , un instrument d'astro-
nomie , un instrument de marine.
Jadis une lunette anglaise était un bijou précieux, un
instrument qu'aucun artiste du continent ne devait égaler.
Allez aujourd'hui à l'observatoire de M. Edward Cooper,
en Irlande, à l'observatoire de Kenzington, à l'observa-
toire royal de Greenwich , à l'observatoire de Cambridge,
et vous les trouverez meublés de lunettes françaises ; et
vous reconnaîtrez que les plus grandes sont sorties des
ateliers de M. Cauchoix.
Ce que j'ai pu obtenir , moi simple individu , pour des
instruments de sciences, je demande à la chambre de le
faire pour les locomotives.
Savez-vous, Messieurs , pourquoi il faut inévitablement
aller en Angleterre pour avoir de bonnes locomotives?
C'est , dit-on , qu'elles y ont été inventées et que les inven-
teurs en savent toujours beaucoup plus que les imitateurs.
Je nie d'abord la première partie de cette assertion.
11 n'est pas vrai que les machines locomotives, dans leurs
parties les plus essentielles, aient été inventées en Angle-
terre. Qu'est-ce qu'une machine locomotive? C'est tout
simplement une machine à vapeur ordinaire fort ramas-
sée , dans laquelle le mouvement de va-et-vient du piston
est transformé en un mouvement de rotation. Les artifices
par lesquels cette transformation s'opère ont été très-
ingénieusement disposés par M. Stephenson, mais, on
doit le dire, ils étaient connus et décrits dans des ouvrages
imprimés.
11 n'y en a pas un qui ne figure avec tous ses détails
dans l'ouvrage de MM. Lanz et Bcthcncourt.
A VAPEUR. 221
Que rcmarque-t-on de particulier, de capital, dans une
machine locomotive ?
On y remarque une chaudière à évaporation très-ra-
pide ; on y remarque une manière toute spéciale d'y souf-
fler le feu : la chaudière et le moven de ventilation sont
incontestablement Tun et l'autre d'invention française.
Qu'on ne vienne donc plus nous dire que les machines
locomotives appartiennent à l'Angleterre, afin d'avoir,
contre toute vérité , un prétexte pour les faire exécuter de
l'autre côté du détroit.
Il faut bien le remarquer, Messieurs, nous avons sur
ce genre de machines un tel engouement , de tels préju-
gés ; on attribue , j'oserais presque dire , à l'atmosphère
de la France une influence tellement délétère, que quand
un ingénieur étranger vient s'établir chez nous, on n'ac-
cepte plus ses machines, n'eût-il employé d'ailleurs, pour
les construire, que des ouvriers anglais.
S'il fallait citer des exemples, le nom de M. Taylor, le
nom de l'ingénieur préposé à la réparation des bateaux
à vapeur de la Méditerranée, sortirait naturellement de
ma bouche.
Messieurs, il faut nous affranchir de ce préjugé, il ne
faut plus faire construire en Angleterre ce que nous pou-
vons exécuter chez nous, surtout quand il s'agit d'armes
de guerre.
Ferait-on un assez grand nombre de bonnes machines
dans notre pays, pour satisfaire aux besoins de toutes
les compagnies de chemins de fer? Oui, Messieurs, on
exécute un grand nombre de bonnes machines en France.
On les exécute avec d'énormes sacrifices, par des moyens
222 CONSTRUCTION DES MACHINES
de fabrication qui sont incomplets , parce que , n'ayant
pas l'espérance de beaucoup de commandes, les construc-
teurs ne s'outillent pas. Malgré cette infériorité dans les
moyens de production , les résultats ont été extrêmement
satisfaisants.
On a cité, je le sais, des accidents, des manivelles
mal cintrées, des esaeux rompus. Tout cela s'est égale-
ment vu en Angleterre. Je me suis procuré un tableau
des accidents arrivés aux machines anglaises, par exem-
ple aux machines locomotives du chemin de Saint-Ger-
main. Ce tableau est dressé par un juste appréciateur de
l'industrie de nos voisins ; qu'on le lise, et l'on aura beau-
coup à rabattre d'une aveugle admiration.
On parle sans cesse de quelques défauts de solidité
remarqués à l'origine dans des machines construites en
Alsace; ces défauts disparurent aussitôt qu'on les signala.
J'en appelle au témoignage de M. Kœchlin : il vous dira
que les machines de Thann marchent aussi bien que les
machines anglaises. Je pourrais invoquer encore les ma-
chines françaises d'Anzin, et M. Joseph Fourier serait
mon garant; celles du chemin d'Andrezieux à Roanne
sont louées par le syndic de la compagnie, etc. , etc.
Quand on parle d'accidents, on croit, je le répète,
qu'en Angleterre les machines ont le privilège de ne pas
en subir. C'est une immense erreur. J'ai ici sous la main
le 'tableau des réparations effectuées sur le chemin de
Liverpool à Manchester, en 1833; ces réparations se
sont élevées à une dépense de 453,000 fr. Qu'on l'avoue
donc, il arrive des accidents dans les machines anglaises,
auprès du lieu même où elles sont fabriquées.
A VAPEUR. 223
Voudrait -on soutenir que les prescriptions de mon
amendement sont sans précédent dans l'administration
française? Eh bien, vous trouverez que le 24 juiù 1832
M. le ministre de la guerre prescrivait impérieusement ,
par une circulaire, que tous les fournisseurs de la guerre
ne se servissent que de draps et de toiles fabriqués en
France. Le gouvernement avait donc senti la nécessité
d'encourager l'industrie française : ici c'est plus qu'une
industrie, c'est d'aune arme puissante qu'il s'agit.
Voici, sans contredit, la question la plus grave.
Les usines françaises pourraient-elles suffire à tous les
besoins?
Sur le nombre total des locomotives que nous avons
aujourd'hui sur nos chemins de f^r, les ateliers français
en ont fabriqué 59, l'Angleterre en a fourni 97.
A quoi bon protéger des constructions qui se dévelop-
pent ainsi d'elles-raêrrîes? Voici ma réponse. Les construc-
teurs français perdent actuellement sur toutes les locomo-
tives qu'ils exécutent. Ils les ^vendent à très-bas priXy
parce qu'ils n'ont pas d'autre moyen de les faire accep-
ter. Si mon amendement est adopté, nos mécaniciens
s'outilleront. Qui pourrait actuellement les engager à
acheter des appareils qui coûteraient deux à trois cents
mille francs, quand ils n'ont pas la certitude de faire en
un an une machine de la seule valeur de 40,000 fr.?
Je disais qu'il était possible de trouver dans les ateliers
français de quoi pourvoir à tous les besoins des chemins
de fer, aux besoins présents, aux besoins futurs, même en
parlant seulement des ateliers qui aujourd'hui construi-
sent des locorootive&
224 CONSTRUCTION DES MACHINES
Après une enquête sérieuse, j'ai trouvé que la compa-
gnie d'Anzin pouvait faire 10 niachkies par an; que la
compagnie du Creuzot pourrait en faire 24 dans le même
temps ; que M. Steheliii s'engagerait à en fabriquer 2h ;
M. André Kœchlin, de Mulhouse, 24 ; M. Gavé, de Paris,
24; la compagnie de Saint-Étienne à Lyon, 12; M. Ga-
zalis, de Saint-Quentin, 10 ; M. Pauwels, 18 ; l'atelier de
la Giotat, sous la direction de M. Steplienson, 10.
Messieurs, la classe des mécaniciens, que concerne plus
particulièrement ma proposition, doit exciter au plus haut
degré l'intérêt de la Ghambre.
Une de vos commissions a maintenant dans ses mains
des pétitions qui devaient conduire , comme conséquence
nécessaire, à l'amendement que j'ai l'honneur de sou-
mettre à votre bienveillance et à vos lumières. Ges péti-
tions sont signées par plus de 1,000 ouvriers de Rouen,
par 1,500 ouvriers de Paris, par 600 ouvriers du Havre
et par 800 ouvriers d'Arras. Ges braves gens n'ont pas
d'ouvrage; ce sont cependant des hommes d'élite, des
hommes d'une intelligence très-remarquable, très-dé ve-
loppée. Ges hommes, vous les trouverez toute la journée
travaillant avec ardeur, avec courage, avec habileté; le
soir ils suivent des cours publics.
Je parlerai, au besoin, de leur moralité. M. Pauwels
vous dira que naguère il fut obligé, comme tant d'autres
chefs de nos ateliers, de renvoyer la moitié de ses 400
ouvriers. « Je garderai , leur dit-il , les plus habiles et les
plus anciens. » Le lendemain il reçut une lettre que tous
les ouvriers , que tous les 400 , sans exception , avaient
souscrite. Ges ouvriers demandaient que personne ne fût
A VAPEUR. 215
renvoyé, et qu'on réduisît leur journée à moitié de l'an-
cien prix. Ils s'étaient coalisés, comme je l'ai dit dans
une autre enceinte ; ils s'étaient coalisés pour souiTrir en
commun. C'était, vous le voyez, un genre de coalition
que la loi pénale n'avait pas prévue.
Savez-vous ce que deviennent maintenant ces hommes
d'élite, ces hommes qui , pour la plupart, ont déjà appar-
tenu à l'armée, aux armes du génie et de l'artillerie? Ils
deviennent terrassiers , humbles terrassiers sur vos che-
mins de fer.
J'en conjure la Chambre, qu'elle réfléchisse sur la
portée de mon amendement ; elle verra que les chemins
de fer ne souffriront pas de son adoption , et que le pays
y gagnera beaucoup.
Je ne devine pas comment , en présence de ces résul-
tats, on pourrait hésiter à organiser chez nous la fabrica-
tion d'une arme qui nous sera indispensable en cas de
guerre maritime , tout aussi indispensable que la poudre
et les canons. (Très-bien, très-bien!)
[Après la réponse de M. Gouin, ministre du commerce, et les
obsenatioDS de quelques députés, M. Arago a ajouté : ]
Je ne propose en aucune manière des modifications
dans le tarif des douanes. Les compagnies de chemins de
fer ne paieront pas, si mon amendement est adopté, leurs
machines un centime plus cher qu'elle ne les paient sous
la législation actuelle.
Ce que j'ai demandé, c'est qu'on encourage la fabri-
cation des machines à vapeur, comme on encourage la
fabrication de la poudre, la fabrication des fusils. C'est une
question d'intérêt national, de force nationale, d'indépen-
V. — II. 15
226 CONSTRUCTION DES MACHINES
dance nationale, et non pas une question de douanes.
Je me suis mis en rapport avec nos constructeurs de
machines; j'ai reconnu qu'ils pourraient lutter avec l'An-
gleterre et à armes égales. Ce que je vous demande est
une chose très-facile ; il n'est pas question de liberté du
commerce, car, je le répète, je n'ai proposé mon amen-
dement que pour les chemins subventionnés, pour les
chemins qui , comme le disait M. Duchâtel , ont abdiqué
une partie de leur liberté.
Je n'ai pas proposé qu'on reportât les droits de 15 à
80 p. 0/0. Ce serait grever les entreprises de chemins
fer d'une dépense considérable dans une loi où il s'agit
précisément de venir à leur secours. Un vieux dicton dit :
Donner et retenir ne vaut. Je demande seulement que nos
constructeurs français luttent à armes égales avec les
constructeurs anglais.
Les constructeurs français, ayant la certitude qu'on
s'adressera à eux , s'outilleront ( qu'on me permette cette
expression) comme sont outillés les mécaniciens anglais,
et alors ils feront aussi bien que les étrangers. Je ne
demande pas l'augmentation des droits. M. le ministre
s'est trompé quand il a cru que mon amendement se com-
binait avec celui de M. Pauwels. Je demande que l'on ne
confie pas l'exécution de nos machines à des étrangers ,
pas plus que je ne voudrais voir livrer à des étrangers la
fabrication de la poudre et des armes de guerre. Je re-
viens sur cet argument, car c'est celui qui m'a détermine
à proposer mon amendement.
[ La Chambre prononce le renvoi de Tamendement de M. Arago :\
la commission des douanes. ]
A VAPEUR. tf7
[Le 17 Juin :i8A0, M. Arago eftt retenu daBB les ternes sairants
sur sa proposition , à Toccasion d'un projet de loi relatif 4 rétablis-
sement de paquebots à vapeur entre la France et TAmérique. J
MesBieure, te Chambre comptendra que l'amendement
que j'avais présenté hier était Tavant-^îôUreur d*im amen-
dement que je voulais proposer sur la loi des paquebots.
La Chambre ayant paru désirer que ces questions-lh fùs^
sent résolues dans la loi'^des douanes, je n'Insisterai pas;
mais je demanderai au gouvernement s'il trouverait quel-
que inconvénient à s'expliquer dès ce moment-ci sur des
projets qu'il a relativemeiit au mode de construction des
bateaux à vapeur.
Le gouvernement, je le sais, a consulté une autorité
fort compétente ; il a demandé un rapport au comité
consultatif des arts et des manufactures. Je crois être
certain que ce comité a répondu que nos constru6t0Urs
étaient parfaitement en mesure (C'est vrai!) de fottrrtir
les paquebots des machines de ^50 chevaux dont on
vient de parler. Je sais que l'administration de la marine,
à laquelle on doit s'en rapporter pour la construction de
ces machina à vapeur, est très-bien disposée pour la
plupart de nos usines. Mais je sais aussi qu'il y a dans
les règlements de la marine, dans ses habitudes, des exi-
gences qui placent nos constructeurs dans une position
extrêmement défavorable, dans une position non*SeuIe*
ment défavorable pécuniairement parlant, mais encore
dans une pogitîon très-défavorable sous un rapport auquel
%'tH CONSTRUCTION DES MACHINES
nos compatriotes doivent être très-sensibles, sous le rap-
port d'honneur.
Voici quels sont les règlements de la marine, quelles
sont ses habitudes avec les constructeurs, que d'ailleurs
elle traite avec beaucoup de bienveillance à d'autres
égards.
Elle paie par tiers. Eh bien, qu'elle paie par tiei*s
aux mêmes conditions aux Anglais, nous n'aurons rien à
dire; mais quand c'est un constructeur anglais auquel
l'administration de la marine s'adresse, elle donne, le
jour de la signature du contrat, le tiers de la somme con-
venue. Au contraire, nos constructeurs ne sont payés
de ce tiers-Jà que fort tard.
Quand un constructeur français traite avec l'admi-
nistration de la marine , on prend sur le prix concédé
& p. 0/0 au profit de la caisse des Invalides. Ces â p. 0/0
ne sont pas ordinairement pris s'il s'agit d'un construc-
teur anglais.
Quand le constructeur est français, on exige de lui un
cautionnement, et le cautionnement n'est jamais exigé de
la part d'un constructeur anglais.
Enfin, quand le constructeur est un de nos compa-
triotes, on demande qu'un banquier signe solidairement
l'acte qui l'engage envers l'État ; et tout cela ne s'obtient
pas sans de très- grands sacrifices.
Je demande , si le gouvernement s'adresse à nos con-
structeurs, comme je l'espère, comme l'avis favorable du
comité consultatif des arts et des manufactures me le fait
supposer, je demande que les constructeurs français
soient traités aux mêmes conditions que les coi^tructeurs
A VAPEUR. 2i9
anglais, et que les prescriptions dont je viens de parler
ne leur soient pas imposées, car elles dinninueraient les
bénéfices de manière à rendre impossible la propagation
de cette industrie dans notre pays.
Je prie M. le ministre de prendre en considération les
observations que j*ai faites, et les règlements maritimes
qui placent les constructeurs français dans une position
défavorable avec les constructeurs anglais, non-seulement
sous le rapport pécuniaire, mais encore sous le rapport
moral. Je viens de parler de la position de nos construc-
teurs relativement aux constructeurs anglais. Je suis heu-
reux de pouvoir vous donner un renseignement qui émane
d^one autorité compétente, d'un des ingénieurs de la ma-
rine royale les plus distingués, actuellement employé à
Toulon, et qui montre que les constructeurs français,
même pour la force à laquelle ils ont atteint, n'ont rien
à craindre de la comparaison avec les constructeuFs an«
glais, quand on met les machines entre les mains d'in*
génieurs expérimentés, et qu'on ne vise pas à faire des
économies. Voici la lettre :
«Les machines du Fulion (c'est un constructeur fran-
quî a fourni le Fulton) sont encore dans un état i)arfdit,
ainsi que ses chaudières, les plus anciennes de toutes
celles en fer de nos bâtiments y compris le Sphitico , par
Fawcett, qui est à son huitième jeiK Ces faits montrent
évidemment une supériorité de fabrication et de préci-
sion dans le montage , et ils me semblent un argument
sans réplique contre les préventions de l'anglomanie.
Votre Achéron , plus moderne, promet de marcher sur lés
mêmes traces que le Fultonj son aîné ! »
290 CONSTRUCTION DE3 MACHINES
G'eât l'ingémeur de la marine royale de Toulon qui
écrivait ces lignes flatteuses à M, Hall^te^ d'Arras.
VI
' [Lors du vote de la loi de concession du chemin de fer de Paris à
Strasbourg, dans la séance de la Chambre des députés du 2 juillet
18A4, M. Arago est encore revenu sur sa proposItiOD. Voici les pa-
roles qu'il a prononcées à cette occasion, extraites du Moniteur du
3juiUet]
Je propose un amendement qui intéresse au plus haut
degré Thonneur national, la défense du pays. Je demande
qi»e, dans tous -les chemins subventionnés par TÉtat, on
emploie au moins neuf machines sur dix exécutées dans
nos ateliers.
Je demande cette disposition avec instance parce qu'il
est établi à mes yeux que nos loécaniciens travaillent aussi
bien que les étrangers. Je le demande aussi par un motif
d- humanité. J'affirme qu'il y a dans ce n¥>ment, dans la
seule ville d'Arras, trois ou quatre cents mécaniciens qui
n'ont pas d'ouvrage. Je n'ai fait une exception sur dix
qu' afin qu'on puisse, au besoin , se procurer des modales.
Songez, Messieurs, songez que les machines k vapeur
sont des instruments de. guerre ; que si la guerre éclate ,
ce sera à coups de no^achines à vapeuf qu'oie se. battra.
Vous devez réserver soigneusement au pays le moyen
d'exécuter ces machines. Dans les combats de bateaux à
vapeur , l'intelligence et Thabiieté des mécaniciens et des
chauffeurs joueront un grand rôle. Créez donc sans retard
des chauffeurs et des mécanicienst II y a va de rhonneur
du pays.
A VAPEUR. 23t
Messieurs, la marine recrute ses équipages de navires
à voiles parmi les matelots. Il faudra bien qu'elle com-
pose en partie ses équipages de bâtiments à vapeur de
mécaniciens. Elle sera obligée de former de nouvelles
classes nautiques. La situation qu'on fera ainsi aux ou-
vriers mécaniciens deviendrait intolérable , si leur nombre
ne s'accroissait pas considérablement
[ Après la réponse de M. Laptagne, ministre des finances, M. Arago
a ajouté : ]
Messieurs , il y a dans notre pays , et particulièrement
dans les conseils des compagnies de chemins de fér, des
personnesqui ont des préjugés enracinés sur une préten**
due infériorité de nos mécaniciens. (Non! non !) Mes^
sieurs, ne me forcez pas de citer des noms; si vour>
l'exigiez , j'en citerais beaucoup.
La première de toutes les forces est la confiance: en
soi-même. Si le gouvernement ne montre pas clairement
cette confiance, en déclarant qne dans tous les chemins <
de fer qu'il dirigera, qu'il subventionnera, qu'il exploitera,
on emploiera lés neuf dixièmes de locomotives fabriquées,
en France , vous pouvez être assurés que les compagnies
s'approvisionneront de machines hors de France.
La séance est trop avancée, et MM. les députés sont
trop impatients, pour que je tente de prouver en détail
qu'il y a , sous ce rapport , dans notre pays , des pré»
jugés absurdes et invétérés.
Je reconnais, j'en ai été averti, que dans la loi de:
douanes on a porté le droit d'entrée des machines loco-
motives à 30 p. 0/0, tandis qu'il n'était jusqu'ici qa'ài
15 p. 0/0. Voulez-vous que je vous dise comment est arrivé;
232 CONSTRUCTION DES MACHINES A VAPEUR.
ce ehangement de tarif? J'ai soutenu ici une lutte très*
longue et très-vive pour faire établir que les locomotives
sont des machines à vapeur ; elles étaient portées dans la
loi de douanes comme machines à dénommer. Vous voyez
donc, M. le ministre, qu'il n'était pas tout à fait exact
dédire que vous n'aviez pas attendu mes avertissements
pour faire cette modification.
Rien n'est plus important que de faire exécuter les
machines à vapeur dans nos ateliers. Je sais de science
certaine, que des membres de certaines compagnies sont
imbus de préjugés sur cette question, et il faut les faire
disparaître. Je sais quelle lutte j'ai eu à soutenir pour faire
prévaloir parmi des officiers pleins de mérite , l'opinion
que nos artistes pouvaient exécuter les instruments de
précision, ceux dont la marine fait usage , par exemple ,
aussi bien que les artistes anglais. J'ai été dix ans à faire
prévaloir celte opinion ; avec le ten;ips et la persévérance,
j*arriverai au même résultat pour les machines. Il est
d'une importance extrême d'exécuter les machines à va-
peur de toute nature dans nos ateliers, parce qu'il est
indispensable d'augmenter en France le nombre des mé-
caniciens. Je le répéterai à satiété, la marine en a besoin ;
souvent le résultat d'une bataille dépendra de l'habileté
du chauffeur et du mécanicien. Je sollicite dans un inté-
rêt national (Aux voix, aux voix!) Je vois que c'est
un parti pris Je profite d'un moment de silence pour
répéter qu'il est question dans mon amendement de ce
qu'il y a de plus précieux au monde, de la défense de
notre pays. Voilà une vérité évidente. Votez maintenant
comme vous voudrez !
LES CHEMINS DE FER
[ M. Arago a exercé une grande influence sur la direction impri-
mée à l^établissement des chemins de fer en France. Les discours
qu^il a prononcés, les rapports qu'il a rédigés à cette occasion for-
ment, sur les diverses questions que le sujet comporte, de vérita-
bles Notices scientifiques réunies ici dans l'ordre chronologique.]
1
NÉCESSITÉ D'EUPÊCUER LES COMPAGNIES DE RELEVER LEURS TARIFS
lMMÉpiATElfD?iT APRÈS LES AVOIR ABAISSÉS
[A Toccasion du vote d'une loi portant concession du chemin
de fer de Montpellier à Cette, M. Arago a propos l'amendement
suivant :
« Toutes les fois que le concessionnaire aura cru devoir réduire
les tarifs pour les pei'sonnes et les marchandises, il ne pourra plus
les élever sans le consentement du conseil municipal de Mont-
pellier. »
M. Arago a développé son amendement dans le discours suivant,
extrait du Moniteur du 12 juin 1836. ]
Messieurs, je suis partisan des chemins de fer, tout
autant que qui que ce soit au monde ; mais je suis par-
tisan des chemins de fer, à la condition que la masse du
pubUc y trouvera quelque profit.
Eh bien, vous savez ce que font les concessionnaires
des chemins de fer; la loi fixe un prix maximum; il y a
quelquefois des moyens de communications plus écono-
234 LES CHEMINS DE FER.
miques que celui que présente le chemin de fer ; momen-
tanément, la compagnie du chemin fer abaisse les prix
de manière à tuer tous les moyens de communication
économique qui sont dans les environs; et aussitôt que
ces moyens de communication n'existent plus, on revient
au prix maximum, de manière que le public, loin d'avoir
tiré quelque profit de l'exécution du chemin de fer, se
trouve n'avoir plus à sa disposition les moyens de com-
munication peu coûteux dont il pouvait précédemment
tirer parti.
C'est là ce qui est arrivé pour le chemin de fer de
Saint-Étienne à Lyon ; on a abaissé les prix pour tuer
toutes les diligences, et faire que les habitants de ces
deux villes ne pussent plus aller de l'une à l'autre que par
le chemin de fer; et aussitôt que les compagnies rivales
forent anéanties , leur matériel dispersé, on est revenu h
des prix excessifs.
Nous aurons aussi cette question à résoudre pour le
(U'ojet qui vient immédiatement après celui-ci; pour le
chemin de fer de Paris à Versailles, mon but deviendra
très-clair.
Nous avons maintenant, pour communiquer entre Paris
et Versailles, des voitures qu'on appelle des Gondoles,
et d'autres voitures à volonté qu'on désigne par le nom
buriesque de Coucous.
Ces voitures portent les habitants de Paris à* Versailles
à des prix très- minimes; les deux tiers de la population
de Paris qui vont à Versailles se servent de ces coucous
à; 75 cent. Maintenant le maximum du tarif pour le che-
min de fer est 1 franc 80 centimes. Il n'y a pas de doute
LES CHEMINS DE FBR. «35
que la compagnie commencera par abaisser ses prix de
manière à faire disparaître toutes les entreprises de trans-
port rivales, et reviendra ensuite à des tarifs exagérés.
C'est cela que je veux éviter par mon amendemeat.
Je n'ai pas voulu non plus que la compagnie qui aurait
fait un mauvais calcul, qui dans ses prévisions se serait
imaginé, par exemple, que les rails résisteraient pendant
longtemps» que les machines locomotives ne donneraient
pas lieu & de grandes réparations, je n- ai pas voulu qu'elle
périt pour avoir fait un mauvais calcul. Je n'ai pas voulu
qu'elle portât la peine de diminutions légitimes, natu-
relles, faites dans un but d'amélioration. Le conseil mu*
nicipal de la ville principale sera juge de la question; il
dira si la réduction doit être maintenue, ou bien si elle
doit être modifiée ; mais dans le cas où la réduction de
prix aurait eu pour but de tuer des moyens de commu-
cation économique qui existaient entre une ville et l'autre,
il n'y aurait pas de loyauté à permettre à la compagnie
de revenir à des tarifs très -élevés; car la masse de la
population, loin d'avoir profité de l'établissement du che-
min de fer, se trouverait y perdre beaucoup.
Je le répète , les deux tiers des habitants de Paris qui
se fa'anq[)ortent à Versailles y vont pour 75 centimes. Eli
bien, aussitôt que la compagnie sera autorisée, ^elle abais^*
sera ses prix au-dessous de ceux des autres voitures, de
manière à les faire disparaître, et reviendra ensuite à
des prix plus élevés.
Dans les dispositions de mon amendement, la com*
pagnie ne portera point la peine d'un mauvais calcul,
et en.l'adpptant, vous aurez garanti le« intérêts de la
23« LES CHEMINS DE FER.
masse de la population, et c'est, ce me semble, à la
masse de la population que nous devons surtout porter
intérêt.
[ Après la réponse de M. Legrand, directeur général des ponts et
chaussées, M. Arago s'est exprimé en ces termes : ]
Messieurs, lorsque j'ai vu M. le directeur général
monter à la tribune, j'ai cru qu'il avait la bonté de venir
appuyer mon amendement. En effet , M. le directeur gé-
néral, iï y a trois jours, m'a dit qu'il était arrivé à la
même conséquence que moi sur les inconvénients de cette
concurrence qui peut détruire les compagnies rivales,
qu'il avait à cet égard les mêmes idées que moi. Je
l'avais même prié, comme ayant plus l'habitude que moi
des rédactions administratives, de rédiger l'amendement.
M. LE DIRECTEUR GÉitÉRAL DES PONTS ET CHAUSSÉES. Je VOUS de-
mande pardon... Je demande la parole pour un fait personneL
M. Arago. Il a ajouté qu'une considération l'avait em-
pêché de présenter cet amendement dans le projet de loi,
et que cette considération était qu'il n'avait pas trouvé
de sanction pénale.
M. le directeur général nous a parlé de la liberté du
commerce. Aussi, jç ne demande pas que la Chambre
prenne aucune disposition analogue à ce qui a lieu quand
il s'agit de compagnies tout à fait libres, qui ne deman-
dent au gouvernement aucune espèce de privilège. Mais
quand il s'agit d'expropriation, lorsqu'on demande à l'au-
torité un véiitable privilège, lorsque vous vou3 croyez
autorisés, malgré le principe de la liberté du commerce,
à fixer le prix maximum du péage , je ne vois pas pour-
LES CHEMINS DE FER. 237
quoi VOUS n'interviendriez pas lorsqu'il s'agit de quelques
modifications à apporter à ce prix.
M. le directeur général a parlé de ce qui existait en
Angleterre. En Angleterre, il y a une mesure appliquée
à beaucoup d'entreprises de cette nature, que je n'aurais
pas osé proposer à la Chambre, parce qu'elle jetterait
dans nos habitudes des éléments de discussion : je veux
parler du droit de révision. En Angleterre, le gouverne-
ment se réserve le droit de modifier les tarifs lorsque les
bénéfices atteignent un certain taux, et en général c'est
10 p. 0/0. Le gouvernement peut alors diminuer le tarif
imposé dans l'acte de concession. Qu'arrive -t-il? c'est
que toujours les dividendes sont de 9 francs 99 centimes.
Aussitôt qu'on est arrivé à ce taux, on applique le surplus
à l'amélioration du matériel, du chemin, etc. Si l'on vou-
lait admettre ce mode dans notre pays , pour moi, je n'y
suis nullement disposé ; si l'on disait que l'administration
aura le droit d'examiner les comptes de doit et avoir
d'une compagnie, pour diminuer le tarif quand les bé-
néfices auraient dépassé un certain taux, ce serait à peu
près l'équivalent de la stipulation que je propose à la
Chambre ; mais je crois que cette surveillance de l'admi-
nistration sur les comptes d'une compagnie particulière
ne conviendrait pas à nos mœurs, à nos habitudes, et
c'est pour cela que, pour parer à un inconvénient qu'on
ne peut méconnaître, je demande que la compagnie ne
puisse tuer à sa guise, quand elle le voudra , les entre-
prises de transports rivales qui sont à côté d'elle.
Si vous n'admettez pas cet amendement, voici ce qui
arrivera pour Paris. Les Parisiens, qui vont à Versailles
238 LES CHEMINS DE FER.
pour 45 SOUS, ne pourront plus y aller que pour âO. Voilà
le bénéfice qu'ils auront trouvé dans le chemin de fer voté
par la Chambre.
[ M. Salvandy, rapporteur de la commission de la Chambre, ayant
déclaré quMl ne voyait d^inconvéïiient à TamcndemeDt de M. Arago,
que dans Tattributlon au conseil municipal de Montpellier du juge-
ment de la question de l'opportunité de relever les tarifs, M. Arago
a ajouté : ]
Eh bien, mettez « sous le consentement de l'administra-
tion. » Cela répondra à l'argument de M. le ministre du
commerce, qui craint les susceptibilités municipales.
[M. de Salvandy déclara alors n'avoir plus d'objection à faire,
mais M. le ministre du commerce prétendit ne pouvoir accepter la
responsabilité que Tamendement Imposerait à Tadminlstratlon.
La Chambre a rejeté la proposition de M. Arago. IHus tard tous
les cahiers des charges de concessions de chemins de fer à des
compagnies, ont porté que les taxes ne pourraient être réduites que
diaprés le consentement de Tadministration, et que, les réductions
étant approuvées, les tarifs ne pourraient être relevés avant un
délai d'un an. ]
II
SUR LES INCONVÉNIENTS DE L'ÉTABLISSEMENT DE DEUX CHEMINS
DE PER DE PARIS A VERSAILLES
[A l'occasion du vote de la loi sur les chemins de fer de Paris à
VersaiUes, M. Arago a prononcé le discours suivant, extrait du
Moniteur du iU juin 1836. ]
J'avais l'intention de me borner à examiner la question
de savoir si deux routes peuvent être exécutées simulta-
nément et avec fruit, entre Paris et Versailles. Mais les
éloges sans restriction que M. le directeur général des
ponts et chaussées vient de donner au projet de chemin
1£S CHEMINS DE FEB. 239
sur la rive droite , m'obligent à examiner si ces éloges ne
peuvent pas donner lieu à quelques doutes.
Je remarque -d'abord que M. le directeur général des
ponts et chaussées a insisté sur cette circonstance que,
suivant lui, la tête du chemin de la rive droite est dans
une position plus centrale. Il faut s'expliquer sur une
pareille quaUfication.
M. Legrand.. Je D*al pas dit cela.
M. Arago. Il est très-vrai, comme Vn ditM. Legrand,
que les diligences se sont en général établies sur la rive
droite. Mais cela peut ne pas tenir à des considérations
de commodité pour les voyageurs. J'ignore, pour ma
part, quels ont été les motifs qui ont déterminé les direc-
teurs des diligences de Versailles à se placer sur la rive
droite; mais, je me trompe, l'un de ces motifs je le
trouve dans l'argumentation de M. le directeur général
des ponts et chaussées, dans cette assertion dont je m'em-
pare, que le chemin de terre de la rive gauche est plus
long que le chemin de terre de la rive droite. Or, tout le
monde comprendra que lorsqu'on veut aller de Paris à Ver-
sailles avec des chevaux, on prenne le chemin le plus court.
Nous avons, d'ailleurs, un moyen irrécusable de résou-
dre la question que M. Legrand a soulevée. Ce moyen,
la commission l'a employé; il consiste à chercher, non
pas le centre de figure de'Paris, car la surface irréguHèrc
de cette ville n'a pas de centre proprement dit, mois te
centre de gravité de la population parisienne , mais le
point autour duquel cette population est également répar-
tie. On a découvert que ce point est dans le voisinage de
la rue des Bourdonnais. Eh bien, cherchez, d'une part.
8i0 LES CHEMINS DE FER.
la distance de ia rue des Bourdonnais à la tête du chemin
de la rive droite, et de Tautre, la distance de la même
rue à la tête du chemin de la rive gauche, et vous trou-
verez cette seconde distance beaucoup moins grande que
la première.
On répond, je le sais , que les habitants d'un certain
côté de ce centre de gravité ne jouissent pas des facultés
de locomotion, ou du moins qu'ils n'ont pas les moyens
de les exercer ; on dit que le désir d'aller à Versailles, el
l'argent que ce voyage coûte, n'appartiennent qu'à la
population voisine des boulevards. Nous avons une ré-
ponse catégorique. Je reconnais avec vous que les habi-
tants de la Ghaussée-d'Antin et des boulevards ne voyagent
guère par les voitures économiques qu'on appelle les
Coucous; je reconnais que ces sortes de voitures onl
affaire seulement aux classes moyennes et aux classes
pauvres. Eh bien, ce sont elles qui transportent les deux
tiers des habitants de Paris qui vont à Versailles; ce sont
CCS deux tiers des habitants voyageurs que vous favori-
seriez en portant la tête du chemin sur la rive gauche.
Le chemin de fer de la rive droite aura le défaut
d'être plus long que l'autre d'un tiers oU d'un quart.
C'est un défaut capital , non-seulement parce qu'il don-
nera lieu à une plus grande dépense d'établissement,
mais aussi à raison d'un tiers ou d'un quart d'augmen-
tation qu'il amènera dans les frais de traction et dans
l'entretien des machines locomotives. Les machines loco-
motives, en effet, se détériorent proportionnellement à la
longueur du chemin qu'elles parcourent. Aussi, remar-
quez, Messieurs, que nos maîtres en fait de chemins de
LES CHEMINS DE FER. 244
fer, que les Anglais, dont nous consultons chaque jour
l'expérience , cherchent à tout prix à raccourcir les lon-
gueurs parcourues. Le chemin de fer de Liverpool à
Manchester renferme des plans inclinés assez rapides;
pour franchir ces plans, les machines locomotives ne
suffisent pas; on est obligé d'avoir recours à d'autres
moyens. Eh bien, on aurait pu les éviter en faisant cer-
tains détours. En suivant la Mersey et remontant l'irwel ,
on eût pu arriver à Manchester sans plans inclinés; mais
la route eût été notablement plus longue, et on a passé
par-dessus Tinconvénient des fortes pentes.
M. LE DIRECTEUR GÉNÉRAL. Vous ôtes dans TerreuF.
M. Arago. Je crois être certain du fait. Je le tiens
d'une personne bien informée, et tout à fait compétente.
M. LE DIRECTEUR GÉNÉRAL. Vous Tètes vous-même.
M. Arago. Je dis qu'à Liverpool, on aurait pu éviter
des pentes rapides, en allongeant notablement la route ;
on a mieux aimé passer condamnation sur un vice capital,
pour avoir un chemin plus court. Chez nous, avec des
pentes semblables, c'est le chemin le plus long qu'on vous
propose. La ligne de la rive droite est d'un quart au moins
plus longue que celle de la rive gauche.
M. le directeur général vous a parlé de souterrains à
faire dans le parc de Saint-Cioud, comme d'un travail
peu important; je le regarde, moi, comme très-difficile;
j'ai la certitude que son exécution exigera un temps fort
long. Quand on fait un souterrain et qu'on a la permis-
sion d'extraire les déblais par les deux bouts et par des
puits, le travail peut marcher avec assez de rapidité;
V.—Il. 16
S42 LES CHEMINS DE FER.
nmis ici le cahier des charges impose aux adjudicaftaires
Tobligation d'attaquer la montagne par un seul bout.
Les déblais et le& transports des matériaux se feront donc
toujours par la même ouverture. La marche des travaux
ne pourra manquer d'en être considérablement ralentie.
J'ai demandé, au surplus, à deux persoraies qui ont
une grande habitude de ce genre de travail, et cela sans
leur faire part du but de ma question, je leur ai demandé
combien elles espéraient qu'on pourrait faire de mètres
de galerie, en se renfermant dan& les conditions rigou-
reuses du cahier des charges. Leur réponse a été qu'on
pourrait avancer de huit à dix mètres par mois. II y a
800 mètres, vous auriez donc à attendre de quatre-vingts
à cent mois... (Bruits divers... Dénégations.)
Messieurs, cette bruyante dénégation ne fait pas que le
résultat que je présente ne m'ait été donné par des per-
sonnes tout aussi compétentes que le membre de la
Chambre qui m'interrompt. Je dirai plus, je dirai qu'ayant
consulté, par un intermédiaire, la personne qui a fait le
projet de chemin, et cette personne est un ingénieur très-
habile, un de mes anciens camarades de l'École polytechr
nique, j'ai su qu'elle n'oserait pas afiSmier que le souter-
rain en question sera exécuté en trois ans ; moi je crois
qu'il en faudra cinq ou six. Ainsi, ceux-là se trompent
beaucoup qui admettent le projet de la rive droite avec
l'idée qu'elles verront un chemin l'an prochain. Le sour
terrain amènera un énorme retard, sans parler de la
dépense.
On a parlé de ce souterrain, seulement sous le rapport
de l'exécution ; il y aurait bien d'autres considération» à
LBS CHEMINS DE PEB: 243
présenter à ce sujet. Les souterrains parcourus par des
machines locomotives n*ont pas été assez éprouvés pour
que Ton sache si on y établira facilement des moyens de
purifier l'air. Voyez, en effet, ce que je trouve dans l'ou-
vrage que M. le docteur Lardner vient de publier ; il est
de 1836. Je traduis littéralement :
« Directions sinchres pour les spéculateurs sur les cho*
mins de for.
« Je dois observer, en général, que nou^ n'avons encore
que peu d^xpérience, ou même que nous n'^en avons
aucune , sur les effets des souterrains dans des lignes de
chemins de fer, où des machines locomotives doivent
traîner une grande quantité de voyageurs. Sur le chemin
de Leicester à Swanington , il y a un souterrain {tunnel)
d'environ un mille de long , dans une partie où le terrain
est à peu près de niveau; la ventilation s'opère dans ce
souterrain par huit puits {shafis). Je l'ai souvent parcouru
avec une machine locomotive, et je dois dire qu'alors
même que j'étais dans une voiture bien fermée, l'incom-
modité {the annoyance) était très -grande, et de telle
nature, qu'elle ne pourrait pas être tolérée sur des ligne»
fréquentées par un grand nombre de voyageurs. »
M. LE COMMISSAIRE DU ROI. De quelle date est le passage?
M. Arago. De 1836. M. Lardnisr ajoute, il est vrai,
que sur le chemin de Leeds à Selby, où l'on brûle du
coke, l'inconvénient ne paraît pas être aussi grand, et
que personne ne refuse de traverser le tunnel avec une
machine locomotive.
lî y a relativement aux tunnels une circonstance capi-
tale dont je vais encore entretenir la Chambre, puisque
944 LBS CHEMINS DE FER.
H. le directeur général n*a pas jugé à propos d*en dire un
seul mot. Messieurs , aussitôt qu^on descend à une cer-
taine profondeur dans le sol , on a toute Tannée une tem-
pérature constante. A Paris et dans ses environs, cette
teimpérature est de huit degrés Réaumur environ; personne
tfignore d'autre part, qu'en été, à l'ombre et au nord, le
thermomètre de Réaumur (je parle de ce thermomètre,
parce que vous en avez peut-être une plus grande habi-
tude que du thermomètre centigrade), le thermomètre
de Réaumur est quelquefois à trente degrés au-dessus de
zéro ; au Soleil , la température est de dix degrés plus
considérable. D'ailleurs, on n'arrivera pas d'emblée à
l'embouchure du tunnel ; les approches sont formées par
des tranchées profondes, comprises entre deux faces verti-
cales fort rapprochées, où le renouvellement de l'air sera
très-lent, où la chaleur ne pourra pas manquer d'être étouf-
fante. Ainsi on rencontrera dans le tunnel une tempéra-
ture de huit degrés Réaumur, en venant d'en subir une de
quarante ou quarante -cinq degrés. J'aflirme sans hésiter
que dans ce passage subit les personnes sujettes à la tran-
spiration seront incommodées, qu'elles gagneront des
fluxions de poitrine, des pleurésies, des catarrhes. ( Bruits
divers. )
On a parlé tout à l'heure. de toutes les merveilles du
chemin de la rive droite; permettez-moi de vous présenter
l'ombre du tableau. (Parlez!) Je ne devine pas ce qui
peut soulever des doutes. Quelqu'un conteste-t-il que dans
l'intérieur de la terre, à la profondeur du souterrain, la
température ne doive être à peu près constante, et de dix
degrés et demi centigrades, ou de huit degrés et une
LES CHEMINS DE FER. Uli
fraction de Réaumur? Veut-on nier qu*à l'ombre et au
nord , la température sera quelquefois de trente degrés ;
que dans la tranchée qui précédera le tunnel , elle s*élè-
vera de dix à quinze degrés de plus? Ceci une fois admis,
j'en appelle à tous les médecins pour décider si un abais-
sement subit de quarante- cinq à huit degrés de tempé-
rature n'amènera pas des conséquences fatales? Veut-ôn
d'ailleurs des faits, j'en citerai un.
Je traversais un matin, par un temps nébuleux, le
tunnel de Liverpool, situé sous la ville, et dans lequel les
voyageurs ne vont plus. L'alderman avec lequel je faisais
route était transi , et me demanda en grâce de l'enve-
lopper dans ma redingote. Cependant la différence de
température n'était pas à beaucoup près aussi considé-
rable que celle dont je viens de parler, et qui existera
inévitablement pendant deux ou trois mois de l'année au
tunnel de Saint -Cloud.
Vous savez , Messieurs, puisque je les ai développées à
cette tribune, quelles sont mes idées sur l'explosion des
machines à vapeur ; vous savez que je ne crains pas beau-
coup l'explosion des machines à haute pression ; j'ai même
soutenu qu'avec les précautions que la loi prescrit elles
doivent être moins fréquentes que les explosions des ma-
chines ordinaires. Mais enfm la chose est possible ; il est
possible qu'une machine locomotive éclate ; c'est alors un
coup de mitraille ; mais à la distance où sont placés les
voyageurs, le danger n'est pas énorme. Il n'en serait pas
de même dans un tunnel : là vous auriez à redouter les
coups directs et les coups réfléchis; là vous auriez à
craindre que la voûte ne s'éboulât sur vos têtes.
M6 LES CHEMINS DE FEfi.
Je le répète, au surplus, je ne crois pas que le danger
6oit bien grand ; mais enfin puisqu'on a cité en faveur de
ia rive droite une foule d'avantages qui ne m'avaient pas
frappé, j'ai rempli un devoir en montrant que le long
tK)uterrain augmenterait considérabl^nent les fftcheux
effets d'une explosion.
Vous vous êtes déjà demandé, sans doute, à quelle
conséquence je veux arriverfMir cette discussion* La con-
séquence, je ne vous la ferai pas attendre ; la voici : Il y
a dans la Chambre des membres qui , comme moi , pen-
sent que le Chemin de la rive gauche est préférable &
celui de la rive droite, sous le rapport de l'art; car les
pentes sont les mêmes, la longueur est notablement
moindre , et il n'y a pas de souterrain. M. le directeur
général vous a dit que telle n'était pas l'opinion du con-
seil des ponts et chaussées. Je conçois que la Chambre ,
en présence de ces divergences d'opinion ,, ne veuille pas
se prononcer sur une question d'art; mais elle aurait un
moyen radical, décisif, incontestable, pour arriver au
but ; ce serait de mettre simultanément les deux chemins
en adjudication. Le meilleur demandera évidemment le
moindre péage. Pour moi , qui crois la rive gauche pré-
férable, je suis convaincu que les soumissionnaires exige-
raient un moindre prix pour cette rive que pour la rive
droite, si vous décidiez que l'adjudication devrait porter
sur le transport total de Paris à Versailles.
M. ViTiEN. Alors il faudra leur donner le nionopole.
M. Arago. Nullement , je ne le demande pas ; je me
suis borné à dire que dans l'impossibilité où la Chambre
peut se trouver de prononcer entre les éloges que M. le
LES CHEMINS DE FER.. M7
directeur général des pools et chaussées a donnés au
chemin de la rive droite, et les critiques qui pourront
être faites de ce projet, je conçois qu'elle doit chercher
un moyen indirect de trancher la question. Ce moyen,
j'ai cru Favoir trouvé; il consisterait à mettre les deux
chemins en adjudication le même jour et à donner la
préférence à celui qui porterait le voyageur de Paris
à Versailles à meilleur marché. Demandez au public
parisien si cette solution ne serait pas celle qu'il pré-
férerait
Pourquoi vous opposer, m'a-t-on dit, à Texécution
simultanée des deux chemins? Je m'y oppose, parce que
j'ai la conviction profonde que ce nouveau mode de com-
munication n'apportera pas dans les habitudes de la
population autant de changement qu'on le suppose ; paroe
que, à mon avis, il n'y aura pas un nombre aussi grand
de voyageurs qu'on l'espère.
Malgré mon désir d'être court, je vous demanderai
encore la permission de dire sur quels chiffres repose ma
conviction.
Dans le rapport de la commission, on a porté le nombre
des voyages (remarquez que je ne dis pas des voyageurs)
qui se font entre Paris et Versailles , à 1 million. Pour
moi, j'en demande pardon aux membres de la commis-
sion et à M. le rapporteur, je suis persuadé que cette
évaluation est un peu trop forte. D'après les documents
que j'ai recueillis, ce nombre, terme moyen, ne doit pas
surpasser 800,000. Il est possible qu'il se soit élevé quel-
quefois à 1 million , mais généralement il faut compter
sur 800,000. Prenons maintenant pour le taux moyen des
248 LES CHEMINS DE FER.
transports 1 franc 50 centimes, et vous aurez 1 ,200,000
francs dç recette.
A combien se monteront les dépenses? Si vous admettez
les dçux chemins, vous aurez une longueur de rails et de
parcours peu inférieure à celle du chemin de fer de Man-
chester à Liverpool ; prenons donc les réparations qu'exige
ce chemin de fer, et vous saurez ce qu'exigeront les deux
chemins réunis. Eh bien, je trouve dans l'ouvrage le
meilleur qui ait été publié en Angleterre sur les chemins
de fer, dans un ouvrage , je le dis avec joie , sorti de
la plume d'un ancien élève de l'École polytechnique,
M. de Pambour; je trouve qu'en 1834 les réparations du
chemin et des machines ont coûté 750,000 francs ; ainsi
il faudra 750,000 francs pour les réparations des deux
chemins et des voitures locomotives qui y circuleront. Ce
nombre étant retranché des 1,200,000 fr. de recettes,
que reste-t-il? 450,000 fr.
Vous n'avez sans doute pas oublié qu'il faudra payer
un personnel assez considérable , qu'il faudra acheter du
charbon de terre, qu'il est possible même que les compa-
gnies soient amenées à ne brûler que du coke. Je n'exa-
gérerai pas en évaluant l'ensemble de ces dépenses à
150,000 fr. Le revenu net des deux chemins ne dépassera
donc pas 300,000 francs par an.
Triplez si vous voulez le nombre des voyageurs, comme
M. le rapporteur croit pouvoir le faire , triplez la recette
nette et vous n'arriverez encore qu'à 900,000 fr.
On vous a parlé tout à l'heure de ce que coûteraient
les deux chemins. Je mets en fait, moi, que chaque
chemin coûtera 10,000,000 de francs, quoiqu'on ait
LES CHEMINS DE FER. U9
évalué la dépense à des sommes beaucoup plus faibles.
Pour domier un revenu de 5 p. 0/0, il faudrait que la
recelte nette s'élevât à 1 million. Or, vous n'arriverez pas
à ce chiffre en admettant même que le nombre des voya-
geurs soit triplé.
M. Vatoct. Vous vous trompez.
M. Arago. Ainsi je crois qu'il n'y a pas entre Paris et
Versailles de quoi alimenter deux chemins de fer.
La commission prévoit, dans le rapport, que le nombre
des voyageurs doublera, triplera, quadruplera peut-être.
11 est très-vrai que le nombre des voyageurs a triplé sur
le chemin de Manchester à Liverpool.
Il était anciennement de 450 par jour ; il est mainte-
nant de 1,300. Pourquoi? C'est que Liverpool et Man-
chester ne sont pas des villes placées comme Paris et
Versailles; c'est que les relations entre Liverpool et Man-
chester sont des relations de commerce. Les habitants de
Paris ne vont guère à Versailles que pour leur amuse-
ment. Or, vous le savez par les spectacles , la somme que
Ton consacre aux plaisirs à Paris ne varie pas; augmentez,
diminuez le nombre des théâtres ; répartissez-les comme
vous voudrez dans les divers quartiers, leur recette totale
reste la même. Un voyage à Versailles est ime sorte de
spectacle ; je crois donc , sauf les premiers moments de
curiosité, que vous augmenterez un peu , mais seulement
un peu le nombre des voyageurs, et même, si l'on n'adopte
pas un amendement de la nature de celui que j'avais pré-
senté l'autre jour, il pourrait se faire que ce nombre
diminuât; mais bien certainement il n'augmentera pas
beaucoup.
S60 LES CHEMINS DE FEB.
On parait étonné de Tidée que je me suis formée de la
oause de Taugmentation des voyageurs entre Liverpool et
Manchester. Je vais essayer de la justifier. Lord Lans-
down , président du conseil des ministres en Angleterre ,
me disait, il y a peu de temps, qu' aujourd'hui, au lieu
de s'écrire des lettres de Liverpool à Manchester, les com-
merçants s'envoient des commis; les affaires se font ainsi
plus rapidement et plus sûrement. Entre ces deux villes la
poste ne donne presque plus de profit. Vous ne pouvez
pas vous attendre à un résultat pareil entre Paris et Ver-
sailles, qui n'ont que des communications de pur agré-
ment.
.En résumé, je me rattacherai à tout amendement qui
amènerait à n'exécuter qu'un seul des deux chemins; pour
ma part, je le répète encore, il me semble qu'on adopte-
rait une solution sur laquelle personne ne pourrait «ivoir
de scrupules^ si l'on mettait les deux chemins en adjudi-
cation le même jour, en stipulant que la préfér^ice serait
accordée à celui qui transporterait les voyageurs de Paris
à Versailles au moindre prix.
(M. Legrand monte à la tribune.)
M. Arago. On m'avertit qu'il y a eu une légère inexac-
titude dans un point de calcul que je faisais tout à l'heure
à la tribune; on remarque que je n'ai pas triplé le produit
brut. Il ne me semble pas nécessaire que je fasse la rec-
tification, car la conséquence serait la même. On remar-
quera, en effet, que, pour ne rien outrer, je n'ai rien
défalqué du produit brut pour la contribution payée au
gouvernement sur le prix des places.
LES CHEMINS DE FER. 3N
III
SUR LA NÉCESSITÉ DE FAIRE EXÉCUTER LES CHEMINS DE FER
PAR LES COSIPAGHIES '
Messieurs, la commission des chemins de fer vient
vous soumettre le résultat de l'examen que vous lui avez
confié. Cet examen était hérissé de difficultés de tout
genre ; il a fait surgir une foule d'importantes questions.
Vous saviez bien , au reste , qu'il en serait ainsi , lorsque
dans la séance même où le projet de loi vous fut présenté,
vous décidiez qu*un nombre inusité de commissaires
concourraient à sa discussion provisoire 2. Une aussi écla-
tante dérogation aux précédents de la Chambre nous eût
avertis, au besoin, de tout ce qu'il y avait de grave dans
notre mission. Le zèle ne nous a pas manqué. Les procès-
verbaux de seize séances, de trois, de quatre, de cinq
heures chacune , témoignent du vif désir dont nous étions
tous animés de répondre le mieux possible à votre hono-
rable confiance. Noire travail , quoi qu'en aient pu dire
l'amour-propre blessé et toutes les passions qu'il traîne
à sa suite, est le résultat consciencieux d'un débat auquel
ont constamment présidé des sentiments qui jamais ne
trouveront de contradicteurs dans cette enceinte , et que
nous pourrions, sans inquiétude, proclamer à la face du
pays. La seule coalition dont il ait été question parmi
nous, la seule que nous ayons désiré former, est celle du
bon sens, de la logique, des vrais principes de l'économie
1. Rapport fait à la Chambre des députés, le 2!x avril 1838.
2. Dix-huit commissaires au lieu de neuf.
S52 LES CHEMINS DE FER.
industrielle, et, ce qui se rencontre plus rarement encore,
de quelque esprit de prévoyance.
Avant d'arriver au projet spécial qu'il soumettait à
vos délibérations, le gouvernement, dans la séance du
15 février dernier, a cru, avec raison, devoir vous pré-
senter des vues d'ensemble. Le réseau des chemins de fer
qu'il lui paraîtrait utile d'établir en France, se compose-
rait de neuf lignes principales.
Sept de ces lignes partiraient directement de Paris , et
lieraient ce grand centre de civilisation , de consomma-
tion et d'industrie :
A la frontière de Belgique ;
Au Havre;
A Nantes ;
A la frontière d'Espagne par Bayonne ;
A Toulouse par la région centrale du pays ;
A Marseille par Lyon ;
Enfin , à Strasbourg par Nancy.
Deux autres grandes lignes joindraient Marseille, d'une
part à Bordeaux par Toulouse, de l'autre à Bâle par Lyon
et Besançon.
Retranchez de ce réseau les embranchements dont le
gouvernement , du moins sur la carte , dote Dunkerque ,
€alais, Boulogne, Amiens, Metz, Besançon, Tarbes,
Perpignan , et il restera encore un développement total
de chemins de fer de 1,100 lieues environ, et l'expecta-
tive d'une dépense que M. le ministre du commerce évalue
à plus d'un milliard, car il n'a osé fixer que la limite
minimum.
L'administration, au surplus, a parfaitement reconnu
\
LES CHEMINS DE FER. S53
qu'il serait peu pndent (ce sont ses propres expressions)
de tout entreprendre à la fois. Elle a renoncé à terminer
une si grande masse de travaux dans un court délai.
Parmi les 1,100 lieues de son: réseau d'ensemble, elle en
a choisi 375 formant le développement des lignes de Paris
à la frontière belge , de Paris à Rouen , de Paris à Bor-
deaux, par Orléans et Tours, enfin de Marseille à Avi-
gnon. Ces quatre lignes, le ministère vous en demande
l'exécution immédiate ; il désire travailler simultanément
à toutes les quatre. Quoique ses prévisions, ses calculs,
ne reposent que sur des avant -projets; quoique l'une
des lignes, celle de Paris à Bordeaux, n'ait pas été com-
plètement étudiée (ceci est encore une citation textuelle )t
le gouvernement pense pouvoir affirmer que la dépense
totale n'excéderait pas 350 millions.
Nous venons, Messieurs, de remettre succinctement
sous vos yeux les bases, les éléments du problème que le
gouvernement avait en vue. La solution qu'il en a donnée
est-elle irréprochable? Pouvons-nous vous en proposer
l'adoption?
Cette double question nous forcera de jeter d'abord un
coup d'œil rapide sur l'état actuel de l'art , relativement
à la construction des chemins de fer, et d'entrer dans
quelques considérations techniques qui ne seront pas
cependant un hors-d'œuvre, puisqu'elles feront ressortir
divers inconvénients du mode de distribution de travail
adopté par l'administration.
Nous étudierons, en second lieu, les chemins de fer
dans leurs résultats actuels et dans ce qu'ils promettent.
Les lois de finances, et, au fond, c'est une loi de finances
251 LES CHEMINS DE FER.
que nous allons discuter, doivent être établies sur des
bases solides. L'enthousiasme et les jeux d'imagination
ont sans doute leur bon côté; mais prenons garde qu'ils
ne nous entraînent à des mesures fiscales dont auraient à
soulïiîr les classes les plus nombreuses de la société^ déjà
frappées par l'impôt dans leur strict nécessaire.
La troisième division de ce rapport sera consacrée à
une discussion approfondie^ des objections de toute nature
que M. le ministre du conmierce a présentées contre la
concession de longues lignes de chemins de fer à des
compagnies privées. Nous y rechercherons avec le même
soin, si les travaux exécutés aux frais de l'État, par sas
ingénieurs et sous sa surveillance immédiate, ont tou-
jours aussi complètement réussi que M. Je ministre le
pense.
La quatrième et dernière section , celle qui précédera
nos conclusions, et qui, à vrai dire, suffirait pour les
justifier, renfermera une sorte d'aperçu du budget de
L'État en matière de travaux publics extraordinaires.
Ces divisions, ces détails minutieux ont pour c^jet de
feciliter l'intelligence de notre travail. Nous pouvons donc
espérer que la Chambre daignera nous les pardonner.
Section premiâbb. — Considérations tediniqucs.
Un bon système de communications intérieures, envi-
sagé sous le double rapport de l'économie et de la célérité
est , sans aucun doute, le principal élément de la richesse
et de la prospérité d'un grand peuple. Aussi a-t- on vu,
dans tous les temps et dans tous les pays, les pensées des
LES CHEMINS DE FEB. t85
hommes d'État et des ingénieurs, se porter sur cet objet
avec la plus louable sollicitude. Trois ou quatre cliiiïres
donneront, au surplus, une idée exacte de Timportanœ
pratique, de Timportance commerciale des améliorations
successives que les moyens de transport ont éprouvées
depuis Torigine des sociétés jusqu'à l'invention toute
récente des chemins de fer.
L'expérience a montré qu'un cheval de force moyenne,
marchant au pas pendant neuf à dix heures sur vingt-
quatre, et de manière à se retrouver chaque jour dans les
mêmes conditions de force , ne peut pas porter sur sœi
dos au delà de 100 kilogranunes. Ce même cheval , sans
se fatiguer davantage, si on llattelle à une voiture» por-
tera ou plutôt trafaiera à une égale distance :
Sur une bonne route ordinaire empierrée. 1,000 kil.
Sur un chemin de fer. 10,000
Sur un canal. 60,000
L'auteur inconnu de la substitution du roulage ou du
transport en voiture , au transport à dos de cheval , fut
donc, vous le voyez. Messieurs, un bienfaiteur de l'hu-
manité : il réduisit , par son invention , le prix des trans-
ports au dixième de leur Valeur primitive.
Une améUoration tout aussi importante est résultée ,
quant aux transports en voiture , du remplacement des
empierrements et des pavés des routes ordinaires, par
des bandes de fer bien dressées, sur lesquelles tournent
les roues. En atténuant les résistances, ces bandes ont,
en quelque sorte , décuplé la force du cheval , celle du
moins qui donne un résultat utile. Le long d'un chemin
256 LES CHEMINS DE FER.
à bandes métalliques, le poids dont on charge un wagon
est centuple de celui que le cheval qui le traîne pourrait
porter sur son dos.
Ce sont là, Messieurs, de bien admirables résultats;
mais n'oublions pas que les canaux en offrent de plus
admirables encore; rappelons - nous que sur une nappe
d'eau stagnante , une bête de somme traîne un poids six
fois plus fort que sur un chemin de fer. Ne perdons pas
de vue, au reste, que le transport à dos de cheval, s'il
est peu économique , s'effectue en revanche presque par-
tout, le long de sentiers à peine frayés, sur des pentes
très-rapides; tandis qu'une route ordinaire exige de cer-
taines conditions de tracé; tandis qu'elle représente,
môme en simple empierrement, 70,000 fr. de première
mise de fonds par lieue, et plus de 2,000 fr. d'entretien
annuel ; tandis que ces mêmes dépenses, pour un canal,
se montent respectivement à 500,000 fr. et à 5,000 fr.;
tandis, enfin, que sur certaines lignes, l'exécution d'une
lieue de chemin de fer a coûté jusqu'à trois millions.
Les chemins de fer, considérés comme moyen d'atté-
nuer les résistances de toute nature que le roulage doit
surmonter sur les routes ordinaires , seraient aujourd'hui,
relativement aux canaux, dans un état d'infériorité évi-
dente , si on avait dû toujours y opérer la traction avec
des chevaux. L'emploi des premières machines locomo-
tives à vapeur, avait laissé les choses dans le même état ;
mais tout à coup, en 1829, surgirent, en quelque sorte,
sur le chemin de Liverpool à Manchestw, des locomotives
toutes nouvelles. Jusqu'en 1813, on n'avait espéré pou-
voir marcher sur les rails en fer ou en fonte, qu'avec des
LES CHEMINS DE FER. 257
roues dentées et des crémaillères, ou bien à l'aide de sys-
tèmes articulés dont on donnerait une idée assez exacte
en les comparant aux jambes inclinées d'un homme qui
tire en reculant. Les locomotives perfectionnées étaient
débarrassées de cet attirail incommode, fragile, dange-
reux. L'engrenage naturel résultant de la pénétration
fortuite et sans cesse renouvelée , des aspérités impercep-
tible des jantes de la roue , dans les cavités du métal du
rail et réciproquement, suffisait à tout. Cette grande sim-
plification permît d'arriver à des vitesses inespérées, à
des vitesses trois, quatre fois supérieures à celles du che-
val le plus rapide. De cette époque date une ère nouvelle
pour les chemins de fer. D'abord, ils n'étaient destinés
qu'aux transports des marchandises ; chaque jour, chaque
nouvelle expérience nous rapproche du moment peu éloi-
gné peut-être où ils ne seront plus parcourus, au con-
traire, que par des voyageurs. Jadis les rails étaient tout;
maintenant, ils n'occupent dans le système qu'une place
secondaire. Dès aujourd'hui, les chemins de fer devraient
s'appeler des chemins à locomotives, ou bien des chemins
à vapeur.
Quand on a lu dans les journaux , dans ceux surtout
de l'Angleterre et de l'Amérique, le tableau des éton-
nantes vitesses que les locomotives à vapeur ont déjà
réalisées, on est vraiment excusable de croire qu'il ne
faut plus compter sur des amélorations importantes, que
Tari est presque arrivé à sa perfection.
Cette opinion, quelque naturelle qu'elle paraisse, n'en
est pas moins une erreur. L'art des chemins de fer est
encore dans l'enfance. Ne faites pas, si vous voulez, la
V — II. 17
S58 LES CHEMINS DE FER.
part de Firaprévu, de Tînattendu, et d'ordinaire c'est
cependant la part du lîon ; contentez- vous de porter votre
attention sur ce qui se fait, sur ce qui existe, et vous
trouverez presque partout routine , tâtonnements , incer-
titude.
Les premières locomotives pour voyageurs ne pesaient
que 5 tonnes. Bientôt on les porta graduellement à 7, à
8, à 10, à 12 tonnes. En ce moment, on en construit de
18 tonnes , qui reposeront sur six roues.
A Torigine, les paires de roues adhérentes ne portaient
que 5 tonnes. Dans de nouvelles machines, elles seront
chargées de 8 tonnes. Les rails devront donc être ren-
forcés, quoi qu'ils aient déjà parcouru successivement
celte série de poids : 12, 16, 18, 28, 34 et 37 kilo-
grammes par mètre courant. Qu'on ne s'y trompe pas,
un semblable remplacement des rails entraîne presque
toujours le sacrifice des blocs, des coussinets, des clefs
qui servent à les fixer.
La largeur de la voie était originairement, d'axe en
axe, de 1".47. Cette largeur a paru trop restreinte.
Sur le grand chemin de Londres à Bristol, l'ingénieur,
M. Brunel fils, vient d'adopter une voie de 2". 18.
Le but qu'on s'est proposé en élargissant aussi consi-
dérablement la voie, est de faciliter l'emploi de machines
de plus fortes dimensions. Avec une voie de 2". 13, il y
aura place entre les roues pour des chaudières plus vastes;
on engendrera plus de vapeur dans un temps donné ; on
aura plus de force et aussi plus de vitesse, si toutefois des
difficultés imprévues ne viennent pas à se manifester.
L'élargissement de la voie permettra d'agrandir le dîa-
LES CHEMINS DE FEIU 2S9
mèlre des roues adhérentes des locomotives. Ces roues ,
chez nos voisins, ont été successivement de l'^-AT, de
1-.52, de 1".68, et del-.Sâ. Cette dernière dimension
n'avait jamais été dépassée. Sur le chemin de Londres
à Bristol on verra fonctionner des roues de 2'".&&. Avec
de telles roues, s'il n'y a point de mécompte, on arrivera
aux plus grandes vitesses sans être obligé d'accroître
encore la rapidité déjà excessive des oscillations du pis*
ton, et, ce qui n'est point à dédaigner financièrement
parlant, après avoir évité la principale cause de détériora-
tion des locomotives. Si l'on pouvait se permettre ici une
assimilation quelque peu vulgaire, nous dirions qu'aiH
jourd'hui la vitesse de locomotion résulte de la succession
extrêmement rapide de petits pas, et qu'on arrivera aux
mêmes résultats, avec des roues de 2"". A&^ en faisant de
grandes enjambées.
Les changements dans les roues des locomotives en
amèneront d'analogues dans les roues des wagons. Il y a
donc à prévoir des remplacements complets de matériel
sur les chemins de fer, et , ce qui est plus grave encore,
des élargissements de viaducs, des reconstructions entières
des souterrains ou tunnels, etc., etc.
L'usage de plus fortes machines permettra certaine^
ment de sortir des limites de pente dans lesquelles on
renferme aujourd'hui le tracé des chemins de fer, alors
même que l'emploi de quelqu'une des crémaillères que
les ingénieurs ont proposées ne viendrait pas arracher
l'art à une sujétion qui déshérite les pays montueux ou
même seulement un peu accidentés , du nouveau moyen
de communication.
260 LES CHEMINS DE FER.
Une route rectiligne , avec les voitures actuellement en
usage, a des avantages incontestables sur une route sen-
siblement courbe; mais ces avantages, on les achète
quelquefois à des prix énormes. Une excellente solution
de la difficulté vient d'être donnée par un humble ingé-
nieur français, M. Laignel. Des solutions d'une autre
espèce sont actuellement à Tétude. Si elles réussissent,
les chemins de fer subiront dans leur tracé les plus impor-
tantes améliorations. Ils pourront pénétrer au cœur dés
villes sans tout renverser devant eux.
Le placement des rails lui-même a donné lieu à autant
de systèmes différents qu*il y a de constructeurs. Ici on
emploie de faibles dés en pierre qui n'ont entre eux au-
cune liaison ; là, on se serf de simples traversines en bois,
et Ton cite leur élasticité comme un avantage précieux.
Allez plus loin, et vous rencontrerez un ingénieur égale-
ment habile qui remplace , toujours d'après d'excellentes
raisons, le bois par le granit.
L'analyse mathématique va-t-elle prochainement, du
moins, s'emparer de ces intéressants problèmes? Les pre-
miers éléments numériques lui manquent. Naguère la
force nécessaire au tirage d'une voiture sur les rails, était
évaluée à 3^.5 par tonne de 1,000 kilogrammes, et voilà
que maintenant on paraît vouloir la réduire à 3M.
Que dire de la machine à vapeur, partie capitale des
locomotives? La force aérienne irrésistible qu'elle élabore
se répand et circule dans les organes du système, tantôt
par petites portions et tantôt h flots pressés, au gré de
l'ingénieur. De là ces mouvements si lents, ou si rapides:
de là ces variations de vitesse ou graduelles ou presque
LES CHEMINS DE FER. 261:
instantanées qui feraient croire , en vérité , qu'on assiste
aux évolutions capricieuses d'un être doué de vie ej; de
volonté. Tout cela est à merveille , Messieurs ; mais per-
çons Tenveloppe , et nous trouverons un appareil qui se
dérange sans cesse, qui sans cesse est en réparation, qui
est pour les compagnies une cause de ruine. Voyons ce
que le combustible consommé renfermait de force mo-
trice ; mesurons d'autre part , la force que la locomotive
a mise en action , et de nouvelles imperfections frappe-
ront nos yeux , comme elles ont déjà frappé ceux de tous
les ingénieurs. Le mal est -il irréparable? Gardons -nous
de le croire. Quand on se rappelle la révolution capitale
que notre compatriote, M. Séguin aine, produisit dans
Tart de la locomotion , le jour où s' emparant des chau-
dières tubulaires de ses devanciers, il imagina de placer
l'eau dans la capacité où se jouait la flamme, et de lancer
cette flamme, au contraire, dans les tubes destinés d'abord
à renfermer l'eau; quand on songe à tout ce qu'on a
gagné sous le rapport du tirage , à faire dégager par la
cheminée de la locomotive, la vapeur qui , après avoir agi
dans le corps de pompe , semblait ne pouvoir pas rendre
de nouveaux services et se répandait jadis librement dans
l'air, on a toute raison d'espérer de nouvelles découvertes
et de compter sur leur simplicité.
Doit- on conclure de ces doutes, de ces incertitudes,
de ces espérances, qu'il faudrait aujourd'hui s'abstenir
tout à fait de construire des chemins de fer? Non, Mes-
sieurs, mille fois non; telle n'est pas notre pensée. Les
chemins de fer d'aujourd'hui ont, quant à la vitesse, et
pour le transport des voyageurs, des avantages incontes-
Ml LES CHEMINS DB FEIL
tables sur les autres moyera de (xmimunication connus ;
construisons donc des chemins de ier.
Nous dirons seulement qu'on serait inexcusable si , et
sans aucun avantage actuel, on adoptait un mode de
distribution du travail qui enlèverait la possibilité de faire
usage des perfectionnements dont tout le monda sent le
besoin, que les esprits éclairés entrevoient, que les prati-
ciens sont près de saisir, et qui ne tardercmt pas à se faire
jour, car le génie de Thomme n*a jamais manqué à aucun
besoin social.
Le gouvernement vous demande de faire travailler
simultanément à quatre lignes. Pour fixer les idées, sup-
posons qu'elles soient de même longueur et que leur
exécution doive durer douze an& Les têtes de chacune de
œs quatre lignes seront exécutées d'après les idées,
d'après les systèmes adoptés aujourd'hui.
Pendant la seconde, pendant la troisième,. «. pendant
la douzième année , lié par les premiers travaux , le con*
structeur se trouvera dans l'impossibilité de profiter des
progrès que l'art aura faits indubitablement dans un si
long espace de temps; les quatre routes achevées en
1850 auront toutes les imperfections de celles de 1838.
Admettons un autre ordre de travail, et les inconvé-
nients de celui que nous venons de discuter deviendront
p^us manifestes encore.
Portons toutes nos rœsources, tous nos nK>yens d'exé-
cution sur l'une des quatre lignes. Trois ans suffiront à
son achèvement complet. Quand on la livrera au public,
en 1841, elle sera, comme les quatre lignes du précé-
dent système, le type do l'art des ingénieurs en 1858 ;
LBS CHEMINS DE FBR. S6d
de ce côté, rien de gagné. Mais qui ne voit qu'en com-
mençant la seconde Ugne , on pourra profiter de toutes
les innovations que la théorie et Tesq^érience réunies
auront fait éclore dans la première période de trois
années; que six années de recherches et de pratique»
concourront à Tamélioration de la troisième ligne ; que la
quatrième, enfin, arrivée à son terme en 1350, ne sera
en arrière sur Tétat de Tart à cette époque, que de trois
ans, durée de son exécution ?
De ces simples considérations, résulte déjà avec une
entière évidence, Timpossibilité d'adopter le projet de loi
tel qu'il vous est soumis. Il eût été dès lors superflu de
chercher à découvrir Torigine , nous dirons presque la
raison suffisante, d'un système qui, au premier aspect,
soulevait d'aussi insurmontables objections. En tout cas,
et quoi qu'on en ait pu dire, nous n'eusaions jamais fait
à nos honorables collègues l'injure de supposer que per-
sonne ait pu douter de leur parfaite indépendance. Le
ministère s'est trompé, nous le croyons du moins, en
proposant l'exécution simultanée et lente, de trop de
lignes à la fois; mais ces nombreux traits rouges, figu-
rant des chemins de fer qui, sur la carte qu'on nous a
distribuée, se dirigeaient vers toutes les régions du
royaume, n'étaient pas un appel à l'esprit de localité;
nous rejetons bien loin la pensée que la réunion dans un
seul et même projet de loi, d'un chemin du nord, d'un
chemin de l'ouest, d'un chemin du centre et d'un chemin
de la partie la plus méridionale du royaume , doive être
envisagée comme un moyen de séduction; qu'on ait
espéré nous arracher, à l'aide de concessions récipro-
264 LES CHEMINS DE FER.
ques, un vote favorable qui n'eût point été dicté par nos
consciences, que n'eussent pas réclamé les intérêts bien
entendus du pays.
Section deuiièxe. — Sur les résultats à attendre
des chemins de fer.
Les chemins de fer, quand on les combine avec les
machines locomotives, constituent certainement une des
plus ingénieuses découvertes de notre époque. Là se
trouvent réunis à un degré vraiment inespéré , la force
et tous les moyens de vitesse. Les résultats, sous ce
double rapport, ont été déjà si étonnants, que Ton pou-
vait naguère, devant la première société savante de la
capitale, sans trop encourir le reproche d'exagération,
parler de l'époque où t les riches oisifs dont Paris four-
mille, partiront le matin de bonne heure pour aller voir
appareiller notre escadre à Toulon , déjeuneront à Mar-
seille, visiteront les établissements thermaux des Pyré-
nées, dîneront à Bordeaux, et, avant que les vingt-quatre
heures soient révolues , reviendront à Paris pour ne pas
manquer le bal de l'Opéra. »
Tout compte fait. Messieurs, l'imagination, cette folle
du logis, comme l'appelait Malebranche, avait à reven-
diquer une bonne part dans ces projets de voyage;
l'expérience, en effet, a brutalement jeté au travers de
ces séduisantes spéculations, une foule d'éléments que
les théoriciens avaient négligés : elle a parlé d'inertie,
de ténacité des métaux, de résistance de l'air, etc. 11 a
bien fallu alors resserrer quelque peu le cercle qu'on
croyait avoir conquis. Les vitesses seront grandes.
LES CHEMINS DE FER. 265
très - grandes , mais pas autant qu'on F avait espéré.
11 y aurait, Messieurs, un travail très-intéressant à
faire, que nous recommanderons, en passant, au zèle et
à la sagacité de nos jeunes historiens moralistes. Ce
serait le tableau des mille et mille circonstances capitales
dans lesquelles les hommes les plus éclairés, les assem-
blées délibérantes, la masse du public, se sont laissé gou-
verner par des mots sans portée, nous dirons même par
des mots entièrement vides de sens. Plusieurs de nos
honorables collègues et moi nous avons été au moment
de subir une influence de cette nature. Les mots si
souvent répétés par M. le ministre du commerce, de
transit, de lignes politiques, de lignes stratégiques,
n'avaient pas inutilement frappé nos yeux et nos oreilles.
Faut-il Tavouer , nous étions déjà quelque peu enclins à
les regarder comme les vrais symboles de l'avenir indus-
triel, commercial et militaire de la France. Toutefois,
ramenés bientôt à un examen sévère des choses, à leur
appréciation exacte, il nous a été bien facile de recon-
naître que nous avions trop légèrement cédé à un pre-
mier aperçu.
Lisons l'exposé des motifs du projet de loi , et nous
trouverons : t C'est surtout en vue du transit qu'ils sont
destinés à créer au travers de la France, que les chemins
de fer doivent attirer toute notre sollicitude. » A la page
suivante, ce transit, que les chemins de fer ne peuvent
manquer de créer, est caractérisé nettement ; il se com-
posera : c De la plus grande partie des marchandises qui
passeront du midi dans le nord de l'Europe et récipro-
quement. » Plus loin , le transit se représente avec de
266 LES CUBlimS DE FER.
nouveaux développements. Il s'empare alors de tout ce
qui doit se transporter c de TOcéan et de la Méditer-
ranée 9 sur les provinces de T Allemagne, sur la Suisse et
ritalie. »
Il a bien longtemps. Messieurs, que le tranât est en
possession d'exercer parmi nous une puissance dont la
légitimité n'a jamais été démontrée. Vous rappelez-vous,
par exemi^e, sous combien de formes il nous apparut
quand on discuta la question des deux entrepôts de Paris?
Depuis, on n'en a plus entendu parler, par l'excellente
raison que la quantité de marchandises qui transite au
travers de ces deux grands établissements est vraiment
imperceptible. Évitons, s'il se peut, de pareils mécomptes.
JLe vrai moyen pour cela est d'aller nous saisir des chifires
relatifis au transit, dans les registres, dans les statistiques
de la douane.
En 1836, le poids total des marchandises expédiées en
transit, à travers la France, a été de â&,Q25,000 kilogr.
Le parcours moyen de ces marchandises s'est élevé à
103 lieues.
Par le roulage ordinaire, le prix du transport par lieue
et par tonne de 1,000 kilogrammes, est de 0^80
Le montant total des frais de transit, dans toute
l'étendue de notre territoire, a donc été, en nombre
rond, de 2,803,000 fr.
Si tous les chemins de fer étaient exécutés , si tout le
transit s'effectuait par rails et locomotives, les 2 millions
803,000 fr. , dont nous venons de parler, se réduiraient,
d'après le tarif de 0'.30
par tonne et par lieue, à • • . 1,051,000 fr.
LES CHEMINS DE FER. 267
Ce serait par an une diminution de*. . l^TSâ^OOO fr«
Le pays perdrait donc environ les deux tiers de la dépense
totale qu'occasionne aujourd'hui le mode de transport
par rouliers. Ce serait près de deux millions de francs
que le commerce de nos voisins laisserait de moins sur
les routes de France que parcouraient ses marchandises
manufacturées ou à Tétat de matières premières. Ce
serait deux millions de capitaux étrangers qui se trouve-
raient enlevés annuellement aux commissionnaires, aux
rouliers, aux aubergistes, aux marchands de chevaux^
aux charrcms, etc.
Sans doute, plus de célérité, de régularité, d'économie
dans le service des routes , augmenterait la masse des
transports. £h bien, qu'on triple cette masse, et alors^
nous serons seulement revenus à l'état présent des choses^
quant aux bénéfices que la France retire du passage
qu'elle donne^, sur son territoire, aux marchandises
étrangères ; qu'on décuple, si Ton veut, le transit actuel,
et nous ne trouverons encore, au profit de notre pays,
qu'une augmentation de 7,700,000 fr^
Ces chiffres dissiperont bien des illusions. Qu'on le
remarque, cependant, nous n'avons entendu y traiter, à
la suite de l'exposé des motifs du projet de loi, que la
question du transit des marchandises appartenant à des
étrangers à leur arrivée dans nos ports. Celle du transit
des voyageurs, celle du transit des marchandises expédiées
par notre commerce, ont une tout autre importance. Nous
sentons très-bien ce que l'humanité, ce que la civilisation
peuvent attendre de moyens de transport commodes, éco-
nomiques, rapides, qui rapprocheront, qui uniront les
268 LES CHEMINS DE FER.
peuples, ou devant lesquels, du moins, s'affaibliront les
haines nationales, les préjugés qui , durant tant de siècles,
ont été si cruellement exploités. Nous savons très -bien
aussi que là où vont les hommes vont les affaires, et que
dès lors le commerce a tout intérêt à voir affluer sur
notre territoire un très-grand nombre de voyageurs. Nous
nMgnorons pas davantage combien les mille canaux de la
Hollande contribuèrent jadis à faire des négociants de
de ce pays les facteurs du commerce du monde, et notre
plus vif désir serait que nos concitoyens du Havre, de
Nantes, de Bordeaux, etc., etc., trouvassent de sem-
blables moyens de fortune dans les nouvellss communi-
cations projetées ; efifin , Messieurs , c'est parce que ces
diverses considérations se sont offertes à nos esprits de
bonne heure, c'est parce que nous les avons sérieusement
méditées, que nous sommes partisans des chemins de fer.
La discussion numérique dans laquelle nous avons cru
devoir entrer, relativement au transit, avait pour unique
but de débarrasser le terrain d'un él&nent étranger, ou
qui du moins n'y doit jouer qu'un rôle secondaire.
Nous regrettons beaucoup que la question stratégique
ne soit pas susceptible, comme celle du transit des mar-
chandises, d'être réduite à des chiffres. Des chiffres,
dans leur inflexible raideur, lui feraient certainement
perdre une grande partie de l'importance qu'on s'est
complu à lui donner.
Personne ne doute que dans des cas rares, exception-
nels, le transport très-rapide de quelques milliers de
soldats d'un point du territoire à un autre point, des
régions centrales vers la circonférence, ne puisse être
■^
LES CHEMINS DE FER. 269
très-utile. Mais cela n'autorise nullement à supposer que
les chemins de fer deviendront un moyen efficace d'im-
proviser sur nos frontières , avec les troupes de l'inté-
rieur, des armées destinées à repousser une attaque
imprévue, ou à faire une irruption subite dans les con-
trées ennemies. L'opinion que nous énonçons ici n'est
pas de celles qui peuvent être établies ou renversées
d'après de simples aperçus. Pour la juger sainement, il
est indispensable de descendre jusqu'aux détails. Qu'on
suppose, par exemple, que Strasbourg soit le point de
réunion d'une armée de 50,000 hommes, à la formation
de laquelle devront concourir, suivant les proportions
voulues, des troupes d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie,
du génie, disséminées dans les garnisons ordinaires. Sup-
posez toutes les grandes lignes de chemin de fer exé-
cutées ; pourvoyez-les des locomotives, des wagons, des
plates-formes nécessaires au service habituel, et nous nous
trompons fort si, avec tout cela, vous gagnez plus de
trois à quatre jours sur l'époque où l'armée , complète-
ment organisée et suffisamment approvisionnée, pourra
entrer en campagne. Les chemins de fer, dans un certain
rayon à partir des frontières, ne serviront d'ailleurs
qu'au début d'une guerre. Le conflit à peine commencé,
l'ennemi les fera détruire sur divers points par des affidés,
par des partisans. Si la chose lui paraît en valoir la
peine, il chargera même de l'opération quelques esca-
drons de cavalerie légère. Et qu'on ne nie pas la possi-
bilité de former de pareils détachements en pays ennemi
et sur les derrières d'une grande armée, car nous rap-
pellerions qu'en 1708, une poignée de cavaliers hoUan-
270 LES CHEMINS DE FEB.
dais partit de Gourtrai, s*avança jusqu'au pont de Sèvres
(sous Meudon), où elle s^empara de M« de Beringhen,
premier écuyer de Louis XIY, croyant se saisir du dau-
phin, père du duc de Bourgogne. Si la citation paraissait
trop ancienne, nous dirions qu'en i8i&, pendant que le
général Maison occupait encore la Belgique, un petit
corps ennemi de cavalerie légère vint dans le départe*
ment de la Somme piller Doulens* L'armée fera certai-
nement un usage utile des chemins de fer, car elle pro-
fite sans cesse , avec la généralité du public , des progrès
des arts et de l'industrie; mais, de là à de prétendues
réductions de moitié ou des deux tiers dans l'efTectif
actuel de nos troupes , il y a une distance infinie , sur
laquelle nous ne pouvions nous taire.
Militairement parlant, un des avantages les plus imroé*
diats et les plus prochains des chemins de fer, sera une
diminution considérable dans les frais qu'occasionnent
les changements de garnison. Il en résultera aussi qu'une
partie de la population pourra être affranchie de la rude
servitude des logements militaires- Nous verrons cepen*
dant à l'user, si nos généraux ne décideront pas, en
définitive, que les transports en wagons auraient pour
résultat d'efféminer les troupes et de leur faire perdre
cette faculté des grandes marches qui a joué un rôle si
important dans les triomphes de nos armées.
Nous avons déjà dit quelques mots de l'influence que
les chemins de fer nous paraissent devoir exercer sur les
progrès de la civilisation. Nous nous associons de grand
ccBur aux espérances qu'on a manifestées à cet égard,
fussent- elles quelque peu exagérées. En dehors de ces
LES CHEMINS DE FER. 274
idées, nous ne comprendrions pas la signification da mot
politique appliqué aux voies en fer. Nous comprendrions
encore moins comment certaines routes auraient le privi-
lège d^étre politiques à Texclusion de toutes les autres*
Des hommes graves qui, dans leurs écrits, n'étaient pas
tenus à la réserve que cette tribune commande, ont
imprimé que ces démonstrations n'auraient qu'un effet :
< celui d'embrouiller la question. »
Sicncni noisiàxi. — On rôle de TÉtat et des compagnies
dans la construction des chemins de fer.
Vous l'aurez remarqué, Messieurs, le premier vote de
la commission, celui dont nous avons déjà rendu compte
et qui reposait sur des considérations techniques, ne tou-
chait qu'à la répartition de travail proposée par le gou-
vernement. La question de savoir si l'exécution des
grandes lignes de chemin de fer serait exclusivement
réservée à l'État ou abandonnée à des compagnies, restait
encore intacte. C'était là, il faut se hâter de le dire, le
point culminant, le point délicat de la tâche qui nous
était confiée. Après une étode approfondie de toutes les
faces du problème ; après avoir scrupuleusement balancé
les avantages et les inconvénients des deux systèmes en
présence , la commission a éprouvé de nouveau , à une
forte majorité, le regret de ne pouvoir s'associer à la pro-
position ministérielle.
Essayons de formuler notre opinion dans des termes
qui ne puissent prêter à aucune équivoque.
Suivant nous, Messieurs, il faut abandonner l'exécution
des chemins de fer, grands ou petits, à l'esprit d' associa-
272 LES CHEMINS DE FER.
tion , partout où il a produit des compagnies sérieuses ,
fortement et moralement constituées; Taction gouverne
mentale immédiate doit s'exercer dans les seules direc-
tions où, rintérét national des travaux étant bien con-
staté, il n'y a cependant pas de soumissionnaires, soit à
cause de Tmcertitude des produits, soit même, carnous
allons jusque-là, à raison de leur insuffisance reconnue.
Jamais une commission honorée de votre confiance n'a
pu avoir l'inqualifiable pensée de subordonner judaïque-
ment au bon vouloir ou au caprice des compagnies de
capitalistes, l'exécution de travaux dont le bien-être et la
sûreté du pays pourraient dépendre. Autant sur ce point
nos convictions sont arrêtées et profondes, autant, d'un
autre côté, il nous semble nécessaire de mettre des
bornes à l'esprit de monopole qui domine trop évidem-
ment l'administration française.
Examinons, au surplus, avec le soin qu'une aussi
importante question commande, si, comme le ministère
le pense, il est indispensable de confier à l'État, non-
seulement l'exécution des longues lignes de chemins de
fer, mais encore celle de toutes les grandes communica-
tions par terre et par eau t qui ont pour objet de rattacher
entre elles les extrémités du rovaume ».
Autant que faire se pourra, nous citerons textuellement
l'exposé des motifs :
tDans un grand territoire, comme celui de la France,
il faut, vous a dit M. le ministre du commerce, que les
grandes distances puissent être, parcourues à bon marché,
sous peine de rester infranchissables, sous peine d'isoler
les unes des autres les diverses régions dont le royaume
LES CHEMINS DE FER. 273
se compose. •• Sur les lignes secondaires et les lignes
d'embranchement... un tarif, même un peu élevé, peut
5tre facilement payé pour une faible distance... Il faut
ju'à toute époque les tarifs puissent être modifiés... Com-
ment serait-41 possible de nous mettre d'accord avec la
Belgique, sur la fixation mobile des tarifs, si, comme elle,
nous ne conservions pas la libre possession et la souve-
raine administration de nos grandes voies de fer?... La
libre disposition des tarifs , la faculté de les modifier sui-
vant les cas, suivant les circonstances... est le principal
motif qui puisse déterminer à demander au Trésor les
fonds nécessaires à l'exécution de ces immenses travaux. »
Un second ordre de considérations s'est présenté à
H. le ministre du commerce ; t il ne trouverait pas pru-
dent d'abandonner à l'intérêt privé (quand il s'agit des
grandes lignes), des moyens de communication qui doi-
vent devenir quelque jour des lignes essentiellement poli-
tiques et militaires, et qu'on peut justement assimiler,
dit -il, à des rênes de gouvernement. »
Le gouvernement, au surplus, ne croit pas que l'indus-
trie privée puisse fabriquer ces rênes. « Les exemples sont
là, s'écrie-t-on, pour prouver que du moment qu'une
entreprise excède une somme donnée, les capitaux sérieux
lui manquent; de grandes entreprises ont été confiées
depuis quelques années aux efforts de la spéculation et
ne sont pas même commencées aujourd'hui. » Souvent,
ajoute l'exposé des motifs, «on engage l'affaire, on crée,
on émet, on jette dans le public des actions; » viennent
en3uite « des bouleversements de fortune , des malheurs
privés sans nombre... Le gouvernement ne saurait se déci-
V.— II. 18
274 LES CHEMINS DE FER.
dcr à offrir à l'agiotage, à cette plaie de notre époque,
des éléments nouveaux qui lui donneraient la plus déplo-
rable activité et la plus effrayante extension. »
Quant à ceux qui pourraient penser que TÉtat est im-
puissant pour se lancer dans d'aussi colossales entreprises,
M. le ministre leur recommande « de jeter uiï regard sur
la France et de voir si tous les grands travaux , si tous
ceux qui exigeaient de grands efforts, de grands capitaux,
n'ont pas été exécutés par T administration publique, »
La question , si délicate , de Texploîtation des chemins
de fer, ne pouvait être oubliée par M. le ministre du
commerce ; ajoutons de suite qu'il ne la tranche pas.
On voit bien que le gouvernement serait fort disposé
à exploiter par lui-même, mais il n'ose pas Fannoncer
positivement. Le mode provisoire d'exploitation des sec-
tions successives d'une grande ligne serait réglé par
ordonnance royale. Quant à la ligne tout entière, on
ferait des essais, des tâtonnements, avant d'adopter un
parti définitif; une loi spéciale le sanctionnerait.
Vous le voyez , Messieurs , les arguments que le gou-
vernement produit à l'appui du projet de loi, ne sont pas
moins remarquables par leur variété que par leur nombre.
Tour à tour il invoque des considérations stratégiques,
politiques , commerciales , économiques , industrielles ,
techniques. Chacune d'elles, prise isolément, lui paraît
décisive; réunies, ne dorvent-elles pas entraîner un assen-
timent général ?
Une seule remarque. Messieurs, et le système déve-
loppé avec tant de soin dans l'exposé des motifs de M. le
ministre du commerce , perdra une notable partie de son
LES CHEMINS DE FElt 275
importance. Le chemin de fer de Paris en Belgique, dont
l'exécution par des compagnies mettrait en danger l'avenir
commercial de la France , nos relations avec des pays
voisins, notre puissance militaire, peut-être notre tran-
quillité intérieure; ce chemin que TÉtat seul pourrait,
dit-on, exécuter; ce même chemin de fer, de Paris en
Belgique, le gouvernement, disons mieux, le ministre
actuel, l'avait concédé Tan dernier à une compagnie. Les
nombreuses, les insurmontables difficultés qu'on nous
signale aujourd'hui, n'étaient cependant ni moins iosur-
montables ni moins nombreuses il y a douze mois. Peut-
être prétendra -t- on que le ministère les a découvertes
tout récemment, que l'an dernier, il ne les avait point
encore aperçues. 11 ne nous appartient, en ce moment,
ni d'admettre ni de rejeter l'explication.
Nous livrons ces remarques à l'appréciation de la
Chambre. Maintenant, sans rechercher davantage com-
ment ce qui vous était proposé, l'an dernier, est devenu
tout à coup inadmissible, impraticable; comment un
mode d'exécution des chemins de fer, dûment délibéré
en conseil des ministres, et soumis à votre approbation,
il y a peu de mois, serait aujourd'hui pour le pays une
.source d'embarras, de malheurs, de calamités, nous
allons examiner en elles-mêmes les considérations diverses
d'après lesquelles on espère obtenir votre assentiment.
Le gouvernement, vous dit-on , doit rester maître des
tarifs sur les chemins de fer ; il doit pouvoir les modifier
h son gré , d'après les besoins de l'intérieur, ou d'après
ceux de nos relations avec l'étranger. C'est à merveille^
Messieurs ; mais comme le mot impossible est français^
276 LES CHEMINS DE FER.
quoi que jadis on en ait pu dire, à peine le grand prin-
cipe est-il proclamé, qu'il faut reculer devant son appli-
cation absolue, devant Tiininensité de la tâche.
Que fait-on alors? On sacrifie le^ embranchements; on
soutient que le bas prix des transports n*a d'importance
que sur les grandes lignes ; là , le gouvernement veillera
scrupuleusement aux intérêts des voyageurs et du com-
merce ; sur les lignes secondaires, le commerce et les
voyageurs seront livrés à la merci des compagnies !
Avant d'aller plus loin, demandons- nous à quel signe
certain l'embranchement sera distingué de la ligne prin-
cipale? Dans bien des cas, nous osons l'afTirmer, un
botaniste ne serait pas plus embarrassé s'il devait dési-
gner, parmi tant de vigoureux rameaux qu'un chêne
séculaire étale dans tous les sens, celui qu'il faut consi-
dérer comme le prolongement de la souche I
Supposons le réseau du nord complètement exécuté ,
tel que le gouvernement le propose, et transportons-nous
par la pensée à Amiens. Le chemin s'y bifurque ; une des
branches se dirige sur Lille ; la seconde va à Boulogne ;
elles parcourent l'une et l'autre des distances à peu près
pareilles; mais la première ayant eu l'heureuse chance
d'être qualifiée de ligne principale, jouira, aux frais de
l'État, de tarifs très- bas; sur la seconde, au contraire,
qui avec des droits égaux à la même faveur se trouvera ,
par "hasard, reléguée dans l'ordre des embranchements,
le tarif y sera beaucoup plus élevé , puisqu'il aura fallu
le calculer sur la dépense réelle d'exécution et d'entretien.
Eh bien, nous le demandons, personne pourra-t-il s'expli-
quer une semblable différence, quand elle sera du fait du
LES CHEMINS DE FER. 277
gouvernement? A quel titre nos communications avec la
Belgique seraient-elles plus favorisées que nos communi-
cations avec l'Angleterre? Et s'il arrivait, comme on peut
le prévoir, que le bas tarif artificiel de la ligne du Nord ,
exécutée par l'État, jetât sur cette ligne la grande masse
des voyageurs anglais ; s'il arrivait qu'à la suite des tra-
vaux et des arrangements projetés , la route la plus éco-
nomique de Londres à Paris, vînt à être celle d'Ostende,
Gand et Lille; si même, la diminution de tarif sur la
distance de la frontière du Nord à Amiens, ne faisait que
favoriser la tendance que montrent déjà tant d'Anglais à
venir en France par la Belgique, et cela au grand détri-
ment de Dunkerque , de Calais, de Boulogne, trouverait-
on dans notre langue des expressions assez sévères pour
caractériser l'imprévoyance de l'administration dont les
mesures, mal calculées, auraient amené de pareils dépla-
cements d'intérêts, et pour stigmatiser l'inattention de la
Chambre qui les aurait sanctionnées? Le partage récent
de la France en zones plus ou moins favorisées quant à
l'importation des charbons, a-t-il donc amené assez peu
d'embarras et de réclamations, pour qu'on doive se hâter
de soulever des débats, des froissements, des irritations
toutes pareilles à propos de chemins de fer?
La complète disposition des tarifs, la faculté de les
changer à chaque instant , que le gouvernement réclame
avec tant de vivacité , ne lui seraient pas plus tôt accor-
dées, que la force des choses l'obligerait à y renoncer.
Personne n'a cru sérieusement que l'État pût se charger
lui-même de l'exploitation si compliquée, si minuti(îuse,
d'une longue ligne de chemins de fer. Les chemins une
278 LES CHEMINS DE PEIU
fois construits, il faudrait iDévitablement les affermer;
mais qui ne voit que le tarif serait la clause principale du
contrat? O0 ne traiterait, dit -on, que pour un certain
nombre d'années. Voilà déjà une concession bien large, si
on la rapproche des espérances qu'on avait d'abord em-
brassées. L'exploitation ne serait jamais concédée que
pour un terme assez court I Et qui peut assurer que pour
un terme assez court on trouverait jamais une compagnie
qui consentit à faire exécuter à ses frais le matériel im-
mense qu'exigerait l'exploitation de la ligne de Paris à
Marseille, ou même seulement l'exploitation de la ligne
de Paris à Strasbourg? Vous le voyez, quand on ne reste
pas dans la réalité des choses, les contriKiictions , les
obstacles surgissent à chaque pas.
L'exposé des motifs prévoit le cas où il faudrait se
mettre d'accord avec la Belgique relativement au tarif des
chemins de fer, et c'est pour être toujours en mesure de
négocier, que le gouvernement désire rester maître absolu
de la ligne du Nord.
La fixation des tarifs en ce qui concerne le territoire de
la France est, ce nous semble, une affaire d'administra-
tion intérieure dans laquelle les puissances voisines ne
doivent jamais avoir à s'immiscer. Nous ne croyons pas,
en effet , que le gouvernement belge ait eu même la pensée
de nous consulter quand il a réglé ses prix pour les che-
mins de Bruxelles à Anvei's, à Gand ou à Liège. £n tout
cas, si nous sommes dans Terreur, si la fixation réci-
proque des tarifs entre deux pays vdsins a toute l'im-
portance que M. le ministre du commerce lui attribue
aujourd'hui, hâtons -nous de déchirer le traité qu'à nous
LES CHEMINS JOE FER. 279
présenta naguère en faveur de M. Kœchiin, et que nous
avons adopté. Par une de ses extrémités, le chemin d'Al-
sace se termine en Suisse ; par l'autre , il peut être pro-
longé jusqu'à la Bavière rhénane. La Bavière rhénane et
la Suisse, car on y projette des chemins de fer, voudront
tût ou tard être traitées comme la Belgique.
Une difficulté plus spécieuse contre le libre arbitre des
compagnies en matière de tarif, a été fournie au gouver-
nement par l'obstination de certains propriétaires de
canaux , qui , au détriment de la fortune publique et de
la leur, refusent d'abaisser les. droits de péage que l'auto-
rité leur concéda jadis. 11 semble, eu efl'et, naturel de
supposer que des compagnies de chemins de fer pourront,
dans l'avenir, susciter au public et au gouvernement des
embarras du même genre. Sans parler, pour le moment,
d'une double disposition du cahier des charges, à l'aide
de laquelle la difficulté perdrait toute sa gravité , nous
dirons qu'elle repose sur une assimilation dont la parfaite
exactitude est susceptible de contestation.
Ordinairement les propriétaires ou les concessionnaires
d'un canal perçoivent seulement un droit de péage sur
leur route d'eau : les barques, les moyens de, traction, de
locomotion ne leur appartiennent pas. A part quelques
frais d'entretien généralement peu considérables, ces pro-
priétaires, ces concessionnahres ne sont grevés d'aucune
dépense journalière. Un manque à (jagner est tout ce qui
les menace , lorsque peu au fait des vrais principes de
réconomie industrielle, ils ne comprennent pas qu'une
diminution de droit est souvent la souixe d'une augmen-
tation de produit.
280 LES CHEMINS DE FER.
L'administration d'un chennin de fer est dans une tout
autre position ; rien ne passe, personne ne voyage que sur
ses plates- formes, ses wagons, ses voitures, et à l'aide de
ses moyens de traction; les frais d'entretien, nous ne
dirons pas seulement des rails, mais aussi de tous les
véhicules et des locomotives , les frais de combustible, se
trouvent complètement à la charge des exploitants. Ces
frais sont énormes, même quand tout marche à vide. La
compagnie qui ne s'emparerait pas, à l'aide de tarifs
modérés, d'une grande quantité de voyageurs, serait
bientôt ruinée. 11 n'est donc pas à craindre que les com-
pagnies de chemin de fer amènent jamais à cette tribune
les plaintes dont elle a retenti naguère contre certains
propriétaires de canaux.
Nous avons examiné toutes les difficultés relatives aux
tarifs, en elles-mêmes et comme si nous supposions que
l'administration restera, à cet égard, complètement dés-
armée vis-à-vis des compagnies. Telle n'est pas, cepen-
dant, telle n'a pas pu être l'opinion de la commission. Elle
croit , au contraire , que le droit de révision des tarifs
devrait être formulé catégoriquement dans tous les cahiers
des charges. En outre, les conditions de rachat de chaque
chemin de fer par l'État, formeraient l'objet d'une stipu-
lation spéciale. On simplifierait ainsi les formes de l'ex-
propriation, sans limiter, sans affaiblir, bien entendu, le
droit qui résulte de la loi générale, toutes les fois que
l'utilité publique a parlé.
Nous ne pouvions pas nous dispenser d'accorder de
grands développements à la question des tarifs, puisque
le ministère vous avait déclaré qu'elle serait la pierre
LES CHEMINS DE FER. 281
angulaire de Tédifice qu'il vous proposait d'élever. Nous
croyons, toutefois, qu'on s'est trompé en donnant le pre-
mier rang à cet ordre de considérations. Supposons, en
effet, un moment, qu'il soit prouvé, et telle est, vous le
le savez, l'opinion du ministère, qu'aucune compagnie en
France n'aurait aujourd'hui la force d'organisation et les
capitaux nécessaires pour exécuter une seule des grandes
lignes de chemins de fer. Ne serait-il pas alors puéril de
prolonger le débat? Un négociant ne s'occupe des détails
d'armement, de distribution, d'arrimage, que le jour où
il est certain d'avoir un navire. Les navires auxquels la
commission désirerait confier la destinée des chemins de
fer, existent-ils? Ont-ils de la force, de Tavenir? Sont-ils
constitués de manière à résister à quelques orages?
De très-bons esprits ont longtemps douté que l'indus-
trie privée pût trouver en France les capitaux nécessaires
à l'exécution des grandes lignes de chemins de fer. Ce
n'est pas que ces capitaux n'existassent , car une compa-
gnie, composée de banquiers riches et justement consi-
dérés, offrait, il y a deux ans, de se charger de cette
immense entreprise , sous la seule garantie d'un minimum
d'intérêt de 4 pour 100 pendant 46 ans.
Les propositions de la compagnie des chemins de fer
du Nord établissaient à la fois et l'existence des capitaux
et le peu de propension qu'ils avaient à se porter sur de
grands travaux d'utilité publique. Maintenant il faudrait
fermer tes yeux à la lumière pour ne pas voir combien les
choses sont changées. L'esprit d'association vient à peine
de naître, et déjà il a reçu des dovcJoppements remar-
quables. De toutes parts les capitaux , grands et petits,
2g2 LES CHEMINS DE FEF.
afflaent vers les entreprises indu^rielles. Cette tendance ,
quMl faut bien soigneusement distingua du déplorable
agiotage dont la Bourse de Paris a été récemment le
théâtre, ouvre à notre pays un avenir entièrement nou-
veau et mérite vos encouragements. C'est cette tendance
qui nous a inspiré la pensée que le moment était venu de
sortir des vieux errements, et de fournir à l'association
une occasion solennelle d'essayer ses forces, de montrer
sa puissance ; c'jest elle aussi qui nous a persuadé que des
compagnies privées pourront exécuter avec leurs propres
ressources et sans subvention aucune, la plupart des che-
mins prqetés.
Appelé , comm'e rapporteur, à soumettre plus particu-
lièrement à une investigation minutieuse les registres que
diverses compagnies nous ont présentés , il me sera per-
mis de déclarer ici que j'ai aperçu généralement dans les
modes de souscription, dans les noms et les qualités des
souscripteurs, aussi bien que dans le montant des sommes
souscrites, tous les caractères d'engagements sérieux;
que les diverses classes de la société figurent également
dans ces registres ; que les départements , ceux surtout
que les chemins doivent parcourir, y occupent une large
place; enfin que des. valeurs considérables viendront de
l'étranger s'ajouter à celles qui doivent être fournies par
nos propres capitalistes.
Ne croyez pas cependant que, dominée par ces impres-
sions favorables, la commission ait voulu laisser la société
désarmée en présence de l'intérêt privé. A cet égard,
ses préoccupations étaient même si vives que, sans s'ar-
rêter à l'idée qu'elle empiétait quelque peu sur les atlri-
LES CHEMINS DE FER. 283
butions de la commission des sociétés commerciales, elle
a rédigé, relativement à l'organisation des compagnies
et aux garanties à leur imposer, un certain nombre d'arti-
cles que nous allons faii^e connaître, en supprimant toute-
fois les développements. Ce sacrifice,^ commandé par le
désir de ne point abuser aujourd'hui de votre attention ,
n'empêchera pas que pendant le débat oral les membres
de la commission ne viennent à cette tribune développer
tout ce qu'il y a d'important, de nécessaire dans les réso-
lutions qu'ils vont soumettre à votre jugement.
V Les compagnies seraient tenues de faire un caution-
nement dont elles pourraient toutefois demander la resti-
tution après l'achèvement de la cinquième partie des
travaux concédés.
2* Les compagnies pourraient être mises en déchéance,
soit en cas de non -exécution des travaux dans le délai
déterminé, soit pour un manquement grave aux condi-
tions du cahier des charges. La déchéance ne serait pas
une confiscation déguisée. Une adjudication des travaux
commencés aurait lieu au profit de la compagnie , selon
le mode établi à l'article 32 du cahier des charges pour
le chemin de Bàle à Strasbourg. La dévolution définitive
à l'État ne serait prononcée que dans le cas où, après
deux épreuves à six mois de distance , il n'y aurait pas
eu d'acquéreur.. Le chemin ne pourrait être continué qu'en
vertu d'une loi qui réglerait, en outre, le montant de
l'indemnité à^ laquelle les adjudicataires primitifs pour-
raient avoir droit.
3* La faculté de rachat des chemins de fer par l'Etat,
stipulée à l'article && du cahier des charges du chemiu
284 LES CHEMINS DE FER.
de Bâle à Strasbourg , figurerait désormais dans tous les
actes analogues. Le revenu serait calculé sur les dix der-
nières années.
ft* Les gérants , administrateurs et directeurs devraient
posséder une portion du capital social-, assez forte pour
répondre de leur bonne gestion. Cette portion , inalié-
nable jusqu'à l'entier achèvement des travaux, serait
déposée à la caisse des consignations.
5* Il y aurait interdiction absolue de Tattribution
d'actions industrielles à des personnes dont on voudrait
rémunérer les services. La part de bénéfices destinée à
récompenser les ingénieurs, les gérants, et à exciter leur
activité, deviendrait toute personnelle; elle ne serait sus-
ceptible ni de négociation , ni de transfert.
6* Aucune émission et négociation de titres, mêmes
provisoires, ne pourrait avoir lieu avant la promulgation
de la loi.
7' Le cahier des charges ne serait accepté et signé
qu'après que des engagements dûment souscrits , repré-
senteraient un capital social égal au moins à la moitié de
l'estimation de la dépense.
8' Avant la présentation de la loi , la Compagnie de-
vrait justifier du versement en espèces d'un dixième du
même capital.
Ces garanties, tout utiles qu'elles soient, n'ont pas
semblé à la commission rendre superflu un examen appro-
fondi de la question d'utilité générale, de la question
d'art, de l'organisation intime des compagnies, et même
des calculs divers sur lesquels elles peuvent fonder leurs
chances de profit. Le mode actuel est très- vicieux. Les
LES CHEMINS DE FER. 285
Chambres interviennent au début de l'affaire, quand les
projets sont à peine rédigés, quand la compagnie n'a
qu'une existence précaire. Ce qui est encore pis, on les
appelle à autoriser une adjudication entre des compagnies
qu'elles ne connaissent même pas, autant dire à donner
un blanc-seing à l'administration. On remettrait les choses
dans leur ordre naturel , si l'on décidait :
!• Qu'hormis des cas exceptionnels fort rares, la con-
cession directe, seul moyen d'apprécier la moralité et la
solidité des compagnies, serait préférée à l'adjudication;
2* Que les projets, avant la présentation de toute pro-
position de concession aux Chambres, devraient être assez
étudiés pour donner une idée des frais de construction et
des difficultés d'art à vaincre ;
3" Qu'à la même époque, la compagnie, complètement
organisée, devrait avoir soumis ses statuts au conseil
d'État, dont l'avis motivé serait joint au projet de loi,
tout aussi bien pour les sociétés en commandite que pour
les sociétés anonymes.
Alors, les commissions des Chambres pourraient se
livrer à un véritable examen des statuts de chaque compa-
gnie, des avantages financiers et économiques des entre-
prises, des questions d'art, du montant présumé des
dépenses d'exécution et d'entretien, des oppositions do
toute nature collectives ou individuelles, etc., etc. Dans
ce système, l'intervention législative ferait quelque chose;
la loi aurait pour les compagnies tous les effets dont l'or-
donnance royale jouit aujourd'hui à l'égard des sociétés
anonymes; le vote des Chambres deviendrait définitif,
puisqu'il porterait sur les statuts, sur l'organisation même
286 LES CHEMINS DE FER.
des associations, ainsi que cela se iwatique, au reste, de
l'autre côté du détroit
Après cette sorte de (fisgressian dont la Chambre , nous
osons Tespérer, sentira toirte Topportunité , nous repre-
nons la discussion des arguments présentés par M. le
ministre du commerce.
Dans l'examen comparatif des travaux da gouverne-
ment et de ceux des compagnies, l'exposé des motifs
remonte beaucoup trop haut.; aussi sommes-nous peu
embarrassés de cette interrogation ministérielle : t Nous
demanderons quelles sont les opérations un peu vastes
que les associations particulières ont pu conduire heureu-
sement à leur terme. » Notre réponse est toute prête ; elle
sera très- simple : En France, aux époques dont parle
l'exposé des motîfe, les compagnies n'étaient pas encore
néesl
Oh r l'objection aurait une grande force, si on avait pu
l'appliquer aux contrées dans lesquelles l'e^rfl; d'asso-
ciation existe depuis longtemps et a toujours reçu de
l'autorité encouragement et appui. Mais, comme de rai-
son, la France seule a été mise en scène. Par là on s'est
soustrait à l'accablante énumération de routes, de che-
mins de fer, de ponts, de canaux, de ports, d'embar-
cadères, de docks, d'établissements industriels de tout
genre qui, dans un pays voisi», démoatrent à chaque
pas que l'association est le plus énergique ressort dont-les
nations modernes puissent faire usage poiir accroître leur
bien-être., leur richesse et leur importance politique.
Sans sortir, au surplus, du cerclo étroit qu'on trace
autour de nous, serait- il donc bien difficile de trouver
LES CHEMINS DE FER, 2g7
dans les départements de France, de trouver près de
Paris, de trouver dans Paris même, de grands travaux
commencés par l'État, sans cesse interrompus, repris, et
dont Fachèvement, il y a quelques années, a été définiti-
vement dévolu à des compagnies décapita listes?
Le gouvernement admet la puissance de Findustrie
privée , quand ses opérations sont renfermées dans cer-
taines limites. C'était ici ou jamais le cas de fixer ces
limites par des nombres. Une pareille fixation, nous
devons l'avouer, eût été quelque peu difficile ; on devait
prévoir le cas où des registres de souscriptions person-
nelles, authentiques, seraient venus contredire les chiffres
ministériels ; fallait- il cependant laisser la Chambre dans
la conoplète incertitude où la place cette phrase de l'ex-
posé des motifs : « Dans l'opinion du gouvernement , les
capitaux sérieux manquent à l'industrie privée, du mo-
ment qu'une entreprise excède une somme donnée!» Ces
mots, une somme donnée , seraient au besoin trop élasti-
ques pour que nous puissions être tentés de les contester.
Qui ne voit , toutefois, qu'une classification des chemins,
basée sur le maximum de dépense qu'ils doivent entraîner,
pouvait, même dans le système ministériel , être substituée
avec avantage à celle qu'on vous présente, d'embranche-
ments, de chemins secondaires, etc., etc. Les compagnies
auraient su alors nettement à quoi s'en tenir sur les inten-
tions de l'administration. Aujourd'hui, peuvent -elles s'y
reconnaître quand on leur refuse une ligne principale
évaluée 20 millions de francs, et qu'on se montre disposé
à leur accorder un embranchement f celui d'Amiens à
Boulogne) qui doit en coûter /lO?
288 LES CHEMINS DE FER.
Venons maintenant aux objections qu'oppose la com-
mission, à l'intervention directe de l'État dans l'exécution
des chemins de fer, là, et là seulement, bien entendu,
où de puissantes compagnies se présentent. Afin d'être
moins gênés dans l'expression de nos doutes, nous com-
mencerons par rendre un hommage sincère aux ingénieurs
pleins de savoir, de conscience, de zèle, de dévouement
et d'honneur, qui forment le corps des ponts et chaussées.
Notre confiance dans le succès des compagnies s'est accrue
de celle que ces mêmes ingénieurs nous inspirent, lorsque
nous avons appris qu'ils seraient placés à la tête des
grandes entreprises projetées, pour tout ce qui concerne-
rait les travaux d'art. 11 est donc bien entendu que nos
inquiétudes, que nos critiques concernent exclusivement
l'organisation, suivant nous très -vicieuse,, du corps des
ponts et chaussées, du moins en ce qui touche certaines
natures de travaux. Les ingénieurs eux-mêmes sont com-
plètement en dehors du débat. Noqs répéterions cent fois,
s'il le fallait , que nous professons pour eux la plus pro-
fonde estime.
Il y a cinq ans. Messieurs, l'industrie particulière , qui
depuis n'a cependant pas démérité, trouvait dans les
Chambres beaucoup plus de faveur qu'aujourd'hui. Pre-
nez le Moniteur de cette époque, et vous y lirez ces
paroles : « Elle seule (l'industrie particulière) a le secret
du juste rapport des avantages et des dépenses; elle
seule sait approprier les travaux à leur fin ; elle seule sait
éviter les folles dépenses où entraîne précisément le gran-
diose dans les travaux qui ne le réclament pas. •
Lorsque, dans le débat oral qui suivra ce rapport.
LES CHEMINS DE FER. 2S9
nous viendrons à cette tribune vous prémunir contre les
folles dépenses que l'administration publique ne manque-
rait pas de vouloir faire , si vous lui confiez l'exécution
des chemins de fer ; lorsque nous vous entretiendrons du
goût ruineux des ingénieurs du gouvernement pour le
grandiose, M. le président du conseil nous prêtera cer-
tainement l'appui de son autorité ; car, il faut vous l'ap-
prendre, Messieurs, le passage que nous avons cité est
tiré textuellement d'un discours de M. le comte Mole à la
Chambre des Pairs.
Les vues générales, applicables à toutes les natures de
travaux possibles, sur lesquelles se fonde l'opinion de
M. le président du conseil en faveur des compagnies,
se fortifient de considérations non moins puissantes quand
il est spécialement question de chemins de fer.
Dans un chemin de fer, en effet, il ne s'agit pas uni-
quement de nivellements, de tracés, de travaux d'art;
des transactions commerciales y jouent un rôle important.
Jusqu'ici des cours de commerce n'ont pas figuré parmi
ceux de l'École polytechnique ou de l'École des ponts et
chaussées. Mais fussent-ils créés et professés depuis long-
temps, nous n'en devrions pas moins, sous ce rapport,
nous défier de la capacité de nos ingénieurs. Les affaires,
ainsi qu'on les appelle vulgairement, supposent une nature
d'esprit toute particulière; il faut, pour y réussir, un
tact, une pénétration, une finesse qui ne s'acquerront
jamais dans les amphithéâtres. Rien, en ce genre, ne
pourra suppléer à une longue, à une constante pratique
des hommes et des choses. Or, qui n'a remarqué combien,
par un honorable sentiment de délicatesse, là plupart de
V. — II. 19
290 LES CHEMINS DE FER.
nos ingénieurs des ponts et chaussées cherchent à se tenir
à l'écart de toute affaire dont la conclusion doit être un
paiement? N'en doutons pas, Messieurs, les achats de
terrains, de rails, de machines locomotives, etc., se
feraient plus mal et à des conditions beaucoup plus oné-
reuses, par les employés de l'État que par ceux des
compagnies. Enlacés dans une multitude de formes admi-
nistratives, conservatrices, si l'on veut , mais, d'un autre
côté, minutieuses, compliquées à Textrême, les délégués
du gouvernement ne pourraient presque, dans aucun cas,
leur substituer la voie prompte et souvent économique de
la transaction privée. De là d'incalculables longueurs et
d*énonnes difficultés. Le ministre lui-même Ta si bien
prévu, qu'il parle déjà, dans l'exposé des motifs, de la
possibilité de simplifier les formes actuelles.
Si cette simplification avait pu être assez radicale poiu*
ôter tout sujet d'opposition aux partisans des compa-
gnies, pourquoi ne l'a-t-on pas opérée avant de présenter
les projets de loi des chemins de fer et des canaux ? Puis-
qu'on fait espérer des améliorations, il eût été très-utile
de savoir, par exemple , si l'administration des ponts et
chaussées continuera, en matière de travaux publics, à
être juge et partie ; si elle seule aura le contrôle de ses
propres actes. Chacun eût voulu apprendre comment elle
échappera désormais au besoin que l'esprit de corps lui
a jusqu'ici imposé, de jeter un voile épais sur les fautes
de ses membres; où elle trouvera l'énergie qui lui a si
souvent manqué , même lorsque les plus graves intérêts
lui criaient sans cesse d'enlever à tel ou tel ingénieur sys-
tématique ou inhabile la direction qui lui avait été confiée
LES CHEMINS DE FER. 291
d'un travail capital ; à quels procédés inusités elle recoiura
pour employer chacun suivant sa spécialité ; d'où elle fera
surgir la multitude de piqueurs, de conducteurs qu'exige
ront de nouveaux travaux , car elle satisfait à peine à la
besogne courante ; comment enfin elle résistera aux in-
fluences personnelles qui jusqu'ici ont paru la maîtriser,
et dont on pourrait citer de nombreux exemples.
Toutes 068 questions, Messieurs, s'éclairciront en
temps et lieu. Votre commission a dû prendre les choses
dans l'état actuel. En partant de cette base, nous trouvons
très- naturel que M. le ministre du commerce ait prévu
qu'on lui dirait dans cette enceinte : « Si l'on confie d'aussi
grands travaux à l'État, on n'en verra jamais la fin, et
la jouissance si désirée , si attendue de ces communica-
tions nouvelles , sera indéfiniment retardée. »
Nous laisserons, pour le moment, de côté, les citations
que le gouvernement emprunte aux travaux d'un pays
voisin , et qui lui semblent éminemment favorables à son
propre système. Ces citations ne pouvaient être plus mal-
heureusement choisies. Nous les emploierons nous-mêmes
en temps et lieu , pour combattre le projet ministériel.
Ici nous nous bornerons à une seule remarque; nous
dirons que des citations cessent d'être des arguments de
bon aloi , dès qu'elles ne sont pas complètes. Ainsi nous
concevons à merveille que , pour donner une leçon de
sagesse, de patriotisme à votre commission et même aux
Chambres, le Moniteur du 3 avril dernier ait soigneuse-
ment enregistré le projet de loi présenté aux États -géné-
raux, et en vertu duquel le gouvernement hollandais
aurait exécuté lui-même des chemis de fer entre Rotter-
292 LES CHEMINS DE FER.
dam, Amsterdam, Utrecht et Arnheim, Mais, n'eût- il
pas été convenable de nous apprendre plus tard , par la
même voie, que les arguments si pleins de sens et de
raison qu'on livrait à nos méditations, avaient été sans
puissance, et qu'un rejet h l'unanimité, moins deux voix,
dans lesquelles deux voix figurait encore celle d'un mi-
nistre , fit complète justice du projet tant préconisé.
Le gouvernement veut se charger lui-même des che-
mins de fer, afin de ne pas t offrir à l'agiotage, à cette plaie
de notre époque , des aliments nouveaux qui lui donne-
raient la plus déplorable activité et la plus effrayante
extension. •
Rien assurément n'est plus digne d'éloge , et la com-
mission éprouve un véritable- regret de ne pouvoir louer
que l'intention. Mais nous aurions peine à comprendre
comment les chemins de fer seraient soustraits à l'agio-
tage, si agiotage il devait y avoir, quand le gouverne-
ment déclare ne se réserver que les 1,100 lieues de
lignes principales, et qu'il destine à l'industrie 3 à 4 mille
lieues de lignes secondaires et d'embranchements. Per-
sonne assurément n'oserait soutenir que l'agiotage, en
s'exerçant , par exemple , sur les 20 millions du chemin
principal d'Orléans, serait plus fâcheux, plus immoral,
plus menaçant pouMes fortunes privées que celui qui
se cramponnerait aux 40 millions de l'embranchement
d'Amiens à Boulogne.
LES CHEMINS DE FER. 293
SccTiox QCATBiàiiE. — Du budget de l'État en matière de travaux
publics extraordinaires.
Passons maintenant, Messieurs, à la partie financière
du problème. C'est là que nous trouverons les arguments
peut- être les plus décisifs en faveur du système de la
commission. Aussi , les eussions-nous développés les pre-
miers , si Tordre d'idées adopté dans l'exposé des motifs,
n'avait pas, en quelque sorte, tracé notre marche.
Que nous demande le gouvernement? L'exécution, aux
frais de l'État, de lignes de chemins de fer qui, d'après
les avant-projets , doivent coûter 207 millions. Ces 207
millions, avec quelles ressources espère-t-on y faire face?
La commission a entendu à ce sujet M. le ministre des
finances, et elle a appris de lui :
Qu'il ne pouvait pas être question d'un emprunt dont
le produit serait spécialement affecté aux travaux pro-
jetés; qu'on n'entendait pourvoir à la dépense qu'avec les
excédants de recette et la réserve de l'amortissement ;
qu'on procéderait par allocations annuelles, afin d'être
toujours en mesure de s'arrêter s'il survenait des circon-
stances graves.
Eh bien. Messieurs, la commission a considéré que, de
notre temps, des excédants de la recette sur la dépense
sont une chose rare ; que la réserve de l'amortissement
l>eut être rendue à sa destination primitive par une mul-
titude de causes. Avec des ressources aussi éventuelles,
il ne lui semblerait ni prudent ni utile que l'État s'enga-
goîU dans les travaux dont le projet de loi vous a fait
connaître la vaste étendue.
294 LES CHEMINS DE FER.
Nos doutes quant à Texistence, ou si Ton veut quant à
l'importance seulement des excédants de recelte sur les-
quels le ministère compte pour Fexécution des chemins
de fer, résultent d'un examen attentif des engagements
que rÉtat a déjà pris ou qu'on vous a proposés, et qui ne
seront pas moins sacrés à vos yeux que des engagements
postérieurs. Uachèvement des routes royales, Taméliora-
tion des ports et des rivières, l'ouverture ou Tachèvement
des canaux, doivent absorber une somme d'environ 300
millions qu'il faudra couvrir par des crédits annuels et
successifs. Diverses propositions contenues dans le budget
extraordinaire de 1839 , représentent une somme de 3/i
millions. Des lois spéciales vous demandent , en outre ,
11 millions destinés à de nouveaux canaux, et k millions
226,000 fr. pour les monuments publics. Lonsqu'il semble
si difficile, sans rouvrir le livre de la dette publique, de
pourvoir à cette charge extraordinaire de 49 millions que
le pays supportera en 1839, la commission pouvait-elle
vous proposer de nouvelles dépenses? Elle ne Ta pas cru,
Messieurs. Nous avons la confiance que vous partagerez
notre avis. Comme la commission , vous trouverez qu'en-
treprendre d'immenses travaux avec des ressources insuf-
fisantes et mal assurées, serait une grande faute. Comme
la commission, d'accord en cela avec M. le ministre des
finances, vous ne voudriez pas aujourd'hui suppléer à
cette insuffisance par des emprunts.
Un pays, financièrement parlant, n'est pas dans une
position normale, lorsque vingt-trois années de paix n'ont
amené aucune dhninution dans sa dette. Accroître cette
dette au milieu de la plus profonde tranquillité, à l'occa-
LES CHEMINS DE FER. 295
sien de travaux dont i' extrême urgence est contestée , et
qui d'ailleurs peuvent être exécutés sans que F État s'en
mêle, ce serait un acte d'imprévoyance sur lequel nous
ne pourrions pas nous arrêter plus longtemps sans faire
injure à la Chambre.
CONCLUSION&
Nous aurions manqué à un devoir si nous n'avions pas
cherché à éclaircir par des communications verbales, les
points que les documents imprimés laissaient dans l'obs-
curité. MM. les ministres des affaires étrangères, des
travaux publics et des finances , accompagnés de M. le
directeur général des ponts et chaussées, se rendirent
dans le sein de la commission. Pendant cette conférence,
les dispositions principales du projet de loi , lem's consé-
quences prochaines et éloignées, furent soumises, contra-
dictoirement , à une discussion minutieuse. Toutefois, à
part un petit nombre de considérations empruntées à la
politique étrangère, et sur lesquelles nous n'aurions à nous
expliquer que dans le cas où M. le président du conseil
ne trouverait pas d'inconvénient à les porter à cette tri-
bune, aucun argument nouveau ne surgit du débat.
En résultat , MM. les ministres annoncèrent l'intention
de défendre le projet de loi dans toutes ses parties. Ce
fut alors que le mot de transaction sortit de la bouche
d'un des membres de la commission ; ce fut alors qu'un
de nos honorables collègues fit une peinture animée de
tout ce que le pays pourrait avoir à souffrir d'un dis-
sentiment absolu, inflexible, entre le ministère et les
396 LES CHEMINS DE FER.
commissaires de la Chambre. Le même membre alla jus-
qu'à poser nettement cette question : le gouvernement
consentirait-il à retirer l'exclusion radicale qu'il avait
prononcée contre les compagnies en tout ce qui concer-
nait les lignes principales , dans le cas où la commission
proposerait l'exécution par l'État, d'une de ces grandes
lignes qui n'avaient pas encore trouvé de soumission-
naires ?
La réponse ne fut pas aussi nette que nous l'aurions
désiré. Il était assez évident qu'une transaction n'aurait
pas répugné à M. le président du conseil ; mais M. le
ministre du commerce insistait pour l'entière exécution du
projet. En tout cas , il fallut bien renoncer à l'ei^érance
que nous avions conçue , lorsque M. le président du con-
seil eut déclaré, en termes formels, que le ministère ne
pourrait pas consentir à confier à une compagnie l'exécu-
tion du chemin de Belgique. Après avoir posé le principe
de l'intervention des compagnies , la commission aurait-
elle pu les exclure de la direction où, dit-on, il y a le plus
de chances de réussite, et dans laquelle, s'il faut aussi
en croire le bruit public , les propositions étaient le plus
favorables ? Nous ne l'avons pas pensé.
Nous n'ajouterons plus qu'un mot. Messieurs, et vous
connaîtrez dans tous ses détails la conférence qui a été si
complètement travestie, et, circonstance fort étrange, à
peu près dans les mêmes termes , par une foule de jour-
naux paraissant le même jour sur les points les plus éloi-
gnés du pays.
A la fin de cette conférence, M. le président du con-
seil exprima une crainte qui nous avait nous-mêmes
LES CHEMINS DE FER. 297
fortement préoccupés; comme nous, il s'arrêta tristement
à la pensée que le désaccord de la commission et du
gouvernement pourrait retarder encore d'une année des
améliorations que tout le monde réclame. Il croyait, au
reste , que ce retard ne saurait être imputé au ministère ;
que la responsabilité en retomberait tout entière sur la
commission. Eh bien , nous aussi , Messieurs , nous nous
en rapporterons avec confiance au jugement de la Chambre
et au jugement de la France entière. Non , personne ne
croira que dix -huit députés honorés de vos suttrages,
aient voulu arrêter le pays dans son essor, lorsque nous
avons déjà dit à satiété, lorsque nous répéterons encore
ici, que des compagnies puissantes, investies de la con-
fiance pubUque, offrant à ce qu'il paraît toutes les garan-
ties désirables de moralité et de savoir, sollicitent la
concession de la plupart des lignes de chemins de fer, et
que nous demandons à cor et à cri qu'on examine et
qu'on accueille, s'il y a lieu, leurs propositions. Non!
personne ne pourra transformer les membres de la com-
mission en adversaires systématiques de ce moyen de
communication admirable, lorsque nous ne dénions nulle-
ment à l'État, partout où un besoin public bien constaté
se manifeste et que des compagnies convenablement orga-
nisées ne se présentent pas, la faculté et le droit d'exécuter
lui-même les travaux dans la limite des possibilités tra-
cées par le budget ; lorsque de nos principes découle, par
exemple, la conséquence qu'aujourd'hui même le gouver-
nement pourrait vous demander d'envoyer, aux frais du
Trésor, des ingénieurs, des conducteurs, des piqueurs et
des milliers de terrassiers, le long des lignes de Paris à
S98 LES CHEMINS DE FER.
Strasbourg et de Marseille à Avignon , pour lesquelles ,
dît -on, il ne s'est pas présenté de compagnies soumis-
sionnaires.
Se préoccuper de Tétat de nos finances; désirer fécon-
der Tesprit d'association honnête, moral, sérieux, à l'aide
duquel nos voisins d'outre -Manche ont exécuté de si
grandes choses et que les projets qu'on nous a soumis
viennent de faire surgir dans notre pays ; ne point s'aban-
donner à des illusions, même en matière de locomotives
à vapeur ; ne pas admettre , par exemple , avec l'exposé
des motifs, que deux tringles de fer parallèles donneront
une face nouvelle aux landes de Gascogne, tels étaient, à
ce qu'il nous a paru, nos devoirs, et nous les avons
scrupuleusement accomplis.
Aucun de nous n'a pensé que ce fût là entraver le gou-
vernement, lui lier les mains, le réduire à l'inaction. Eli,
grand Dieu ! qu'il songe au fâcheux état d'un bon nombre
de routes royales, de la plupart des routes départemen-
tales, de presque toutes les routes communales; qu'il
étudie les moyens de porter remède à un état de choses
dont tous ceux qui rentrent en France après avoir par-
couru les contrées voisines , sont vivement peines ; que
l'interminable question des canaux reçoive une solution
définitive à laquelle le bien-être de plusieurs départe-
ments et l'honneur de l'administration sont également
intéressés; que sur ces canaux, aujourd'hui beaucoup
trop dédaignés du public, on cherche à étendre, à géné-
raliser, à perfectionner les moyens de locomotion à l'aide
desquels de grands bateaux chargés de voyageurs par-
courent déjà quatre lieues à l'heure; que d'habiles ingé-
LES CHEMINS DE FER. 299
lîieurs enfin soient spécialement préposés à Tétude , au
perfectionnement, à l'entretien de nos voies de commu-
nications fluviales, et cet ensemble de recherches, de
travaux, suffira pour user la plus ardente activité. Qui ne
voit, d'ailleurs, qu'en opérant de telles améliorations,
dont l'importance n'est pas contestable, dont l'urgence
frappe tous les yeux , le gouvernement pourra toujours
compter sur le concours patriotique des Chambres et sur
les applaudissements du public.
Nous voilà à très -peu près parvenus, Messieurs, au
terme de la longue carrière que vous nous aviez tracée,
11 ne nous reste, en effet, qu'à formuler nos conclusions,
ou mieux encore, nous n'avons plus qu'à les réunir, qu'à
les grouper, car déjà elles ont été nettement indiquées
dans le cours de la discussion que vous venez d'entendre.
Le gouvernement dût- il, comme il vous le demande,
rester chargé de l'exécution des grandes lignes de chemin
de fer, vous ne pourriez pas donner votre assentiment au
mode de répartition de travail tracé par le projet de loi,
puisque, sans aucun avantage réel, il entraînerait l'im-
possibilité de profiter des améliorations, des perfectionne-
ments, des découvertes dont l'art s'enrichira certainement
d'ici à quelques années.
Vainement combattrait-on cette conclusion , en disant
que l'exécution actuelle et simultanée de plusieurs lignes
par les compagnies, aurait le même désavantage ; chacun
verrait en effet que, dans ce dernier cas, l'inconvénient
serait racheté par une plus prompte jouissance du nou-
veau moyen de communication. La commission répon-
drait d'ailleurs qu'elle était chargée , non de coordonner
300 LES CHEMINS DE FER.
les travaux des compagnies, mais d'examiner si, dans le
système du projet de loi, les fonds de l'État seraient dépen-
sés avec toute l'intelligence, avec toute l'utilité possible.
La commission a appris, de la bouche même de
MM. les ministres, que des compagnies se présentent
pour exécuter à leurs frais, sans aucune subvention , les
lignes de chemins de fer que le projet de loi signale comme
les plus urgentes. Ces compagnies semblent sérieuses.
Tout concourt à prouver qu'elles réussiront, ou même
qu'elles ont déjà réussi à réunir de très-grands capitaux.
Les inconvénients attachés aux travaux dirigés par l'inté-
rêt privé , n'ont pas paru avoir toute la gravité qu'on
leur attribue. D'une autre part, les avantages résultant
des travaux exécutés par l'État, sont sujets à bien des
éventualités. Les exigences, enfin, de notre position finan-
cière, ne permettraient , pendant plusieurs années , d'af-
fecter aux chemins de fer que des sommes très -limitées.
Dans cet état de choses, la commission a pensé qu'il
fallait se hâter de recourir aux compagnies, et elle se voit
forcée de vous proposer le rejet du projet de loi.
Ce rejet pur et simple était malheureusement, d'après
la forme du projet, et d'après tous les usages de la
Chambre, la seule voie qui fût ouverte* à la commission
pour vous faire connaître l'opinion qu'elle s'est formée
sur la nécessité d'appeler aujourd'hui les compagnies à
l'exécution des grandes lignes de chemin de fer. Elle n'a
trouvé, à regret, aucun moyen de saisir directement la
Chambre d'une proposition qui eût concerné telle ou
telle compagnie, telle ou telle des lignes projetées. Le
gouvcniement s'empressera sans doute d'user de son ini-
LES CHEMINS DE FER. 301
tiative. C'est du moins dans cette espérance que la com-
mission a désiré vous présenter son travail sans retard, et
que le rapporteur, pour répondre au vœu de ses collè-
gues, a mis entièrement de côté toute considération
d'amour-propre. Après ces éclaircissements, on ne dira
plus , nous devons le croire, que les efforts de la commis-
sion ont abouti à une pure négation.
Au reste, était-ce bien ainsi que devait être qualifiée la
ferme volonté qui s'est manifestée parmi nous dès nos
premières séances, d'encourager, de développer, de
féconder cet esprit d'association qui commence si heu-
reusement à poindre, dont la France a tout autant besoin
que de chemins de fer, et à l'aide duquel d'ailleurs les
chemins de fer et tant d'autres grands travaux pourront
être exécutés sans grever le Trésor de l'État.
IV
IMPOSSIBILITE DE L'EXÉCUTION DU RÉSEAU DES CHEMINS DE FER
FRANÇAIS PAR LE GOUVERNEMENT DANS UN DÉLAI RAPIDE
[Le rapport qu'on vient de lire a été discuté dans les séances
de la Chambre des députés des 7, 8, 9 et 10 mai 1838. M. Arago,
en qualité de rapporteur de la commission, a résumé la discussion
et défendu son opinion le 9 mai , dans un discours dont la fin a
été renvoyée au lendemain 10 mai , et que nous extrayons du Moni-
teur universel.]
1* Séance du 9 mai.
M. Arago , rapporteur. Je demande la parole.
M. LE Président. M. le rapporteur a la parole. (Mouvement
d'attention. )
M. Arago. Messieurs, la Chambre doit comprendre
302 LES CHEMINS DE FER.
qu'en venant, en ma qualité de rapporteur, faire en
quelque sorte le résumé de la discussion; je laisserai
entièrement de côté quelques circonstances qui pour-
raient être considérées comme personnelles. Il importe
en effet extrêmement peu au pays de savoir si M. Mm^et
de Bort a voté dans un sens ou dans un autre, parce
qu'il avait lu le rapport, ou quoiqu'il eût lu le rapport.
(On rit.)
M. Muret de Bort. Quant à moi, U m'importait beaucoup de le
lui dire.
M. Arago. Je laisse absolument de côté cette question,
qui ne peut intéresser que Tamour-propre de M. Muret
de Bort et le mien (Rumeurs), et j'arrive aux objections
qui ont été présentées et qui paraissent attaquer le fond
même de l'opinion que la commission a exprimée.
On a dit, on a répété à peu près unanimement ici et
ailleurs, que la commission et son rapporteur avaient eu
la pensée de faire ajourner l'exécution des chemins de fer
jusqu'au moment où la science de la mécanique aurait
réalisé certains perfectionnements dont il a été question
dans le rapport.
Messieurs, j'avoue que cette objection m'a singulière-
ment étonné. Nous avons cherché , dans le rapport , à
expliquer notre manière de voir dans les termes les plus
clairs, les plus catégoriques possibles , et cependant, par
une fatalité singulière, on a toujours supposé que nous
voulions que le gouvernement et l'industrie attendissent
que certains perfectionnements se réalisassent
Nous avons dit, Messieurs, tout le contraire depuis le
commencement du rapport jusqu'à la fm ; mais que voulez-
LES CHEMINS DE FER. 303
VOUS? on a oublié nos paroles, on s'est rappelé certaines
critiques de journaux dans lesquels, il est vrai, on nous
a attribué cette opinion; mais cette opinion, la commis-
sion ne Ta point eue.
La commission était en présence d'une proposition du
gouvernement, qu'il faut bien vous rappeler, et qui nous
mettait, nous, dans l'obligation d'examiner si le mode
de répartition du travail que le gouvernement avait
adopté , était ou n'était pas admissible.
Le gouvernement proposait d'exécuter lui-même quatre
lignes. Eli bien, nous avons supposé un moment que
vous adhéreriez à cette demande ; cela posé , nous nous
sommes demandé si le système de travail qu'il proposait
était ou n'était pas admissible, et nous avons dit : « L'art
des chemins de fer est encore dans l'enfance; il y a non-
seulement des améliorations imprévues, mais des amé-
liorations que tout le monde entrevoit, dont la science se
saisira, et dont l'industrie fera certainement son profit.
Faut-il que le gouvernement travaille de manière à se
mettre dans l'impossibilité de profiter de toutes ces amé-
liorations ?» En acceptant la question telle que le gouver-
nement l'avait posée , et en admettant que la Chambre
lui aurait accordé la faculté d'exécuter les quatre chemins
à la fois, il nous a paru que le gouvernement ne devait
pas travailler à tous à la fois; il faut, nous disions-nous,
qu'il porte l'ensemble de ses forces, tous ses moyens
d'action, d'abord sur un des chemins: quand ce premier
chemin de fer sera achevé, il travaillera au second; après
cela on passera au troisième; on n'arrivera au quatrième
qu'après achevé les trois premiers.
304 LES CHEMINS DE FER.
Je dis que cette manière de distribuer, entendez-vous,
de distribuer le travail , est conforme à la raison : il n'y
a pas un millimètre de chemin de fer de moins par
année, dans le système que nous vous proposons, que
dans le système présenté par le gouvernement; mais
notre combinaison avait un avantage incontestable. Uart
des chemins de fer étant encore dans Tenfance, un inter-
valle de trois années doit faire surgir quelques décou-
vertes, quelques améliorations; dans un nouvel inter-
valle de trois années, d'autres perfectionnements viennent
s'ajouter aux précédents, et ainsi de suite. Il résultait du
mode de travail que nous vous proposions de substituer à
celui que le gouvernement vous a présenté, cet avantage :
que le premier chemin de fer étant achevé , vous étiez
en mesure, lorsque vous commenciez le second, de pro-
fiter de toutes les améliorations que l'art et la science
auraient obtenues dans l'intervalle des trois premières
années; que, quand vous commenciez le troisième che-
min^ vous aviez six années d'expériences, d'études, de
recherches, qui vous servaient à l'exécuter; qu'enfin,
lorsque vous arriviez au quatrième, vous aviez neuf
années d'excellents résultats que vous pouviez mettre à
profit.
Comment est-il possible qu'une idée aussi claire, que
nous avons développée dans notre rapport avec toute h
netteté possible , ait été transformée en une proposition
d'un temps d'arrêt dans l'exécution des chemins de fer !
Nous avons dit qu'il fallait les exécuter sur-le champ, le
plus promptement possible, puisque c'est un moyen de
locomotion supérieur aux autres moyens connus; mai?
LES CHEMINS DE FEP. 305
nous avons seulement ajouté : Ne conomencez pas les
quatre chemins en même temps ; tfabord travaillez exclu-
sivement au premier; n'arrivez au second que lorsque le
premier sera fini , et ainsi de suite.
Voilà notre idée tout entière, noas n'en avons pas eu
d'autre; et prenez la peine de lire le rapport, vous verrez
que c'est bien là le système de la commission , système
raisonnable et que je défendrai encore s'il est attaqué de
nouveau.
Nous n'avons pas été plus heureux sur le transit. Cette
question avait été présentée par le gouvernement sous
une certaine face. Eh bien, guidés par les hautes lumières
d'une personne fort au fait des affaires commerciales, et
que nous avions le bonheur de compter dans la commis-
sion, nous avons examiné si, vu du point de vue du
ministère, le transit avait toute l'importance qu'on lui
avait donnée; nous avons calculé, d'après les chiffres
officiels, d'après les chiffres de l'administration, quels
étaient les résultats du transit; et nous avons trouvé, non
pas que cela devait être négligé, mais que le transit
n'avait pas l'importance qu'on lui avait donnée.
Après avoir examiné la question sous le point de vue
de l'exposé des motifs, nous avons ajouté d'autres consi-
dérations. Eh bien, on n'a pas lu notre rapport, puisqu'on
nous reproche de ne pas avoir été plus loin.
Je dois dire, à cette occasion, que j'ai été surpris de
lire dans le discours de notre honorable collègue M. Jau-
bert, qu'il était inconcevable qu'on n'eût traité la ques-
tion du transit que sous un seul point de vue. Ce qu'il
y a d'inconcevable pour moi, de la part d'un homme
V.— II. 20
d<y6 LES CHEMINS DE FER.
d'un caractère aussi loyal que M. le comte Jaubert, c'est
que s'il a aperçu cette lacune dans le rapport, il ne nous
en ait pas fait part dans le sein de la commission ; il sait
combien moi, rapporteur, j'ai été docile, avec quel em-
pressement j'ai profité de toutes les observations qui
m'ont été faites; si M. le comte Jaubert avait eu la bonté
de me signaler la lacune qu'il trouve inconcevable, j'au-
rais fait tous mes efforts pour la combler; mais je me
trompe, la lacune n'existe pas. Écoutez, s'il vous plaît,
ce passage qui vient dans notre rapport après les chiffres
relatifs à l'examen du point de vue spécial que le gou-
vernement paraissait avoir choisi :
« Ces chiffres dissiperont bien des illusions. Qu'on le
remarque cependant, nous n'avons entendu traiter, à la
suite de l'exposé des motifs , que la question du transit
des marchandises appartenant à des étrangers à leur
arrivée dans nos ports. Celle du transit des voyageurs,
celle du transit de marchandises expédiées par notre
commerce, ont une tout autre importance. Nous sentons
très-bien ce que l'humanité, ce que la civilisation peu-
vent attendre des moyens de transports commodes , éco-
nomiques, rapides, qui rapprocheront, qui uniront les
peuples, ou devant lesquels du nwins, s'affaibliront les
haines nationales, les préjugés qui, durant tant de siè-
cles, ont été si cruellement exploités. Nous savons très-
bien aussi que là où vont les hommes vont les affaires, et
que, dès lors, le commerce a tout intérêt à voir affluer
sur notre territoire un très -grand nombre de voyageurs.
Nous n'ignorons pas davantage combien les mille canaux
de la Hollande contribuèrent jadis à faire des négociants
LES CHEMINS DE FER. 307
de ce pays, les facteurs du commerce du monde, et
notre plus vif désir serait que nos concitoyens du Havre ,
de Nantes, de Bordeaux , etc. , etc. , trouvassent de sem-
blables moyens de fortime dans les nouvelles communi-
tions projetées. »
Vous voyez. Messieurs, combien tombent à faux les
reproches qui nous ont été adressés; nous avions parlé
nous-mérae de l'influence que le transit pouvait exercer
sur la prospérité de nos ports et sur la fortune de nos
armateurs, en les assimilant aux ports et aux négociants
de Hollande.
Je dirai maintenant. Messieurs, que ia principale con-
sidération qui ait déterminé le vote de la commission,
quoiqu'elle ne l'ait pas placée en première ligne, et cela
seulement parce qu'elle a cru qu'il était nécessaire, dans
la rédaction de son rapport, de suivre pas à pas l'exposé
des motifs, que sa principale considération a été finan-
cière. Avant d'examiner si on donnera, ou si on ne don-
nera pas au gouvernement les moyens de faire les che-
mins de fer, il fallait s'assurer si l'état des recettes et
des dépenses le permettrait.
Eh bien, Messieurs, en cherchant si les ressources sont
proportionnées à l'immense travail que le gouvernement
propose d'exécuter, nous sommes arrivés à un résultat
négatif. Ce résultat a été développé avec tant de supé-
riorité par notre honorable collègue M. Duvergier de
Hauranne et par M. BeiTyer, dans la séance d'hier, que
je n'y reviendrai pas. Cette pensée s'est fortifiée dans
nos esprits, non par ce que M. le ministre des finances
a développé à la tribune, car nous devons lui rendre
30» LES CHEMINS DE FER.
cette justice qu'il avait dit les mêmes choses dans le sein
de la commission, mais par Texpression même dont il
a fait choix. Nous ne prendrons pas, vous a-t-il dit,
d'engagement financier, nous prendrons seulement un
engagement moral. Eh bien, quand on n'a pas pris d'en-
gagement financier, quand on n'affecte pas à une nature
de travaux un fonds spécial auquel on s'impose, dès
l'origine, l'obligation de ne pas toucher, il arrive rare-
ment que les travaux s'achèvent. Chaque année surgis-
sent des difficultés pressantes, des intérêts nationaux qui
vous forcent à disposer de vos ressources autrement que
vous ne l'aviez voulu. Voici dans quels termes un direc-
teur général des ponts et chaussées, M. Becquey, parlait
de ces espèces d'engagement que le gouvernement prend
avec lui-même. Voici ce qu'il disait dans un rapport
en 1828:
t La résolution prise de conduire à leur fin des tra-
vaux de ce genre, pour une époque fixée, à l'aide des
sommes puisées dans le Trésor, n'est jamais un enga-
gement de l'État avec lui-même; l'État est libre d'y
renoncer, et il y renonce toujours si des nécessités plus
pressantes réclament les ressources dont il dispose. »
(Sensation prolongée. )
Voilà, Messieurs, une phrase qui est, en quelque sorte,
l'horoscope du projet des chemins de fer, tel que le gou-
vernement le propose. Du reste, si la phrase de M. Bec-
quey, résultat d'une expérience consommée, de réflexions
profondes, ne paraissait pas démonstrative, nous n'au-
rions qu'à citer des chiffres pour faire voir que les choses
se passent ainsi. Dans les œuvres des hommes, et surtout
LES CHEMINS DE FER. 309
des mêmes hommes, rien ne ressemble plus à l'avenir
que le passé.
Le canal de Bourgogne a été commencé en 1775,
vous savez qu'il a fallu plus d'un demi -siècle pour le
terminer. Le canal de Saint-Quentin a été commencé en
1769, et vous savez. Messieurs, à quelle époque il a été
achevé, ou plutôt vous savez à quelle époque il a fallu le
retirer des mains du gouvernement pour le donner à une
compagnie qui l'a achevé.
11 semble, en vérité , à entendre certains orateurs, que
la commission se soit rendue coupable d'une hérésie, en
disant que les machines locomotives n'étaient pas encore
parvenues au degré de perfection désirable.
Je prendrai volontiers celte assertion sous ma respon-
sabilité personnelle. Je dirai qu'il y a dans ces machines
des causes de destruction incessantes qui, peut-être, dis-
paraîtront demain. Dans l'état actuel des choses, on est
obligé d'avoir un corps de pompes très-peu élevé, dont
le piston a une course de peu d'étendue : il est donc
nécessaire de les soumettre à des mouvements trcs-
rapidcs de va-et-vient, ce qui est une cause continuelle
et très-active de destruction pour tous les corps solides
qui y ont été soumis.
Si, au lieu d'un mouvement de va-et-vient, on pouvait
imprimer au piston et aux pièces qui en dépendent un
mouvement de rotation continue; si le piston pouvait
avoir un mouvement circulaire , toujours dans le môme
sens, cette cause de destruction aurait disparu en grande
partie. Déjà des machines à vapeur à rotation immédiate
ont été essayées, seulement avec plus de consommation
340 LES CHEMINS DE FER.
de combustible que les machines ordinaires. Mais la ques-
tion de la consommation d'une plus ou moins grande
quantité de charbon dans les procédés de locomotion n'est
pas la principale; ce qu'il faut surtout éviter, c'est que
les machines se détruisent avec une trop grande rapidité.
Supposez que Ton parvienne à faire une machine rotative
immédiate, et je le répète, il y a des ingénieurs français
qui s*en occupent, qui sont en voie d'expérimenter, et
qui, je l'espère, attacheront par la découverte de cette
machine un nouveau fleuron à notre gloire nationale;
si, dis-je, cette machine réussit, vous aurez résolu un
problème qui changera à beaucoup d'égards le problème
de la locomotion sur les chemins de fer. Quelques ora-
teurs ne croient pas aux grandes imperfections dont la
commission a parlé. Examinons donc ce que les chemins
de fer coûtent, quelles sont les réparations à faire aux
machines et aux rails. Nous demanderons ensuite, non
pas aux mécaniciens, mais aux industriels qui exploitent
les chemins de fer, si l'on peut appeler parfaite une ma-
chine qui, par exemple dans un seul semestre de 1833
sur les chemins de Liverpool à Manchester, a exigé pour
les réparations des locomotives une dépense de 335,000
francs, et l'intervalle à parcourir n'est que douze lieues.
Et savez-vous quelle est la masse d'ouvriers que ces
réparations ont exigée ?
Les salaires des ouvriers qui, dans l'intervalle de six
mois, ont concouru dans les ateliers à la réparation des
locomotives du chemin de Manchester à Liverpool, ont
été de 102,000 francs. Et encore ne croyez pas que toutes
ces machines aient pu être réparées dans les ateliers. Elles
XES CHEMINS DE FER. 314
se déraogent en route, on est obligé de les réparer sur
place* Eh bien , ces réparations sur place ont coûté une
somme de 233,000 francs. Enfin, les rails ont exigé une
«
dépense de 338,000 francs, dans Tintervalle de ce même
semestre.
Messieurs, il nous a semblé qu'il était nécessaire, lors-
que nous avions l'honneur de parler devant la Chambre
d^ députés de France, lorsque nous étions Torgane
d'une commission choisie par elle, de ne pas nous laisser
entraîner à des jeux d'imagination, à des mouvements
d'enthousiasme. Nous nous sommes fait un devoir d'aller
au fond de la question. Sans doute il y a des chances de
réussite très-grandes , nous les avons reconnues, et nous
nous sommes empressés de les proclamer ; mais dans le
moment où nous engagions la, Cliambre de s'adresser à
l'industrie particulière, il était de notre devoir de ne
pas nourrir des illusions sur des chances de bénéfices
que peuvent présenter beaucoup de lignes, mais qui ne
doivent pas réaliser tout ce qu'on a paru croire. Nous
avons dû nous placer dans la réalité des choses, nous
avons regardé comme un devoir de dire ce que les che-
mins de fer sont au vrai, et non pas ce qu'ils sont dans
la tête de certaines personnes qui les voient d'après les
yeux de l'imagination.
Les cliemins de fer sont très- utiles pour le transport
des personnes; dans l'état des choses, ils sont moins
utiles, quoiqu'ils soient utiles encore, pour le transport
des marchandises. Si on pouvait, sur les chemins de
fer, transporter les marchandises lentement, ils auraient
d'immenses avantages, même sous ce rapport; mais,
342 LES CHEMINS DE FER.
malheureuseroent, cela devient à peu près impossible ou
du moins très-dangereux lorsque la même voie sert aia
voyageurs. Transportez les marchandises très-rapide-
ment, et vous perdez beaucoup : vous ne retrouverez pas
la compensation de vos dépenses , par la raison que vous
ne pouvez pas imposer les marchandises comme vous
imposez les voyageurs.
Les canaux ont un genre d'utilité que ne possèdent pas
les chemins de fer. Sur les chemins de fer, à moins de
renoncer à leur principal avantage, il faut aller vite; il
ne faut s'arrêter en route qu'à de longs intervalles ; les
pays intermédiaires ne peuvent pas en profiter. Un canal,
au contraire, profite à tous les propriétaires riverains; le
fermier peut se servir d'un simple batelet pour trans-
porter ses denrées au marché voisin et rapporter au gtte
les objets qu'il a achetés.
Quoique je sois très -partisan des chemins de fer,
quoique je désire qu'on en fasse en France très-promp-
tement, tout de suite, et cette déclaration, je l'invoquerais
au besoin, si mon opinion n'était clairement consignée
dans tout le rapport; cependant, je regarde comme un
devoir d'examiner si, par exemple, tout ce que le gou-
vernement nous propose de faire a dans le pays des
chances pécuniaires de réussite. Je sais qu'il y a des
cas dans lesquels il ne faut pas s'arrêter aux chances
pécuniaires; il y a telle direction, par exemple, dont je
parlerai dans un moment, et où je voudrais, moi, faire
un chemin de fer lors même qu'il devrait coûter beau-
coup et produire très-peu. Mais, en général, il faut sup-
poser que les capitaux consacrés à ces grands travaux
LES CHEMINS DE FER. 343
rapporteront un certain intérêt. Voyons s'il y a proba-
bilité que le réseau du gouvernement produirait 5 p. 0/0
d'intérêt.
Sur le meilleur des chemins de fer, sur le chemin de
Liverpool, la dépense est des quarante centièmes de la
recette brute.
Le gouvernement vous propose une série de chemins
de fer qui devraient coûter, dans notre opinion, je sais
bien que le gouvernement a contesté ce chiffre, mais
enfin, dans l'opinion de la commission, ils devraient coû-
ter 2 milliards; à 5 p. 0/0, cela ferait 100 millions.
Puisque la dépense est des quarante centièmes de la
recette bmte, il faudrait donc 250 millions de recettes
brutes. Quelle est la recette que font maintenant toutes
les diligences? Que font l'administration des postes et
les relais des postes pour tous les voyageurs qui circulent
en France? J'ai cherché dans des documents irrécusables
et, abstraction faite du transport des marchandises, j'ai
trouvé qu'il y avait 52 millions de recette» Je ne dis pas,
tant s'en faut, que, quand la facilité des communications
sera devenue plus grande^ on ne voyagera pas davantage ;
mais c'est à vous cependant à voir si vous espérez que
le nombre des voyageurs quintuplera; car il faut qu'il
quintuple pour que vous obteniez 5 p. 0/0 de la dépense
qu'on vous propose. Au reste, je ne veux pas cacher que,
dans mon opinion, il y a quelque probabilité que l'aug-
mentation sera considérable, et, pour le prouver, je veux
montrer à la Chambre, par quelques chiffres, dans quelle
proportion, à mesure que la facilité des communications
est devenue plus grande, le nombre des voyageurs s'est
3U LES CHEMINS D£ FER.
augmenté. Mes citations seront favorables aux personnes
qui croient que la locomotion par les chemins de fer
multipliera à l'infini le nombre des voyageurs.
En 1776, il n'y avait à Paris que 27 coches : il partait
tous les jours par ces coches 270 voyageurs. Aujourd'hui,
il y a 300 voitures et 3,000 voyageurs.
Il est présuraable que l'exécution des chemins de fer
conduira à des résultats analogues.
En 1792, la ferme des messageries était de 600,000 fr.
maintenant la taxe sur les messageries est de 5,600,000
francs ; c'est presque dix fois plus. Si dans le passage
des coches aux messageries l'augmentation a été aussi
grande, il est probable que dans le passage des mes-
sageries aux chemins de fer, elle ne sera pas mdns
considérable.
En 1766, on allait de Paris à Lyon pour 50 francs en
dix jours; on y va maintenant en trois jours.
En 1766, on allait de Paris à Rouen pour 15 francs en
trois jours; vous savez qu'on y va maintenant en quel-
ques heures.
Les facilités de la locomotion, les conunodités dans
les transports augmentent donc le nombre des voyageurs
dans une proportion telle, que, nonobstant les chiffres
que je viens de vous indiquer, je crois que l'exécution des
chemins de fer conduira à des résultats très-importants
quant au nombre des voyageurs qui parcourent toutes
les parties de la France.
Arrivons maintenant à la question de savoir si les
chemins de fer une fois bien classés, doivent être faits
par le gouvernement ou par l'industrie privée. La corn-
LES CHEMINS DE FER. 315
mission pense que l'intérêt privé est le meilleur juge de
ce qu'il convient de faire, et qu'il aperçoit des possibilités
là où la science et le zèle dont a parlé M. le directeur
générai des ponts et chaussées, science et zèle que je
démentirai moins que personne, n'ont rien aperçu.
Vous vous rappelez que la question du chemin fer do
Rouen a déjà été présentée à la Chambre. Il fut nonnné
une commission dont j'avais l'honneur de faire partie*
M. le directeur des ponts et chaussées, et le ministre des
travaux publics de cette époque, accompagnés d'un
ingénier de mérite, que je m'honore d'avoir eu pour
camarade à l'École polytechnique , se rendirent dans
le sein de cette commission. Le combat était comme au-
jourd'hui entre le chemin de la vallée et le chemin
des plateaux ; des ingénieurs au service des compagnies
dirent qu'il était possible de passer par la vallée. Mais
cette possibiUté fut niée d'une manière formelle par
M. le directeur des ponts et chaussées et par l'ingé-
nieur qui l'accompagnait. Ils déclarèrent positivement
qu'il n'était pas possible de passer par la vallée; qu'il y
avait des difficultés insurmontables. On appoi'ta la carte
de France; nous examinâmes la hauteur des plateaux,
et ce fut sur une discussion qui s'était élevée entre M. Bel-
lenger et M. Defontaine , que la commission suspendit
son travail.
M. Legrasd. Nous n'avons jamais dit qn'il fût impossible d'éta-
blir un chemin de fer par la vallée ; ce que nous avons dit , c'est
qu'il était difficile, au sortir de la ville de Rouen, de s'élever sur le
plateau.
M. ÂRAGO. Il n'était pas question de Rouen à cette
époque; il était question d'un chemin de fer de Paris à
i
316 LES CHEMINS DE FER.
Rouen , et il rfétait pas question de sortir de Rouen.
(Bruit.)
M. LEGRANa Le projet de loi était de Paris au Havre.
M. Arago. C'était une question des environs de Paris,
et c'est sur une proposition formelle que la discussion
fut ajournée.
M. Teste. Ce que dit M. le rapporteur est parfaitenient conforme
au souvenir que j'ai gardé de ce qui s'est passé. J'étais président de
la commission, et je pourrais trouver, dans les notes que j'ai con-
servées, la confirmation littérale de ce que vient de dire M, le rap-
porteur.
M. Arago. Le fait est parfaitement exact, et je re-
mercie M. Teste d'avoir ajouté son témoignage au mien.
M. Legrand. Je m'inscris contre cette déclaration.
M. Aràgo. Nous ne pouvons nous tromper deux.
Je voulais faire voir que là où des ingénieurs de mé-
rite n'avaient pas vu la possibilité de faire un chemin,
l'intérêt privé l'avait aperçue. L'administration elle-même
a reconnu depuis cette possibilité, car elle a fait faire
deux projets par la vallée.
Messieurs, l'intérêt privé, que l'on suppose si impuis-
sant, trouve les moyens de résoudre des questions qui
paraissent insolubles à l'administration.
Je vais citer un fait, et j'espère que M. le directeur
des ponts et chaussées ne dira pas qu'il est inexact, car
j'ai apporté un certificat signé. (On rit.)
Un ingénieur de l'administration , ingénieur de beau-
coup de mérite, a été chargé de faire un chemin de fer;
c'était un de ceux qui vous sont proposés. Il rencontre
sur sa route un parc (vous savez que l'administration ne
veut pas qu'on marche dans les cjurbes, quoiqu'un ingé-
LES CHEMINS DE FEH. 317
iiieur civil, M. Laignel, ait trouvé le moyen de le faire);
l'ingénieur du gouvernement trouve devant lui un parc
qui appartient à une personne extrêmement riche. Ne
croyant pas à la possibilité de traverser le parc, ima-
ginant que les résistances du riche capitaliste seraient
insurmontables, M. l'ingénieur traverse une large rivière,
s'avance un peu sur la rive droite, et pour revenir sur la
rive gauche , il projette un second pont.
Eh bien, ce chemin, une compagnie se présente pour
l'exécuter. Le principal concessionnaire va trouver le
propriétaire du parc, et lui demande passage.
Le capitaliste répond : « Est-ce une compagnie parti-
culière? — Oui. — Je vous laisserai passer; je vous don-
nerai même le terrain; je vous impose seulement une
condition, c'est que vous me referez mon saut-de-Ioup. »
Voilà le problème que l'administration n'avait trouvé
le moyen de résoudre qu'en faisant deux ponts. ( Rires
et agitation.)
M. le président du conseil vous disait hier qu'il ne
fallait pas s'arrêter au plaisir de mettre les membres du
gouvernement en désaccord avec eux-mêmes. Les mem-
bres du gouvernement ont donné si souvent cette satis-
faction à leurs adversaires dans cette session -ci, qu'en
vérité je dirai que le conseil de M. le comte Mole est bon
à suivre. Aussi n'est-ce pas pour le plaisir futile de
mettre les membres de l'administration en désaccord
avec eux-mêmes, que je viens de citer M. le président
du conseil.
M. le président du conseil, à une époque où il con-
naissait parfaitement toutes les ressources de l'adminis-
318 LES CHEMINS DE FEIL
tratlon publique, toutes les ressources du corps des ponts
et chaussées, a été Tun des plus chauds comme des plus
habiles avocats des compagnies particulières. Il me per-
mettra donc de citer à l'appui de l'opinion de la com-
mission quelques extraits des excellents rapports qu'il
et en 1828, lorsque le gouvernement voulut examiner
comment on se tirerait de l'interminable affaire des
canaux.
M. LE PRÉSIDENT DU COHSEIL. Maîs co que j'aî dît alors, c'est ce
que j'ai répété hier.
M. Aragc Je dirai que les opinions de M. le président
du conseil étaient tout à fait du goût de l'administration
des ponts et chaussées à cette époque. M. Becquey ré-
pondit au rapport de M. le comte Mole, au rapport
de 1828. Voici dans quels termes il fonnulait son opinion
et l'opinion du corps des ponts et chaussées :
t Tout le monde sera d'accord avec M. le comte Mole
sur la solution de la question suivante : Vaut-il mieux
livrer l'exécution des canaux (il n'était question que de
canaux alors) aux soins de l'industrie particulière, ou
laisser l'État l'entreprendre à Taide â! emprunts faits à des
capitalistes? Posée dans ces termes, la question ne peut
pas être un instant douteuse; je m'en suis moi-même
expliqué dans bien des circonstances. »
Vous voyez. Messieurs, que si l'administration des
ponts et chaussées a aujourd'hui un autre système, le
système de la commission, le système qu'on a tant com-
battu, contre lequel on a tant argumenté, vous voyez que
ce système a été celui de l'administration des ponts et
chaussées elle-même*
LES CHEMINS DE FEB. 319
Quant à M, le comte Mole, voici ce qu'il disait des
compagnies :
tCe que demande avant tout l'industrie particulière
(et ce qu'on ne lui acx^ordait pas, comme cela ressort de
toutes les autres parties du rapport), c'est qu'on la laisse
maîtresse , indépendante, libre dans son essor. Le gou-
vernement lui a toujours imposé ses plans, ses ingénieurs,
ses conditions, et l'environne d'entraves dont elle s'effraie
d'autant plus que les erreurs des devis rédigés pour le
compte de l'administration semblent presque inséparables
de tout ce qu'elle entreprend, »
M. le comte Mole ne voyait qu'un moyen d'amener
l'affaire des canaux à une solution satisfaisante : c'était
d'abandonner à l'industrie particulière la proposition des
travaux et toutes les initiatives,
11 a été souvent question de la fixité des tarifs, de la
nécessité de les modifier, des abus qui peuvent résulter
de la persistance peu éclairée des compagnies à main-
tenir des tarifs exagérés alors qu'une diminution leur
procurerait de grands bénéfices.
Voici ce que disait M. MoIé, car toutes les questions
relatives à l'organisation du corps des ponts et chaus-
sées, que nous avons eu à examiner dans la commis-
sion , ont été traitées par M. Mole avec une supériorité
très -grande dans le rapport dont nous donnons quel-
ques extraits, et je regrette beaucoup de n'avoir pas
connu tous ces passages lorsque j'ai rédigé mon rap-
port ; je n'aurais pas manqué de les y placer avec des
guillemets. (Hilarité.)
On a parlé des tarifs uniformes, on veut établir des
320 LES CHEMINS DE FER.
tarifs uniformes dans les localités les plus dissemblables;
dans les localités où les chemins coûteront des sommes
tout à fait différentes, on veut les mêmes tarifs. Eh bien,
M. le comte Mole disait : < Il est indispensable Ce varier
les tarifs selon les localités. »
Après avoir annoncé que les erreurs dans les devis de
Tadministration semblaient inséparables de tout ce qu'elle
entreprend, M. le comte Mole citait des cas dans lesquels
Tadministration s'était trompé. Je ne les citerais pas
moi-même si M. Legrand, en racontant les fautes faites
en Angleterre, en en faisant une juste critique, n'avait
dit que l'administration française se trompait très-rare-
ment. Voici des chiffres, je les prends dans le rapport de
M. le comte Mole; je crois qu'il les tenait d'un ingénieur
qui faisait partie de la commission (M. Tarbé).
Dans le canal de Monsieur et dans le canal d'Arles à
Bouc, l'erreur était seulement d'un huitième; dans le
canal du Nivernais l'erreur était un peu plus forte, c'était
cinq huitièmes.
Dans le canal latéral de la Loire (j'en demande pardon
à la Chambre, on ne met pas ordinairement un entier sous
la forme d'une fraction), l'erreur était de sept sixièmes.
(Hilarité.)
La question des tarifs a joué un si grand rôle dans la
discussion, et paraît destinée à avoir tant d'influence sur
le vote de la Chambre, qu'il est nécessaire de répéter
toutes les phrases dans lesquelles M. le comte Mole a
caractérisé cette question.
Il avait dit : « Le principe de l'unité pour les tarifs
doit être abandonné. » C'était une idée fixe ; M. le comte
LES CHEMINS DE FER. 324
Molé y revenait tour à tour, tandis qu'aujourd'hui c'est la
fixation par l'administration, qui devient la pierre angu-
laire du projet du gouvernement.
Voici une dernière phrase prise à la page 9 du rap-
port ; elle dit que « quant à la révision des tarifs, le gou-
vernement doit s'en rapporter aux compagnies. » Vous
le voyez, M. le comte Molé... (Mouvement au banc des
m
ministres.) Ce n'est pas pour mettre M. le président du
conseil en opposition avec lui-même que je poursuis ces
citations.
M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Je VOUS pHe de vous rappeler que
je n'ai pas dit hier un mot qui soit en contradiction avec ce que
vous rapportez ici.
M. ÂRAGO. Je ne sais, mais j'ai cru devoir m'appuyer
de votre opinion de 1828.
M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Vous pouvlcz prendre tout aussi bien
mon discours d'hier; il ne contient pas un mot qui ne soit dans le
nièine esprit.
M. Arago. Les membres de la commission sont heu-
reux de vous trouver comme auxiliaire...
M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Au contraire, je suis son adversaire
très-décidé.
M. Arago. Le système de la commission était telle-
ment dans le vrai, que nous sommes arrivés aux mômes
conclusions par des voies dissemblables : l'un était plus
frappé par une considération, et l'autre par une autre
coiîsidération : moi, j'ai été très -préoccupé de quelques
inconvénients qui me paraissent attachés à l'organisation
actuelle des ponts et chaussées: ces inconvénients, je
los ai développés devant la commission; je ne les aurais
V. — IL 21
322 LES CHEMINS DE FER.
pas discutés devant la Chambre si M. le ministre du com-
merce, dans son discours de l'autre jour, ne m'eût pré-
senté comme l'adversaire des ingénieurs des ponts et
chaussées. Eh ! mon Dieu, M. le ministre, les ingénieurs
des ponts et chaussées sont vos subordonnés; ils vous
sont attachés par des liens respectables; mais je leur
suis attaché, moi, par des liens d'une autre nature et
tout aussi précieux : ils sont presque tous mes élèves. Ce
n'est pas moi qui critiquerai les ingénieurs des ponts et
chaussées ; ils ont été les plus habiles parmi les habiles
de l'Ecole polytechnique.
Ce dont je me plains, c'est que, par des circonstances
indépendantes d'eux et par un manque de bonne orga-
nisation dans le corps des ponts et chaussées, ils ne fas-
sent pas tout ce qu'on peut attendre, je ne dirai pas de
leur zèle et de leur honneur, mais de leur science , d'une
science laborieusement acquise. Ce que je voudrais, c'est
que les ingénieurs des ponts et chaussées, attachés à des
compagnies, pussent se créer de grandes positions comme
celles qu'ont acquises, en Angleterre, certains ingénieurs
que M. Legrand connaît bien ; comme celles de Brindley,
de Smeaton, de Rennie, de Telfort.
Que devient un ingénieur chez nous? Quand il a fait
un travail , il est amorti , non avec intention de la part
de l'administration, mais en résultat. On le fait venir à
Paris, et il fait des rapports.
M. Legrand. Il faut bien que les rapports soient faits par des
hommes habiles.
M. Arago. Moi, j'aime mieux que l'ingénieur habile
fasse des ponts ou des canaux ; j'aime mieux qu'au lieu
LES CHEMINS DE FER. 3?3
d'examiner les travaux des autres, il travaille par lui-
même; c'est ainsi que Ton doit un grand nombre de
constructions importantes aux ingénieurs d'Angleterre;
c'est ainsi que Telfort a exécuté, sous des compagnies,
à lui seul , une plus grande masse de travaux que dix
ingénieurs en France qui valent autant que lui, ou du
moins qui vaudraient autant s'ils étaient en position de
faire valoir leurs talents, de faire valoir leur génie, de
faire valoir leur zèle. Ce que je regrette extrêmement,
précisément à cause de la haute opinion que j'ai d'eux,
c'est de ne pas voir leurs moms attachés aux découvertes
qui honorent l'art et l'industrie dans ces derniers temps.
Sur la question des chemins de fer, quel est l'ingénieur
des ponts et chaussées dont le nom rappelle quelque
chose d'important? Vous trouverez au contraire beaucoup
d'ingénieurs civils dans l'histoire des voies ferrées jusqu'à
ce jour.
La machine locomotive, c'est la chaudière; elle n'existe
pas dans ce petit mécanisme qu'admirent les personnes
peu instruites, elle est dans un moyen prompt, efficace,
d'engendrer toute la vapeur dont la machine a besoin
pour marcher. Eh bien, c'est l'œuvre d'un ingénieur
civil français, de M. Séguin. Les Anglais ne peuvent le
contester. Un brevet d'invention bien caractérisé, publié
en France, avait devancé la machine de Stephenson.
Vous savez que, pour engendrer dans une machine à
vapeur une grande quantité de vapeur, il faut établir là
une ventilation active.
Vous ne pouvez l'obtenir qu'avec une immense chau-
dière ou avec une immense cheminée. Vous savez ce que
324 LES CHEMINS DE FER.
serait une immense cheminée avec les tunnels multipliés,
et quelle oscillation cela donnerait à tout le mécanisme
de la machine. Eh bien, qui a inventé le moyen de se
servir d'une vapeur perdue pour augmenter le tirage et
pour remplacer l'immense cheminée dont on avait eu la
pensée de se servir d'abord? c'est un ingénieur civil,
un médecin de Paris, M. Pelletan.
Vous savez que les ingénieurs ont eu à résoudre un
problème important, celui de parcourir avec une cer-
taine rapidité les courbes d'un certain rayon. C'est en-
core un ingénieur civil, et non un ingénieur des ponts
et chaussées, qui l'a résolu. N'allez pas croire. Messieurs,
que je ne fasse pas beaucoup de cas des ingénieurs des
ponts et chaussées. Je les considère, au contraire, je le
répète, comme l'élite de T École polyteclmique, comme
des hommes hors de ligne; s'ils ne font pas tout ce
qu'on peut attendre de leurs talents, c'est à cause de
l'organisation vicieuse du corps; c'est qu'on ne cherche
pas à créer des spécialités; c'est que chaque homme
n'est pas appliqué à la direction d'idées qui s'est mani-
festée en lui.
Je parle de spécialité. Pennettez-moi de me servir
d'une comparaison qui paraîtra peut-être étrange, mais
qui est juste. Que diriez-vous d'une armée dans laquelle
on vous annoncerait que chaque ofTicier commande tour
à tour l'infanterie, la cavalerie, l'artillerie et les sapeurs?
Vous n'auriez pas une trop bonne opinion de cette armée.
Eh bien, il en est ainsi pour les ponts et chaussées. Quand
un ingénieur s'est occupé des questions hydrauliques rela-
tives à la canalisation ou à l'amélioration des fleuves, on
LES CHEMINS DE FER. 325
renvoie faire des ponts : celui qui sait faire des ponts,
(lui a acquis de Texpérience dans cette spécialité, s'il y
a un port à améliorer, on l'y enverra. Je dis que c'est
là un défaut très-grave ; et pour le faire ressortir, per-
mettez-moi de vous citer un ou deux cas où des spécia-
lités , ayant été laissées à leurs travaux de prédilection
dans les ponts et chaussées, ont produit des résultats
admirables.
Je citerai les phares. M. Becquey était très-bien in-
tentionné pour le corps des ponts et chaussées, il institua
une commission des phares; je faisais partie de cette
commission, et je m'étais chargé des expériences. Bientôt
je vis qu'une seule personne ne pourrait pas suffire à
cette tâche. Ma correspondance avec un ingénieur des
ponts et chaussées m'avait démontré qu'il y avait dans
ce corps une personne, un hoinme de science, un homme
de génie pour cette- spécialité, je priai M. Becquey de
l'attacher au service des phares. C'était à Paris que l'on
faisait ces expériences. Mais telles sont les exigences du
corps des ponts et chaussées, que le savant dont je parle,
M. Fresnel, l'un des hommes les plus considérables de
la science que la France ait jamais produits, ne put être
attaché à la commission qu'en travaillant du matin au
soir au pavé de Paris. Il faisait le toisé du pavé de Paris,
<»n même temps qu'on le chargeait de faire des expé-
riences sur les phares.
Voulez-vous une autre exemple de spécialité?
De toutes parts. A demain, il (»st six lieuros I
M. LE Président. M. Arago continuera demain son résumé.
32G LES CHEMINS DE FER.
2* Séance du 10 mai.
M. LE Président. L'ordre du jour est la suite de la discussion dti
projet de loi sur les chemins de fer.
M. le rapporteur a la parole pour la continuation de son résumé.
M. Arago. Messieurs, en commençant hier, au nom
de la commission, le résumé de la discussion générale,
il m'a paru qu'il était convenable de répondre en quelques
mots à des difDcultés qui nous avaient été adressées de
toutes parts et qui ne nous semblaient pas fondées.
Nous avons montré que Tintention de la commission
n'avait jamais été d'empêcher le gouvernement, ou d'em-
pêcher les compagnies de travailler tout de suite, de tra-
vailler activement à la confection des lignes de chemins
de fer. La commission n'avait discuté que la question de
sayoir si l'on devait travailler à toutes les lignes à la fois,
ou s'il ne fallait pas porter toute la force d'action, sur une
ligne particulière, de manière à profiter des améliorations
et des perfectionnements que tout le monde attend, que
tout le monde désire , et que certainement l'art et l'in-
dustrie nous fourniront d'ici à peu de temps.
Nous avons aussi traité succinctement la question du
transit; après l'avoir examinée, comme on l'avait dit,
sous le point de vue un peu restreint que le gouvernement
avait adopté, nous nous sommes aussi attachés à la traiter
dans des vues générales et h voir l'influence qu'elle pou-
vait avoir sur la prospérité de notre commerce.
Quelques phrases du discours de M. le ministre des
travaux publics m'avaient amené à toucher un autre sujet,
celui de savoir si le corps des ponts et chaussées, dont
LES CHEMINS DE FER. 327
personne ne conteste le mérite, dont tout le monde, au
contraire, reconnaît la haute capacité, était organisé de
manière à pouvoir suffire aux grands travaux qui vous
sont présentés.
Cette question, je n'ai fait que Teffleurer; j'y revien-
drai, si cela est nécessaire, dans une autre occasion.
Cependant il est bon que je réponde à une ou deux asser-
tions de M. le directeur général , et à une ou deux
phrases de l'exposé des motifs , parce qu'elles me sem-
blent de nature à exercer quelque influence sur la déter-
mination de la Chambre.
Lorsque nous avons contesté à l'État la possibilité de
faire très- vite et économiquement des chemins de fer,
surtout quand ces chemins doivent occuper de très-grands
espaces, on nous a cité la Belgique. Eh bien, si les be-
soins de la discussion nous y amènent, nous prouverons
que cet exemple est très-mal choisi, que les chemins de
Belgique ont été mal exécutés, qu'ils ont été faits avec
une légèreté telle que certainement ils ne doivent pas
servir de modèles. Je suis étonné de voir que M. le direc-
teur général des ponts et chaussées, qui sans doute con-
naît tous les défauts de cette constmction par les rensei-
gnements qu'il a dû recevoir, se soit appuyé de cette
exécution imparfaite pour dire qu'un corps organisé
comme le corps des ponts et cliaussées de Belgique ferait
d'excellents chemins de fer. Nous avons cité des chemins
exécutés en Angleterre par des compagnies; on a dit
que les pays ne se ressemblaient pas ; que les capitaux
n'étaient pas en France réunis dans un petit nombre de
mains; que les propriétaires des terrains que devaient
328 LES CHEMINS DE FBH.
traverser les chemins ne se prêtaient pas à Texécution
des travaux , et enfin mille difficultés de ce genre.
Nous avons cité les Etats-Unis , où les compagnies par-
ticulières exécutent, comme vous savez, des chemins avec
beaucoup de rapidité et d'économie. Eh bien, aux États-
Unis, il est venu une fois au gouvernement central la
pensée de faire un chemin de fer ; il en a fait un , un seul ,
celui de Cumbertend. Il a fallu l'abandonner. C'est le
seul qui n'ajt pas réussi ; tous ceux qui ont été confiés à
des compagnies sont en pleine jwospérité ; ils sont par-
courus chaque jour par une immense quantité de voya-
geurs. Celui-là on ne Ta pas achevé, celui-là il a fallu,
pour l'amener à bon terme, l'abandonner à une com-
pagnie.
M. le minfstre des travaux publics a dit, dans son
exposé des motifs, que le corps des ponts et chaussées
exécutait quelquefois longuement, il l'a reconnu; mais
il a ajouté que cela avait lieu seulement quand les fonds
manquaient.
Je suis bien fâché de le dire, mais cela n'est pas exact.
Le corps des ponts et chaussées n'exécute pas avec rapi-
dité, alors même qu'il a des fonds, alors que tous les
moyens de travail sont dans ses mains.
Ce fait a été éclairci dans une circonstance impor-
tante, dans une discussion relative à l'exécution des ca-
naux; le corps des ponts et chaussées a eu des discus-
sions très- vives avec les compagnies de prêteurs qui
avaient fourni l'argent à l'aide duquel on a fait les canaux
de 1821 et de 1822. Dans une réponse aux exigences
des compagnies, l'administration déclara que les travaux
LES CHEMINS DE FER. 3*29
n'avaient pas marché avec beaucoup de rapidité, parce
que les fonds avaient manqué. Cette assertion se trouve
renouvelée dans Texposé des motifs.
Voici la réponse, Messieurs :
« Au mois de mai 1825, trois années après la signature
du cahier des charges, les compagnies avaient versé pour
le canal latéral à la Loire, i, 125,000 francs. La dépense
faite par le corps des ponts et chaussées à cette même
époque était de 53,000 francs.
« Pour le canal du Nivernais, la compagnie, trois années
après la signature du cahier des charges, avait déposé
3,142,857 francs; le corps des ponts et chaussées avait
dépensé iOO,000 francs. »
Vous voyez donc qu'il n'est pas exact de dire que les
travaux du corps des ponts et chaussées ne marchent len-
tement que parce que les fonds manquent; les travaux
marchent lentement, parcequ'il est de la nature de cette
administration de marcher lentement.
M. le ministre a dit qu'on fçrait des changements, des
améliorations, des perfectionnements, et que ces perfec-
tionnements permettraient de marcher plus rapidement.
Attendons l'effet de ces perfectionnements, mais pre-
nons les choses dans l'état actuel; je maintiens que,
dans l'état actuel , les travaux se font avec beaucoup de
lenteur.
Dans un discours très-élégant, très-éloquent, comme
tous les discours qui sortent de la bouche de M. de Lamar-
tine, l'honorable orateur vous a dit que la pensée d'aliéner
de grands travaux , de grandes lignes de communication ,
de grands chemins, ne serait jamais venue à Napoléon.
330 LES CHEMINS DE FER.
Je suis fâché de répondre à M. de Lamartine par
une chose qui sera très- peu poétique, par un fait. En
1809, Napoléon ordonna que tous les canaux ou même
toutes les portions de canaux appartenant à rÉt<it fus-
sent vendus.
Il y a, Messieurs, une question qui a occupé beaucoup
de place dans ce débat, c'est la question de l'agiotage.
On a dit que, si l'on concédait les chemins à des com-
pagnies, on fournirait à l'agiotage, à cette plaie, a-t-on
dit, des temps modernes, de notre époque, un nouvel
aliment.
Mais l'administration vous a déclaré, dès l'origine;
elle vous a déclaré hier encore par la bouche de M. le
directeur général des ponts et chaussées, que l'on vou-
lait concéder aux compagnies une longueur de chemins
de fer trois fois plus grande que la longueur que le gou-
vernement se réserve. Et je vous le demande, est-ce que
l'agiotage ne s'exercera pas sur ces ramifications comme
sur le chemin principal? Et ne croyez pas d'ailleurs que
ce qu'on appelle des rameaux, cejsoit chose insignifiante.
Le chemin de Belgique, projeté par le gouvernement,
doit passer par Amiens et aboutir à Lille. Arrivé à Amiens
vous rencontrez un autre chemin qu'on appelle arbitrai-
rement un rameau ; cette portion, tout aussi longue que
celle qui va d'Amiens à Lille, irait d'Amiens à Boulogne.
A combien l'a-t-on estimée? 40 millions. Si j'en crois
les déclarations des*personnes intéressées, entre autres
celle du maire de Boulogne, le gouvernement veut con-
céder ce rameau, cet embranchement à une compagnie
particulière. Eh bien, est-ce que la spéculation ne pourra
LES CHEMINS DE FER. 334
pas agioter sur les 40 millions de rembranchement
d'Amiens à Boulogne comme sur la portion principale
qui va joindre Amiens à Lille?
S'il doit y avoir agiotage, il y en aura tout aussi bien
sur les ramifications que sur les lignes principales. Le
gouvernement a déclaré que la portion des embranche-
ments doit être beaucoup plus étendue, et par conséquent
plus coûteuse que les lignes principales ; il est donc cer-
tain que l'agiotage aura un large champ sur lequel il
pourra s'étendre et se développer.
Est-il vrai, d'ailleurs, que les chemins de fer prêtent
beaucoup à l'agiotage?
Quant à nous, nous avons voulu, autant qu'il a dépendu
de la commission, que ce champ d'agiotage fût restreint,
fût circonscrit ; .at c'est pour cela que nous avons voulu
présenter la question des chemins de fer dans son véri-
table jour, que nous avons voulu qu'il n'y eût rien d'exa-
géré, que nous avons voulu réduire les avantages que les
chemins de fer peuvent promettre au pays à leur valeur
réelle, et non pas à leur valeur d'imagination. C'est pour
cela que nous n'avons pas donné notre adhésion à une
assertion de l'exposé des motifs, par laquelle le ministère
tendrait à faire croire que, par exemple, le chemin de
fer du Havre à Marseille, qui est en projet, deviendrait
un moyen de communication de l'Amérique avec le
Levant.
Je vous avoue, Messieurs, que nous n'avons pu nous
persuader que des marchandises, venant de la Nouvelle-
Orléans, par exemple, ne tiendraient aucun compte du
détroit de Gibraltar et de la Méditerranée, pour avoir la
332 LES CHEMINS DE FER.
satisfaction de décharger leurs marchandises au Havre,
et de les faire voyager, en les transbordant plusieurs fois,
sur le chemin de fer du Havre à Marsçille,
Nous croyons que les chemins do fer ont un immense
avenir; mais celui que leur prédit l'exposé des motifs
n'est pas fondé.
Je disais ^que la commission avait cherché à placer la
question des chemins de fer dans son véritable jour ; nous
avons voulu nous garantir de toute exagération , de tout
mouvement d'enthousiasme ; nous avons voulu que chacun
sût ce qu'il y avait de réel dans cette spéculation, ce qu'il
pouvait en espérer ; nous avons voulu, en un mot, qu'elle
fût débarrassée de ces nuages qui enveloppent tant d'au-
tres spéculations dont a parlé M. le ministre des fmances.
Il y a des chemins de fer qui sont en voie de prospérité,
qui sont dans une position très-favorable ; par exemple
le chemin de fer de Manchester à Liverpool ; il est im-
possible de trouver dans lé monde une localité plus avan-
tageusement située que celle-là; Liverpool est, après,
Londres, le port le plus riche et qui fait le plus d'affaires
du monde ; Manchester est la ville manufacturière où l'on
travaille le plus. A Liverpool arrivent les matières brutes,
h Manchester on les travaille. 11 n'y a pas, dans l'univers,
des villes plus favorablement placées que celles-là pour
servir de têtes à un chemin de fer.
Eh bien, qu'a rapporté ce chemin de fer de Liver-
pool? Il a rapporté, au maximum, 10 p. 0/0; par consé-
quent , les personnes qui croient que les chemins de fer
produiront 30 et 40 p. 0/0, se trompent volontairement.
Les chemins de fer sont une grande commodité pour le
LES CHEMINS DE FER. 333
pays , pour les voyageurs ; il est nécessaire d'en faire ;
faisons-en tout de suite ; mais ne disons pas aux spécula-
teurs que ce sera là une source de richesse immense.
C'est un bon placement dans quelques directions, j'en
suis convaincu; mais, je le répète, il faut se mettre à
Tabri de toute exagération.
La question de l'agiotage a d'ailleurs vivement inté-
ressé la commission ; elle a cherché tous les moyens qui
étaient en son pouvoir de le refréner, et c'est pour cela
qu'elle vous a présenté une sorte de code relatif à l'orga-
nisation des compagnies, et qui ferait disparaître ce qu'il
y a de plus hideux dans l'agiotage , je veux parler des
actions industrielles. La commission (je prie la Chambre
de vouloir bien se le rappeler ) a proposé la suppression
complète, radicale, des actions industrielles; et par là
elle a fait disparaître ce qu'il y a de plus fâcheux dans
l'organisation actuelle des compagnies. Il n'y a pas long-
temps qu'à la Bourse on vous disait : t Donnez-moi une
idée et un journaliste qui veuille la faire valoir, je vous la
paie 100,000 fr. » (Mouvement. )
Il y a. Messieurs, dans la presse des hommes d'hon-
neur, de savoir, qui emploient tout leur talent à faire pré-
valoir une opinion consciencieuse; ces personnes-là , je
les respecte , je les estime ; j'en connais beaucoup , et je
m'honore de leur amitié; mais il en est d'autres qui font
de leur plume trafic et marchandise, qui parlent de che-
mins de fer, de canaux ou de tout autre travail à l'occa-
sion d'un vaudeville, à Toccasion d'une course de che-
vaux. Ces personnes-là se montrent dans les compagnies
comme agents, comme gérants. Quand on leur demande :
33i LES CHEMINS DE F£B.
Quel est votre apport dans la société? Fournissez- vous
des rails? fournissez-vous des machines? avez-vous quel-
ques idées nouvelles? Rien de cela : ils sont les historio-
graphes des chemins de fer. (Rires approbatifs. )
Ce sont ces personnes que nous avons voulu atteindre,
parce qu'on les solde avec des actions industrielles.
La commission s'est tellement préoccupée de l'agiotage
que, sans s'inquiéter des clameurs que sa décision ne
devait pas manquer de soulever et dont on a déjà pu voir
quelques échantillons, elle a demandé la suppression radi-
cale des actions industrielles.
Elle a fait son devoir, Messieurs, et si la Chambre entre
dans cette voie, elle aura rendu un véritable service au
pays et à l'industrie. (Approbations. )
Il faut dire, au surplus, pour être juste, que l'agiotage
dont le pays a été témoin , qui a si profondément affligé
les hommes honnêtes, n'a cependant pas eu tout le déve-
loppement dont on a parlé. Parmi les entreprises qui,
dans ces derniers temps, ont été cotées à la Bourse à des
prix excessifs relativement aux prix d'émission, il en est
une qui s'était produite dans le monde de la manière la
plus honorable en passant par la filière de l'Académie des
sciences; c'est pourquoi j'avais eu à m'en occuper.
Je vis avec regret qu'une chose bonne (je ne saurais
dire si elle est bonne industriellement parlant, je ne le
dirais pas dans mon cabinet , à plus forte raison à la tri-
bune), qu'une chose bonne, quant aux résultats pratiques
tjue les arts pourraient en obtenir, fût devenue l'occasion
d'un agiotage effréné. Je priai les personnes honorables
xpû sont à la tôte de cette entreprise de rechercher si te
LES CHEMINS DE FEB. 333
mal avait été aussi grand que les journaux le disaient • On
alla aux enquêtes, les enquêtes furent faites soigneuse-
ment. Les actions étaient passées en peu de temps de
1,000 fr. à 3,000fr.
C'était exorbitant, c'était déraisonnable, c'était de la
folie. Eh bien, toute vérification faite , il se trouva qu'on
avait vendu douze de ces actions, et il n'était pas démon-
tré que les vendeurs et les acheteurs ne fussent pas les
mêmes personnes. ( On rit. )
Une voix. C'est le fer galvanigô I
M. Arago. Messieurs, vous avez remarqué dans l'ex-
posé des motifs toute l'importance qu'on a donnée à la
question stratégique. La question stratégique touche h la
nationalité du pays, elle devait donc nous préoccuper
vivement; aussi, i'avons-nons examinée autant que le
permettaient les lumières des membres de la commission ;
nous avons cru aussi devoir faire un appel à des personnes
expérimentées , et la Chambre ne trouverait pas étonnant
que nous nous servissions de cette épithctc, s'il nous était
permis de nommer ces personnes; nous nous sommes
adressés, enfin, aux généraux les plus habiles dont s'ho-
nore notre pays. Eh bien, je dirai que le résumé que nous
avons fait dans notre rapport de l'importance stratégique
des chemins de fer, est l'exposé formel de leur opinion.
Au lieu de nous abandonner à des idées générales qui
trompent toujours, nous nous sommes placés dans des cas
particuliers ; nous avons cherché à nous rendre compte
des avantages qui pourraient résulter de l'usage des che-
mins de fer pour le transport des armées; nous avons
reconnu qu'il y aurait en effet des avantages, qu'il ne fal-
33G LES CHEMINS DE FER.
lait pas les négliger, et c'était une raison de plus à ajouter
à toutete celles que nous avions fait valoir pour demander
qu'il y eût des chemins de fer; mais nous avons reconnu
que les avantages que les chemins de fer pouvaient pré-
senter sur le point de vue militaire avaient.été exagérés
outre mesure.
M. Demarçay. Ils seraient môme nuisibles en temps de paix.
M. Aaago. Oui, général; nous n'avons indiqué œ
point de vue particulier qu'en termes vagues, vu notre
manque de spécialité; mais indépendamment de cela,
nous croyons que les avantages que les chemins peuvent
présenter en temps de guerre ont été fort exagérés.
Remarquez d'ailleurs que la question en litige, que la
question de savoir si l'État ou les compagnies feront les
chemins de fer, est tout à fait désintéressée ici ; que les
chemins de fer aient été faits par l'État ou exécutés par
les compagnies, l'armée, si elle en doit tirer avantage,
s'en servira de la même manière. On ose dire qu'on serait
arrêté devant la question des tarifs ; mais le transport des
soldats, en temps de guerre, sur les chemins de fer, sera
stipulé dans tous les cahiers des charges ; il ne le serait
pas, qu'on n'en serait pas pour cela plus embarrassé ; on
sait bien qu'en temps de guerre on n'est jamais gêné
pour s'emparer d'une maison qui embarrasse une vilfe do
guerre : on s'empare de la maison , et quelquefois même
des habitants. Si donc les chemins de fer sont exécutés
par les compagnies, l'armée en profitera tout aussi bien
que si le gouvernement les avait faits. Ainsi la difficulté
disparaît. Sous le rapport militaire , il y a des questions
qui sont plus urgentes que celle-là.
LES CHEMINS DE FER. 337
Il y a des travaux pour lesquels on pourrait venir
demander à la Chambre des fonds avec plus de raison
que pour des chemins de fer ; envisagés sous le point
de vue stratégique, il y a des points de nos côtes qui
sont complètement ouverts et qui devraient être défendus.
Vous n'avez pas relevé les fortifications d'IIuningue :
supposons que pour ce point vous vouliez respecter les
déplorables traités signés dans des circonstances malheu-
reuses, en arrière de ce point il y a d'autres positions :
il y a Thann, il y a Sainte-Marie, où tous les ofliciers du
génie vous diront qu'il serait très -important de faire des
fortifications : pourquoi ne les faites-vous pas?
Vous avez un port dans la Manche, dans lequel vous
entassez millions sur millions; c'est le port de Cherbourg,
Eh bien, il n'y a absolument rien pour défendre l'entrée
de la ville de Cherbourg, et ne croyez pas que les étran-
gers n'y aient pas fait attention. Un prince anglais, en
1815, parcourut toutes nos côtes avec une autorisation
du duc de Feltre ; il visita tous nos ports, et il disait hau-
tement et à tout le monde, à son retour : « Si nous avions
su l'état de vos ports, nous vous eussions fait une visite
pendant la guerre. Il y avait dans ces mots fanfaronnade
et vérité. Quant à la fanfaronnade, on lui répondit sur-
le-champ que les Bretons et les Normands auraient fait
aux Anglais une réception un peu bruyante ; mais ce qui
est vrai, c'est que le port de Cherbourg n'est pas défendu :
si l'on y faisait une descente, on n'y resterait pas, je le
dis le premier; mais on détruirait tous vos établisse-
ments, (Chuchotements. )
On a parlé de transit, de statégie, on a vanté les che-
V.— II. 22
338 LES CHEMINS DE FER.
mins de fer sous le rapport da transit ; on a dît que sous
le rapport stratégique ils devaient produire des mer-
veilles; on a dit que sous le rapport de la civilisation
ils produiraient des effets dont le monde serait étonné.
Cependant à Toccasion d'une phrase d'un membre de ia
commission par laquelle se trouvait indiquée la pensée
que la commission ne demandait pas mieux cjue d'ac-
corder au gouvernement, si les finances le permettaient,
si des compagnies ne se présentaient pas, le chemin de
Strasbourg à Paris et par conséquent de Strasbourg au
Havre , M. le ministre des affaires étrangères, président
du conseil, vous a répondu : « Vous ne nous donnez que
ce qui ne vaut rien. »
Comment ce qui ne vaut rien ?. . c Le transit ne vaut
donc rien sur la route de Strasbourg? Comment ! les consi-
dérations stratégiques dans cette direction ne sont rien ?. . .
M. LE Ml^'ISTR£ DES TRAVAUX PUBLICS. Lc transit sera fait par le
canal.
M. Arago. Oui, dans vingt ans.
Bf. LE MmisTRE DES TRAVAUX PUBLICS. Comment, dans vingt ans?
M. Arago. Ah ! vous croyez que cela sera fait plus
tôt, je ne demande pas mieux, j'en prends note, mais je
ne le crois pas. Toujours est-il qu*on a dit que cela ne
valait rien.
M. LE Ministre des travaux publics. Comme produit.
M. Arago. Nous le reconnaissons; mais vous avez dit
que ce n'était pas pour le produit que vous vouliez faire
des chemins de fer ; vous avez déclaré que c'était dans
un intérêt national.
Si c'est dans un intérêt national, Strasbourg doit ap-
LES CUEttINS DE FEtt. 309
peler votre attention, tant aussi bien que la frontière de
Belgique. Dans la question da eherain de fer de Stras-
bourg, il y a des questions de transit , des questions stra
tégiques, des questions nationales, tout aussi importantes
que les considérations que vous pouvez invoquer pour
b route de Belgique.
Messieurs, j'avoue que je ne comprends pas comment
on a pu dire qae le chemin de Strasbourg ne vaut rien.
D'ailleurs, que le chemin soit fait par le gouvernement,
ou par une compagnie, peu importe : je répéterai cela à
la An de la discussion de toutes les questions que le projet
soulève : Les avantages pour le pays seraient absolun}erft
les mêmes.
On vous a dit, Messieurs, qu'il fallait montrer l'admi-
nistration dans toute sa splendeur aux populations éton-
nées. Eh ! mon Dieu, Messieurs, je ne demande pas mieux ;
mais la proposition que le gouvernement vous a faite,
dans les bornes où il Ta circonscrite, ae produira pas ce
résultat. Le gouvernement ne veut maintenant travailler
qu'au chemin de Belgique; il n'y aurait donc qu'une
partie de la population, celle du nord de la France qui
verrait le gouvernement dans toute sa splendeur ; au
Midi , ce ne serait plus le gouvernement, mais des com-
pagnies particulières. Ainsi, ce motif ne devait pas
être bien puissant pour le gouvernement, puisqu'il y a
renoncé pour la plus grande partie des populations.
11 y a une considération qu'on a formulée en ces
termes:
tLe gouvernement serait à. la remorque des compa-
gnies. » Non, Messieurs, le goavernement ferait ce que
340 LES CHEMINS DE FER.
les compagnies ne font pas. Il y a des chemins qui peu-
vent avoir une immense utilité nationale, et pour lesquels
des compagnies ne se présentent pas, le gouvernement
ferait ces lignes-là ; de plus, le gouvernement fera d'au-
tres travaux. Est-ce que nos routes ordinaires ne sont
pas, sur plusieurs points, dans un état déplorable? (Mou-
vements divers.)
Je crois apercevoir une dénégation ( Très-bien ! ) je
citerai des faits, je citerai une route royale, une des routes
qui conduisent à Londres, où la diligence a été obligée
d'abandonner un grand bourg et de passer à travers des
jardins, et cela pendant six mois !
Je citerai la route de Châlons à Sainte-Menehould, où
il est presque impossible de voyager Thiver.
M. PÉRI6N0N. Rien n'est plus vrai I
M. Arago. Où Ton est obligé d'atteler dix chevaux
aux diligences, où les voitures versent sans que les car-
reaux se brisent dans la boue, tant la route est liquide.
M. Roul. La route de Bordeaux à Bayonne, dans les grandes
Landes, est abandonnée depuis quarante ans.
M. Arago. J'étais bien certain de ne recevoir sur ce
point des dénégations d'aucune partie de la Chambre.
M. Legrând, commissaire du roi. Pas même de ma part; je ne
nie pas qu'il n'y ait quelques parties de route en mauvais état, mais
ce sont là des points isolés et de pures questions d'argent
M. Arago. Eh bien, il faut songer à cela. Les ingé-
nieurs sous votre direction rendront au pays un service
immense en s'occupant de l'amélioration de ces routes,
qui sont en général les routes communes , les routes les
plus usuelles, les plus habituelles.
LBS CHEMINS DE FER. 311
Lorsqu*en 1822 on proposa à la Chambre la loi sur
les canaux, un membre de la Chambre dit à M. le direc-
teur général des ponts et chaussées : < Mais il me semble ,
M. le directeur, que vous présentez la loi à rebours : il
faudrait s'occuper des rivières avant de s'occuper des
canaux; vos canaux seront très -peu utiles si vous ne
travaillez pas d'abord à TaméHoration des rivières et des
fleuves ! »
M. le directeur général répondit : c Cela est vrai ; mais
si je demandais de Targçnt pour les rivières d'abord,
on ne m'en donnerait pas. Cest afin qu'on m'en donne
pour les rivières que je commence par faire les ca-
naux I •
Les canaux sont faits ou à peu près faits , excepté ceux
qui n'auront pas d'eau, et qu'on doit alimenter par des
puits artésiens, comme on le disait l'autre jour. (Rire
général.) La navigation étant interrompue dans les
rivières, les canaux n'auront pas d'utilité. Il faut donc
s'occuper des rivières. Et qu'on ne vienne pas dire que
le corps des ponts et chaussées restera désœuvré et
pourra se croiser les bras. Non; il n'a qu'à s'occuper
de cette question, à s'en occuper avec tout le savoir,
tout le talent, toute l'activité que tout le monde connaît
aux individus, aux personnes de cette administration, et
l'on rendra d'immenses services au pays.
Mais à présent, on ne veut s'occuper que de ce qui
marche vite; on ne veut* travailler qu'à ce qui vole avec
une extrême rapidité.
' Eh ! Messieurs, on peut aller très- vite sur les ri-
vières, on peut y aller presque aussi vite que sur les
ut LES CHEMINS DE FER.
chemins de fer^ Je vouô dirai même qu'en Amérique
la vitesse des bateaux à vapeur est égale à la vitesse
moyenne des wagons, des kocoraotives. Il y a en Amé-
rrque, quoiqu'on y soit très -aventureux et très-dédai-
gneux des accidents qui peuvent arriver, il y a cependant
des personnes qui ne veulait s'embarqua: sur les che-
mins de fer qu'à la omlition de ne pas sauter. C'est
pour cela qu'on a imposé à certaines compagnies l'obli»
gàtion de ne pas parcourir plus de six ou sept lieues à
l'heure ; or, les bateaux à vapeur, en Amérique, vont à
peu près avec cette vitesse^ avec la vitesse de six lieues
& l'hemie. Vous voyez donc quesi v^is perfectionnez la
navigation à vapeur sur nos rivières, vous aurez résolu
utt problème de vitesse, puisque c'est la coosîdération
de la vitesse qui semble vous déterminer.
Sur les canaux, il y a aussi des pi!oblèmes très-dignes
de l'attention la plus sérieuse de MM« les ingénieurs des
ponts et chaussées.
Pendant très-longtemps on s'est arrêté à une vitesse
mesquine, insuffisante sur les canaux ; on s'est arrêté à
cette vitesse , non par voie expérimentale , mais par des
considérations théoriques. On avait cru que la théorie
mettait ceilaines limites à la vitesse* Eh bien, cette vitesse
a été énormément dépassée ; elle Ta- été à tel peint que ,
sur des canaux que je pourrais citer, dans des localités
favorisées, on parcourt cinq lieues à l'heure. Vous voilà
bien près de la vitesse des cheiuins de fer ; et, comme je
le disais hier, les canaux ont des avantages d'une autre
nature : ils servent à tout le monde ; ils servent sur tous
les points, et non pas seulement aux points de départ
Les CHEMINS DE FEB. 343
et d'arrivée. Si vous leur donnez les avantages de la
vitesse, vous aurez doté le pays d'un moyen de coinjnu-
nication qui ne fera naître de difficultés dans l'esprit de
personne; vous vous serez occupés encore d'une question
de vitesse.
Vous voyez, je le répète, qu'il n'est pas exact de
dire qae si les ingénieurs des ponts et chaussées, en tant
que copps constitué, travaillaient moins à l'exécution des
chemins de fer, ils seraient condamnés à rester les bras
croisés. Le corps des ingénieurs des ponts et chaussées
a d'immenses travaux à faire ; les rivières et les canaux
sont deux champs d'expérience et de travail qui doivent
tout à &it exciter son zèla et exercer sa sagacité.
J'arrive, Messieurs, à la question des compagnies^
Y a-t-il des compagnies? N'avons-nous pas discuté sur
un rêve? N'avons-nous pas fait à l'administration des
difficultés qui n'auraient pas des fondements- réels?
Je regrette de n'avoir pas qu , pour l'examen auquel
je me suis livré, toute la perspicacité qu'un de nos hono-
rables collègues aurait voulu trouver dans le rapporteur,
la perspicacité d'un régent de la Banque; cette perspica-
cité, je ne l'ai pas, je le reconnais. Mais aussi dans l'exa-
men que j'ai fait des registres des compagnies, n'ai-jc
je pas eu besoin des connaissances d'un régent de la
Banque ; tout ce à quoi j'ai dû me borner, c'a été de
rechercher quelles étaient les classes de la société qui
avaient souscrit, de rechercher si, dans les noms des
souscripteurs, il n'y avait pas des noms que je connusse ;
queHe était la portion de la population qui s'intéressait
à l'exécution des chemins de fer par les compagnies ;
34i LES CHEMINS DE FER.
cette investigation était la seule que je pusse me per-
mettre , la seule qui fût en mon pouvoir et à ma portée.
Eh bien» je le dis, elle a donné les résultats les plus satis-
faisants, et je vais les faire CQnnaltre à la Chambre.
Pour le chemin d'Orléans, une compagnie s'est formée.
On ne dira pas qu'on a voulu faire de l'agiotage ; il n'a
pas été publié un article au nom de celui qui se pré-
sentait comme le principal soumissionnaire, pas un article
n'a été inséré dans les journaux, pas une annonce n'a été
affichée à la Bourse, et cependant 30 millions ont été
réunis; la promesse formelle et avec signature de âO
millions, a été fournie.
J'ai vu toute la correspondance, j'ai vu le nom det
flouscripteurs, et je puis citer le nom du créateur de cette
société : c'est M. Casimir Lecomte^ Il a obtenu, je le
répète, des promesses de souscriptions pour une somme
de 30 millions dans le cercle des connaissances de ses
amis, sans faire une annonce dans les journaux, sans
faire une affiche à la Bourse. Cette souscription n'a pas
été faite seulement à Paris. On vous a dit qu'il était
désirable que les riverains du chemin s'intéressassent à
sa confection. Eh bien, cette condition est ici remplie ;
vous trouverez dans la souscription dont je parle, des
souscripteurs d'Orléans et d'Étampes, pour une somme
de 2 millions, avec le regret formel exprimé dans les
termes les phis vifs, de ce que M. Casimir Lecomte ne
pouvait pas accepter des souscriptions pour une somme
plus forte.
M. Casimir Lecomte a demandé 30 millions de sou^
criptions. Vous voyez que c'est une somme qui va bien
LBS CHEMINS DE FER. 315
au delà de l'évaluation qui pour ce chemin avait été
donnée par l'administration des ponts et chaussées. Peut-
être que M. Casimir Lecomte se trompe, que les sous*
cripteurs sont dans l'erreur ; mais cela prouve qu'ils ont
cru que les ingénieurs des ponts et chaussées avaient
fait une évaluation trop faible.
Il y a pour ce même chemin d'autres souscriptions
ouvertes chez des banquiers par MM. Gaillard, Rampon,
Lemoine, Delchet ; et pour le dire en passant, deux de ces
personnes ont fait faire des études très-sérieuses sur cette
ligne de Paris à Orléans, études qui n'ont pas été inu-
tiles à radmmLsitration des ponts et chaussées ; car elle a
profité de quelques améliorations qui avaient été indiquées
par les ingénieurs de la compagnie.
La souscription est complète ; je le tiens de notre hono-
rable collègue M. Laffitte, qui me l'a déclaré, qui m'a
dit que si ces souscriptions étaient insuffisantes, sa maison
les remplirait.
Quant à Rouen et au Havre, il existe aussi une com-
pagnie. Messieurs, je n'entends pas dire que l'adminis-
tration doit admettre les compagnies dont je parle ; mais
on a dit qu'il n'y en avait pas ; il faut que je dise ce que
j'ai fait et examiné au nom de la commission. Ceci n'est
pas, du reste, une recommandation pour les compagnies
que je cite ; il y en a peut-être d'autres qui sont meilleures,
mais toujours est-il que celles-là existent, et qu'il y a des
souscriptions formées. Pour le chemin de Paris à Rouen
et au Havre , il y a sur les listes de souscriptions, des
signatures de toute espèce, appartenant aux différentes
villes que le chemin doit traverser. Les signatures de
3i6 LES CHEMINS DE FER.
banquiers de Paris les plus en réputation, de beaucoup
de députés (j'ai parcouru les noms) , de niagistrats,
d'hommes les plus haut placés dans la société, et qui se
sont engagés pour des sommes considérables. La sous-
cription est énorme dans cette direction, 71 miltionsl
Eh bien, cette souscription est remplie de signatures; Je
ne dis pas que toutes se transformeront en écus; raais
la grande masse est sérieuse; d'après ce que je puis
savoir toucliant les personnes qui se sont engagées, il
y a toute raison pour croire que la souscription est bien
fondée.
On a dit : En Angleterre il y a des possibilttés qui
sTexistent pas en France* Les fortunes ao&t colossales,
les propriétaires se prêtent à l'exécution des chemins de
fer, tandis qtf en France ils s'y opposeut.
On se trompe. Messieurs; en Angleterre-, -les grands
propriétaires s'opposent à l'exécution des chemins de fer.
Ils ne s'opposent pas, je le reconnais, à l'exécution des
canaux, mais les chemins de fer leur déplaisent; ils
cherchent à les éloigner de leurs demeures dans des
circonstances que je suis loin d'approuver. Je citerai,
à ce sujet, un fait qui est à ma connaissance persomielle.
Un de mes amis, qui porte un nom éminemment célt»-
bre dans la mécaniqae, possède près de Birmingham un
magnifique parc que devait traverser le chemin de fer,
mais à une telle distance du château que Je n'y voyais
pas, quant à moi , d'inconvénient. Eh bien , mon ami a
plaidé contre la compagnie , il a plaidé avec une telle
persistance que les frais , quoiqu'il ait eu gain de cause ,
ont été de 70,000 fr. Voilà un des exemples de l'intérêt
LES CHEMINS DE FER. 3i7
qu'en Angleterre les grands propriétaires portent à Texé-
cution des chemins de fer.
Passons à une autre considération. En Angleterre , un
petit nombre de personnes suffit pour remplir les plus
larges souscriptions. C'est encore une erreur qui tombe
devant les faits, devant la statistique. Examinez sur un
total de 396 millions qui ont été réunis par les compa-
gnies de chemins de fer, combien il y a de souscripteurs
pour une somme de plus de 250,000 fr., vous n'en trou-
verez que 149 ; c'est 14 pour cent du total , et la moyenne
de la souscription^ de ces 149 souscripteurs n'est que de
370,000 fr.
En France, pour le chemin de Paris à Rouen , combien
y a-t-il de souscripteurs pour une somme au-dessus de
500,000 fr. ? 11 y en a 9 ; de 401,000 à 500,000 fr., il y
en a 6; de 301,000 à 400,000 fr., il y en a 4; de
201,000 à 300,000 fr., il y en a 14, et de 101,000 à
200,000 fr. , il y en a 39; vous voyez avec quelle rapidité
nous approchons du nombre des souscripteurs qui , pour
la totalité des travaux de l'Angleterre, ont donné des
sommes un peu fortes. Ne disons donc plus qu'il y a une
différence éwrme entre la nature des souscriptions an-
glaises et celles que nous pouvons espérer en France.
Dans notre pays l'esprit d'association s'est assez déve-
loppé, a déjà assez d'activité pour que vous puissiez
espérer que les capitalistes prendront un intérêt très-vif à
l'exécution de ces grands travaux.
Il y a une considération importante que vous ne devez
pas perdre de vue , c'est la considération des fonds étran-
gers. Si le gouvernement fait les chemins , vous ue serez
348 LES CHEMINS DE FER.
pas aidés par un seul capitaliste étranger ; si ce sont des
compagnies , vous pouvez espérer que les fonds de nos
voisins viendront concourir à l'amélioration de notre sol
et de nos voies de communication, pour des sommes
importantes. Dans la souscription pour le chemin de Paris
au Havre, je trouve 8 millions de souscriptions venant
de rétranger; je trouve dans les départemens en dehors
des chemins de fer, â millions, et sur la ligne du che-
min de la Vallée, plus de A. millions; pour les ban-
quiers de Paris, 6 millions, et enfin, de négociants,
d'agents de change, de rentiers de Paris, chacun avec
sa signature, des engagements pour &9 millions. Les
étrangers entrent dans le total pour une part très-consi-
dérable à laquelle il faudrait renoncer, si vous mainteniez
le système , que les chemins de fer doivent être exécutés
par le gouvernement.
11 y a une compagnie pour le chemin de fer de Paris
à Tours, ce chemin n'était pas proposé par le gouverne-
ment ; il ne figure pas dans l'exposé des motifs ; par con-
séquent je n'ai pas vérifié les registres de souscription»
Arrivons au chemin de Belgique pour lequel on a dit
catégoriquement qu'il n'y avait pas de souscription;
Messieurs, il y en a une ouverte à Paris, chez notre
honorable collègue M. Fould, et qui est arrivée à 40 mil-
lions. A sa tête, comme gérants, comme soumission-
naires principaux, figurent des personnes honorables,
MM. Blacque, Brouillard et Maurçncq. Peut-on dire, dans
les circonstances actuelles, avec l'opinion si prononcée
du gouvernement contre la concession du chemin de
Belgique à une compagnie, que ce soit peu de chose
LES CHEMINS DE FER. S49
d'avoir obtenu 40 millions en peu de jours , lorsqu'il est
évident que les souscripteurs qui veulent avoir un place-
ment réel doivent être retenus par la déclaration formelle
du gouvernement. Qui oserait soutenir que le jour où le
gouvernement, cédant à l'influence de la Chambre, décla-
rera que ce chemin sera exécuté par une compagnie , la
souscription ne serait pas totalement remplie?
Un grand capitaliste étranger, un grand manufacturier,
M. Cockerill , a été cité dans la discussion. M. le direc-
teur général a déclaré qu'il ne l'avait pas vu récem-
ment.
Puisque M. le directeur général Ta dit, le fait doit être
vrai. Mais je ne crois pas que M. le ministre des travaux
publics fasse la mêiine réponse.
M. LE Ministre des travaux publics. C'est vrai; je Tai vu.
M. Arago. Eh bien , M. Cockerill a déposé une sou-
mission le 12 avril, une soumission formelle, acceptable
ou non acceptable , je ne décide rien ; peut-être y a-t-il
des modifications à faire ; peut-être en demanderais-je si
elle m'était présentée et si j'avais à l'apprécier comme
membre de la Chambre; toujours est-il qu'il y a une sou-
mission formelle.
Le fait cependant avait été nié; M. le président du
conseil avait dit qu'il n'y avait pas de soumission pour le
chemin de Belgique. Puisque le fait n'est plus nié main-
tenant, je ne lirai pas cette soumission dont un de nos
collègues m'a donné copie.
M. Cockerill s'impose deux conditions auxquelles il ne
demande pas mieux que de souscrire au gré du ministère,
et qui doivent éloigner toute pensée d'agiotage, alors
350 LES CHEMINS DE FER.
même que le cafraetère de M. Cockerill ne serait pas une
garantie suffisante^de Tîntention la plus prononcée d'exé-
cuter le chenjîn de fer et de Texécuter avec tout le soin
possible. Ces conditions, les voici:
En cédant à la préoccupation très-juste, et à laquelle
f applaudis, qu'avaient fait naître les scandales de la
Bourse, les scandales de Tagiotage, on a cru un moment
que toute soumission était une spéculation et devait donner
lieu à un agiotage effréné. Eh bien, M. €ockeriîl a pris
soin de rassurer l'administration. Il lui a dît : t Si vous
craignez qu'on ne veuille faire de ma soumission un objet
d'agiotage, j'exécuterai le chemin de fer avec des fonds
tous pris à l'étranger; je ne prendrai pas un sou en
France.» Cependant, comme le chemin de Belgique est
un chemin qui doit donner des produits avantageux, il a
ajouté : « J'accorderai aux capitalistes français le montant
de la souscription que vous voudrez bien m' assigner; ce
sera le quart , la moitié ou les trois quarts , mais si voué
craignez tellement l'agiotage que vous ne vouliez pas
laisser exécuter le chemin avec des fonds français , je le
ferai tout entier avec des fonds étrangers. »
S'agit-il de savoir à quel point est arrivée maintenant
sa souscription ; M. Cockerill m'a fait savoir avant-hier
qu'il avait déjà 104 millions de souscriptions condition-
nelles, dont on justifiera au besoin; mais toujoui*s est-il
que je suis loin de prétendre que vous deviez admettre
cette soumission sans examen, sans discussion; je vou-
lais seulement prouver, contrairement à l'assertion de
M. le président du conseil, qu'il existe au moins deux
compagnies poiu* le chemin de Belgique.
V
LES CHEMINS DE FER. SM
Ce chemin de Belgique, qui est la pierre d'achoppe-
ment, examinons-le en face, et voyons au vrai ce qu'il
faut en penser.
Hàtons-nous, nous dit-on, faisons le chemin de Bel-
gique, ne perdons pas de temps; si nous perdons un
instant, tout est fini.
Mais, est-ce que la Belgique s'est beaucoup préoccupée
de ses communications avec la France? La Belgique s'est
occupée d'elle-même, s'est occupée de ses relations inté-
rieures, de ce qui la concernait, et non pas de ce qui
concernait un pays voisin. Eh bien, faisons comme elle;
imitons la Belgique en ce point , occupons-nous de nos
intérêts, de nos intérêts les plus vifs, et ne nous préoccu-
pons pas de ce que peut faire la Belgique ; vous allez voir
que là on nous a présenté des difficultés qui s'évanouissent
lorsqu'on les examine de front.
Je disais que la Belgique n'avait pas beaucoup songé
à ses communications avec la France. En eff'et, il n'y a
rien de commencé dans la direction de Gand et de
Bruxelles à notre frontière.
A entendre les orateurs qui ont parlé dans le sens du
gouvernement, on aurait pu croire que de notre fron-
tière on allait toucher de la main les chemins belges. Eh
bien , on n'y a pas encore travaillé. On fait un chemin
d'Ostende à Bruxelles et de Bruxelles à Liège ; les autres
n'ont pas été faits. On a présenté comme fait un che-
min qui doit aller de Bruxelles à Aix-la-Chopelle, et
cependant il n'y a presque rien d'exécuté ; je m'en suis
informé; et c'est si \Tai, que les ingénieurs belges étaient
encore, il y a peu de temps, dans la forêt d'Aix-la-Cha-
352 LES CHEMINS DE FER.
pelle à chercher la direction dans laquelle passerait le
tunnel. Il n'y a donc pas de chemin avancé, il n'y a pas
même de projet arrêté.
Hàtons-nous cependant de faire le chemin de Belgique,
car je demande qu'on fasse les chemins de fer le plus
promptement possible ; mais qu'on ne vienne pas nous
prêcher l'urgence, lorsque les Belges n'ont rien fait dans
les directions de Gand et de Bruxelles à la France.
M. le ministre des travaux publics vous a dit que Tan
dernier il avait abandonné les idées qui le maîtrisaient,
qu'il professe encore cette année, afin de se conformer à
l'opinion présumée de la chambre. Il croyait l'an der-
nier , avant de présenter la loi , que le gouvernement ne
devait laisser faire les chemins que par des compagnies;
et il lui paraissait telleinent urgent de faire les chemins
de fer, que, contre ses principes, contre ses convictions ,
il avait proposé de faire faire le chemin de Belgique par
une compagnie.
Mais il a été articulé ici, par l'honorable M. Berrycr,
un fait très - grave sur lequel il semble qu'il est néces-
saire que le gouvernement s'explique. Est -il vrai que
le gouverment a eu la pensée de doter le pays de che-
mins de fer avec une telle vivacité, qu'il ait abandonné
toutes ses convictions, et dans ce cas comment se fait-il
qu'il n'ait pas fait disparaîtra la seule difficulté, j'ose le
dire, qui l'année dernière a empêché de concéder le che-
min de la Belgique à M. Cockerill? Cette difficulté, c'était
la subvention ; tout le monde se rappellera que c'était
parce que le gouvernement proposait de donner vingt
millions à M. Cockerill, que la Chambre rejeta le chemin.
LES CHEMINS DE FER. 353
Eh bien, avant la fin de la discussion, M. Gockcriil pré-
senta au ministère une déclaration telle que, avec une
modification du tarif, il consentait à renoncer aux vingt
millions. Or, cette modification n'a pas été communiquée
à la Chambre. Je demande d'après cela s'il est bien vrai
que l'année dernière le gouvernement ait voulu à tout
prix, même contre ses convictions, doter la France d'un
chemin de fer?
On nous a dit que si nous ne faisions pas promptement
le chemin de Belgique, la Belgique se dégoûterait!
Se dégoûterait! et de quoi? Gomment I la Belgique se
dégoûterait? Est-ce nous qui sommes un allié incommode
pour la Belgique? Comment!, elle est envahie par les
Hollandais, et aussitôt une armée française vient à son
secours ; une de ses villes est dans les mains de ses enne-
mis, et nous faisons le siège de la citadelle, et nous nous
en emparons pour la restituer à la Belgique! Des bûcherons
hollandais paraissent dans une forêt, et M. le ministre de
la guerre de France nous a déclaré qu'il n'a pas dormi
pendant toute une nuit en entendant le bruit des bûche-
rons ; et la Belgique se dégoûterait de nous? ( Rires
d'assentiment.)
II y a des personnes en France qui se serviraient avec
plus de raison de l'expression de M. le comte Mole, en
l'appliquant à la Belgique. Que fait-elle pour nous la Bel-
gique? A-t-elle essayé de mettre un terme à cette fabrique
de contrefaçon qui , à Bruxelles , opère la ruine de tout
notre commerce de librairie? Quelle est la concession
qu elle nous a faite ? Le ministère , dans des vues aux-
quelles j'applaudis, a cherché à établir un contrat entre
v.-n. 23
354 LES CHEMINS DE FER.
toutes les nations de T Europe pour que cet inqualifiable
brigandage cessât d'exister. Je n'ai pas entendu dire que
la Belgique se montrât très-empressée à entrer dans cette
coalition honorable, dans cette coalition littéraire et scien-
tifique que toutes les nations de TEurope paraissent dis-
posées à former contre de véritables forbans. L'Angle-
teiTe, à <5et égard, s'est montrée très-libérale; mais,
quant à la Belgique, elle continue son système d'exploita-
tion, au détriment de notre commerce, de notre librairie;
et d'ici à peu de temps, pour peu que les choses continuent
sur ce pied, vous verrez toute notre librairie complète-
ment ruinée. { Nombreuses marques d'assentiment. )
La Belgique se dégoûtera, si nous ne~ lui faisons pas
un chemin de fer 1 Quel est donc son intérêt ?
Le transit ? Mais si nous le prenons comme le gouver-
ment avait voulu Fenvisager, sous un pomt de vue res-
treint , le transit est sans importance et la Belgique ne
se dégoûtera pas pour cela. Si vous l'envisagez sous
le rapport de l'influence qu'il exercera sur les ports de
mer, vous ne devez pas le favoriser ; car ce sera tout au
profit de la ville d'Anvers, et par conséquent au détri-
ment de nos ports de la Manche, au détriment du Havre,
de Dunkerque, de Calais et de Boulogne. Si donc c'est
dans la vue de favoriser ce transit que vous exécutez le
chemin de fer de Paris à la frontière de Belgique , je dis
que la Chambre ne doit pas s'associer à vos Tues.
Les voyageurs ? Eh I mon Dieu, quand ils auront
dépassé la frontière belge, je serais étonné que le gouver-
nement belge leur portât une telle tendresse , une telle
sollicitude, qu'il se fâchât contre nous, si nous ne les fiai-
LES CHEMINS DE FER. 355
sîons pas voyager jusqu'à Paris sur un chemin de fer. Ils
nous abandonneront 1 et où iront-ils donc ? peut-être au
lieu de venir entendre l'Opéra de Paris, ils iront à l'Opéra
de Cologne. { Rires et bruits. ) Je ne crois pas que nous
ayons rien de pareil à redouter.
Messieurs, examinez la question, examinez- la sous
toutes ses faces ; examinez quel est Fintérêt que la Bel-
gique peut avoir à ce que vous exécutiez tout de suite le
chemin de fer de Paris à la frontière belge , et vous ver-
rez que cet intérêt est très-minime pour elle. Et cela est si
vrai que, quand on interroge les Belges sur l'importance
de ce chemin, ils vous répondent qu'ils ne la comprennent
pas.
Depuis que la question est en discussion , nous avons
voulu savoir, puisque le gouvernement ne s'expliquait
pas avec plus de clarté, ce qu'il y avait au fond de la
question, et ceux d'entre nous qui ont des relations avec
la Belgique ont écrit dans ce pays pour connaître l'opinion
des Belges eux-mêmes. La réponse a été à peu près una-
nime : on a dit qu'on ne savait pas où était la question
intéressante qui se trouvait au fond d'une proposition que
le gouvernement faisait si grosse d'importance; qu'on
ferait bien d'avoir un chemin de la frontière belge à
Paris, mais que ce n'était pas là un objet qui les intéres-
sât à tel point qu'ils se brouillassent avec nous, si nous ne
l'exécutions pas.
Au surplus, quand il serait vrai que la Belgique pût se
dégoûter de son alliance avec la France , dans le cas où
nous ne ferions pas le chemin de fer, nous pouvons répon-
dre que nous ne voulons pas la priver de ce chemin de
356 LES CHEMINS DE FER.
fer. Est-ce qu'un chemin de fer exécuté par une compa-
gnie ne portera pas les voyageurs , comme s'il était exé-
cuté par le gouvernement? Est-ce qu'un chemin de fer
exécuté par une compagnie ne portera pas les marchan-
dises comme s'il était exécuté par le gouvernement?
Toutes les propriétés du chemin de fer exécuté par le
gouvernement sont applicables au chemin exécuté par les
compagnies (Approbation à gauche. ), et par conséquent
la Belgique ne se dégoûtera pas, pour revenir encore
une fois sur cette expression, puisque la commission pro-
pose de faire exécuter le chemin de fer : seulement elle ne
croit pas que le gouvernement doive l'exécuter, quand il
y a des compagnies qui se présentent, et j'espère avoir
prouvé qu'il y en a.
En résumé, Messieurs, la commission a reculé surtout
devant des considérations financières : elle n'a pas trouvé
que les voies et moyens proposés par le gouvernement
fussent en rapport avec l'immensité des projets qui étaient
présentés ; elle n'a pas trouvé que les voies et moyens
dont a parlé M. le ministre des fmances, assurassent
Texécution des chemins de fer; par conséquent, je viens
eu son nom persister dans ses conclusions. (Approbation
à gauche. )
[Après une réponse de M. Martin (du Nord), ministre des travaux
publics, le projet du gouvernement a été mis aux voix et rejeté par
196 voix contre 69.]
LES CHEMINS DE FER. 357
SUR LES PETITES DES CHEMINS DE FER
[A Toccasion de la discussion du projet de loi sur la concession
(lu chemin de fer de Paris à Rouen , dans la séance de la Chambre
des députés du 16 juin 18^0, M. Arago a été conduit à prononcer
quelques paroles sur les difficultés que les pentes des jchemins de
fer peuvent faire naître. Nous extrayons ses paroles du Moniteur
du 17 juin. ]
On a parié des difficultés de sortie de Rouen, on a
parlé de pentes excessives, des difficultés que ces pentes
pourraient faire naître. Messieurs, la science des chemins
de fer a fait de tels progrès que Ton peut évaluer les
vitesses à la montée et à la descente avec une approxi-
mation qui donne exactement les chiffres des dixièmes.
Je suppose que vous marchez horizontalement avec
une vitesse de 10 lieues à l'heure. Voyons ce qui arrivera
en montant.
Avec une pente de 1 millimètre 1/2, un train do
50 tonnes vous donnera une vitesse de 9 lieues ; avec une
pente de 2 millimètres, la même machine vous donnera
une vitesse de 8 lieues.
Avec une pente de 7 millimètres , et M. le secrétaire
général des ponts et chaussées vient de me dire que la
pente pour le chemin, au sortir de Rouen, n'excédera pas
5 millimètres; avec une pente de 7 millimètres, la vitesse
ne sera réduite qu'à 6 lieues.
Je suppose que la machine continue à fonctionner, et
que par un mouvement descendant elle agisse sur les
wagons comme elle agissait sur le train en montant.
358 KES CHEMINS DE F£B.
Horizontalement vous avez toujours la vitesse de 10 lieues;
avec une pente de 1 milliraètre 1/2, vous aurez 11 lieues;
avec 2 millimètres de pente, 12 lieues ; avec 6 millimètres
de pente, 16 lieues. Remarquez bien que dans ces cal-
culs les limites demandées pour les wagons ne sont pas
dépassées.
On voyait un corps tomber de Fatmosphère avec une
vitesse prodigieuse et l'on avait pensé qu*un wagon tom-
berait avec la même rapidité.
On avait négligé une chose impcartante et capitale, la
résistance de Tair. KL. de Pamboisr^ dont le nom fait
autorité en cette matière» .a fait, des expériences» il a
déterminé quel était le maximum possible des vitesses
d'un chemin très-incliné » et vous allez voir que ce maxi*
miuD est td^ sur les chemins h^zontaux.
Supposez que vous abandonniez un tsaôn de 100" tonnes
à lui-inéme ; avec 5 millimètres de pente, vous aurez jxm
vitesse qui ne dépassera pas 10 lieues. Supposez que vous
abandonniez des wagons sur une pente de 7 millimètres,
vous n'aurez jamais une vitesse supérieure à lA. lieues.
Supposez enfin que vous abandonniez un train de 1:00
tomies sur une pente de 10 millimètres, vous ii*aurez
jamais une vitesse plus grande que 19 lieues. Or, cette
vitesse est tolérée sur un terrain horizontal. Pîar consé*
quent» vous n'avez pas plus de sujet de cramte sur une
pente de 10 millimètres que sur un chemin horizontal.
J'espère que ces chiffres feront disparaître les préjugés
de dangers extraordinaires qu'on prétait aux pentes des
chemins de fer.
LES CHEMINS DE FER. 359
[Dans la séance du 15 juillet iSkà^ à l^occaslon de la discussion
du projet de loi sur le cliemin de fer d'Orléans à Bordeaux, M. Arago
est revenu sur la question des pentes des chemins de fer. Nous
reproduisons les paroles qu'il a prononcées pour appeler l'attention
sur les économies que procurerait l'adoption de pentes plus fortes
que celles admises par l'administration. ]
M. Arago. J'ai cru entendre tout à l'heure M. le mi-
nistre des travaux publics dire qu'il n'y avait sur le
chemin de Bordeaux aucune difficulté de tracé. Je lui
demanderai alors d'avoir la bonté de ra'expliquer la cir-
constance suivante. Il y a un promontoire entre Libourne
et Bordeaux , entre la Dordogne et la Garonne. Ce pro-
montoire, il faut le franchir pour aller d'une rivière à
l'autre. L'ingénieur . qui a été chargé de ces travaux a
suivi les errements de M. le ministre, qui ne voulait pas,
dépasser une pente de 3 millimètres. Eh bien , il en est
résulté que la dépense pour cet intervalle de 12 kilo-
mètres sera de 16 à 18 millions.
M. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS. Pour la totalité do la dé-
pense à la charge de l'État, la voie de fer comprise.
M. Arago. Il en résulterait que le kilomètre coûterait
500,000 fr. à peu près. Lorsqu'on songe que , dans ces
intervalles , il n'y a pas de terrains d'une haute valeur,
qu'il y a très-peu de propriétés bâties ; cette dépense est
énorme. Je demande si , lorsqu'on a dit qu'il n'y avait
pas de difficulté sur le tracé , on a toujours entendu que
la pente serait de 3 millimètres.
M. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS. La ponto proposée est de
3 millimètres; mais il y a des terrains très-marécageux, c'est la
plus grande cause de la dépense.
M. Arago. Le terrain marécageux, à raison du tracé
8ur une pente de â millimètres » exige des aqueducs.
360 LES CHEMINS DE FER.
M. Legrand. Il faut en faire partout pour Técoulemeut des eaux.
M. Arago. Je demande si Ton s'est déterminé dans ce
projet pour une pente de 3 millimètres.
M. Legraisd. Non.
M. Arago. Vous avez donc modifié votre projet?
M. LE MINISTRE DES TRAVAvx PCBLIG8. U y a deux projets, Ton
coûterait il millions et Tantre 16 millions.
M, Arago. Seize millions! Dans Tun on passerait par
le bec d*Ambez, dans l'autre on aborderait directement.
Dans Tun et Tautre projet il en coûterait 16 millions.
(Non I non ! ) Cette dépense est énorme.
M. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS. Jc puis douner satlsfactiou
à rhonorable M. Arago ; nous pouvons atteindre au but d'une ma-
nière moins dispendieuse en admettant des pentes de 8 millimètres.
M. Arago. Vous feriez une économie d'un quart, si
vous alliez seulement à 7 millimètres.
VI
NécESsrrÉ de soumettre a l'expérience les nouveaux
SYSTÈMES de CHEMINS DE FER
[Dans la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer
de Paris à Strasbourg, le 2 juillet 18M, M. Arago avait présenté
rarticle additionnel suivant :
« Le ministre des travaux publics est autorisé à accepter la pro-
position qui lui a été soumise par la compagnie des canaux de Paris,
de faire sur la berge droite du canal de TOurcq, de Paris à Bondy,
et sous rinspection des ingénieurs des ponts et chaussées désignés
à cet effet par le gouvernement, un essai du système atmosphé-
rique combii^é avec le système de voitures articulées de M. Charles
Arnoux.
« L'expérience devra être complétée avant Touverture de la pro-
chaine session.
« Les dépenaes relatives & cette expérience resteront à la charge
LES CHEVINS DE FER. 364
de cette compagDie, si elle devient concessionnaire de la ligne de
TEst.
« bans le cas contraire, le montant de ces dépenses, réglé par
les ingénieurs du gouvernement, sera remboursé à la compagnie
des canaux de Paris, soit par la compagnie adjudicataire de ladite
ligne, soit par TÉtat s'il reste chargé de son exploitation. »
M. Arago a développé son opinion dans le discours suivant : ]
Messieurs , depuis quelques semaines on a beaucoup
parlé à cette tribune, de compagnies, d*agiotage, de la
puissance financière du gouvernement , de la puissance
financière des associations, de la direction générale à
donner à tel ou tel chemin de fer. Ces questions sont
épuisées.
Mon point de vue est entièrement différent. Je désire
porter Inattention de la Chambre sur la partie technique
du problème ; j*examinerai si les conditions de tracé que
l'administration s'impose, sont en harmonie avec l'état
actuel de l'art et de la science; s'il n'y a pas, sous ce
rapport, plus d'un anachronisme à signaler dans les pres-
criptions qui aujourd'hui servent de règle à nos très-
habiles ingénieurs.
Mes remarques pourront paraître tardives. Peut-être ,
néanmoins , leur accordera-t-on quelque attention , si je
parviens à prouver que sans changer en rien les tracés
généraux adoptés, les modifications que je proposerai
dans les détails de construction et dans les systèmes,
produiraient seulement sur les terrassements et les ou-
vrages d'art relatifs aux 4,000 kilomètres de chemins
projetés, une économie de 200 à 300 millions. (Mouve-
ment d'étonnement et d'hilarité. )
Je sais que j'ai à justifier ce chiffre ; je n*y manquerai
362 LES CHEMINS DE FER.
pas. Aussi , je me permettrai de dire en ce moment, rira
bien qui rira le dernier.
La considération d'économie n'est pas la seule que je
veuille invoquer. Les développements auxquels je vais me
livrer, démontreront, j'espère, que le mot impossible ne
sera plus une réponse valable aux demandes des députés
qui, comme l'honorable M. Boudousquié, viendront à
cette tribune solliciter des chemins de fer pour les régions
monUieuses du territoire. Si je n'ai pas gazé ce qu'il y a
d'étrange dans mon thème, c'est que je suis certain d'allé
jusqu'à la démonstration.
Je crois que nous avons suivi une mauvaise marche m
votant les lois sur les chemins de fer, et le reproche
s'adresse bien plus à nous députés qu'au gouvernement ;
je crois que nous n'aurions pas dû commencer tant de
chemins à la fois ; je crois qu'il aurait été sage, pour ne
pas engager l'avenir, de porter toutes nos ressources sur
un seul chemin, de l'achever et de n'en entreprendre un
second que quand le premier serait arrivé à son terme.
De cette manière, vous auriez pu profiter des progrès de
l'art et de la science.
Mais est- il vrai que les progrès de l'art de la locomo-
tion à la vapeur soient aussi rapides qu'on le prétend ? Si
vous consentez à m' écouter pendant cinq à six minutes,
vous verrez ce qu'était l'art il y a quelques années et ce
qu'il est aujourd'hui; vous reconnaîtrez qu'aucune branche
de la mécanique ne s'est jamais développée avec autant
de vigueur et de sûreté.
Les machines à vapeur n'ont été, pendant longtemps,
que des pompes d'épuisement, des pompes destinées à
^
LES CHEMINS DE FBfi. 363
élever de l'eau ; on les appelait alors pompées à feu. On
n'a guère commencé à songer à la transformation de ces
machines en moteurs, que dans l'année 1769« Cette idée,
comme tant d'autres sur la matière , appartient à Watt.
Vous serez étonnés, j'ajoute même sans crainte de me
tromper, que vous serez satisfaits d'apprendre que l'idée
d'employer une machine à vapeur comme moteur d'une
voiture , est née dans notre pays ; qu'elle y a été réalisée
dès l'année 1778. On ignore généralement ce fait, ou on
ne s'en vante pas assez; disons-le tout haut à cette tribune^
la première voiture locomotive a été exécutée en France.
Malheureusement son auteur, M. Cugnot, officier du
génie, la destinait aux chemins ordinaires, et ce fut là
peut-être l'unique cause de l'insuccès. La machine, on
la conserve dans la grande salle du Conservatoire des arts
et métiers, était loin de manquer de puissance; elle en
avait même trop.
Dans un essai fait à l'Arsenal , on ne sut pas la modé-
rer; la machine se précipita contre un mur et le renversa.
De 1778 à 1802 il ne se fit rien d'utile sur la locomo-
tion à la vapeur. En 1802, un ingénieur anglais, dont le
nom occupe une place assez considérable dans l'histoire
des machines à vapeur, Trevithick exécuta une véritable
locomotive, mais en partant d'une idée fausse qui eut une
influence fatale sur les progrès de l'art. Trevithick croyait
qu'une roue unie ne pourrait pas monter sur des rails
unis. Il plaça donc des clous sur les jantjes ; il fit des rai^
nures sur les rails plats dont il se servait^ Les rails se
détérioraient dans un temps fort court, aussi bien que les
jantes. La machine fut abandonnée.
864 LES CHEMINS DE FER.
Toujours préoccupés de Tidée qu'une roue lisse ne
réussirait pas , les constructeurs recoururent aux engre-
nages. En 1811, nous voyons un ingénieur, Blenkinsop,
placer une crémaillère intérieure sur le bord du rail , et
marcher à l'aide d'une roue dentée que la machine met-
tait en mouvement. Le moindre glissement rendait l'en-
grenage vicieux dans les grandes vitesses. Ce fut encore
une idée avortée.
Chapmàn plaça , sans plus de succès, une chaîne dans
le milieu de la voie. Brunton, en 1813, construisit une
voiture qui portait à l'arrière un mécanisme semblable
aux jambes du cheval , et qui agissait comme elles.
Enfin, en 181/i., Blackett imagina qu'il pouvait y avoir
erreur dans l'idée que des corps lisses ne sauraient pren-
dre leur point d'appui l'un sur l'autre; il fit une expé-
rience, et il découvrit qu'il y a un véritable engrenage,
plus intime qu'on ne le croyait, entre les corps que nous
appelons unis ; que ces corps sont couverts d'aspérités et
de cavités qui s'emboîtent les imesdans les autres, qui
produisent ce qu'on a appelé depuis un engrenage naturel,
un engrenage à l'aide , duquel on pourrait faire marcher
une voiture à jantes lisses sur un rail non denté.
Voilà le point capital d'où l'on est parti pour arriver
aux admirables locomotives que tout le monde connaît.
Le père du très-célèbre ingénieur Robert Stephenson
est le premier qui ait exécuté avec succès des machines
locomotives en profitant des expériences de Blackett. Ces
machines traînaient des poids considérables, l'engrenage
naturel suffisait pour cela ; mais on ne pouvait obtenir de
grandes vitesses.
LES CHEMINS DE FER. 365
Lorsqu'en 1825, à l'époque où Ton s'occupait du che-
min de Liverpool à Manchestet*, chemin qui, par paren-
thèse, n'était guère projeté que pour transporter des
marchandises; lorsqu'en 1825 le président de la commis-
sion d'enquête de la chambre des communes, demanda à
George Stephenson s'il espérait qu'on pourrait exécuter
une machine locomotive marchant avec la vitesse de
deux lieues à l'heure, il imaginait avoir posé une ques-
tion extraordinaire ; le mécanicien répondit affirmative-
ment. Le président, enhardi, répéta la question, mais en
parlant cette fois d'une vitesse de quatre lieues à l'heure.
Stephenson répondit encore que oui , mais de manière à
dégoûter d'aller plus loin. Quatre lieues à l'heure sem-
blaient les limites de l'art.
Vous savez que, sur le chemin de Londres à Bristol,
on a parcouru, un jour d'expérience, jusqu'à 25 lieues à
l'heure.
Je n'ai plus que deux ou trois faits à citer pour épuiser
cette première partie de la question.
Quelle était la circonstance qui déterminait George
Stephenson à fixer si bas la vitesse maximum des loco-
motives? C'est qu'en marchant avec beaucoup de rapi-
dité, il devenait nécessaire d'avoir une chaudière énorme
pour suffire à la consommation considérable de vapeur
que la machine faisait.
Se transporter elle-même était alors le maximum d'effet
de la machine ; elle ne pouvait entraîner à sa suite ni
voyageurs ni marchandises : le problème de la locomo-
tion rapide n'était pas résolu.
Tout en restant scrupuleusement fidèles à la vérité dans
366 LES CHEMINS DE FER.
cet aperçu historiqne, ne laissons pas nos voisins s'attri-
buer la chose peQt<-étre la plus capitale que renferment
les locomotives, au détriment d'un Français; rinvention
dont je veux parler appartient à M. S^uiiv.
Le fait est parfaitement reconnu aujourd'hui; un brevet
est d'ailleurs là pour le prouver sans réplique ; c'est
IL Séguin qui le premier a très-îngénieusement trouvé
ie moyen de consiruire des chaudières d'ua poids et d'une
dimension médiocres, à l'aide desquelles cependant on
pût fournir à la consommation énorme de vapeur qu^exi*
gent les locomotives rapides.
Ce moyen, te roici en deux mots.
On avait , avant M. Séguin , imaginé des chaudières
tubulaires, des chaudières composées d'xm très -grand
nombre de cylindres remplis d'eau et autour desquels
circulait la flamme provenant du foyer.
M. Séguin , sans changer matériellement la fonne de
rappareil , lui a donné de nouvelles propriétés; il a placé
l'eau où était jadis la flamme, et la flamme dans les tubes
qu'occupait l'eau. Tel est l'artifice qui a rendu possible et
avantageuse la locomotion rapide.
Ainsi , Mesaeurs, ne vous laissez pas fasciner par tous
les noms anglais qu'on lit sur les locomotives; quand
vous voyez passer une de ces admirables machines, dites-
vous sans scrupule, dites -vous hardiment : Ce qu'elle
renferme de plus capital est l'œuvre d'un coropatricrte.
(Très-bien!)
Souffler le feu était aussi un moyen d'augmenter la
production de vapeur.
Ben moyens se présentaient z on poirvait xm bien
LES CHEMINS DE FER. 367
mettre derrière la machine un véritable souflflet, mais
cela eût absorbé une portion notable de la force motrice ;
ou bien détermiiier un fort tirage dans la cheminée.
C'est un physicien français, M. Pelletan, qui, le pre-
mier, a pensé à produire ce tirage en lançant dans la
cheminée la vapeur qui vient de produire son effet dans
les cylindres.
Robert Stephenson , dont vous voyez figurer le nom
dans presque toutes les compagnies de chemins de fer,
est un mécanicien d'un mérite éminent. Il a beaucoup
contribué au perfectionnement des locomotives par une
foule de combinaisons bien entendues, mais au fond elles
n'offrent aucun organe mécanique nouveau.
L'ère capitale des chemins de fer a commencé en 1830 :
c'est à partir de 1830 qu'on arriva, sur le chemin de fer
de Liverpool à Manchester, à donner aux locomotives une
rapidité inespérée, à l'aide de la chaudière de M. Séguin
et des combinaisons mécaniques de M. Stephenson.
Depuis on a fait plus ; et, j'en demandé pardon à l'ad*
ministration, ce plus on n'en tient pas assez compte.
En 1840, on est arrivé, par un artifice aussi simple
qu'il est ingénieux, à réduire de moitié la consommation
des locomotives. Le combustible qu'on brûle actuellement
est la moitié de celui qu'on brûlait en 1830 pour une
force égale. Ce résultat a été obtenu par l'emploi de la
détente.
La détente fournit encore le moyen de donner à la ma-
chine une force variable, sans qu'il soit nécessaire de
modifier l'élasticité de la vapeur dans la chaudière, sans
courir les risques d'explosion. Remarquez cela. Messieurs,
3Gd LES CHEMINS DE FER.
car je vais en tirer parti pour arriver à l'économie de tracé
dont je parlais en débutant.
Je ne dirai rien des rails ; les modifications de poids
qu'on leur a fait subir ne doivent pas figurer dans cette
discussion.
J'arrive aux pentes. Ici on a marché longtemps à
tfttons. Le conseil des ponts et chaussées adopta , sinon
une règle explicite , du moins une sorte de charte tacite ,
fondée sur des considérations qui , vraies, mathématique-
ment parlant 9 péchaient par un point capital : c'est qu'on
n'avait pas tenu compte de toutes les conditions physiques
du problème.
Ainsi 9 naguère on aurait regardé comme un mauvais
tracé celui où il se serait trouvai des pentes de plus de
â ou 4 millimètres par mètre.
Ces limites avaient été introduites par la considération
de ce qu'on appelle en mécanique l'angle de frottement.
C'est sans doute une chose intéressante que l'angle de
frottement, mais, dans la question, mieux valait une
expérience. Or l'expérience a montré qu'on pouvait tolé-
rer, non- seulement des pentes de 5, de 6, mais même
des pentes de 10 à 12 millimètres par mètre.
Vous trouverez dans un rapport récent de l'ingénieur
Brunel fils, ces paroles catégoriques :
t Le temps est passé où les ingénieurs croyaient que
des pentes de 10 millimètres étaient dangereuses. »
Je viens de prononcer le mot dangereux; deux mots
expliqueront pourquoi des pentes de 10 millimètres sem-
blaient dangereuses.
La théorie nous apprend que si un corps qui descend
LES CHEMINS DE FER. 369^
dans le vide , par l'action de la pesanteur, parcourt un
espace 1 dans la première seconde de sa chute , il par-
courra un espace 3 dans la deuxième seconde, un espace
5 dans la troisième, et ainsi de suite.
Dès qu'une pente a une grande étendue, on arrive,
d'après cette série, à des vitesses finales très- considéra-
bles. Il fallait donc proscrire les pentes. Mais on avait
oublié un point essentiel, on avait oublié l'action d'un
frein toujours présent , toujours agissant, d'un frein qui
ne saurait casser : ce frein , c'est l'atmosphère ; on n'avait
pas tenu compte de la résistance de l'air, qui, croissant
avec rapidité, finit par faire équilibre à l'action accéléra-
trice de la pesanteur ; on n'avait pas songé qu'un train
de voitures glissant sur une pente de 10 à 12 millimètres
devait arriver à une vitesse uniforme, et que, tout compte
fait, cette vitesse serait inférieure aux vitesses qu'on
tolère sur les lignes horizontales. Or, qui ne voit que
pour les voyageurs le danger dépend de la vitesse abso-
lue , soit qu'elle provienne de la déclivité du chemin ou
de l'action de la machine?
L'administration des ponts et chaussées s'est un peu
relâchée, quant aux pentes, de cette rigueur extrême, mais
elle n'a pas marché aussi vite que la science et l'art. Au
premier coup d'œil il peut sembler peu important d'adop-
ter des pentes de 5 , de 6 ou de 7 millimètres. Mais ces
différences linéaires, en apparence si petites, correspon-
dent dans le budget à des différences représentées par des
millions. En Angleterre, on accorde sans aucune difficulté
des pentes de 10 millimètres. Ici l'administration ne va
jusque-là que dans des cas spéciaux et très-rares. Les
v.— n. 2à
370 LES CHEMINS DE FER.
ingénieurs, lorsqu'ils présentent leurs projets à Tadminis-
tratîon, sont parfaitement accueillis s'ils n'ont admis que
des pentes très-*faibles et des rayons de couf'bure très-
grands : celui qui aurait résolu le problème en recourant
aux pentes adoptées sans difficulté en Angleterre, crain-
drait des reproches. Cet état de choses est fâcheux ; nos
finances en souflrent considérablement.
Après les pentes viennent les courbes. Permettez -moi
d'en dire quelques mots.
Les courbes sont une cause active de détérioration des
cJiemins, et une cause incessante de dangers. Sur une
courbe, la force qu'on appelle centrifuge tend à faire
sortir les wagons de la voie ; ceux-ci ne sont retenus que
par un bourrelet intérieur : Uexistence du frottement du
bourrelet sur le rail ri'est que trop bien attestée par la
quantité de limaille de fer qu'il engendre.
On a découvert un moyen certain d'éviter ces incon-
vénients, à l'aide d'une nouvelle liaison établie entre les
voitures et les rails. Ce moyen est déjà ancien, et l'admi-
nistration ne l'a jamais eu en vue dans aucun de ses tracés.
Cependant il avait été examiné très-sérieusement par une
connnission de l'Académie des sciences. Quand il s'agît
de la vie des hommes surtout , les commissions y regar-
dent à deux fois ; son rapport, nonobstant cela, fut entiè-
rement favorable. J'en dirai autant du rapport d'une
commission d'inspecteurs des ponts et chaussées, qui
avait pour organe M. Lefebvre, un des ingénieurs les
plus distingués dont notre pays puisse s'honorer.
L'expérience aussi avait prononcé. Elle avait été faite
sur une grande échelle à Saint -Mandé. Dans*les essais
LES CHEMINS DE FER. 371
succesaifs, Te^pace total parcouru n'était pas resté au-
dessous de 300 à 400 lieues. Pour les courbes, on était
descendu aux plus extrêmes limites. Je me rappelle avojr
circulé à Saint-Mandé, avec un convoi, sur une courbe
de 18 mètres de rayon. Eh bien, je ne sais pas si l'admi-
niôtration adopterait une courbe de moins de 800 mètres.
A quels résultats financiers ces différences dans tes
courbes et dans les inclinaisons peuvent-elles conduire?
Vous allez le voir.
Il a été question , dans la discussion du chemin de Pans
à Strasbourg, de la partie qui va de Paris à Château-
Thierry. Devinez à quelles conditions cet espace est fran-
chi? La Marne est traversée sept fois. Il faudra donc sept
ponts, et chaque pont coûtera en moyenne quatre à cinq
cent mille francs.
M. D020IV. 100,000 fr.i
M. ÂRAGO. "Si vous dites vrai, les ponts seront con-
struits irès-économiquement. La vallée sera partiellement
barrée sept fois:; il en résultera dans les crues un chan-
gement dans le régime des eaux qui probablement don-
nera lieu à des réclamations fondées.
Sortez maintenant de ces conditions rigoureuses ; per-
n^ettez-vous des pentes semblables à celles qui sont ad-
mises en Angleterre ; de Tordre des pentes que les ingé-
nieurs les plus prudents, que M. Cubitt ne craint pas
d'adopter dans ses tracés ; des courbes analogues aux
courbes que le système articulé de M. Amoux comporte,
combien de fois traverserez-vous la Marne avec un dév^
loppement d'à peu près la même longueur? Une fois, pas
davantage.
372 LES CHEMINS DE FER.
Vous le voyez , Messieurs , il est temps , grandement
temps, de s'occuper de tout ce qu'il y a de possible, de
raisonnable , d'acceptable dans le tracé des chemins de
fer.
Les pentes limites que l'administration des ponts et
chaussées admet aujourd'hui , les courbes en deçà des-
quelles elle ne consentirait pas qu'aucun tracé fût établi ,
étaient peut-être naturelles il y a quelques années; elles
ne sont plus défendables à présent. L'expérience a pro-
Qoncé; on peut opérer hardiment sur une plus large
échelle. Notre budget en sera considérablement allégé.
J'ai consulté plusieurs ingénieurs pour savoir quelle
économie résulterait de l'adoption de nouvelles courbes
et de nouvelles pentes largement acceptables. Leur déci-
sion a été unanime. On a porté, en moyenne, l'économie
sur les terrassements et les ouvrages d'art à 50,000 fr.
par kilomètre. Vous avez décrété l'exécution de 4,000
kilomètres de chemins de fer; à 50,000 fr. d'économie
par kilomètre, cela fait 200 millions, et je n'ai pas atteint,
tant s'en faut, tous les avantages qui résulteraient des
courbes de M. Arnoux.
Je sais bien qu'on me dira : Si vous avez des pentes
considérables, il faudra que les machines partent des
gares avec toute la force qu'elles devront avoir dans les
points difficiles. Dans les parties de niveau, il y aura
donc une grande perte de force ; vous vous servirez ,
passez- moi l'expression, d'un cheval de renfort pour toute
la route, tandis que vous n'en auriez vraiment besoin que
là où il existerait un surcroît de pente.
L'objection est spécieuse; mais en pareille matière il
LES CHEMINS DE FER. 373
faut toujours recourir à rexpérience. Or rexpérîence a
montré que la machine ne part jamais avec une pleine
charge; elle a tQujours un excédant de force. Cette force
excédante, vous pourriez l'employer à franchir des pentes
fort supérieures à celles que vous admettez.
Cela s'est réalisé dans tous nos chemins. Y a-t-il dans
les lignes qui nous entourent quelque chose de plus dis-
semblable que le chemin de Saint- Germain et le chemin
de Versailles? L'un est presque de niveau ; dans l'autre il
y a des pentes sensibles. Les frais dé locomotion y sont
cependant à peu près les mêmes.
Voilà une première réponse. Il en est une autre qui me
sera fournie par ce que j'ai dit des progrès qu'on a faits
depuis 18&0 sur le meilleur emploi de la vapeur motrice.
Quelquefois, pour franchir une grande pente, on aug-
mente la force des machines en chargeant les soupapes ,
en donnant plus de force élastique à la vapeur; mais
le moyen est dangereux; il peut y avoir une explosion.
Ce danger n'existe pas si on fait varier la force de la
machine par voie de détente.
Les travaux d'art et les terrassements forment sur tous
les chemins une part considérable de la dépense totale.
Sur un développement de 92 kilomètres, dans la première
section du chemin de fer de Strasbourg^ la dépense de
terrassements, de souterrains et des travaux d'art est de
16 millions. Dans la deuxième section , sur une longueur
h peu près égale , la môme dépense est de 4 millions.
Mettez de côté les conditions léonines qui vous dirigent,
et vous arriverez à des différences insignifiantes entre la
première et la deuxième section.
374 Les GHBMINS DB FEB..
Je citerai un autre exemple : Le ch^nin de Malaunay
à Dieppe.
Axec le& courbes et les pentes afiicielles, la dépense est
de ik millions.
La circulation, sur cette voie, ne permettrait peut-
être pas une si forte dépense.
En augmentant un peu le& pentes et. en. poctant 1(»
rayons des courbes à. AOO mètrea,. la dépasse se rédtdt à
12 millions.
Des courbes de 150; mètrsa, sua augmentation de
pentes, abaisseraient la di^ense à 10' ou même à 9 mil-
lions.
Si vous voua obstiniezidonc à faira^ entrer Malaunay et
Dieppe un chemin monumental dhna. des conditions nul*
lement nécessaires^ n^ajoutantpreesque: rien à la célérité
et à la sûreté , voua augmenteriezi leù dépensede moitié en
sus de la' dépense nécessaiœ..
De telles considërationd , si je ne me trompe, doivent
fixer Tattention de l?administration et de: la Chambre.
Je remercie M. le ministre des trâvaux.publics d'avoir
présenté aujourd'hui un (HKijet de loi pour un chemin de
fer qui devra être dessa*vi^ par un matériel exécuté sui^
vant le système Arnoux. Ce système a été essayé très en
grand, mais T expérience nouvelle ne nuira pas. Le nou<»
veau chemin servira aux personnes qui fréquentent le
marché de Sceaux, ou qui vont se délasser dans les envi-
rons de ce bourg. Ce chemin résoudra, je l'espère, défini-
tivement la question des courbes^
Remarquez que cette grande* question des courbes
implique celle des pentes. Depuis Bourg-la-Reine jusqu'à
\
LBS CHBMINS DB FBR.. 375
Sceaux, le nouveau système sera appliqué sur une pente
moyenne de 15 millimètres^ M. Arnoux ne.veut pas par-
courir cette pente directement; je crois qu'il a tort; uiais
je conçois ses motifs. M. Arnoux rachètera la différence,
de niveau moyenne de 15 millimètres, .en faisant, comnoe
dans les routes ordinaires, autant de zigzags, ^^utant de.
lacets qu'il en faudra. On verra ainsi qu'il est possible,
de porter des voies de fer sur les régions les plus élevées^
du territoire.
J'arrive à une. dernière invention, faite depuis peu
d'années. £lle pjaraitdevoir offrir de. telles facilités dans
le tracé , de telles possibilités dans la circulation sur les
pentes, qu'il n'y aura pas.de pays au monde qui doive
renoncer à la satisfaction d'avoir des voies de fer.
Le système qui possède ces précieuses propriétés est
celui qu'on appelle le système atmosphérique.-
Vous savez tous. Messieurs, que l'atmosphère pèse
d'un poids énorme; que nous en serions écrasés, si, en
même temps qu'elle agit sur notre corps de bas en haut,,
elle ne nous soulevait pas avec une force égale, si son
action ne s'exerçait pas dans tous les sens.
Mettez un piston dans ua tube horizontal, il en sera
autant poussé de gauche à droite que de droite à gauche.^
Supposez que ce piston ferme hermétiquement le tube;
enlevez l'air renfermé dans le compartiment de gnucbe,
aussitôt le piston sera pressé vers cette région, c'est-à-
dire de droite à gauche^avec une force considérable, avea
une force dont on se fera une idée exacte en se figprant
un. moment que le tube est vertical,, et qu'il est chargé
d'une colonne de mercure de 76 centhnètres de haut.
376 LES CHEMINS DE FBB.
Le piston du tube horizontal, poussé par cette énorme
force, marchera inévitablement.
Pour tirer parti de cette force dans l'intéi'ét de la loco-
motive , il reste à la communiquer extérieurement à des
voitures ; là était la difficulté. On a imaginé des commu-
nications magnétiques; mais c'étaient des rêves. On
pourrait produire ainsi des effets insignifiants propres à
figurer dans des cours de physique, rien de plus.
Pour que le piston puisse entraîner une voiture, il est
nécessaire qu'une tiçe rigide aille d'une de ses parties au
dehors. Il faut donc qu'il existe une fente longitudinale
sur le tube.
11 faut que cette fente se ferme à nfiesure que la tiçe a
passé , afin que , par un vide à droite , le piston puisse
revenir, c'est-à-dire se mouvoir en sens inverse de sa
première marche et conduire un autre train.
Il semblait diflicile de faire dans le tuyau une fente le
long de laquelle pût passer une tige métallique assez
grosse pour entraîner un train de voitures, et qui , immé-
diatement après , se fermât de manière à ne pas donner
passage à l'air extérieur.
• Ce problème a été résolu : nous devons dire qu'à l'ori-
gine l'inventeur, M. Clegg, apporta son système en France;
chacun ici doit lui savoir gré de cet acte de déférence.
On prétend que l'appareil de M. Clegg est trop méca-
nique, comme si les locomotives n'étaient pas une com-
binaison mécanique très- compliquée.
On a cru que le système était impraticable ; plusieurs
expériences ont prononcé; la première, celle des envi-
rons de Londres , a eu pour témoin et pour appréciateur
LES CHEMINS DE FER. 377
un jeune homme qui s'est dévoué avec un grand zèle à
l'étude de toutes ces questions ardues et qui avait les
connaissances nécessaires, car il était sorti de l'École
polytechnique. M. Teisserenc en a rendu un compte
favorable,
La seconde expérience a été faite en Irlande, sur une
plus grande échelle, de Kingstown à Dalkey.
M. le rapporteur s'est trompé en disant de ^'expé-
rience irlandaise qu'elle avait embrassé l'espace compris
entre Dublin et Kingstown. Si tel était le cas , de nou-
velles expériences seraient superflues. Le tube;}ro/;«/sewr,
pour me servir de l'expression consacrée, ne va que de
Kingstown à Dalkey; il n'a que trois quarts de lieue,
qu'environ trois kilomètres de long , mais il parcourt la
contrée la plus défavorable du monde, sous le rapport dos
courbes et des pentes.
M. le rapporteur a cité deux ingénieurs, l'un favo-
rable et l'autre défavorable au système atmosphérique.
Ce dernier est M. Stephenson, fabricant de locomo-
tives. En rapportant celte circonstance, je n'entends
pas faire une épigramme; il est naturel qu'aux yeux de
celui dont la vie tout entière s'est passée au milieu de
locomotives, les diflicultés des autres systèmes grandis-
sent outre mesure. Mais à l'opinion de M. Stephenson on
peut opposer celle de M. Brunel , qui propose, lui, d'exé-
cuter un chemin atmosphérique pour joindre Chatam à
d'autres villes. M. Brunel a dû songer que, s'il se trom-
pait, que, s'il engageait des capitalistes dans une mau-
vaise entreprise, sa carrière d'ingénieur serait gravement
compromise. Dans de telles circonstances, le témoignage
»78 L£S CHfiMINS DB FBfi.
de M. Brunel devait l'emporter sur celui de Ui Stephen^
Sun. Il est d'ailleurs un autre ingénieur dont on n'a pas
parlé, Tun des plus habiles^ des plus expériinentéa<et des
plus prudents de T Angleterre^ M. GubitL ML Gubitt a de-
mandé et obtenu du parlement, après enquête, la permis-
sion de faire un chemin atmosphérique qui ira à.Epsom.
M. Yignolles ne va-t-il pas lui-même exécuter des.- ohe?-
mins atmosphériques en Irlande? N'y avait -il pas aussi
des ingénieurs français à citer : et M. TeisBenenc,. et
M« Mallet,. et M4 Ynigoer dont, tout le monda, oonnalt
rhabileté? Un seul ingénieur^ M. Stephenson^. ne. saurait
contre -balancer tant d'opinions favorables au système
atmosphérique, lorsqu'on songe surtout que. les.- expé-
riences qu'il a discutées n'ont, pa» été. faites^ par lui--
même.
Frappés de l'énorme vitesse qu'on a obtenue en Angle-
terre sur le chemin de Londres à Bristol:, d'une vitbsse
de 2li lieues à l'heure , d'honorables membres me de-
mandaient si le système atmosphérique pourrait aller
jusque-là.
Je vais les satisfaire,, en indiquant la vit^^se que la
locomotion pneumatique, ne pourrait dépasser.
Nous avons vu que le principe moteur dans ce système
est l'air se précipitant dans le vide.
Eh bien, l'air se précipite dans le vide avec une vitesse
de kOO mètres à la seconde; c'est une lieue en dix se-
condes, 6 lieues à la minute, et 360 lieues à l'heure. (On
rit. ) Je ne suppose pas que personne ait envie de voyager
avec cette rapidité. (Nouveaux rires.)
Il est bien entendu que j'ai, indiqué, une limite, de
LES^ CHEMINS DB FER. 379
vitesse qu'on n'obtiendrait pas, car on ne marcherait
jamais contre le vide absolu, qu'il ne faudrait,, en tout
cas, jamais atteindre ; mais il sera aisé de dépasser les
vitesses les plus considérables des locomotives ordinaires^
Cela n'est point douteux,
M. Stephenson a dit que l'air se perdait par la soupape
longitudinale de MM. Clegg et Samuda. 11 s'en perd un
peu, j'en conviens; mais s'il ne s'en perdait pas, il n'y
aurait pas de discussion possible contre la supériorité
du système .atmosphérique , comparé au système actuel.
D'ailleiurs, il y a une méthode nouvelle de fermeture que
nousdevons à M. Hallette, un de nos plus habiles construc-
teurs. L'expérience en a été faite tout récemment à Arras.
Le tube armé des deux parties que M. Hallette appelle
les lèvres, n'a pas laissé rentrer l'air, L'Académie d' Arras
tout entière a été témoin de ce succès important. Ce sera
là, peut-être, la solution des diûicultés devant lesquelles
on s'est arrêté.
On a beaucoup argumenté, dans le rapport et ailleurs,,
d'une opinion dont on ne s'est pas rendu un compte exact.
On a dit avec M. Stephenson que les chemins atmosphé-
riques ne pourront jamais servir que dans les cas d'une
circulation très -active. Cela est vrai, à un certain point
de vue.
Supposez que le chemin de Rouen soit fait d'après ce
système, et qu'un seul convoi doive le parcourir chaque
jour. Le moyen actuel exigera la mise en action d'une
seule machine à vapeur.
Dans le système atmosphérique, au contraire, il fau-
drait mettre en action toutes les machines fixes destinées
380 LES CHEMINS DE FER.
à faire le vide dans le tube ; or, comme lem- éloîgnement
serait de 2 lieues au pUis, ce serait quinze à seize machines
contre une , sous lesquelles il faudrait allumer du feu. En
ce cas, et dans le cadre que nous nous sommes tracé , le
système atmosphérique nç serait pas bon.
Supposez maintenant deux convois. Le système actuel ,
sans tenir compte des locomotives de secours, exigera
deux machines. A seize convois , il y aura plus de loco-
motives que de machinçs fixes, à quoi il faut ajouter que
les machines fixes ont de très- grands avantages sur les
machines mobiles, car celles-ci se dérangent à ce point,
qu'après chaque parcours de 25 lieues, on doit les envoyer
à Tatelier de réparations ; car il faut les chauffer avec du
charbon de choix ou avçc du coke.
' A*-t-on songé d'ailleurs aux énormes avantages qu'une
grande distribution de machines fixes à vapeur, sur tous
les points du territoire , amènerait inévitablement?
Telle machine n'a pas besoin de travailler toute la
journée pour faire le vide dans le tube propulseur ; vous
vous en servirez comme d'un moteur pour moudre le blé,
pour alimenter d'eau les villages voisins qui en sont privés,
pour les irrigations, etc., etc. Je ne doute pas que les
machines affectées au double service ne doivent produire
dans notre pays des résultats importants. ( Bruit. )
Ce que j^annonce arrivera tôt ou tard, et peut-être
dans un temps fort court.
Je viens de parler de la très- ingénieuse invention de
M. Hallette. Je ne dois pas oublier qu'un nouveau chemin
atmosphérique vient de voir le jour. Celui -ci est dû à un
mécanicien du plus rare mérite , à M. Pecqueur,
LES CHEMINS DE FER. 384
Je puis rendre témoignage de tout ce que cette in-
vention renferme de subtil , d'inattendu. Ses propriétés
économiques me sont moins connues. M. Pecqueur et sei^
associés, en la comparant à la locomotion actuelle , por-
tent l'économie à 32 p. 0/0.
Toutes ces inventions méritent assurément d'être véri-
fiées, d'être étudiées avec le plus grand soin. Elles peu-
vent exercer une influence énorme sur le tracé de nos
chemins de fer, elles peuvent réduire la dépense d'un
nombre considérable de millions.
J'entends qu'on me demande dans quelles limites de
pentes les chemins atmosphériques devraient rester ren-
fennés.
Ma réponse sera courte : il n'y a pas de limites. Si vous
le voulez , vous monterez tout droit aux tours de Notre-
Dame. Vous pourrez au moins monter sur la croupe de
toutes les montagnes où l'on a tracé des routes ordinaires.
M. Legrand, sous-secrétaire d*État des travaux publics. Et
pour descendre?
M. Arâgo. Rien de plus facile , puisqu'on anéantit le
vide en avant quand on veut, en ouvrant une shnple
soupape.
(M. le sousHsecrétaire d'État fait un geste d'incrédulité.)
Je vois, M. le sous- secrétaire d'État, que vous êtes
encore sous l'impression de la série de l'École polytech-
nique, 1, 3, 5, 7, etc. Il y a la résistance de l'air qui est
une cause d'amortissement notable. Au reste, si vous
m'attaquez sur les tours de Notre-Dame, j'en descendrai
en me servant d'un frein et de quelques autres artifices
qu'il serait superflu de décrire ici en détail. (On rit. )
383 liES CHEMINS DE FER.
J'abandonne les tours de Notre-Dame, mais non les
pays montueux dont patlait M. Boudousquié.
Pour rejeter ma proposition on a dit -qu'on ferait des
expériences en Angleterre.
Il me semble, Messieurs, que la France doit toujours
prendre sa part dans les perfectionnements de tous genres
qui s'opèrent dans le monde. Suivant moi , quand elle
n'est pas sur le premier rang, c'est qu'elle a perdu sa
place. (Très- bien!)
Je ne m'arrête donc pas à cette remarque ; d'ailleurs,
l'expérience anglaise serait tardive. L'année prochaine,
quand nous reviendrons dans cette enceinte, nous n'au-
rions pas des éléments suffisants pour nous prononcer sur
les tracés qu'on nous présentera.
J'ai pensé que la compagnie des canaux de Paris pour-
rait faire les expériences désirables sur la berge du canal
de TOurcq.
Le motif qui m'a décidé à présenter l'offre de cette
compagnie, avec laquelle, je dois le dire, je n'ai de rela-
tions d'aucun genre, c'est que la compagnie s'engage à
faire les expériences dans le très-court intervalle de six
mois. Si le délai n'avait pas été si court, je ne l'aurais pas
appuyé. Mon plus vif désir serait qu'à l'ouverture de la
session prochaine, nous sussions exactement à quoi nous
en tenir sur tes systèmes Samuda, Hallptte et Pecqueur.
La, berge du canal de TOurcq est-elle favorable? On le
conteste. Moi j'affirme qu'elle est extrêmement favorable^
et il me serait facile de le prouver.
Le gouvernement doit-il faire l'expérience hii- même?
Pour moi je craindrais qu'elle ne durât longtemps.
LES CHEMINS DE FBB, 383
Au surplus, la compagnie dont je parlais tout à l'heure
est prête à offrir sa berge si Paduiinistration le désire. On
remarquera que toutes les conditions de sûreté étaient
offertes, puisque Texpérience aurait marché sous l'inspec-
tion des ingénieurs du gouvernement.
Quand pour la première fois on m'a parlé de la pro-
position de la compagnie, elle m'a étonné. J'ai demandé
où pouvait être son intérêt ; on m'a répondu naïvement :
Nous sommes seuls autorisés ànous servir de ce chemin
atmosphérique breveté de M. Samuda sur le chemin de
fer de Paris à Strasbourg. Si l'expérience réussit , lors de
la mise en adjudication , nous pourrons .nous présenter
au concours en offrant des conditions plus favorables. De
tout côté surgit le grand intérêt qu'il y aurait à autoriser
les expériences.
M. Qrandin. Et la sécurité Î
M. Arago. J'entends parler de sécurité.
M. Qrandin. C'est pour que vous en parliez,
M. Arago. Les chemins atmosphériques, combinés
avec les voitures de M. Arnoux , rendront tout déraille-
ment impossible.
Ceux qui se rappellent encore la terrible catastrophe
du 8 mai 1842 doivent comprendre quel avantage il y a
à ne point traîner du feu après soi. Dans le système
atmosphérique, deux convois ne sauraient marcher en
sens contraires sur la même voie. Les rencontres de trains
sont donc impossibles.
Dans le système actuel , si vous voulez un grand effet,
vous êtes obligé de donner aux voitures un poids énorme.
Or, on peut arrêter aisément une voiture légère, mais on
3SI LES CHEMINS DE FER.
n'arrête pas de même une voiture lourde. Au reste, quant
à la sécurité, M. Stephenson lui-même s'est prononcé
d'une manière favorable.
Les conditions présentées par la compagnie sont nette-
ment indiquées dans l'amendement ; je vais d'ailleurs les
rappeler :
La compagnie s'engage à faire l'expérience dans Tes-
pace de six mois.
11 n'en résultera aucune obligation ni sur l'entrée ni
sur la sortie du chemin définitif.
L'expérience ne donnera aucun droit à la compagnie;
ce sera stipulé dans l'amendement si on le juge nécessaire.
Si la compagnie restait adjudicataire, elle prendrait
l'expérience à son conupte.
Dans le cas où elle ne pourrait profiter des résultats,
les frais seraient à la charge de la compagnie rivale ; les
ingénieurs de l'administration les régleraient.
Si le gouvernement faisait la voie et l'exploitait, ce
serait lui qui supporterait ces frais d'après l'estimation
des ingénieurs.
11 m'a semblé que ces conditions étaient acceptables,
raisonnables. J'ai cru faire une chose utile en les propo-
sant à la Chambre. (Nombreuses marques d'approbation. )
M. LE Président. Avant de donner la parole à M. le ministre des
travaux publics, qui Ta demandée pour répondre à M. Arago, Je
donne lecture de Tamendement :
« Le ministre des travaux publics est autorisé à accepter la pro-
position qui lui a été soumise par la compagnie des canaux de Paris,
do faire sur la berge droite du canal de rourcq, de Paris à Bond5%
et sous rinspection des ingénieurs des ponts et chaussées désignés
& cet effet par le Gouvernement, un essai du système atmosphé-
LES CHEMINS DE FER. 385
rique combiné avec le système de voitures articulées de M. Charles
Arnoux.
« L'expérience devra être complétée avant l'ouverture de la pro-
chaine sessîoa.
« Les dépenses relatives à cette expérience resteront à la charge
de cette compagnie, si elle devient concessionnaire de la ligne de
l'Est-
« Dans le cas contraire, le montant de ces dépenses, réglé par
les ingénieurs du Gouvernement , sera remboursé à la compagnie
des canaux de Paris, soit par la compagnie adjudicataire de ladite
ligne, soit par l'État s'il reste chargé de son exploitation. »
M. LE Ministre des travaux publics. Messieurs, avant de m'ex-
pliquer sur l'amendement de M. Arago, je demande à la Chambre la
permission de lui présenter quelques observations en réponse à
quelques critiques adressées par l'honorable préopinant à l'admi-
nistration des ponts et chaussées, (C'est juste! —Parlez I)
M. Akago. m. le ministre veut-il me permettre de lui
dire un mot...?
M. LE Ministre. L'honorable M. Arago s'est mépris sur le sens
de mes paroles...
M. Arago Pour que mes critiques ne blessent pas
les ingénieurs dont je viens de parler. Ils ont été presque
tous mes élèves, je les honore, je les estime, je les regarde
comme les premiers ingénieurs du monde. (Mouvement. )
M. LE Ministre. Je suis loin , Messieurs , d'avoir la pensée de me
plaindre des observations que l'honorable préopinant a présentées ;
je sais qu'elles ont été présentées avec bienveillance et modération.
Mais comme il a cru que l'administration des ponts et chaussées
suivait des errements depuis longtemps abandonnés, il m'a semblé
qu'il était juste pour l'administration et ses ingénieurs, que l'hono-
rable préopinant s'honore avec raison d'avoir élevés , de présenter
quelques observations en réponse à celles que vous avez entendues.
Je demande à la chambre la permission de rétablir les choses sur
leur véritable terrain, et de dire quelle est, en matière de travaux
publics et de chemins de fer, la jurisprudence actuelle dos ponts et
chaussées.
L'honorable préopinant, dans les développements pleins d'intérêt
V.— II. 25
386 LES CHEMINS DE FER.
que la chambre a entendus avec une religieuse attention , avait
raison de dire qu'il y a deux points essentiels sur lesquels de grandes
économies peuvent être obtenues dans les tracés, c'est dans Taggra-
vation des pentes, autant que peut le permettre la sûreté des voya-
geurs, et dans la réduction des rayons de courbure.
L'honorable M. Arago attribue au conseil général des ponts et
chaussées sur ces deux points des exigences qui sont depuis long*
temps abandonnées. Le conseil des ponts et chaussées a dû , à Tori-
gine de la construction des chemins de fer, se préoccuper des
•onditions de sécurité publique , et je crois que Thonorable préq[)i-
nant ne contestera pas qu'il y a dans la raideur des incUnaisoiis, et
surtout dans la brièveté des rayons de courbure, des chances de
danger considérables que l'on devait , avant des expériences rassu-
rantes, tenir en très -grande considération. Il est très- vrai que,
dans le principe , on calcula mathématiquement pour ainsi dire le
maximum des penteis. Mais les exigences des trac^ nous ont forcés
d'année en année, et si Ton peut parler ainsi , de chemin de fer
en chemin de fer, de dépasser ce maximum ; on s'était arrêté à
3 millimètres 1/2 en commençant, et à mesure qu'on a vu par
expérience que des pentes plus raides n'offraient pas de dangers
sérieux, on a élevé ce maximum ; les pentes de 5 et 6 nulllmètres
par mètre sont des pentes courantes dans le tracé même sur lequel
vous délibérez en ce moment ; on va jusqu'à 8 millimètres, et il y
a au sortir du souterrain de Hommarting des pentes de 10 milli-
mètres.
Dans le tracé de Lyon , l'administration a déclaré qu'elle n'était
pas effrayée de 9 millimètres, et même de 10 millimètres par mètre*
U y a bien longtemps que le conseil général des ponts et chaus-
sées suivait les avertissements que lui adressait tout à l'heure l'ho-
norable préopinant. La chambre me permettra de lui rappeler que
ce conseil des ponts et chaussées, conseil d'art et en môme temps
d'expérience, composé d'hommes pratiques, qui sont à la fois à la
tête des études mathématiques dans le pays , ce conseil a fait tout
ce qu'il était possible de faire pour allier le perfectionnement de
l'art avec les intérêts de la sécurité publique ; en ce qui concerne
la question des pentes, notamment, il n'a négligé aucune des amé-
liorations qui pouvaient amener un allégement des charges de l'État.
J'en dirai autant pour ce qui concerne les rayons de courbure.
L'honorable préopinant a expliqué cette question devant la chambre.
Je n'ai pas l'intention de reprendre un sujet sur lequel il est si
compétent et si écouté.
Mais je dois ajouter que radmlnlstration des ponts et chaussées
LES CHEMINS DE FER. 387
se préoccupe, avant la question d^économie, de la question de la
sécurité publique. Elle a cru quMl ne fallait s'engager dans aucune
invention nouvelle qu'après s'être assuré par Texpérience que le
danger est moindre qu'on ne l'avait cru.
C'est par ce motif qu'après avoir exigé d'abord dfes courbes à
grand rayon, elle a successivement réduit le rayon de ces courbes,
et dans ce moment le minimum des courbes n'est pas, comme le
disait M. Arago, de 800 à 1,000 mètres, mais de 500 à 600. 11 n'y a
pas de tracé , et la commission peut s'en assurer, où. le rayon des
courbes excède 600.
Quant au p'^rfectionnement des appareils, il n'y a pas de reproches
à adresser à l'administration. Les appareils locomoteurs n'appar-
tiennent pas à l'administration. L'administration n'exploite pas; elle
n'est chargée que de l'exploitation de quelques tronçons de peu
d'importance ; le reste revient à Tindustrie privée.
L*admini8tration a suivi avec beaucoup d'intérêt, elle a fait exa-
miner avec beaucoup de soin tous les perfectionnements qui lui ont
été communiqués , et peut-être l'approbation qu'elle leur a donnée
a-t-elle contribué à la propagation des inventions nouvelles dont a
parlé l'honorable M. Arago.
Voilà ce que j'avais à dire sur les observations de l'honorable
orateur en ce qui concerne le conseil des ponts et chaussées. Je
tenais à établir devant la Chambre que le conseil des ponts et
chaussées , dans lequel le ministre des travaux publics puise de si
grandes lumières, quelque attaché qu'il soit à des conceptions sans
reproche, quelque disposé qu'il soit à considérer l'intérêt de l'avenir
avant l'intérêt économique du présent, sait cependant concilier ce
qu'exige l'économie avec la science, et qu'il a suivi tous les perfec-
tionnements des appareils des chemins de fer avec prudence, mais
avec résolution. ( Très-bien I)
L'honorable préopinant exposait tout à Theure deux inventions
nouvelles, dont Tune a été surtout Tobjet de l'attention publique,
et l'autre n'a pas été moins remarquée , bien qu'elle n'ait pas été
produite avec autant d'éclat ; je veux parler du système des voitures
articulées de M. Arnoux.
L'administration des ponts et chaussées s'occupe depuis long-
temps de l'expérimentation des voitures articulées. Le danger des
appareils actuels de locomotion Ty engageait. Un convoi lancé à
toute vitesse, s'il rencontre une courbe trop courte, est sujet à un
df'^raillement et à tous les dangers qui en sont la suite,
M. Arnoux a inventé un système dont je n'oserais pas à cette tri-
bune donner l'explication complète. Avec des essieux mobiles et
388 LES CHEMINS DE FER.
des roues également mobiles autour des fusées des essieux, il a
composé une machine susceptible de se prêter aux inflexions courbes
quel que soit leur rayon : des galets placés en avant de la voiture,
par leur contact avec les courbes, font prendre aux essieux la posi-
tion nécessaire pour quMls soient toujours perpendiculaires à la
courbe. Voilà en quoi consiste cette invention... Elle a pour elle la
science et une expérience qui n*a pas encore été faite en grand,
mais qui est aussi complète que possible. Plusieurs membres de
cette Chambre ont pu être témoins d'une expérience qui a été faite
à Saint-Mandé sur un chemin de fer construit par M. Amoux. Ce
chemin présente des courbes d'un rayon très-raccourci, et permet
d'expérimenter le système des voitures articulées. Ainsi que le disait
rhonorable M. Arago, sur ce chemin d'un petit parcours il a été
parcouru des distances immenses, car on a expérimenté longtemps.
Il s'agit de savoir si ces moyen3 nouveaux supporteront l'applica-
tion en grand, sMls pourront de Texpérience passer à l'exploitation.
Le gouvernement s'est empressé de seconder l'ingénieux inven-
teur et de chercher un chemin sur lequel puisse se faire l'applica^
tion de son système. Celui de Sceaux a paru favorable. En sortant
de Paris, ce système aurait l'avantage d'éviter les propriétés bâties,
les parcs, les maisons de luxe, tout ce qui pourrait faire obstacle
ou rendre l'expérience coûteuse. On peut, en effet, dans ce sys-
tème, quand on rencontre un obstacle, l'éviter par une courbe &
petit rayon.
Arrivé à Bourg-la-Reine , il aurait à franchir la montagne de
Sceaux, qu*il franchirait, non par une pente directe, ce qui pour-
rait présenter des inconvénients, mais en faisant des courbes à petit
rayon, puis il arriverait à Sceaux. L'expérience de M. Arnoux serait
donc appliquée sur le chemin de Sceaux; j'ai arrêté avant-hier
seulement les conditions avec M. Arnoux. J'ai obtenu du roi la per-
mission de présenter un projet de loi à la Chambre, et quelque
avancée que soit la session , j'espère que les recommandations que
ce projet a reçues à la fois de la science, de l'honorable préopinant
et de l'administration, lui assureront les suffrages de la Chambre.
Quant au système atmosphérique, il convient certainement de
l'essayer; le gouvernement apprécie rutillté qu'il pourrait pré-
senter dans l'exécution des chemins de fer. Il s'était concerté avec
deux commissions pour se réserver, dans l'exécution des chemins
de Lyon et de Strasbourg, le droit d'imposer aux compagnies con-
cessionnaires l'application du système atmosphérique où il le croi-
rait utile et avantageux. Si , dans l'exécution des trois chemins de
Lyon, de Strasbourg et de Rennes, le gouvernement trouve la pos-
LES CHEMINS DE FER. 389
sibilité d'essayer le système atmosphérique, il le fera sans doute
avec empressement.
C'est ici que j'ai quelques observations à faire sur la proposition
de M. Arago. Je ferai remarquer d'abord que l'expérience ne se ferait
peut-être pas dans les circonstances les plus favorables.
En ce qui concerne le chemin atmosphérique , l'honorable préo-
pinant rappelait avec raison les grands avantages qu'on attend de
ce système, qui donne la possibilité de franchir les pentes qui
effraieraient les ingénieurs les plus intrépides. Il me semble juste
de l'essayer dans les circonstances où il pourra rendre les plus
grands services. Or, le chemin sur lequel il s'agirait de l'essayer est
le chemin qui est parallèle au canal de l'Ourcq, puisqu'il s'agit do
se servir de Tune des berges de ce canal ; or, ce canal, on le sait,
est de niveau ou à peu près , il n'y a que la pente de la rivière qui
est dérivée dans le canal ; il n'ofifrirait donc pas ces accidents de
terrain dont a parlé M. Arago pour le chemin de Dalkey ; tout ce
qu'on pourrait faire, ce serait de descendre de la berge dans la
plaine, et de remonter de la plaine sur la berge; le chemin ne fran-
chirait donc pas des pentes considérables.
J'aurais à présenter une autre considération à la Chambre sur les
Inconvénients qui résultent du mélange de l'expérience scientifique
avec la concession du chemin dé Strasbourg.
La compagnie qui offre de faire l'expérience est en môme temps
une des compagnies concurrentes pour la concession du chemin de
Strasbourg ; elle offre de faire l'expérience sur un point déterminé,
sur la berge du canal de l'Ourcq, c'est-à-dire que l'expL^rience
résoudra dès le premier moment une question encore controversée,
celle du point de départ du chemin de Strasbourg.
Le gouvernement a pensé que le chemin de Strasbourg avait son
point de départ naturel dans le voisinage du chemin du nord.
î>es réclamations très-vives et très-dignes dMntérèt se sont élevées
dans le conseil municipal de la ville de Paris; le conseil municipal
a demandé que, dans l'intérêt d'égalité de la dissémination de la
population sur la ville de Paris , la gare du chemin de Strasbourg
fût placée dans le 8* arrondissement (Bruits divers. )
Il a fait valoir le bon marché des terrains, et indépendamment de
Tavantage purement municipal , qui est celui dont je viens de par-
ler, mais un avantage municipal d'une si grande importance, qu'on
peut dire qu'il ressemble à un intérêt général; indépendamment de
cet avantage, il a fait valoir l'intérêt de l'État, en ce qui concerne
Tiicquisition des terrains. (Interruption.)
Voulez-vous me permettre d'aller jusqu'au bout?
390 LES CHEMINS DE FER.
L'administration des ponts et chaussées n'a pas dû être insensible
à la réclamation du conseil municipal de la ville de Paris ; elle Ta
été d'autant moins qu'elle s'est préoccupée, depuis quelque temps,
de la possibilité d'établir la gare du chemin de Lyon dans le voisi-
nage de la gare du chemin de Strasbourg ; de créer une gare com-
mune pour les deux têtes de chemins; et alors il est évident que ce
n'était pas dans le voisinage du chemin du Nord que la gare com-
mune devait être établie.
J'ai exprimé, dans le projet de loi, l'opinion du gouvernement;
j'ai exprimé un doute grave, qui ne peut être éclairci qu'après un
examen attentif de la question.
L'adoption de l'amendement aurait pour inconvénient de résoudre
une question qui n'est pas résolue, de déterminer le point de départ
du chemin de Strasbourg, quand il est encore incertain.
Un inconvénient encore bien grand, ce serait de créer entre
rÉtat et une compagnie un engagement qui ne serait pas irrévo-
cable, sans doute, mais qui cependant gênerait quelque peu sa
liberté, quand il s'agirait de concéder le chemin de Strasbourg. Je
suppose, en effet, que le gouvernement ne jugeât pas convenable
d'accepter les résultats de l'expérience : la compagnie concession-
naire du chemin qu'elle aura construit à ses frais aura établi le
commencement d'un chemin de Paris à Meaux. La Chambre s'y est
refusée jusqu'ici ; elle a cru que le chemin de Paris à Strasbourg ne
devait pas rencontrer la concurrence d'un chemin de Paris à Meaux,
et cette concurrence vous l'auriez implicitement créée.
Je crois donc qu'il y a quelque inconvénient dans cette espèce
d'engagement pris par le gouvernement avec une compagnie, et qui
gênerait le gouvernement, s'il ne jugeait pas convenable d'accepter
les résultats de l'expérience. Je crois d'ailleurs qu'il y a quelque
inconvénient pour le chemin de Paris à Strasbourg, dans la création
d'un chemin en concurrence de Paris à Meaux.
Il y a peut-être, Messieurs, quelques autres inconvénients encore,
qu'à cette heure avancée de la séance je ne prends pas la liberté de
présenter à la Chambre.
Je résume mes observations en disant que l'administration des
ponts et chaussées ne demande pas mieux que d'entrer dans la
voie des expériences, des études ; qu'elle en a donné la preuve par
la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre aujourd'hui.;
qu'elle en donnerait une nouvelle preuve, en acceptant l'amen-
dement de l'honorable M. Arago, s'il n'avait pas les inconvé-
nients administratifs que je viens de discuter devant la Chambre. Je
souhaite qu*une autre proposition , dégagée de ces laconvéoients.
LES- CHEMINS DE PB1L 391
paisse ôtre présentée au gouvernement; il Taccepterait avec recon-
naissance, mais il ne peut accepter Tamendement tel qu'il est
proposé.
J*ai eu l*honneur de dire encore à la Chambre que si , dans les
chemins de fer qui vont être construits, il y en ^ qui paraissent
offrir au gouvernement des occasions utiles d'essayer le système
atmosphérique, il s^empressera de le faire. Une portion du chemin
de l^ris à Chartres peut présenter cette occasion ; il y a entre Ver-
sailles et le plateau de Saint Cyr une côte très-élevée à franchir;
la question n'^a pas été assez étudiée pour que je puisse prendre un
engagement, mais TesBai pourrait y être fait trèsutHement. Les
crédits que la Chambre accorde au gouvernement lui permettent
d^étudier la question avec toute l'attention qu'elle comporte, et il
se sentira encouragé par l'assentiment de la Chambre à faire Texpé-
rience le plus tût qu'il pourra. (Très-bien, très-bien l)
M. Arago. Je demande à dire quelques mots de ma
place; je serai très-court. M. le ministre n'a rien dit
relativement à une considération que j'ai fait valoir et
qui m'a déterminé à devenir devant la Chambre le patron
de l'amendement. Cette considération la voici : l'expé-
rience serait faite, en supposant qu'on adoptât ma propo-
sition, dans six mois. A l'ouverture de la session pro-
chaine nous en connaîtrions les résultats.
M. le ministre nous a dit que le terrain n'est pas favo-
rable ; il s'est trompé.
Si on le voulait , on placerait le tube propulseur entre
la berge et la plaine, sous des inclinaisons de 45 degrés ;
on essaierait les courbes des plus petits rayons.
M. le ministre a présenté des difficultés que j'ai ressen-
ties moi-même tout à l'heure, et voici pour le rassurer les
modifications que j'apporterai à la fin de l'amendement :
t L'expérience du canal de l'Ourcq ne préjuge en
aucune manière ni la question du tracé définitif de la
Ugne de l'Est, ni la question de l'entrée à Faris^ »
39t LES CHEMINS DE FER.
II est évident qu'avec cette modification, toutes les
difficultés qu*a présentées M. le ministre disparaissent*
On voit qu'on ne s'engage nullement envers la compa-
gnie ; néanmoins je retire l'amendement tout de suite si
le gouvernement déclare que dans l'intervalle de six mois
il aura fait une expérience lui-même.
M. le ministre disait que sur le chemin de Chartres
il pourrait disposer du tracé de manière à employer le
système atmosphérique. Pour moi , je ne recommande
pas ce système pour un établissement définitif. J'attendrai
les résultats des expériences que je provoque.
J'insiste pour l'adoption de l'amendement avec le
changement que je viens d'y faire.
M. LuNEAU. La commission s'est préoccupée de la question. Elle
a cru que les faits seraient plus forts que toutes les restrictions
portées dans un amendement, et quoique son plus grand désir soit
de faire expérimenter le système atmosphérique, elle n*a pu se
dissimuler les inconvénients qu'il y aurait à Tadoption de Pamen-
dement pour la tête du chemin de Strasbourg.
M. LE MINISTRE 9ES TRAVAUX PUBLICS. Je ne crois pas que M. Arago
ait détruit les observations administratives que j*ai eu Thonneur de
faire. Je n'ai pas l'intention d'élever d'objections contre les propo-
sitions d'expériences scientifiques qu'il a faites. J'ai dit que si
l'administration des ponts et chaussées avait les moyens d'expéri-
menter le système atmosphérique, elle le ferait avec empressement,
et probablement avec utilité.
M. ÂRAGO. Je ne demande pas mieux. Je transforme
mon amendement, et je demande qu^on vote 2 millions
pour faire les expériences.
M. LE MINISTRE. J'accepte avec empressement le concours que
m'offre M. Arago ; mais il faut que ce concours, pour être accepté,
soit offert dans une forme régulière. Je crois qu'il y a un inconvé-
nient assez grave à ce que, dans une loi spéciale sur le chemin de
Strasbourg, on introduise un crédit ayant pour objet d'expérimenter
LES CHEMINS DE FER. 393
le système atmosphérique, probablement ailleurs que sur le chemin
de fer de Strasbourg.
L'approbation que la Chambre a donnée aux développements dans
lesquels M. Arago est entré me déterminera à me concerter avec
mes collègues pour prendre les ordres du roi afin de demander un
crédit spécial. (Très-bien 1 très-bien 1)
M. Arago. Il me semble que je puis considérer les
dernières paroles de M. le ministre comme un enga-
gement qu'il sera fait promptement des expériences.
C'est tout ce que je demandais. Dieu veuille qu'elles
arrivent promptement et qu'on puisse en profiter pour
rétablissement de tant de chemins de fer.
[ Les projets de loi sur Fessai des trains articulés et sur celui du
système atmosphérique ayant été présentés » ainsi que la promesse
en avait été faite, M. Arago a été nommé rapporteur des commis-
sions de la Chambre des députés. Les rapports qu*U a rédigés &
cette occasion sont placés ci-après.]
VII
SYSTÈME DE CHEMIN DE FER A TRAINS ARTICULÉS
[M* Arago a envisagé le système de chemin de fer à trains arti-
tlculés inventé par M. Arnoux, sous deux points de vue différents,
dans deux Rapports faits, Tun à l'Académie des sciences, Tautre
à la Chambre dés députés. Dans le premier Rapport, M. Arago s'est
occupé de la partie technique de Tinvention; dans le second, il a
surtout considéré les avantages économiques promis par le système
de M. Amoux. Ces deux Rapports sont réunis ici dans leur ordre
chronologique. ]
1* Rapport à V Académie des Sciences *.
M. Arnoux présenta à l'Académie , il y a deux ans, un
Mémoire relatif au système qu'il avait imaginé pour faci-
l Ce Rapport a été lu dans la séance du 20 Juillet 18/iO de TAca-
démie des sciences, au nom d*une commission composée de MM. Sa-
304 LES CHEMINS IXE FEIL
liter le passage des locomotives, des voitures et des wagons
sur les chemins de fer de toute courbure. Un modèle
parfaitement exécuté accompagnait le Mémoire. UAca-
demie n*a pas oublié le savant rapport *, honoré de son
approbation, dans lequel M. Poncelet apprécia avec tant
de mesure et de lucidité tout ce que les nouvelles dispo-
sitions présentaient de hardi, d'ingénieux, de plausible.
Elle doit se souvenir aussi que ses commissaires en
appelaient à des essais en grand, pour corroborer ou
infirmer les espérances que la théorie permettait de con-
cevoir. Ces expériences, M. Arnoux s'est empressé de
les faire, et sur une échelle vraiment inusitée : elles n'ont
pas coûté moins de 150,000 francs. Tous les obstacles
à la locomotion, tels que pentes et contre-pentes, croi-
sements de voies, lignes droites raccordées par des
courbes, lignes courbes en sens opposés se succédant
sans intermédiaire, courbes de très-petits rayons, se sont
trouvés réunis dans un chemin qui existe encore à Saint-
Ifandé^ et dont le développement, égal à 14&2 mètres,
forme un circuit fermé. Cette disposition permettait de
revenir au point de départ autant de fois qu*on le voulait
sans s'arrêter ni là, ni ailleurs. Aussi^ en un seul jour,
a-t-on parcouru 60 kilomètres; aussi la totalité du che-
min que les wagons ont fait dans ce champ-clos, pendant
toute la durée des expériences, s'élève-t-elle à 600 kilo-
nry, Goriolis, Gambey, et Arago rapporteur; il était intitulé : Bap-
part stur Us diverses dispositions proposées par Jtf, Arnoux pour
faire marcher librement les locomotives et les wagons des chemins
de/er^ le long des courbes de toutes sortes de rayons.
L Goo^neB-readus de rAcadâmiadesaolBiioes, t. YI, p. â02.
LES CHEMINS DE f^R. 39(^
mètres, c'est^i-dire aux pr(^K)rtions du long voyage de
Paris à Lyon. Il ne fallait, au reste, rien moins^ pour
autoriser à parler du système de M. Amoox, sous le rap-
port de la solidité^ de la détérioration des rails, de la
durée des roues et des nouveaux mécanismes destinés à
donner aux essieux les directions convenables. Ajoutons,
qu'afin de pouvoir étudier lleffet des courbes sur la loco*
motion, même au delà des limites qu'un ingénieur n'aura
jamais besoin d'atteindre dans le tracé des chemins de
fer, un petit cercle de 18 mètres de raycm, complètement
fermé, se rattachait au chemin principal par deux bran-
ches de courbes de 30 mètres de rayon, et qu'une fois
entré dans ce cercle, le convoi pouvait le parcourir indé-
finiment*
Le convoi se composait ordinairement de la locomotive,
du tender, de quatre voitures de quatre ou six roues et
d*une plate-forme. L'évaluation précise des résistances
a été obtenue par des appareils dynamométriques. M. le
capitaine Morin, qui a une si grande habitude de ces
machines, qui en a fait de si nombreuses, de si utiles,
de si ingénieuses applications, a bien voulu mettre lui*
même en action les excellents dynamomètres qu'il a tant
perfectionnés, relever tous les résultats et en former des
tableaux. La commission ne saurait assez reconnaître à
quel point le zèle éclairé et infatigable die M. Morin lui
a été utile.
Lorsque pour obtenir une comparaison directe des
tractions nm les rails ordinaires avec celles qu'exigent,
toutes circonstances égales, les rails, à petite courbes de
M. Amoux, on transporta les appareils dynamométriqoes
396 LES CHEMINS DE FER.
sur les chemins de Versailles, ce fut encore M. Morin
qui présida aux mesures.
Notre objet doit être maintenant d'exposer les résul-
tats, de les rapprocher, d'en tirer les conséquences qui,
aujourd'hui, nous sembleraient pouvoir, sans inconvé-
nient, être sanctionnées par l'Académie. Ces consé-
quences ne seraient, au reste, ni bien comprises, ni
convenablement appréciées, si nous ne posions pas de
nouveau le problème en termes précis ; si nous négligions
de rappeler succinctement les idées qui ont conduit
les mécaniciens au système de wagons actuellement en
usage , et celles dont le système de M. Amoux offre la
réalisation.
Avant d'entrer dans ces détails, nous croyons toute-
fois devoir informer l'Académie, que la commission s'est
abstenue, à dessein, de toucher aux questions de priorité
qui lui ont été soumises, non qu'elles lui parussent dif-
ficiles, mais seulement parce que les tribunaux en sont
actuellement saisis. Nous ajouterons que la commission
s'est vue à regret dans l'impossibilité de rendre compte
ici d'une invention ingénieuse de M. Renaud de Vilback,
tendant au même but que le système de M. Amoux. Le
fragment de chemin construit à Charenton, d'après les
idées de M. de Vilback, avait de trop petites dimensions
pour qu'on pût y tenter des expériences vraiment démons-
tratives. Ce chemin , d'ailleurs , fut détruit avant que la
commission en corps y eût vu fonctionner le wagon isolé
qui le parcourait par l'action de la pesanteur. Le seul
commissaire auquel, dans le temps, les circonstances per-
mirent de se rendre à l'usine de Charenton et d'y assister
LES CHEMINS DE FER. 397
h une ou deux épreuves du nouveau chemin, n'ayant fait,
n'ayant pu faire aucune expérience précise, aucune me-
sure, n'oserait émettre une opinion décidée ; ne pourrait
pas, en tout cas, se substituer à la commission entière,
alors même que ses confrères voudraient bien le per-
mettre et que le règlement ne s'y opposerait point. Nous
espérons que cette déclaration mettra fin à une polémique
dont nous avons déjà trouvé les traces dans quelques
écrits, et qui désormais n'aurait plus de prétexte.
Les caractères essentiels du système de M. Arnoux
sont l'indépendance absolue des roues montées sur un
même essieu, et leur mobilité autour des fusées qui les
portent; la liberté qu'ont les essieux de changer de direc-
tion dans un plan horizontal autour de chevilles ouvrières
sur lesquelles la charge repose ; enfin la liaison complète,
de voiture à voiture , par des timons rigides articulés ,
engagés à chaque extrémité dans les chevilles ouvrières
et s'articulant sur Taxe même du chemin. Par la der-
nière disposition, le convoi entier est comme une longue
chaîne, inextensible, mais parfaitement flexible dans
toutes ses parties.
Les deux premières conditions sont indispensables pour
qu'une voiture puisse ne pas éprouver, sur une voie
courbe, une résistance beaucoup plus forte que sur un
chemin tracé en ligne droite. Il faut, en effet, pour qu'il
en soit ainsi, qu'à chaque instant les essieux prennent
des directions normales aux courbes parcourues, et qu'en
même temps les roues extérieures, roulant sur la courbe
dont le développement est le plus grand, prennent la plus
grande vitesse.
398 LES €HEBilN6 DB FBE.
Il ne suffit pas » néanmoins , que ces condhioDs, re-
marquées de tout temps, puissent être satisfaites : elles
doivent Tétre nécessairement; il est indispensable que
tous les essieux soient constamment guidés^
Aussi, les premiers essais de chemins en bois et en fer
dans les galeries de mines , offrirent-ils divers moyens
pour donner à des essieux mobiles la direction eonve-
nable. C'était, par exemple, une crosse fixée perpendi-
culairement au premier essieu et qui, armée quelquefois
à son extrémité inférieure d'un galet horizontal^ pénétrait
dans une rainure creusée entre les deux directrices courbes
de la voie. On a vu plus tard les galets horizontaux, mais
pour une application toute spéciale, dans quelques-uns
des petits chariots, à voie extrêmement étroite, destinés
au jeu des Montagnes Russes.
Pourquoi donc, dans le grand problème de la loco-
motion sur chemins de fer, a-t-on bientôt abandonné les
anciennes tentatives? Pourquoi s'esi-on jeté dans un sys-
tème tout différent?
C'est que les premiers moyens de direction n'étaient
pas admissibles dès qu'on voulait augmenter la vitesse;
c'est qu'avec des essieux mal guidés ou libres, les wagons
sortiraient à chaque instant de la voie, malgré l'obstacle
qu'opposent aux rebords des roues les bourrelets ou les
plans verticaux des rails; c'est qu'en effet, le frottement
même de ces bourrelets et de ces rebords, en retardant
le mouvement de la roue frottante, tendrait à faire
pivoter l'essieu et la voiture entière autour du point
d'arrêt.
Dans les parties droites d'une voie, les essieux doivent
LES CHEMINS DE FEB. 399
rester invariablement perpendiculaires à Taxe des wagons.
On chercha donc avant tout à établir cette perpendicu-
lai'ité d'une manière permanente. Après ce premier pas,
il n'y avait plus que de l'avantage à faire les autres: à
rendre les essieux solidaires avec les roues, et tournant
sur eux-mêmes dans des boites fixées à la caisse môme
de la voiture.
Par là les roues se trouvent parfaitement maintenues
dans des plans verticaux, et la charge se transmettant
aux essieux par des parties situées près de leurs points
d'appui, les fat^ue moins que lor^u'elle repose direc-
tement sur le milieu de leur longueur.
Tel est le système actuel. Il est parfait pour les lignes
droites , mais tout se trouve sacrifié à ces lignes.
Dans les courbes , en effet , le parallélisme des essieux
est un défaut; la liaison qui oblige les roues à prendi*e
des vitesses égales, un autre défaut. La nécessité même
de ne pas exagérer ces inconvénients, réagit sur les par-
ties droites du chemin, en empêchant d'augmenter la
largeur de la voie et d'assurer par là, de plus en plus,
la stabilité des voitures.
Sans doute on a remédié, du moins en partie, aux
inconvénients que nous venons de rappeler, par d'ingé-
nieux artifices , par les roues à jantes coniques, par les
roulements des roues extérieures sur la circonférence de
leurs rebords, ce qui constitue, comme on le sait, le pro-
cédé de M. Laignel ; mais ces moyens ne peuvent remé-
dier qu'aux défauts qui résultent de la dépendance des
roues. Les inconvénients attachés au parallélisme des
(jxes subsistent encore.
400 LES CHEMINS DE FER.
Donnera -t- on d'avance, et à dessein, du jeu pour
rendre possible un certain degré de convergence î On Ta
fait en Angleterre et avec désavantage , en Tabsence de
moyens de guider les essieux : résultat que Ton pouvait
prévoir par des raisons précédemment indiquées.
On est donc inévitablement conduit, dès qu'on s*écarle
du système des wagons ordinaires, à chercher des moyens
de donner aux essieux la direction convenable.
Examinons comment M. Âmoux satisfait à cette con-
dition :
Son système se expose de trois parties distinctes. Il
faut y signaler en effet :
D'abord le moyen particulier, spécial, de diriger le
premier essieu de la première voiture ;
Ensuite le moyen commun de diriger le premier essieu
de chacune des voitures suivantes;
Enfin le moyen de subordonner, dans chaque voiture,
à la direction déjà déterminée du premier essieu, celle
du second.
Chacun de ces points exige quelques détails.
Le premier essieu du convoi porte, à l'extrémité de
fourches recourbées, quatre galets, mobiles dans des
plans à peu près horizontaux, légèrement inclinés de haut
en bas, du dedans au dehors, et qui s'appuient, en rou-
lant, contre les bourrelets, ou mieux, contre les plans
verticaux des rails. Ces galets n'éprouvent, lorsqu'ils pnt
bien ajustés, aucune autre résistance que celle qui naît
du roulement, puisque l'essieu qui les soutient les em-
pêche de jamais porter par leurs faces horizontales* Le^
centres des galets se trouvent maintenus ainsi aux quatre
LES CHEMINS DE FER. i04
Bommets d'un rectangle engagé entre les rails, avec une
très-petite quantité de jeu. Les déviations des côtés de ce
rectangle, par conséquent les déviations de l'essieu pa-
rallèle aux côtés transversaux et compris entre eux ; ces
déviations, disons-nous, ne peuvent être que de l'ordre
de grandeur exprimé par le rapport du jeu à la largeur
du rectangle même.
Un pareil système de guides est excellent. Il n'a rien
de commun avec les roulettes verticajes antérieurement
proposées. Est-il besoin de dire, en effet, que des galets
ne peuvent servir de guides que par rapport au plan sur
lequel ils roulent , et que les rebords verticaux des rails
sont ici les plans relativement auxquels il faut guider le
mouvement?
Les galets- guides de M. Arnoux auraient plus d'ana-
logie avec le galet unique de certains chariots des usines.
On pourrait croire la ressemblance plus grande encore
en prenant le terme de comparaison dans quelques-uns
des galets imaginés pour les montagnes russes. Quant à
ces derniers, cependant, une différence frappe tout de
suite l'attention : leur objet est plutôt de diminuer un
glissement que d'assurer une direction aux essieux. En
effet, avec une voie aussi étroite la direction convergente
des essieux n'avait pas d'importance ; il suffisait que les
galets fussent portés par la caisse des chariots. On les voit
même engagés quelquefois dans des rainures latérales
pour écarter toute chance de projection. Rien de sem-
blable ne pourrait avoir lieu sur une grande échelle.
Examinons maintenant si les galets de M. Ârnoux
n'auraient pas, avec les avantages qui leur appartiennent,
V. — H. 26
i02 LES CHEMINS DE FER.
qui les distinguent de tout ce que Ton avait proposé pour
le même objet, quelque inconvénient grave.
L'expérience semble avoir prononcé. Jamais les galets
n'ont présenté de tendance à dérailler; jamais, dans la
voie, il n'y a eu de rupture; la surface s'usait un peu
rapidement , mais alors seulement que les galets étaient
en fonte douce, et que les aspérités des rails étaient
encore vives. Depuis, avec des galets garnis d'un cercle
d'acier, il n'y a plus eu d'usure appréciable.
On a voulu s'assurer si tous étaient indispensables à la
direction du convoi. Avec un galet de moins il a été im-
possible de marcher. Les wagons se sont arrêtés dès les
premiers instants ; mais aussi quelques instants suffisent
pour remplacer le galet qui manque.
- Un accident qui ne tient nullement à la nature du sys-
tème, a donné lieu à une remarque qui mérite d'être
conservée.
Dans un changement de voie une aiguille était restée
fermée. La locomotive et le convoi abandonnèrent donc
les rails; dès lors les galets se trouvant forcés de labourer
le sol , un d'eux se brisa ; mais la pointe de la fourche
qui le portait continuant de pénétrer dans la terre , con-
tribua promptement et à coup sûr fort heureusement à
détruire la vitesse acquise.
En voyant les galets d'une première voiture assurer,
d'une part, la direction en s'encadrant dans les rails, et,
d'autre part, transfornœr en frottement de roulement le
glissement du rebord des roues contre les bourrelets , on
se demande s'il ne conviendrait pas d'appliquer un sys-
tème semblable à chacun des essieux suivants. Cette idée
LES CHEMINS DE FER. 403
s'était présentée dès Torigine à M. Arnoux. L'élévation
des prix d'établissement et d'entretien qui en résulterait,
suffirait pour la faire rejeter, si la difficulté de maintenir
constamment ajustés à une hauteur convenable tous ces
galets, n'était une objection plus grave encore.
Aussi, restreignant l'emploi des galets au premier axe
du convoi, et peut-être, ce que la commission serait tout
à fait disposée à approuver, au dernier essieu, M. Arnoux
adopte-t-il, pour diriger les essieux intermédiaires, Uû
système tout difféi:ent. Ce système comprend deux parties
distinctes.
D'abord vient la liaison du second essieu de chaque
voiture avec le premier : elle est analogue, quant aux effets,
à ce que présentent les voitures de l'amiral Sidney Smith,
de M. Diez, et même à ce qu'offrent des essais plus an-
ciens, mais présentant des dispositions moins parfaites;
elle se distingue par une solution nouvelle.
Dans chaque voiture, chaque essieu porte au milieu de
sa longueur une couronne que traverse une cheville ou-
vrière; deux chaînes à mailles plates embrassant les
couronnes et se croisant dans l'intervalle qui les sépare^
s'attachent à leur circonférence ; les seconds essieux se
trouvent ainsi dirigés : car, pour une voiture dœinée, si
le premier essieu tourne dans un sens, le second tourne en
sens contraire et de la même quantité.
Les deux essieux d'une même voiture ainsi liés entre
eux, demeurent complètement indépendants, au moins
quant à une action directe , des essieux de la voiture qui
précède et de celle qui suit. Il reste donc, et cette partie
du système de M. Arnoux est entièrement neuvef il reste
404 LF5 CHEMINS BE FER.
à déterminer, dans chaque voiture, la direction du pre-
mier essieu. M. Amoux la fait dépendre uniquement de
l'angle que le timon rigide de cette voiture fait avec la
flèche de la voiture qui précède. A l'arrière de cette flèche,
pour établir la liaison voulue, est fixée une petite couronne
concentrique à la couronne du second essieu , dont elle est
indépendante. Cette petite couronne conduit, par des
chaînes croisées, la première couronne d'essieu de la voi-
ture suivante. Quant à l'effet de traction , il se transmet
tout entier par les timons; les chaînes n'ont qu'à faire
tourner les couronnes sur leurs sellettes.
Pour que les deux essieux de la voiture qui précède et
le premier essieu de la voiture qui suit convergent vers le
centre du cercle qui passe par leurs trois chevilles ou-
vrières, il faut que le rayon de la petite couronne fixée à
la flèche , soit aux rayons des couronnes d'essieu dans le
rapport de la longeur du tinion à la somme des longueurs
de ce timon et de la flèche qbi le conduit.
La solution n^est rigoureuse que lorsque le timon et la
flèche ont des longueurs égales. Mais elle est tellement
approchée, pour un rapport différent de l'égalité, dès
que le rayon de la voie courbe surpasse dix fois la lon^
gueur d'une voiture, que la différence est pratiquement
négligeable. 11 y a plus, la solution approchée pourra bien
avoir quelque avantage, en permettant de diminuer la
longueur des timons, et en devenant par là même moins
inexacte au passage d'une courbe à une autre, au pas-
sage d'une partie droite à une voie courbe, et réci-
proquement.
Au surplus, le mérite de la solution n'est pas dans une
LBS CHEMINS DE FER. 405
rigueur géométrique que Tapplication ne réalise jamais.
Il consiste à empêcher les fausses directions de dépasser
des limites très- étroites, à guider ainsi d'une manière
continue, sans âr^oups; de telle sorte que les déviations
se compensent et se neutralisent , pour ainsi dire, sur la
longueur du convoi entier.
Si l'on voulait un exemple de la supériorité de certaines
solutions approximatives sur des solutions exactes, il
suffirait de citer le parallélogramme de Watt, substitué
aux engrenages dans les machines à vapeur.
L'expérience a montré, du reste, que la liaison con-
tinue du système était le premier avantage de l'idée de
M. Arnoux. On a pu, dans les essais de Saint-Mandé,
pour tirer parti de pièces toutes faites, appliquer les mêmes
couronnes à des flèches et à des timons de longueurs très-
inégales, sans qu'il en résultât un grave inconvénient.
Les résistances ont dû, cependant, en être un peu aug-
mentées.
Il est évident toutefois qu'il conviendra toujours de
s'assujettir aux proportions les plus avantageuses.
Une remarque semblable doit être faite relativement
au tracé des courbes sur le terrain.
A Saint-Mandé on passe presque sans intermédiaire,
d'une courbe de 100 mètres de rayon à une courbe
de 30 mètres, ou à une ligne droite ; mais ce n'est pas
sans qu'un peu de raideur se fasse sentir aux points de
jonction.
Il est évident que dans la pratique, sans rien sacrifier
des avantages du système, on pourra toujours adoucir
les raccords en passant graduellement d'une courbe à
406 I.ES CHHIMINS DE FER.
une autre. Peu importe que Ton marche dans un arc de
cercle parfaitement régulier pu dans une suite d'arcs de
cercle, pourvu que l'un quelconque de ces arcs, pro-
longé de la longueur d'une flèche ou d'un timon, ne
s'écarte pas, perpendiculairement à sa courbure, de
celui qui le précède ou le suit, d'une quantité plus
grande que le jeu nécessaire entre les rebords des roues
et les bourrelets des rails.
Il est des, cas où la douceur des raccords dont on
vient de parler a moins d'importance,, où l'on pourra,
comme à Saint-Mandé, rattacher l'une à l'autre, presque
sans transition , des courbes de rayons très-différents. Il
en sera ainsi pour une gare d'évitement que l'on voudra
lier à la voie principale du chemin* La vitesse à l'entrée,
par conséquent la force centrifuge, ne seront jamais assez
grandes pour qu'un changement un peu rapide de direc-
tion ait une influence bien nuisible.
Le petit cercle de 18 mètres de rayon, à Saint-Mandé,
est un exemple d'une gare d'évitement comprise dans un
espace resserré, et offrant cela de particulier, qu'un con-
voi, de quelque côté qu'il arrive, pourra toujours s'y
engager et en sortir ensuite, soit pjour continuer sa route,
soit pour revenir sur ses pas.
Par là tombe, en grande partie au moins, une dos
principales objections élevées contre le nouveau système:
celle qui porte sur la difficulté , l'impossibilité, pour cer-
tains cas, de faire reculer un train. En ligne droite, le
recul est certainement possible ; à Saint-Mandé on a re-
culé de plus de 50 mètres. Mais en courbe, dès que le
rayon est petit, on ne peut rétrograder. Ce n'est pas à
LES CHEMINS DE FEA. 407
l'obliquité de l'effort, en elle-même, que cette impossi-
bilité doit être attribuée; elle tient à ce que la direction
ne se transmet pas, dans ce sens, aux essieux, et rien
ne prouve plus clairement que cette transmission est
indispensable.
Au demeurant, il ne faut pas, quand il s'agit de recul,
transporter au nouveau système les idées auxquelles l'an-
cien a nécessairement conduit. Avec le système ordinaire,
le retournement d'une seute voiture exigerait l'emploi
d'une plate-forme, si cette voiture n'était pas parfaite-
ment semblable en avant et en arrière , et par là disposée
à se mouvoir aussi bien dans un sens que dans l'autre.
Avec le système proposé, l'emploi des plates-formes n'est
jamais indispensable, puisqu'à l'aide d'un cercle de très-
petit rayon, un train entier revient sur lui-même et rentre
dans la voie qu'il avait quittée.
Reste donc, pour la nécessité du recul immédiat, le
seul cas d'un accident survenu à la voie. Mais alors ce
n'est pas à quelques instants perdus qu'on doit atta-
cher une grande importance. Il suffira, par exemple,
pour transformer le convoi et l'approprier à la direction
rétrograde qu'il doit prendre, que chaque flèche porte à
l'avant, comme à l'arrière, une petite couronne sur
laquelle on ajustera, par le serrage de quelques écrous,
les chaînes nécessaires à la direction des essieux.
Une nouvelle objection se lie à ce qui vient d'être dis-
cuté. Ces chaînes si indispensables, seront-elles fréquem-
ment sujettes à se rompre? D'abord il est facile de voir
qu'elles ne supportent qu'un effort assez faible : cet effort
se borne à faire tourner les couronnes; l'impulsion qui
408 LES CHEMINS DE FER.
cniratne le convoi se transmet tout entière par les timons
et les flèches.
Admettons, cependant, qu'un accident ait lieu, qu'une
chatne se rompe ou se détache. Le cas s'est présenté
dans les expériences de Saint -Mandé, pour une des
chaînes reliant Tune à l'autre les deux couronnes d'une
même voiture. La chaîne détachée pendait sans que l'on
s'en fût aperçu. On fit un tour entier avant que, du dehors
on avertît les personnes qui menaient le convoi d'arrêter
la marche. Cette circonstance prouve que si l'ensemble
des moyens de direction est nécessaire, ces moyens peu-
vent, sans inconvénient grave, être supprimés sur un
point intennédiaire. La solidarité de toutes les parties du
système maintient alors dans la voie le seul essieu qui ne
soit plus guidé. Un semblable accident, au reste, est
réparé en quelques instants.
C'est un avantage notable de ce moyen de direction,
que le peu de causes d'altération qu'il présente. Cet avan-
tage est dû à la douceur des mouvements, à ce qu'ils
s'exécutent sans grande vitesse, par conséquent sans
chocs. Le mouvement rapide des galets directeurs pour
chaque essieu donnerait lieu à des altérations bien plus
promptes; aussi M. Arnoux ne les emploie-t-il que là où
ils sont indispensables.
Après avoir discuté ce qui se rapporte seulement à des
cas particuliers, à des accidents, si l'on examine ce qui
se passe dans la locomotion ordinaire, il faut reconnaître
d'abord qu'au départ d'un train la difficulté de l'ébranler,
dans le nouveau système, sera plus grande que dans les
convois ordinaires, où chaque voiture commence à se
LES CHEMINS DE FER. 409
mouvoir isoléraent avant d'entraîner, par la tension des
chaînes, celle qui la suit. Nous ne croyons pas toutefois
qu'il puisse jamais résulter de là un inconvénient grave.
Cette question, au surplus, a déjà été discutée dans le
rapport de M. Poncelet.
Il ne faut pas négliger une circonstance qui, au dé-
part, est à l'avantage des trains articulés et inexten-
sibles de M. Amoux : c'est l'absence des chocs que l'on
éprouve, dans les trains ordinaires, au moment où les
chaînes se tendent.
Quant au point essentiel, aux résistances qu'il faut
vaincre, une fois le convoi lancé , pendant toute la durée
du mouvement, y a-t-il, dans le système proposé, des
causes qui puissent en définitive accroître leur valeur
moyenne? Si l'on a diminué ces résistances dans les
courbes, les a-t-on augmentées dans les parties droites,
qui seront toujours les plus étendues?
Avant de citer les expériences, examinons, sous ce
rapport, les données de la question.
C'est relativement au frottement des essieux qu'il peut
y avoir incertitude.
Dans le nouveau système d'essieux mobiles, la charge
porte au milieu de leur longueur. Cette disposition, jointe
à l'élargissement de la voie, vers lequel on doit tendre,
semble entraîner une augmentation dans le diamètre dos
fusées d'essieux, par suite une augmentation de résis-
tance.
Toutes choses égales d'ailleurs, il est très-vrai que dans
les wagons actuels, c'est un avantage que de faire repo-
ser la charge près des extrémités des essieux. On est dons
440 LES CHEMINS DE FER.
Tusage de donner aux boîtes dans lesquelles ces ei^eox
tournent, un diamètre de O^^.OSS.
Quant aux grosses diligences des routes ordinaires, oii
la charge est portée au centre des essieux, comme dans
les wagons de M. Arnoux , les fusées ont xm centimètre
de plus (0". 065 )•
M. irnoux, dans les wagons d'abord soumis aux expé-
riences, avait adopté cette dimension , et il doit évidem-
ment en résulter un excès de résistance pour le frottement
des fusées.
Mais en considérant que les diligences éprouvent sur
les routes ordinaires des chocs souvent assez violents qui
n'existent pas sur les chemins de fer , M. Arnoux n'a pas
douté que les essieux de ses voitures ne pussent être
réduits au même diamètre que ceux des wagons de son
convoi d'essai.
On pourra dire alors qu'une réduction plus grande
serait applicable aux wagons à axes parallèles, et qu en
définitive, l'avantage leur resterait sous ce rapport.
A ce point, la question ne peut guère être résolue avec
certiLude ; elle finit par être une question de durée :
surtout si l'on a égard à la grande longueur que l'on
peut donner, dans le système de M. Arnoux, aux boîtes
des roues indépendantes.
Cette longueur est une garantie contre les déviations
du plan dans lequel tournent les roues. 11 ne semble pas
que ce plan soit moins bien maintenu dans le système
des roues libres que dans celui des roues solidaires, du
moins pour la durée que ces roues peuvent avoir.
Cette durée, dans le système actuel, n'est pas grande.
LES CHEMINS DE FER. ii\
On sait avec quelle exactitude les roues en fonte, soli-
daires avec les essieux, doivent être tournées. On sait
aussi avec quelle rapidité les rebords verticaux de ces
roues se détruisent par le frottement contre les bourrelets
des rails dans les courbes.
Le système de M. Arnoux fait disparaître ces résis-
tances. H donnera donc aux roues plus de durée ou
permettra de les établir avec moins de perfection et de
solidité.
Ainsi, dans les expériences de Saint-Mandé, les roues
étaient de simples roues en bois, cerclées en fer, et, du
moins au commencement, non tournées. Les rebords, au
lieu de faire corps avec les jantes , étaient des cercles
en fer posés à plat et fixés au corps de la roue par des
vis à bois.
Cependant le long de courbes si variées, d'un rayon
si petit, dans un parcours total d'une si grande étendue,
aucun de ces cercles, si légèrement établis, n'a été arra-
clîé, n'a présenté même d'altération sensible.
Si les altérations peuvent jusqu'à un certain point
servir de mesure, n'est-ce pas une preuve qu'une cause
énorme de destruction, difficilement appréciable d'une
manière directe, a disparu presque entièrement?
N'est-on pas aussi fondé h croire que celte diminution
fera phis que compenser l'augmentation, si toutefois il y
en a une, du frottement des essieux?
Une preuve du même genre que celle dont nous venons
de parler, une preuve matérielle, vient encore établir
que les roues sont parfaitement maintenues et les axes
parfaitement dirigés.
412 LES CHEMINS DE FEIL
Jamais, pendant ces longues expériences , on n'a res-
senti d'une manière marquée ces mouvements si com-
muns, si destructeurs, si incommodes que, dans les
chemins de fer actuels, on désigne sous le nom de mou-
vements de lacet.
A de très-grandes vitesses, la seule remarque que Ton
ait pu faire a été relative à l'inclinaison, assez faible
d'ailleurs, des caisses, provenant de la force centrifuge.
Encore aurait-il été possible d'atténuer cet effet en éle-
vant un peu le rail extérieur.
Venons maintenant à l'évaluation des résistances totales
h l'aide des dynamomètres.
Ces résistances proviennent du mouvement propre dont
l'air est animé ; du choc des wagons sur ce même air
immobile; du frottement des essieux à leur circonfé-
rence ; du roulement des roues sur les rails ; du glisse-
ment de leurs rebords sur les bourrelets; des à-coups;
des accélérations ou des retards dans la marche des
convois, que le meilleur conducteur ne saurait éviter,
et dont l'influence devient considérable à cause de la
grandeur de la masse en mouvement. Or tout cela est
susceptible de varier avec le serrage des écrous , le grais-
sage des boîtes, l'état hygrométrique de l'air, l'établis-
sement plus où moins solide des rails. Il sufQrait, quant
à cette dernière influence, de rappeler les belles figures
d'acoustique que le passage des wagons fait naître sou-
vent sur le sable dont les rails sont entourés.
La première question à résoudre était naturellement
colle -ci:
Avec le système de M. Arnoux, la résistance est-elle
LES CHEMINS DE FER. 443
sensiblement la même sur les parties droites et sur les
parties courbes du chemin?
Dans une première expérience, avec des roues non
tournées et une vitesse d'environ 4 mètres par seconde ;
sur l'ensemble du chemin principal, composé de parties
droites et de parties courbes de 50 et de 150 mètres de
rayon, on trouva, pour le rapport de la résistance à la
charge, la fraction 1/175%
Dans une autre expérience, avec les mêmes roues,
une charge différente et une vitesse à peu près uniforme
de 3"*. 8 par seconde, la résistance, dans le petit cercle
de 18 mètres de rayon, se trouva être, d'après une
moyenne de plusieurs tours, de 1/175* à 1/177" ; c'est le
nombre trouvé précédemment pour l'ensemble du chemin.
Lorsque les roues eurent été tournées, la moyenne
résistance sur l'ensemble du chemin, descendit à 1/204%
la vitesse étant toujours d'environ 16 kilomètres à l'heure.
Le frottement des parties droites se trouva égal, dans ces
expériences, à celui des parties circulaires de 50 mètres
de rayon ; la fraction qui l'exprimait était 1/215*.
Avec les mêmes roues tournées, mais un galet touchant
légèrement les chairs, la résistance s*éleva à 1/193*.
Les parties droites comparées aux parties courbes de 50
mètres de rayon, donnèrent respectivement les fractions
1/200* et 1/202*.
La première question paraît donc résolue. La cour-
bure de la voie n'ajoute rien aux résistances.
Les expériences mettent aussi en évidence combien il
est nécessaire que les roues soient tournées et les galets
exactement ajustés.
41i LES CHEMINS DE FER.
Il n'est sans doute pas besoin de dire que tous les
nombres cités représentent des résistances réduites à
r horizon.
Quoique ces nombres différassent peu de ceux qu'on
admet communément, la commission jugea convenable
d'appliquer les instruments dynamométriques aux che-
mins de fer ordinaires. Les ingénieurs de Saint-Germain
et de Versailles en fournirent les moyens avec un empres-
sement, avec ime obligeance sans bornes.
Le résultat moyen de deux séries de valeurs obtenues
le 3 mars de cette année, sur le chemin de Saint-Gennain
avec des vitesses peu différentes de celles de Saint-Mandé,
par un vent dirigé dans le sens de la marche, mais ayant
à peu près la vitesse du convoi ; ce résultat, disons-nous,
conduit à une résistance horizontale de d/aOû*, comme
dans les épreuves de Saint-Mandé.
Si Ton prend une expérience pendant laquelle un vent
oblique contrariait légèrement la marche, on trouve
1/170*. Par un vent favorable et les boîtes nouvellement
lubrifiées, le coefficient descend à 1/252*.
La moyenne serait enfin plutôt au-dessus qu'au-dessous
<le 1/215\
Ces expériences, malgré leurs résultats concordants,
sont sans doute bien loin de résoudre dans toutes ses par-
ties la question si complexe de la résistance sur les che-
mins de fer. Mais nous devons remarquer qu*il n'était
question , pour nous , que de la comparaison entre deux
systèmes, faite dans des circonstances aussi semblables
qu'il était possible et avec les mêmes appareils. Il faut
ajouter, à l'avantage du système de M. Amoux , que les
LES CHEMINS DE FER. 415
grosses fusées des essieux de toutes ses voitures auraient
pu, sans inconvénient, être ramenées à des diamètres de
55 millimètres, et qu'alors, d'après un coefficient de
frottement plutôt trop faible que trop fort, la résistance
moyenne, sur le chemin rentrant de Saint-Mandé, se
serait trouvée réduite à 1/230%
En résumé :
L'égalité de frottement, de résistance, sur les partie.^
courbes et droites des chemins de fer, quand les voitures
sont construites suivant le système de M. Arnoux > et que
les vitesses ne dépassent pas certaines limites , est com-
plètement établie par les expériences de Saint-Mandé.
Ces expériences, si cela pouvait être nécessaire, vien-
draient donc à l'appui des considérations théoriques déve-
loppées dans le rapport de M. Poncelet ; elles prouve-
raient, pratiquement, que la convergence des essieux est
la condition indispensable d'un bon service de locomotion
sur les rails courbes; elles établiraient aussi que les pro-
cé'^^'és dont l'auteur fait usage pour établir cette conver-
gence, ont toute la précision désirable.
Si nous sommes un peu moins affîrmatifs, quant aux
frottements du nouveau système comparés h ceux de
l'ancien , c'est que la commission n'a pas eu les moyens
de multiplier suffisamment les épreuves sur les chemins
ordinaires; c'est qu'il était très-difficile de rendre les
circonstances exactement pareilles. La parfaite identité de
circonstances ne paraîtra certainement à personne un raf-
finement d'exactitude, si nous disons qu'un convoi aban-
donné à lui-même, c'est-à-dire à Taction de la pesanteur,
descendit un jour de Versailles à Asnières , avec la vitesse
446 LES CHEMINS DB FER.
moyenne de quatre lieues à Theure, tandis que peu de
jours auparavant , et peut-être par la seule influence d'un
graissage différent ou de Tétat des rails , le même convoi
s'arrêta en route. Nous devons cependant rappeler que,
sans même attribuer aucune influence défavorable à la
faiblesse des rails dont on a fait usage en construisant le
chemin de M. Arnoux, à la faiblesse des coussinets et au
petit échantillon des traverses; que par la seule réduction
légitime du diamètre des essieux à 55 millimètres, le frot-
tement déduit de Tenseçible des expériences de Saint-
Mandé, s'est trouvé au-dessous de l/SâO", résultat qui
probablement n'a jamais été dépassé dans le service ordi-
naire d'aucun chemin de fer.
Les possibilités de rupture des galets destinés à diriger
la locomotive et des chaînes qui opèrent la convergence
des axes, les accidents qui pourraient en résulter, ont
été appréciés, dans ce qui précède, tant à priori que
d'après les résultats des expériences. Il ne nous semble
pas qu'on doive s'en préoccuper sérieusement.
Ainsi, le système de M. Arnoux n'imposerait, autan!
qu'il a été possible d'en juger, aucune augmentation
appréciable de frais de traction. Sous le rapport de la
sûreté, ce système paraît aussi devoir satisfaire les esprits
les plus timides. M. Arnoux semble donc avoir complète-
ment résolu le problème difficile qu'il s'était proposé.
Désormais les ingénieurs craindront moùis, dans leurs
tracés de chemins de fer, de s'écarter très-notablement de
la ligne droite, de tourner les obstacles de toute nature
dont aujourd'hui ils se voient forcés de demander la démo-
lition. Les dispendieux souterrains seront moins souvent
L£S CHEMINS DE FER. M
nécessaires; on multipliera enfin les gares d'évitement,
et par ce moyen les chemins à une seule voie deviendront
peut-être suffisants dans bien des localités où, d'après les
méthodes actuelles, deux voies seraient indispensables.
Si une longue expérience des nouvelles voitures ne fait
pas surgir des difficultés imprévues, le nom de M. Arnoux
ira se placer très-honorablement à côté des noms de deux
de nos compatriotes qui , par l'invention des chaudières
tubulaires et du tirage à l'aide de la vapeur perdue , ont
rendu usuelles, sur les chemins de fer, des vitesses qu'à
l'origine personne ne se serait flatté d'atteindre , même
dans de simples expériences. Quant à la commission,
après un examen long et consciencieux, elle croit, dès ce
moment, devoir proposer à l'Académie d'accorder son
approbation à l'ingénieux système de locomotives et de
voitures articulées que M. Arnoux lui a présenté.
[ Dans la séance de l'Académie des sciences qui a suivi l'adop-
tion du rapport qui précède, M. Renaud de Vilback a réclamé l'idée
de l'indépendance des roues et de la convergence des essieux,
remploi des galets directeurs; il s'est plaint qu'on n'eût pas rendu
compte d'un moyen de son invention supérieur, suivant lui, aux
moyens dont M. Arnoux fait usage. M. Vilback a déclaré que « ses
expériences étaient suffisantes pour obtenir un rapport ». Ce rap-
port, M. de Vilback le demandait avec d'autant plus d'insistance
que « la commission n'a pas cru devoir l'admettre au concours du
prix de mécanique, et que ce prix a été accordé à son heureux
concurrent. » M. Arago a répondu à cette réclamation dans les
termes suivants : ]
Je relèverai d'abord une confusion dans laquelle est
tombé M. de Vilback. La commission , sur le rapport de
laquelle le prix de mécanique de la fondation Monthyon
a été accordé à M. Arnoux, est différente et de celle qui
v.— n. 27
4f8 LES CHEMINS DE FEE.
vient de rendre compte des expériences de Saint-Mandé,
et de la commission qui devait examiner le bout de chemin
de Charenton, Les questions de priorité ont été à peine
effleurées (Voir p. 396) dans le rapport dont M. de Vil-"
back se plaint , afin de laisser aux tribunaux leur pleine et
CTtière action. Mais on s'est trompé en supposant que les
commissaires s'étaient abstenus d'examiner ce point dé-
licat. Ils avaient parfaitement reconnu, par exemple, que
le galet directeur dont parle M. de Vilback, ne peut, en
aucune manière, être assimilé aux galets de la première
voiture de M. Arnoux. Quant au principe de l'indépen-
dance des roues, et de la convergence des essieux, on le
trouve déjà dans Edgeworth ; Sidney Smith l'avait d'ail-
leurs mis en pratique sur une voiture que tout le monde
a pu voir. Ce que la commission a cru devoir particuliè-
rement approuver dans le système de M. Arnoux, c'est le
moyen d'opérer la convergence, soit des premiers, soit
des seconds essieux de chaque voiture , sans secousses ,
sans à-coups; ce sont les galets de la locomotive; c'est un
ensemble de dispositions à l'aide duquel (l'expérience a
prononcé), le frottement n'est pas plus fort dans les
courbes que sur les parties droites des raiFs. Je suis le
seul des commissaires de l'Académie qui ait vu fonction-
ner des wagons sur le bout de chemin de fer de Charen-
ton, et je déclare, contrairement à l'opinion de M. de Vil-
back, non -seulement que les expériences n'étaient pas
« suffisantes pour obtenir un rapport », mais encore qu'il y
aurait eu impossibilité de faire des essais concluants dans
une pareille localité, et avec des rails si courts.
LES CHEMINS DE FER. i\9
2* Rapport à la Chambre des députés *.
Les rails de tous les chemins de fer soi>t aujourd'hui
fixés au sol, ou en ligne droite, ou suivant des courbes
de très -grands rayons. Ce dispositif est une conséquence
nécessaire du parallélisme rigoureux et invariable que les
constructeurs ont cru devoir établir, sur tous leurs véhi-
cules, entre Tessieu des roues de devant et l'essieu des
roues de derrière. A son tour, ce parallélisme a conduit à
priver les roues de la mobilité dont elles jouissent, dans
les voitures ordinaires, autour des fusées qui les portent;
à les rendre, par couples, solidaires les unes des autres;
à les fixer aux essieux comme elles le sont encore dans
les charrettes les plus communes du centre de la France.
L'obligation de n'employer, pour le tracé d'un chemin
de fer, que des lignes droites ou presque droites, fait
surgir à chaque pas, dans les régions un peu accidentées
et surtout dans les vallées étroites, des difficultés dont
l'ingénieur le plus habile ne triomphe qu'en s'imposant
d'énormes dépenses.
Rien de plus propre à établir la vérité de cette asser-
tion , que ce passage d'un ancien rapport des gérants et
des commissaires du chemin de fer de Saint- Etienne à
Lyon :
« Si l'on considère surtout les augmentations de dépense
qui ont été la suite inévitable de la rectification du pre-
1. Ce rapport a été déposé le 10 juillet iSliU, au nom d'une com-
mission chargée de Taxamen d'un projet de loi tendant à autoriser
kl concession d'un chemin de fer de Paris à Sceaux pour Tappiica-
tion du système des trains articulés de M. Amoux.
4!0 LES CHEMINS DE FER.
mier projet présenté à M. le directeur général , où des
courbes de 500 mètres oiit été substituées à celles de
1 50 mètres et même de 1 00 que nous avions primitive-
ment adoptées, on ne sr^ra pas étonné que des dépenses
(sur les acquisitions de terrains) que nous avions évaluées
à 8 millions, se soient élevées jusqu'à 10. Le nombre des
percements qui, à cette époque, ne devait être que de
six, s'est trouvé porté, parla nouvelle rectification, à
quatorze, formant une étendue de 4,000 mètres, qui ont
coûté plus de 1,800,000 fr. Un grand nombre de points
qui , dans le premier projet, n'auraient présenté que peu
de difficultés , tels que la montagne de Saint-Lazare , les
grands remblais d'Issieux, etc., etc., sont tout à coup
devenus de grands obstacles, par les sommes qu'ils ont
coûtées et le temps qu'il a fallu pour les vaincre. •
11 fallait de bien puissants motifs pour décider les ingé-
nieurs d'une compagnie à remplacer des courbes de 150
mètres par des courbes de 500 mètres , lorsque le chan-
gement devait amener de tels surcroîts de dépenses. Ces
motifs, les voici en peu de mots.
Avec le matériel actuel, avec des voitures à essieux
invariablement parallèles, il y a, dans les tournants pro-
noncés, un accroissement considérable de résistance,
une destruction rapide des rails et des roues, des chances
de rupture des essieux notablement plus nombreuses que
sur les lignes droites, et, quand les vitesses sont consi-
dérables, de sérieux dangers de déraillement.
On voit maintenant ce qui a fait rejeter les courbes de
moins de 500 mètres de rayon dans les tracés de chemins
destinés à être parcourus avec de grandes vitesses ; on
LES CHEMINS DE FER. 424
sait pourquoi de telles courbes ne sont admises qu'aux
abords des stations où les convois arrivent et d'où ils par-
tent très-lentement. On comprend encore qu'on ait fait de
grands efforts dans la vue d'échapper à un assujettisse-
ment si ruineux.
Parmi les dispositifs qui ont été proposés pour donner
aux locomotives, aux diligences et aux wagons la faculté
de circuler sur des courbes d'un faible rayon, sans aug-
mentation appréciable de résistance et sans chances sen-
sibles de déraillement, celui de M. Arnoux a particuliè-
rement fixé l'attention des ingénieurs. Les principes sur
lesquels il repose sont parfaitement clairs, mais leur
énoncé figurerait mal dans ce rapport. La commission
a pensé qu'il n'y avait pas d'explications qui pussent
remplacer l'expérience. Aussi , avant la discussion de la
loi , nous soumettrons à l'appréciation des membres de la
Chambre un modèle complet du nouveau système. Chacun
prendra alors une idée exacte de l'artifice à l'aide duquel
les essieux doivent toujours et inévitablement se placer
peiT)endiculairement à la courbe parcourue ; chacun verra
l'ingénieux mode de liaison rigide que l'inventeur a établi
entre les diverses voitures d'un convoi; chacun, enfin,
aura sous les yeux un train articulé, construit sur l'échelle
du cinquième , dont tous les éléments , dont tous les
wagons iront, l'un après l'autre et sans le secours de
rails directeurs, suivre exactement la ligne, droite ou
sinueuse , rentrante sur elle-même ou à branches indéfi-
nies, que la tête du train aura parcourue.
Hâtons-nous de le dire , ce n'est pas seulement sur des
modèles, sur un matériel réduit, que les propriétés des
àiï LES CHEMINS DE FER.
trains articulés ont été étudiées. M. Arnoux et ses amis
ne reculèrent, il y a six ans, devant aucune dépense pour
donner aux ingénieurs des moyens certains de s'éclairer.
Dans un vaste enclos voisin de Saint-Mandé, ils établi-
rent une voie de fer de plus d'un quart de lieue de long
(1,1/^2 mètres). Cette voie formait un circuit fermé, ce
qui permettait de revenir au point de départ sans s'y
arrêter, et ce qui donna la facilité de parcourir en un seul
jour jusqu'à 120 kilomètres. Elle présentait des difficultés
inusitées. On y voyait, dans un espace resserré, des
pentes et des contre - pentes , des croisements de voies,
des lignes droites raccordées par des courbes, des lignes
courbes situées dans des sens opposés et se succédant
sans intermédiaire. Un petit cercle de 18 mètres de
rayon, complètement fermé, se rattachait au chemin
principal par deux branches de courbes de 30 mètres de
rayon. Une fois entré dans le cercle, le convoi pouvait
le parcourir indéfiniment, et il le parcourut souvent à la
vitesse de trois à quatre lieues à l'heure.
Le convoi se composait ordinairement d'une locomotive
anglaise, du tender, de quatre ou cinq voitures et d'une
plate-forme.
Dans les essais ( ils ont duré plusieurs années et occa-
sionné une dépense de 230,000 fr.), le chemin parcouni
sur la voie de Saint-Mandé s'est élevé, en somme, à plus
de 2,000 kilomètres.
Pendant les expériences, exécutées sur une si vaste
échelle, toutes les difficultés qui s'étaient d'abord élevées
contre le système de M. Arnoux s'évanouirent successive-
ment. Le système fut approuvé catégoriquement par
LES CHEMINS DE FER. 433
l'Académie des sciences (Voir le rapport précédent,
p, 393 à 417) et par une commission composée d'ingé-
nieurs des ponts et chaussées.
Il demeura constaté :
Que la résistance, dans le système de M. Amoux, est
sensiblement la même sur les parties droites et sur les
parties courbes du chemin, et que la convergence des
essieux est la condition indispensable d'un bon service de
locomotion sur les rails courbes;
Que, dans les voitures des trains articulés, on ne
ressent pas d'une mianière marquée ces mouvements si
communs, si destructeurs, si incommodes, que dans les
chemins actuels on appelle les mouvements (Je lacet;
Que les voitures Amoux permettant d'élargir, sans
augmentation de résistance, la voie ou la distance des
rails, pourront avoir par cela même une plus grande sta-
bilité que celles dont on fait usage aujourd'hui ;
Que les voitures articulées n'offrent pas la dispropor-
tion existant dans les anciennes, entre la distance des
essieux et la longueur des caisses, ce qui constitue un
nouvel élément de stabiKté ;
Que ces mêmes voitures peuvent être mieux suspen-
dues, plus légères et d'un prix moins élevé. M. Amoux
porte à 1,000 kilogrammes la différence de poids et à
1,000 fr. la différence de prix.
Au point de vue technique, l'offre de M. Amoux ne
pourra donc avoir que des avantages. Le succès du che-
min de Sceaux lèverait , tout conduit à l'espérer, les der-
niers scrupules de ceux qui, après les expériences de
Saint-Mandé, sont restés encore dans le doute.
424 LES CHEMINS DB FER.
Au point de vue économique, la commission a considéré
que la concession réclamée par M. Arnoux n'engage au-
cune question d'avenir, le chemin de Sceaux ne pouvant
pas , ne devant pas devenir une tête de chemin de quel-
que étendue.
Sous le rapport financier, la question est encore plus
simple , car M. Arnoux ne demande aucune subvention ;
cet ingénieux mécanicien devra tout exécuter sur le che-
min de Sceaux à ses risques et périls.
En résumé :
La commission donne son approbation^au projet de loi
présenté par M. le ministre des travaux publics. Si rem-
ploi des voitures articulées sur le chemin de Sceaux , ne
fait surgir, comme tout autorise à le croire , aucune diffi-
culté imprévue ; si les galets directeurs de la locomotive
fonctionnent dans la plaine d'Arcueil et le long des co-
teaux de Bourg-la-Reine, comme à Saint-Mandé, il sera
permis d'adopter, pour les tracés futurs des chemins de
fer, des règles larges et comparativement trèsréconomi-
ques ; car, on doit bien le remarquer, dès qu'il sera établi
qu'on peut franchir rapidement et sans danger des courbes
à petit rayon , on aura résolu implicitement le problème
des grandes pentes.
Ainsi , en votant le projet de loi , la Chambre ne dote-
rait pas seulement la capitale et l'arrondissement de
Sceaux d'un chemin utile ; elle ferait faire de plus un pas
important, décisif, à l'art de la locomotion sur les voies
de fer, sans imposer aucune charge au Trésor.
La commission n'a apporté au projet de loi et au cahier
des charges, que des modifications légères qui s'expli-
LES CHEMINS DE FER. 425
queront d'elles-mêmes. Il est un point seulement , rela-
tivement auquel un très- court commentaire pourra ne
point sembler superflu.
Le chemin de Sceaux doit être principalement considéré
comme le moyen de mettre à jamais en dehors de toute
discussion raisonnable, les avantages dont les trains arti-
culés sont doués dans les courbes d'un court rayon. Il
faut donc que la Chambre soit assurée que de telles
courbes se trouveront dans le tracé définitif. Tel est le
but de l'amendement que nous avons fait à l'article 2 du
cahier de charges*. La différence moyenne de niveau, de
15 millimètres par mètre, qui existe entre Bourg-la-Reine
et Sceaux, ne pourra, dans aucun cas, être franchie
directement; cette partie du tracé, comme du reste
l'avant-projet l'indique, renfennera plusieurs lacets et
des courbes d'un court rayon.
Les avantages qui pourraient résulter dans les tracés
de tant de chemins de fer qui ne sont pas encore définiti-
vement arrêtés , de l'emploi de lignes très-sensiblement
courbes , doit faire vivement désirer que la grande expé-
rience de Sceaux soit prochainement en activité. La com-
mission émet donc le vœu que le gouvernement abrège ,
!• Le projet disait : « Le maximum des pentes et rampes du tracé
n'excédera pas O^.OO? par mètre entre Paris et Bourg-la-Reine, et
0".011 entre Bourg-la-Reine et Sceaux. » M. Arago a fait adopter la
rédaction suivante : « Le maximum des pentes et rampes du tracé
n'excédera pas 0".007 par mètre entre Paris et Bourg-la-Reine.
Entre Bourg-la-Reine et Sceaux, les pentes, le nombre des lacets et
les rayons des courbes de raccordement seront déterminés par
l'administration supérieure, sur les projets fournis par le conces-
sionnaire, de manière que l'épreuve des voitures articulées de
M. Arnoux soit complètement concluante. »
«26 LES CHEMINS DE FEB.
autant que possible, les formalités qui pourraient empê-
cher M. Amoux de se mettre promptement à l'œuvre.
[Sur ce rapport le projet de loi de concession du chemin de fer
de Sceaux a été adopté sans discussion dans la séance de la Gliambr *
des députés du 19 juillet iStiU. ]
VIII
SYSTÈMES DE CHEMINS DE FER ATMOSPHÉRIQUES *
Nous répondrons à un désir qui a été manifesté sur
divers bancs de la Chambre, en essayant de caractériser
en quelques lignes les divers systèmes de chemins atmo-
sphériques qui se disputent aujourd'hui l'attention du
public. . Cette introduction aura d'ailleurs l'avantage de
séparer, en termes généraux, les propriétés évidentes de
ces inventions, de celles qu'on leur attribue gratuitement,
ou qui, pour être constatées, exigeraient encore un examen
sérieux;
L'atmosphère presse dans tous les sens avec la même
intensité. Elle exerce un égal effort sur une surface hori-
zontale et sur une surface verticale.
La pression atmosphérique, évaluée perpendiculaire-
ment aux surfaces planes, les seules dont nous aurons à
parler ici, a pour mesure, en chaque lieu, le poids d'un
volume de mercure ayant pour base la surface pressée, et
pour hauteur celle du baromètre.
1. Rapport fait à la Chambre des députés, le 16 juillet i8/i/i, sur
un projet de loi tendant à ouvrir au ministre des travaux publics
un crédit de 1,800,000 francs pour un essai des systèmes de chemins
de fer atmosphériques.
LES CHEMINS DE FCB. 427
Au niveau de la mer, la hauteur moyenne du baromètre
est de 76 centimètres. Si on se rappelle qu'à égalité de
volume, le mercure pèse treize fois et demie plus que
l'eau, on concevra que la pression atmosphérique sur
une surface de quelque étendue doive devenir une force
motrice puissante, partout où Ton réussira à annuler la
pression en sens contraire , provenant de la môme cause,
qui ordinairement la balance.
Concevons maintenant, à la surface du sol, un tuyau
d'un demi-mètre de diamètre, par exemple, ouvert à ses
deux bouts et portant un piston bien ajusté, susceptible
de glisser dans les deux sens. Ce tuyau a été appelé,
d'après une dénomination anglaise, le tube de propulsion;
nous lui conserverons ce nom.
L'atmosphère poussera le piston du tube de propulsion,
de droite à gauche, avec une force très- considérable,
facile à calculer. Une force exactement égale le poussera
de gauche à droite. Le piston restera donc en repos.
Cela posé, fermons hermétiquement le tube à son extré-
mité de gauche. Ensuite, enlevons tout l'air compris entre
cette extrémité fermée et le piston , en nous servant d'un
système de pompes et de soupapes, analogue à celui qui
constitue l'appareil si connu dans les cabinets de physique
sous le nom de machine pneumatique.
Enlever l'air, c'était anéantir la pression, qui, s' exer-
çant sur le piston, de gauche à droite, l'empêchait de
céder à la pression, à la force qui le poussait en sens
inverse* Après l'opération , cette demière force subsiste
seule, et elle ne pourra manquer de pousser le piston vers
la gauche avec une grande puissance, avec une grande
as LES CHEMINS DE FER.
rapidité, dès qu'on aura ôté le coin ou tout autre obstacle
analogue qui le retenait en place.
Si, au lieu d'enlever la totalité de Tair contenu dans la
portion du tube horizontal comprise entre le piston et
Textrémité fennée à gauche, on n'en enlève qu'une partie;
si, par exemple, au lieu de réduire, dans cette même
portion 'du tube , la pression atmosphérique à zéro , on
l'amène seulement à être la moitié de sa valeur normale,
le piston restera pressé de gauche à droite, avec une
intensité égale à la moitié de celle qui le pousse en sens
opposé, et la force motrice du piston ^ trouvera elle-
même définitivement réduite à la moitié de ce qu'elle était
dans le premier cas. Un vide encore plus imparfait rédui-
rait cette force propulsive au tiers , au quart , au cin-
quième, etc.
Il est bien entendu qu'après avoir poussé le piston de
droite à gauche, il suffira, si on veut le faire marcher en
sens contraire , de laisser à gauche le tube en libre com-
munication avec l'atmosphère, de boucher la section de
droite, et d'y opérer un vide plus ou moins complet.
Lions, d'une manière quelconque, des ballots à l'ar-
rière du piston mobile , et nous aurons le système de
transport pour les marchandises, les lettres, les journaux,
que l'ingénieur danois, M. Medhurst, proposa en 1810.
Donnons au tube des dimensions considérables, en telle
sorte qu'il puisse contenir une file de voitures, et l'on se
fera une idée précise de l'expérience que tenta M. Val-
lance, en 1824, sur la route de Brighton, dans un tuyau
provisoire en bois de deux mètres de diamètre.
Il était de toute évidence, sans même tenir aucun
LES CHEMINS DE FER. 429
compte de diverses considérations économiques , que le
public ne consentirait pas à s'enfermer, comme le voulait
le système de M. Vallance, dans un tube de fer indéfini ;
qu'il éprouverait une très-juste répugnance à voyager,
quelque grande que fût la vitesse, dans une obscurité
profonde. Aussi , M . Medhurst , voulant perfectionner ses
premières idées, chercha-t-il des moyens de transmettre
au dehors du tube la force motrice dont le piston inté-
rieur peut être animé. A. ses tentatives succédèrent celles
de l'ingénieur américain Pinkus, et ensuite les essais plus
heureux de MM. Clegg et Samuda.
Les premières expériences des deux ingénieurs anglais,
faites à Chaillot en 1838, furent suivies des épreuves
moins imparfaites, exécutées à Worm-Wood-Scrubs, près
de Londres. Enfin , grâce à un prêt de 625,000 francs
du gouvernement anglais , MM. Clegg et Samuda purent
procéder à l'établissement du chemin atmosphérique de
Kingston à Dalkey, sur une longueur de 2,275 mètres.
Un mot maintenant de la méthode qu'on a imaginée
pour établir une liaison intime et rigide, entre le piston
sur lequel s'exerce la force motrice atmosphérique et la
première voiture d'un train roulant sur des rails ordi-
naires en dehors du tube.
La liaison rigide dont il vient d'être parlé, ne peut
guère s'étabHr convenablement qu'à l'aide d'une tige
métaUique allant du piston à la voiture. Or, comme il
faut que cette liaison se maintienne pendant toute la
course du piston , le tube doit être ouvert longitudinale-
ment par le haut. C'est le long de cette fente supérieure
que la tige métallique marche ; c'est par son intermédiaire
i30 LES CHEMINS DE FER.
que le mouvement du piston se communique à la première
voiture du convoi , et de là à toutes les autres. Cette tige
a donc été appelée très- légitimement la tige motrice ou
de connexion.
Mais, dira-t-on, si le tube est fendu, comment y faire
le vide ? Voici la réponse.
La fente est couverte, sur toute sa longueur, d'une
soupape qui la ferme hermétiquement Le vide peut donc
s*opérer successivement, dans la portion de tube située à
gauche ou à droite du piston, comme dans le tube non
fendu que nous considérions d'abord. Seulement , par un
effet du mouvement sur lequel nous reviendrons, la sou-
pape s'ouvre partiellement près du piston, de manière à
laisser passer la tige de connexion; immédiatement après
elle retombe par son poids.
C'est ici la partie la plus délicate de l'appareil. La
soupape ferme -t- elle rigoureusement la fente, le vide
s'opère exactement dans le tube, et il s'y maintient ; on
obtient une force motrice puissante et permanente. La
soupape, au contraire, livre-t-elle passage à l'air par
quelque fissure, on ne peut arriver à un vide suflisant,
qu'en se sei^ant d'une pompe pneumatique très-forte, et
encore ce vide imparfait ne se conserve-t-il pas, si on ne
maintient pas la pompe incessamment en action. C'est
surtout par le mode de fermeture de la fente longitudinale
du tube de propulsion, que les systèmes de M. Samuda et
de M. Hallette diffèrent l'un de l'autre.
La soupape longitudinale de M. Samuda , destinée à
fermer la fente du tube, est formée d'une lanière mdéfmie
en cuir, fortifiée en dessus et en dessoius , par une série
LES CHEMINS DE FER. 431
de plaques de fer de 30 centimètres de long, et ne laissant
guère entre elles qu'un centimètre d'intervalle. On donne
ainsi du poids à la soupape sans anéantir sa flexibilité. Le
cuir est attaché intimement, hermétiquement, par l'un de
SCS bords, à l'un des deux côtés de la fente. L'autre bord
reste libre, mobile, et lorsque la soupape est fermée, il
repose simplement sur la seconde lèvre de la fente , re-
couverte d'avance, dans toute sa longueur, d'une compo-
sition de cire et de suif. Quand la soupape s'entr'ouvre,
la bordure en cuir fixée, adhérente au tuyau, se fléchit et
fait ainsi l'oflice d'une véritable charnière.
On concevra avec assez d'exactitude la manière dont
est disposée et fonctionne la latiière sovpape de M. Samuda,
en étendant sur une table un long ruban de drap, en lai
faisant subir une tension modérée et en le collant ensuite
à la table par l'un de ses bords. Le doigt, en se prome-
nant entre le drap et la table le long du bord libre du
ruban, produit une inflexion locale, un soulèvement du
drap partout où il se transporte. A quelque distance de là
le soulèvement n'a pas lieu, ou du moins il est insensible.
La soupape de M. Samuda ne se soulève jamais jusqu'à
devenir verticale. Elle ne dépasse pas dans ses mouve-
ments l'inclinaison de 45°. L'ouverture est alors suffisante
pour donner passage à la tige motrice, à la tige large et
fortement infléchie qui unit le piston à la voiture directrice.
Cette tige, chacun en a déjà compris la nécessité, est
(juelque peu en arrière de la première face du piston, afin
que jamais l'air ne puisse pénétrer librement dans la por-
tion du tube que ce piston va parcourir. En réalité , le
soulèvement de la soupape ne s'opère même pas directe-
432 LES CHEMINS DE FER.
ment par la tige : deux roulettes placées dans le tube, en
arrière du piston et un peu en avant- de la tige, remplis-
sent cet office.
La soupape, retombée seulement par son propre poids,
n'adhérerait pas au second bord de la fente assez intime-
ment pour empêcher l'air d'entrer dans le tube ; aussi, à
peine revenue à sa place, est-elle fortement comprimée à
l'aide d'une roue attachée à l'arrière de la première voi-
ture ; aussi , cette voiture porte-t-elle un cylindre rempli
de charbons incandescents, destinés à liquéfier la compo-
sition de suif et de cire, dont il a été déjà parlé.
La soupape longitudinale de M. Hallette repose sur des
principes entièrement différents.
Le tube de propulsion de notre compatriote, comme
celui de M. Samuda, est ouvert longiludinalement dans
sa partie supérieure. La fente est comprise, sur toute son
étendue, entre deux demi-cylindres métalliques creux,
faisant corps avec le tube principal, coulés d'un seul jel
avec lui, et se présentant l'un à l'autre par leurs conca-
vités. Dans chacune de ces concavités longitudinales,
M. Hallette loge un tuyau en tissu épais et serré, rendu
imperméable par les moyens connus ; il y comprime l'air
à l'aide des mômes machines fixes, qui, en agissant d'une
autre manière, opèrent le vide dans le grand tube de pro-
pulsion. En se gonflant vers l'extérieur, ces boyaux vont
remplir exactement les demi-cylindres métalliques; en se
gonflant vers le centre du tube, ils arrivent à se toucher,
disons mieux, à se presser l'un contre l'autre de manière
à former, là aussi, une fermeture hermétique.,
Dans le système si ingénieux de l'habile constructeur
LES CHEMINS DE FER. 433
d'Arras, ce n'est pas, comme on le voit, sur les bords
de la rainure longitudinale que se ferme le tuyau de pro-
pulsion. Cette rainure reste ouverte et libre, mais les deux
boyaux gonflés empêchent Tair d'y arriver en dessus,
par leur contact mutuel, et latcralement, parce qu'ils s'ap-
puient très-exactement sur la surface intérieure des deux
oreilles demi-cylindriques , situées à droite et à gauche de
la rainure.
Ici, la tige motrice n'a pas de soupape à soulever.
Dans sa marche, elle s'insinue entre les deux boyaux
gonflés et les écarte un moment l'un de l'autre. Ici, point
de rouleau compresseur, point de composition à fondre.
L'élasticité de l'air injecté dans les boyaux suffit à tout ;
après le passage de la tige, cette élasticité replace exac-
tement les choses dans l'état primitif.
Avant d'aller plus loin, il est peut-être bon de remar-
quer qu'à la hauteur des deux boyaux gonflés et tangents,
la tige motrice a peu d'épaisseur; que sa forme est celle
d'une lentille étroite ayant sa tranche dirigée dans le sens
de la locomotion , en telle sorte que les deux boyaux n'ont
jamais besoin d'être fortement écartés, et qu'ils revien-
nent subitement au contact dès que la portion étroite,
lenticulaire de la tige motrice ou de connexion a passé.
Ces détails vont faciliter la tache de la commission.
Au premier coup d'oeil on se demande si un mode de
locomotion dans lequel figure, comme organe principal,
une bande de cuir d'une immense longueur, une compo-
sition de cire et de suif, et un fer chaud destiné à liquéfier
la cire, peut avoir de l'avenir; s'il ne vaudrait pas mieux
s'occuper du perfectionnement des locomotives ordinaires
V. — II. 28
434 LES CHEMINS DE FER.
plutôt que de porter ses efforts et ses espérances sur des
combinaisons qui exigent, pour toute la longueur du tuyau
de propulsion, c'est-à-dire pour un grand nombre de
lieues, ces contacts intimes, hermétiques, qu'on obtient
avec tant de difficulté, même dans les petites machines
des cabinets de physique.
La question semble grave, mais Texpérience a pro-
noncé. Le chemin de Dalkey existe depuis près d'un an.
Depuis plus de deux mois il est en exploitation commerciale
régulière, et pendant cet intervalle de temps la soupape
longitudinale en cuir a utilement fonctionné, et ce n'est
pas de ce côté que des scrupules se sont élevés dans l'es-
prit des ingénieurs, touchant les avantages économiques
que de pareils chemins pourront offrir dans telle ou telle
circonstance donnée.
La possibilité d'arriver à de grandes vitesses sur les
chemins atmosphériques, ne saurait être l'objet d'un
doute chez ceux qui savent avec quelle rapidité l'air se
précipite dans le vide. Cependant il ne sera pas superflu
de dire ici qu'entre Kingston et Dalkey, le tube de pro-
pulsion n'ayant que 39 centimètres de diamètre, on a vu
un convoi de 30 tonnes se mouvoir avec une vitesse de
83 kilomètres (21 lieues à l'heure).
Les chemins atmosphériques se recommanderont à
ceux qui ont conservé le souvenir de là terrible cata-
strophe du 8 mai 1842, par l'absence à peu près com-
plète de tout danger. Deux convois ne sauraient y être
engagés sur le même tuyau et marcher à la rencontre l'un
de l'autre. Le déraillement de la première voiture, de celle
qui est directement conduite par la tige du piston , ne
LES CHEMINS DE FER. i35
pouvant avoir lieu, le déraillement d'une des voitures
suivantes n'amènerait pas, en général, d'accident sé-
rieux : les roues de cette voiture déraillée laboureraient
seulement le sol à côté de la voie.
Les convois des chemins atmosphériques, débarrassés
des lourdes locomotives du système actuellement en usage,
pourront être plus facilement arrêtés par l'action des
freins ; les rails, quoique plus légers, éprouveront une
détérioration moindre ; sous ce double rapport, il doit y
avoir dans le service plus d'économie et de sûreté.
Énumérons maintenant quelques-unes des questions
que le chemin de Dalkey a laissées indécises. Voyons
quels sont les principaux problèmes dont les expériences'
projetées pourraient donner la solution.
Les machines fixes font naître, en quelques minutes
d'action , une certaine force motrice au sein du tube de
propulsion. La force ainsi engendrée s'affaiblît sans cesse;
mais à quel degré en un temps donné ? Dans cet affai-
blissement , quelles sont les parts respectives des rentrées
d'air par la soupape longitudinale et par le contour cir-
culaire du piston? On n'a sur ces objets que de grossiers
aperçus qui, aujourd'hui, rendent tout calcul exact im-
possible.
En ce qui concerne les soupapes longitudinales, le che-
min de Dalkey ne nous a éclairés à demi que sur celle de
M. Samuda. La fermeture de M. Hallette n'y a pas été
essayée. A cet égard, tout est à faire. Si les expériences
d'Arras réussissent en grand , si les deux lèvres artifi-
cielles, pour employer Texpression de notre îngénieui:
compatriote, constituent une ferrarture très-hermétique.
436 LES CHEMINS DE FER.
les chemins atmosphériques se présenteront sous un jour
extrêmement avantageux et nouveau.
Remarquons, toutefois, que Texpérience ne devra pas
seulement porter sur les propriétés pneumatiques des deux
boyaux gonflés. Il faudra aussi rechercher si les garni-
tures en cuir que l'inventeur a le projet d*attacher à
rétoffe des deux boyaux, au moins le long des parties qui
doivent être en contact avec la tige mobile, s'useront très-
vite ; si les moyens proposés pour empêcher cette tige de
s'échauffer dans son rapide mouvement, rempliront le
but. Envisagé de ce double point de vue, le problème
exigera que les expériences s'effectuent sur une grande
longueur du tube de M. Hallette.
On ignore le rayon d'activité utile des machines à
vapeur fixes qui sont destinées à faire le vide dans le tube
de propulsion, ou seulement à y opérer une. certaine raré-
faction de l'air. Ce point est capital. Tant qu'il n'aura pas
été éclairci, tant qu'on ne connaîtra pas exactement le
nombre de machines fixes nécessaires à l'exploitation des
chemins atmosphériques de longueurs données, les valeurs
économiques que le calcul fournit pour les divers sys-
tèmes n'auront rien de satisfaisant, de démonstratif;
il sera impossible de dire avec certitude quelle activité
dans la circulation rendrait la locomotion atmosphérique
préférable à toute autre.
L'expérience de Dalkey a montré que les machines
fixes pourraient être placées avantageusement à 3 kilo-
mèlres les unes des autres; mais qu'arriverait-il si les
espacements étaient de 5, de 6, de 8 ou de 10 kilomètres?
On l'ignore absolument. Cette question a besoin d'être
LES CHEMINS DE FER. 437
résolue, si on ne veut pas prononcer en aveugle sur les
services qu'il faut attendre du nouveau genre de chemins.
Malgré les efforts très-intelligents de ceux de nos com-
patriotes qui ont étudié le chemin de Dalkey, il reste
encore beaucoup à faire pour évaluer le frottement de la
garniture en cuir du piston , sur la couche de suif dont le
tuyau de propulsion est revêtu intérieurement, couche
qui, pour le dire en passant, supplée à l'alésage. Dans
le tube H ailette, il y aura encore à mesurer le frottement
de la tige motrice sur le cuir des deux boyaux plus ou
moins gonflés. On peut affirmer que ces données, si néces-
saires à une appréciation exacte de la propulsion atmo-
sphérique, ne seraient obtenues nulle part avec plus
d'exactitude que par les soins de nos habiles ingénieurs.
Le tube de propulsion , dans un chemin atmosphérique
de quelque étendue, présentera souvent des solutions de
continuité. Le piston aura alors à passer, en vertu de la
vitesse acquise, d'un tube dans le tube suivant , et le tra-
jet s'effectuera à travers l'air libre. Nous croyons qu'on
s'est jeté dans une exagération manifeste, en assimilant
cette manœuvre à celle du jeu de bague : des expériences
faites entre Kingston et Dalkey ont montré, en effet , que
le passage en question s'opère sans difficulté. C'est un
point, toutefois, qui devra figurer sur la première ligne
dans le programme des expériences futures. On recher-
chera avec soin si la forme d'entonnoir donnée aux extré-
mités en présence de deux tubes contigus , est de nature
à prévenir tout accident.
Les chemins atmosphériques fourniront le moyen de
franchir toutes sortes de pentes. C'est leur propriété la
438 LES CHEMINS DE FER.
plus précieuse , et en même temps la plus évidente. A cet
égard aucune expérience ne sera nécessaire. Le calcul
donnera, au besoin, avec une exactitude rigoureuse, les
poids décroissants que le même degré de vide pourra faire
mouvoir sur Thorizontale et sur des lignes inclinées de
10, de 20, de 30, de 50, etc., millimètres par mètre. Il
faudra, au contraire, étudier soigneusement les moyens
de descendre, sans danger, toutes les déclivités possibles,
goit en recourant à des freins ordinaires, soit, ce qui est
bien préférable, à l'aide des freins d'air. Le système de
M. Hallette offrira de oe côté des ressources précieuses,
puisque la fermeture de la fente par des boyaux gonflés
reste également imperméable à Tair, pour une pression
dirigée de dehors en dedans, et pour une pression s'exer-
çant de dedans en dehors; puisque, dans ce système, on
peut opérer une forte compression de l'air dans le tube
de propulsion , sans qu'il s'en échappe une molécule.
Tout est connu et certain , quant à la locomotion atmo-
sphérique le long d'une pente unique à peu près régulière.
Il sQrait imprudent de donner la même assurance , tou-
chant le mouvement qui doit s'opérer dans une série
continue de pentes et de contre-pentes sensibles. L'expé-
rience seule pourra éclairer l'ingénieur sur les variations
brusques de vitesses et les autres inconvénients que de
telles conditions de tracé amèneraient à leur suite.
Jusqu'à quelle limite peut-on faire descendre les rayons
des courbes dans le système atmosphérique? Certaines
parties du chemin de Dalkey appartiennent à des cercles
de 175 mètres seulement de rayon ; mais on ne sait pas
& combien s'y élève le frottement, mais on y a placé des
LES CHEMINS DE FBR. 439
contre-rails de sûreté, etc. Cette question offre une impor-
tance extrême. 11 est bien désirable qu'on l'étudié, en
mariant le système atmosphérique aux wagons articulés
de M. Arnoux.
Si le piston moteur était semblable à ceux des machines
à vapeur, s'il remplissait entièrement le tube de propul-
sion , s'il reposait de tout son poids sur la partie mfé-
rieure de ce tube, on aurait raison de se préoccuper des
accidents qui pourraient être la conséquence de l'excessive
rapidité de sa marche ; mais la partie métallique centrale
de ce piston a un diamètre sensiblement plus petit que le
tube de propulsion ; mais elle est réellement suspendue à
la tige motrice , et, par cet intermédiaire, à la première
voiture du convoi, de telle sorte que la circonférence du
piston et la circonférence intérieure du tube, sont parfai-
tement concentriques, ne se touchent nulle part; mais
l'intervalle annulaire que ces deux circonférences laissent
entre elles, est rempli par une rondelle en cuir, disposée ,
à fort peu près, comme celle qui entoure le piston des
presses hydrauliques. C'est sur les bords de cette rondelle
que s'opère, pendant la marche, tout le frottement dans
le tube de propulsion. Le cuir doit s'user et s'use en effet
rapidement. C'est un point sur lequel devront se diriger
les investigations des expérimentateurs. La dépense sera
toujours insignifiante, mais les facilités de remplacement
méritent de fixer l'attention. M. Samuda estime que les
rondelles de cuir de son piston devront être changées
toutes les 40 à 50 lieues.
Alors même qu'il résulterait d'une comparaison expé-
rimentale minutieuse, que, sur les grandes lignes, les
440 LES CHEMINS DE FER.
locomotives ordinaires doivent être préférées à la propul-
sion atmosphérique, ce dernier système pourrait avoir des
avantages dans tous les cas où, pour franchir une forte
rampe, on a recours à des plans inclinés, à des machines
fixes, à des cordages. Ce genre d'application devra figurer
dans le programme des ingénieurs chargés de présider
aux essais. Il faudra étudier soigneusement les moyens
de liaison des deux genres de véhicules, pour la montée,
et surtout pour la descente des trains,
La commission trahirait toutes ses convictions, si elle
ne plaçait pas le système atmosphérique de M. Pecqueur
parmi ceux qui méritent d'être étudiés expérimentalement.
Peut-être réussirons-nous à donner une idée générale de
ce système , sans avoir besoin d'appeler à notre aide des
considérations techniques.
La locomotive ordinaire marche par l'action de la
vapeur d'eau , portée à quatre ou cinq atmosphères de
pression. Cette vapeur lui est fournie par une chaudière
tubulaire d'un volume nécessairement considérable , car
la machine consomme beaucoup. L'eau et le charbon du
tender sont destinés à fournir à cette consommation.
De l'air très-élastique ferait dans la machine de la
locomotive le même effet que la vapeur. De là l'idée de
substituer à la chaudière une caisse en fer où, avant le
départ de la gare, on aurait comprimé l'air à un très-haut
degré. Cette caisse, déjà presque vidée, devait être rem-
placée, à la première station du convoi , par une seconde
caisse à air comprimé , et ainsi de suite.
L'idée était assurément très-plausible. Cependant, jus-
qu'ici elle n'a pas réussi. De l'air énormément comprimé
LES CHEMINS DE FER. ii\
ferait naître des dangers d'explosion. 11 fallait donc em-
ployer des caisses d'une très-grande épaisseur, et alors,
du côté de la légèreté, l'avantage n'était pas aussi consi-
dérable qu'on l'avait espéré. Nous laissons à l'écart
d'autres difficultés qui ont aussi leur gravité.
A ces caisses lourdes, dangereuses, et qui seraient
inévitablement des causes de retard à toutes les sta-
tions, M. Pecqueur substitue un tube indéfini, placé sur
le sol entre les rails, et dans lequel il comprime l'air à
l'aide de machines à vapeur fixes, établies de distance
en distance le long de la voie, comme cela est aussi
nécessaire dans le système atmosphérique, par le vide,
du chemin de Kingston à Dalkey. La locomotive de
M. Pecqueur, portant sur les rails par ses roues, à la
manière des locomotives ordinaires, puise dans le tube
intermédiaire, au fur et à mesure de sa marche, tout
l'air dont elle a besoin pour fonctionner. Cet air, il est
à peine nécessaire de le dire, n'a subi ici, dans le tube
indéfini, qu'une compression très-limitée : une compres-
sion de quatre à cinq atmosphères, si c'est à ces degrés ^
d'élasticité qu'on désire marcher.
Voil?i l'idée générale ; mais c'est par les détails, sur-
tout, que brille la machine de M. Pecqueur. Rien de plus
ingénieux, de mieux entendu, de plus complet, que les
dispositions des tuyaux, des soupapes, à l'aide desquels la
machine s'alimente en marchant. Sous ce point de vue ,
l'œuvre a répondu à tout ce qu'on devait attendre de
l'inventeur.
Le petit tronçon de chemin que la commission a vu ,
rue Neuve- Popincourt, suffira pour faire apprécier les
442 LES CHEMINS DR FER.
divers genres de soupapes dont M. Pecqueur se sert;
mais il est d'autres questions qui ne pourront être tran-
chées que par des expériences en grand. Nous placerons
au premier rang de ces questions la recherche des effets
des très-grandes vitesses sur le clavier, à Taide duquel
M. Pecqueur ouvre toute sa série de soupapes.
En ne consacrant pas une petite somme à Tétude de
ce nouveau système de propulsion, nous courrions le
risque, Messieurs, de voir, comme cela n'est que trop
souvent arrivé, une belle, une très-ingénieuse invention
française nous revenir par l'étranger.
La commission s'est associée avec empressement aux
idées qui ont déterminé M. le ministre des travaux pu-
blics à présenter le projet de loi. Mais, à notre avis, ce
projet aura peu d'utilité, si les expériences n'étant pas
finies ou très- avancées dans les premiers mois de la
prochaine réunion des Chambres, il devenait impossible
de s'éclairer des vives lumières qu'un si important tra-
vail est destiné à répandre sur la question des tracés.
La nécessité de changer les règles actuelles, ou même,
suivant les circonstances, le système de locomotion,
semble aujourd'hui généralement reconnue, au moins
jsous le rapport de l'économie; sans cela, nous la ren-
drions évidente, en empruntant quelques chiffres aux
projets de chemins de fer de Bordeaux et de Strasbourg.
Messieurs, faisons les essais qui amèneront forcément
de grandes diminutions de dépense, mais faisons- les
promplement. 11 y va de 1^ fortune de la France.
La Chambre comprendra, d'après cet ensemble de
considérations, comment sa commission, quoique déci-
LES CHEMINS DE FEB. 443
dée à n'apporter aucun amendement à la loi, a cherché,
dans le cercle de ses informations, en quel lieu les expé-
riences projetées seraient faites le plus promptement pos-
sible, et dans les meilleures conditions.
Le plateau de Satory, près de Versailles, ne lui semble
pas très-favorable. Quatre kilomètres surpassent seule-
ment d'un tiers la longueur du chemin de Dalkey; dans
cette localité, les nouveaux essais ne seraient pas même
une répétition avantageuse des expériences faites en
Irlande, car de Kingston à Dalkey il n'y a pas, comme
à Satory, des pentes presque uniformes ; le chemin par-
court une contrée difficile, et les ingénieurs l'ont plié
presque exactement aux ondulations naturelles du terrain.
Aux environs de Saint-Cyr, il y aurait d'ailleurs des
propriétaires à déposséder, et les formalités légales de
l'expropriation feraient perdre un temps précieux.
Aux portes de Paris, nous voyons, au contraire, un
terrain, la berge droite du canal de TOurcq, que l'admi-
nistration de ce canal mettrait, dès demain, à la dispo-
sition du gouvernement.
De la gare circulaire de la Villettc à Sevran, on aurait
un intervalle de 12 kilomètres, susceptible d'être étendu
au besoin. En descendant de la berge dans la plaine,
et remontant ensuite de la plaine sur la berge, les ingé-
nieurs trouveraient le moyen de faire leurs expériences
sur des pentes de 10, de 20 et même de 30 millièmes.
A Bondy, on pourrait descendre à 4 mètres en contre-bas
du chemin de halage, et revenir à 4 mètres en contre-haut
pour passer au-dessus du chenal de la voirie. Gravir le
pont de Sevran, ce serait s'élever presque brusquement
444 LES CHEMINS DE FER.
de 7 mètres. Enfin, en combinant ces pentes et contre-
penles, avec des courbes et des contre-courbes d*un petit
rayon, on accumulerait, sur un espace borné, plus de
difficultés que jamais aucun ingénieur n'en rencontrerait
dans un tracé de chemin de fer à travers le pays le plus
accidenté,
M, le ministre des travaux publics et M. Legrand se
sont rendus au sein de la commission. Ils ont déclaré
de nouveau qu'aucune localité n'avait été définitivement
choisie pour devenir le théâtre des expériences projetées.
La plateau de Satory leur souriait, parce que le chemin
de Chartres y devra nécessairement passer, parce qu'en
cas de complète réussite, les tubes atmosphériques pour-
raient être laissés en place et devenir le moyen habituel
de franchir une pente rapide dans un chemin en exploi-
tation ; parce qu'il y a quelque chose de pénible dans la
pensée d'établir à grands frais des rails, des tubes de
propulsion et des machines à vapeur qui, après les essais,
devraient être enlevés.
La commission, tout en appréciant la justesse des vues
et des impressions de M. le ministre, a considéré, que
l'expérience, pour être instructive et concluante, devra
offrir, dans un espace resserré, des difficultés de pentes
et de courbes créées à dessein, des difficultés que le ter-
rain naturel aurait probablement permis d'éviter. Le
chemin expérimental ne se trouvera donc pas dans les
conditions avantageuses qu'il eût été possible de donner
au chemin d'exploitation; il ne pourra en général être
conservé.
Par une exception, le chemin d'épreuve de la berge
LES CHEMINS DE FER. 445
droite du canal de l'Ourcq, échapperait, si on le voulait,
à une destruction complète. La commission a reçu, en
effet, de la Compagnie des canaux de Paris, un engage-
ment conçu en ces termes :
« Si l'expérience est faite par le gouvernement, sur la
berge du canal, depuis la gare circulaire jusqu'à Sevran,
nous nous engageons à reprendre au prix d'un million les
travaux et le matériel qu'il nous sera peut-être possible
d'utiliser pour le service de la navigation et des voiries. »
Cette proposition nous semble mériter un examen sé-
rieux. Une réduction de moitié sur le montant de la
dépense projetée, ne serait pas à dédaigner. Toutefois,
des considérations d'économie sont ici secondaires. Mettre
dès les premiers mois de l'année prochaine, la Chambre,
le pays tout entier, en mesure de faire une part éclairée
aux systèmes de locomotion atmosphérique, voilà le prin-
cipal. Le meilleur emplacement est, à nos yeux, celui qui
permettra d'entreprendre et de compléter les expériences
dans le plus bref délai. C'est, à ce titre, que la com-
mission verrait avec une satisfaction réelle, M. le ministre
faire tomber son choix sur la berge du canal de l'Ourcq.
11 est bien entendu que ce vœu serait comme non avenu,
si l'administration découvrait, contre toute probabilité,
un lieu où les essais pussent être tentés dans des condi-
tions plus favorables, et, surtout , plus tôt que le long
du canal.
Sous le bénéfice des observations qui précèdent, la
commission propose à la Chambre d'adopter le projet
de loi.
446 LES CHEMINS DE FER.
[Le rapport qui précède a donné lien à nne courte discussion qne
nous extrayons du Moniteur du 19 juillet iShh* ]
IL DciiON, ministre des travaux publics. Le gouvernement a en
l^onneur de déclarer devant la commission , comme il le déclare
maintenant devant la Chambre, qu'il demandait qu*on lai réservât
une entière liberté pour le choix du lieu où se fera Tessai du sys-
tème atmosphérique, et, certainement, si le choix des berges du
canal de TOurcq avait pour résultat d'engager la tête de ligne du
chemin de fer de Strasbourg, ce serait pour le gouvernement une
raison décisive de renoncer à Texpérience sur ce point
M. DE LA RocHEJAQUELEiN. Je demande à présenter une observa*
tion. Nous avons tous été frappés de ce que nous a dit Thonorable
M. Dilhan sur un nouveau système de chemin qui s'appelle système
Jouffroy, Il s'agit d'expérimenter en ce moment toutes les nouvelles
inventions pour les chemins de fer. J'ai été étonné que M. Ârago,
dans son rapport, ne nous ait pas parlé du système JoufTroy.
Je désirerais connaître Topioion du savant M. Arago sur ce sys-
tème, et savoir aussi si M. le ministre des travaux publics croit qu*oo
doive prendre en quelque considération une découverte qui , aux
yeux de beaucoup de personnes, a une très-grande importance.
M. Arago, rapporteur. Il n'a point été question dans
le rapport du système de M. de Jouffrby, parce que le
rapport sur le chemin de fer atmosphérique est relatif à
une modification dans la force motrice, et non pas dans
le matériel des chemins de fer.
Le système de M. de Jouffroy peut être comparé au
système de M. Arnoux. Si M. de Jouffroy se présentait
devant la chambre dans les conditions de M. Arnoux , s'il
demandait qu'on fît une expérience sur son système , il y
a assurément dans ce qu'on en a vu des choses assez
séduisantes , des moyens de sûreté assez précieux , pour
que toutes les personnes qui désirent voir faire des pro-
grès à la question des chemins de fer s'associent à la pen-
sée qu'a eue M. de la Rochcjaquelein en me questionnant.
Si donc M. Jouffroy se présentait dans les mêmes con-
LES CHEMINS DE FER. Hl
ditions que M. Arnoux, je serais certainement des pre-
miers à demander que Ton fît l'essai de son système ;
mais je prie M. de la Rochejaquelein de remarquer que
le système de M. de Jouffroy consiste en une modifica-
tion dans le matériel , et non point en une modification de
la force motrice ; ce dont il s'agit aujourd'hui, c'est d'une
modification radicale dans les chemins de fer, c'est d'une
modification dans l'essence même des chemins de fer,
dans la force motrice ; elle consiste à substituer l'atmo-
sphère à la vapeur, à substituer des machines fixes à des
machines mobiles. 11 n'y a rien de cela dans le système
de M. de Jouffroy.
Au reste, j'ai appris que l'administration avait hésité
à faire ce que désire M. de Jouffroy par une raison qui
ne subsistera pas longtemps. Le système de M. de Jouf-
froy a été présenté à l'Académie des sciences; j'ai pris
vis-à-vis de M. le ministre l'engagement de hâter le
rapport le plus possible. Une opinion raisonnée, com-
plète, étudiée, du système Jouffroy ne tardera pas à être
publiée.
M. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS. Le systèiiic do M. de Jouf-
froy, comme celui de .M. Arnoux, modifie les conditions auxquelles,
pendant longtemps, on a attaché les garanties de la sûreté publique,
c'est-à-dire l'inclinaison des pentes et le rayon des courl>es; ces
modifications peuvent s'opérer sans inconvénient, si l'on substitue
aux anciennes garanties des garanties nouvelles et revêtues d'une
sanction suffisante.
Or, le système de M. Arnoux a cet avantage d'avoir obtenu cette
sanction. Lorsque j'ai présenté à la Chambre un projet ayant pour
objet l'essai du système de M. Arnoux , ce système avait obtenu un
avis favorable de l'Académie des sciences et du conseil général des
ponts et chaussées.
C'est la double approbation que ce système avait obtenue de ces
deux corps, qui m'a déterminé à présenter le projet à la Chambre.
448 LES CHEMINS DE FER.
Mais le système de M. de Jouffroy ne réunit pas encore ces condi-
tions ; il n'a pas été soumis à TAcadémie et au conseil des ponts et
chaussées, et tant qu'il n'aura pas leur approbation , il ne me sera
pas possible de proposer à la Chambre un projet à cet égard.
Si les épreuves auxquelles sera soumis ce ^stème lui sont favo-
rables, s'il résulte de ces épreuves que l'expérience peut en être
faite sans danger, je serai tout disposé à proposer aux Chambres
d'en autoriser Fessai aux mômes conditions que pour le système de
M. Amoux.
M. Arago. En ce qui me concerne, je dirai à M. le
ministre qu'il n'attendra pas longtemps ^.
M. LE Président. Je consulte la Chambre pour savoir si elle en-
tend passer à la discussion des articles.
(La Chambre passe à la discussion des articloSi )
M. Arago. Dans le projet de loi, il était à peu près
entendu que l'essai serait fait par le gouvernement. Dans
le rapport , nous avons indiqué la promptitude de l'expé-
rience comme la chose capitale. Il nous avait semblé que
l'expérience se ferait le plus promptement possible par
l'intermédiaire d'une compagnie qui aurait des locaux,
mais nous n'avons rien voulu prescrire.
Après avoir examiné le rapport, le gouvernement a
pensé qu'il était possible de faire au premier article une
modification dont je vais donner lecture.
M. Legrand, sous-secrétaire (tÉiat des travaux publics. Lue
addition I
M. Arago. Oui, une addition, afin que vous ayez
une entière liberté.
En voici les termes :
i. Ainsi que M. Arago s'y était engagé, dès que le système de
M. de Jouffroy eut pu être expérimenté sur une échelle suffisante,
un rapport, rédigé par M. Cauchy, a été fait à TAcadémie des
sciences (séance du 16 novembre 18/i6).
LES CHRM^INS DE FER. U9
€ L'essai pourra être fait, soit directement par l'État,
soit par une compagnie à ses risques et périls, moyen-
nant subvention de toute ou partie de la somme mentionnée
au paragraphe précédent. •
Puis , viendrait comme art. 2 :
« Le lieu de l'essai sera désigné par une ordonnance
royale.
« Le ministre des travaux publics pourra , en vertu de
cette ordonnance, requérir, s'il y a lieu, conformément
aux titres 2 et suivants de la loi du 3 mai 1841 , l'ex-
propriation des terrains nécessaires à l'exécution des tra-
vaux. »
La chambre voit qu'avec cçtte addition le Gouverne-
ment conserve une liberté entière, et qu'il pourra adopter
la proposition qui présentera le plus d'avantages.
[Après ces explications, la Chambre des députés a adopté à la
presque unanimité le projet de loi.
Le gouvernement ayant décidé que Tessai des systèmes atmosphé-
riques aurait lieu sur le chemin de fer de Saint-Germain, M. Arago
a prononcé le discours suivant dans la séance de la Chambi^e des
députés du 20 juin 18/i5. ]
Vous avez entendu dans la séance d'hier la discussion
qui s'est élevée et à laquelle ont pris part M. Corne et
M. le ministre des travaux publics. Il s'agissait d'exa-
miner si le traité qui a été passé avec la compagnie du
chemin de Saint -Germain était conforme à la loi votée
dans la dernière session , concernant des expériences à
faire sur les. chemins atmosphériques.
J'avoue que, malgré tous mes efforts, je n'ai jamais
compris ce traité; que je n'ai pas réussi à y voir une
déduction logique de la loi. 11 me semble que mon titre
V.— II. 29
i50 LES CHEMINS DE FSR.
de rapporteur de la commission qui fut appelée à s'expli-
quer sur des expériences à tenter relativement aux che-
mins de fer atmosphériques, m'impose le devoir de pré-
senter à la Chambre quelques réflexions. Ce n'est pasun
discours que j'apporte ici ; ce sont des observations très-
courtes ; je n'abuserai pas des moments de l'Assemblée.
Messieurs, quel était le but de la loi en question? Ce
but est défini de la manière la plus claire dans on pas-
sage de l'exposé des motifs.
Voici ce passage : « Nous pensons qu'il convient d'ex-
périmenter les deux systèmes : aussi nous nous propo-
sons d'établir un chemin à deux voies, et d'affecter une
des deux voies au système français et l'autre au système
anglais. »
Je ne ferai aucune réflexion sur la critique que M. le
ministre a adressée à Thouorable M. Corne , qui s'était
servi des expressions a système anglais et système fran-
çais. » La chambre voit que M. Corne avait emprunté
cette expression à M. le ministre lui-même; mais je dirai
que Ton ne construit pas deux voies, et, ce qui est éga-
lement évident, qu'on ne fait pas d'expériences. Le but
manifeste de la loi est méconnu, éludé.
En votant des expériences, la chambre entendait qu'on
essaierait différents modes de construction et d'action,
de manière à constater ce qui devrait être préféré. Fait-
on cela sur le chemin de Saint-Germain? En aucune
manière. On exécutje un chemin, entre cette ville et
Nanterre, d'après des idées préconçues d'ingénieurs très-
habiles attachés à la compagnie. Tout ce qui est en de-
hors de ces idées ne sera pas essayé.
LES CHEMINS DE FER. i5f
Voici quelcpie chose de plus sérieux encore :
Les chambres avaient décidé que le système de M. Hal-
lette offrait d'assez grandes chances de réussite, pour
qu'on dût l'essayer aux frais de l'État. Une partie des
1,800,000 fr. votés devait être employée à ces essais.
Eh bien , le traité passé avec la compagnie de Saint-Ger-
main soumet le système de M. Hallette à une expérience
préalable.
Pour avoir droit à une part des 1,800,000 fr., pour
avoir le droit de faire essayer son système, M. Hallette
doit préalablement exécuter à ses frais certaines expé-
riences : il faut que ces expériences réussissent. Est-ce,
par hasard, que cela était dans la loi? est-que cette con-
dition d'une expérience préalable avait été prévue , sti-
pulée? est-ce que M. le ministre n'était pas parfaitement
sih-, quand il présenta le projet de loi, que le système
de M. Hallette méritait d'être essayé?
On nous dira peut-être : Ce n'est pas entièrement à
.ses frais que M, Hallette essaiera son système. EffLttive-
mcnt , la compagnie de Saint-Germain est tenue de lui
prêter 300 mètres de rails.
M. LE .Mlmstre dks travaux publics. Je répondrai.
M. Arago. D'après les conditions du traité , je les ai
très- présentes à la mémoire, la compagnie de Saint-
Germain doit prêter 300 mètres de rails à M. Hallette.
On prêtera aussi quelque chose à cet ingénieur pour
opérer le vide dans un tube de propulsion qu'il devra
exécutera ses frais; on lui prêtera quoi? messieurs, une
locomotive. Mais a-t-on réfléchi que c'est peut-être la
452 LES CHEMINS DE FER.
plus mauvaise de toutes les machines , quand il s^agit de
faire le vide dans une grande capacité ?
M. le ministre avait à moitié raison lorsqu'il réfutait
hier l'honorable M. Corne sur ce point particulier.
M. Corne , en effet , avait commis une petite erreur. Il
n'avait pas bien compris quel était le but de la locomo-
tive concédée. Mais M. le ministre lui-même n*étaitpas
dans le vrai , ce me semble , quand il affirmait qu'on avait
fait à M. Ilallette un magnifique cadeau en lui confiant
une locomotive comme machine destinée à opérer le vide.
La locomotive a une tout autre destination ; elle peut être
excellente pour traîner des convois, et fonctionner très-
mal comme machine d'épuisement.
L'expérience préalable qu'on exige de M. Hallette,
contrairement à la loi , entraînerait de grandes dépenses.
Cependant , ce serait seulement après que M. Hallette
aurait réussi dans l'expérience préalable qu'on lui impose,
qu'on essaierait le système français sur une étendue de
1,000 mètres, aux frais de l'État, je me trompe, aux
frais de la compagnie de Saint-Germain, qui a touché les
1,800,000 fr., ou doit les toucher.
Qu'arriverait- il , Messieurs, si l'expérience préalable
de M. Hallette ne réussissait pas, au jugement d'une
commission nommée par le ministre?
Les 1,000 mètres coûteraient de 200,000 à 300,000 fr.
Tout le monde s'imagine, sans doute, que si l'on ne fai-
sait pas l'expérience de 1,000 mètres, on réduirait de
200,000 à 300,000 fr. la somme accordée à la compa-
gnie de Saint-Germain. On se tromperait; la compagnie
bénéficierait des 200,000 à 300,000 fr., c'est-à-dire de
LES CHEMINS DE FER. i53
toute la dépense qu'elle aurait dû faire , et qu'elle ne
ferait pas, pour essayer le système de M. Hallette.
J'avoue que cette disposition me paraît incompréhen-
sible. J'ai la plus grande confiance dans les intentions de
M. le ministre ; je suis certain qu'il voulait que l'expé-
rience réussît, mais je ne vois pas quels motifs plausibles
ont pu l'entraîner à admettre plusieurs des dispositions
renfermées dans le traité conclu avec la compagnie de
Saint-Germain.
L'expérience préalable à laquelle on veut astreindre
M. Hallette me revient toujours à l'esprit ; je me demande
s'il serait survenu, depuis le moment où M. le ministre pré-
senta la loi, quelque renseignement qui l'eût fait douter
de la bonté du système. Pour moi , je puis produire l'opi-
nion d'un ingénieur habile, qui est une autorité en pa-
reille matière, M. William Cubitt. J'ai là une lettre qui a
été écrite par M. Cubitt au maire de Boulogne, M. Adam.
Le célèbre ingénieur déclare que le système de M. Hal-
lette lui paraît très-digne d'être essayé.
La première détermination de M. le ministre était favo-
rable; nous nous proposons, disait-il , d'établir un chemin
à deux voies et d'alTecler une des voies au système fran-
çais, l'autre au système anglais. C'est après cette décla-
ration formelle, c'est après le vote de la Chambre, c'est
après la promulgation de la loi, que nous voyons M. le
iiîinpistre imposer à M. Hallette des conditions léonines.
On s'y perd.
Supposons maintenant que l'expérience de M. Hallette
réussisse, malgré les résistances de la compagnie de
Saint-Germain, résistances qui commencent déjà à se
454 LES CHEMINS DE FER.
manifester; qu'accordera -t- on à ringénieur d'Arras?
1,000 mètres. Je déclare que ces 1,000 mètres sont
complètement insuffisants pour résoudre les questions
pendantes , les questions que nous avons signalées dans
rapport de la commission.
Que fallait-il particulièrement essayer? Il fallait essayer
l'effet des pentes et des contre- pentes. Il n'y en a pas
dans la localité désignée ; il fallait surtout essayer si la
pièce destinée à écarter les deux lèvres de la fermeture
de M. Hallette, si les deux boyaux ne s'échaufferaient pas
considérablement lorsque la marche des convois serait
très-rapide. Avec 1,000 mètres de longueur, cette ques-
tion n'est pas même abordable. En effet , à peine par-
venu à 500 mètres de distance, il faudrait ralentir la
marche pour éviter les accidents qui arriveraient à l'extré-
mité. L'expérience se ferait donc dans des conditions de
vitesse inefficaces. La commission que vous avez envoyée
à Arras, la commission, composée d'ingénieurs des
ponts et chaussées, qui s'est transportée chez M. Hal-
lette, a déclaré, je crois, que l'essai du système français
méritait d'être fait; mais elle a dit en même temps qu'en
n'opérant que sur 1,000 mètres, on aurait des résultats
insignifiants qui ne prouveraient rien, qui ne résoudraient
aucune des questions sur lesquelles l'esprit public peut
être encore en suspens. Vous le voyez. Messieurs , cette
affaire n'a pas été bien conduite. Je ne parle pas des inten-
tions, je le déclare avec sincérité, je crois qu'elles étaient
excellentes; mais les conditions qu'on a admises, que
l'on a souscrites au profit de la compagnie de Saint-Ger-
main , ne produiront aucun bon résultat*
LES CHEMINS DE FEU. 455
I>a Chambre a voulu que la question pendante entre le
système anglais et le système français fût résolue ; vous
voyez qu'elle ne le sera pas.
M. le ministre vous a présenté hier un exposé très-élé-
gant, je m'empresse de le reconnaître, des questions
dont il s'est préoccupé ; mais , qu'il me permette de le
lui dire, il a pris le problème par le petit bout. -Que sont,
par exemple, les passages à niveau dont on a tant parlé?
Est-ce par hasard que les moyens de les effectuer ne de-
vraient pas exister dans le système de M. Hallette tout
aussi bien que dans celui de MM. Clegg et Samuda?
Il y a , dans les vues qui ont présidé à la rédaction du
traité que je critique, une erreur capitale, et la voici:
M^ le ministre paraît avoir cru que la véritable question
à résoudre est celle de savoir si on pourra gravir de fortes
pentes. Cette question est résolue , complètement résolue.
J'ai eu l'honneur de dire à M. le ministre, dans une con-
férence qu'il a bien voulu m'accorder, que je ferai tout
ce qu'il cherche , avec 15 fr. de dépense, prix de la table
de logarithmes, ou même sans rien dépenser, car les
tables de Callet existent dans toutes les bibliothèques.
Pour avoir le poids qu'on pourra soulever sous telle ou
telle pente, on n'a qu'à consulter une table fort connue,
la table de logarithmes ; il suffit de prendre dans cette
table de simples cosinus , pour avoir les effets utiles sous
toutes les inclinaisons possibles.
En résumé, je me répète, car je voudrais bien que
la Chambre se pénétrât de mon objection , en obligeant
M. Hallette à une expérience préalable , en soumettant
sen système à une des épreuves dont cet habile ingénieur
i56 LES CHEMINS DE FER.
devra supporter les frais , M. le ministre a fait une chose
qui n'était indiquée dans le projet de loi ni implicitement
ni explicitement. Le système de M. Hallette, Texposé
des motifs est là , j'en ai lu un passage très-catégorique,
devait être examiné concurremment avec le système de
MM. Clegg et Samuda; ils devaient être essayés tous les
deux parallèlement sur des longueurs égales , sur deux
voies toutes semblables ; cela se fera tout autrement.
On s'étonne beaucoup en Angleterre de la manière
dont les expériences sont dirigées.
Lorsqu'on proposa le projet de loi , il n'y avait , chez
nos voisins, qu'un seul chemin atmosphérique : celui
de Kingston à Dalkey. Ce chemin était fort court; il
n'avait pas une longueur développée de cinq kilomètres.
Maintenant les ingénieurs anglais construisent des che-
mins atmosphériques plus étendue. M. Cubitt en exécute
un entre Croydon et Epsom. Probablement on procédera
bientôt à celui qui réunira Londres à Portsmouth.
Les Anglais feront sur une grande échelle l'expérience
du chemin anglais ; il devait donc suffire d'envoyer des
ingénieurs sur l'autre rive du détroit pour en être témoins.
De notre côté , nous aurions fait sagement d'expérimenter
le système de M. Hallette, le système français.
On fait précisément le contraire, et même avec cette
circonstance , que les essais grandioses de Saint-Germain
ne décideront rien , n'éclaireront aucune compagnie.
On ne veut évidemment rien essayer de français, et,
cependant , il y a eu chez nous des inventions dignes
d'intérêt, celle de M. Pecqueur, par exemple.
Sur cette matière, nos compatriotes ont été plus fé-
LES CHEMINS DE FER. i57
conds en inventions ingénieuses et d'un succès probable,
qu'on ne l'a été dans aucun autre pays. S'il le fallait, je
citerais le système si remarquable de M. Charaeroy, la
fermeture purement métallique du tube, imaginée par
M. Hédiard, et qui paraît avoir tant d'avenir. Résignons-
nous, Messieurs, tout cela ne sera pas essayé; la com-
pagnie du chemin de Saint-Germain a absorbé les fonds.
Au reste , elle en consacre maintenant une notable partie
à faire un pont sur la Seine. (Rires à gauche.) Est-ce
bien là, je vous le demande, ce que vous entendiez voter?
La commission d'ingénieurs que M. le ministre a en-
voyée à Arras , tout en proposant de rejeter comme insuf-
fisant l'essai projeté sur 1,000 mètres, propose, je crois,
de faire exécuter aux frais de l'État et d'après le système
Hallette, une portion du chemin destinée à joindre les
différentes gares, le chemin qui irait de la gare de Rouen
à la gare du chemin du Nord. La dépense a été évaluée
à 1 million.
Messieurs, personne ne désire plus que moi qu'une
grande expérience se fasse d'après le système de M. Hal-
lette. Cependant j'hésiterais à voter la somme que la
commission propose.
Je le dis pour la troisième fois et en toute sincérité ,
je crois que M. le ministre a les intentions les plus loyales;
mais en vérité, après tout ce qui est arrivé, j'aurais peur
(|ue le nouveau million n'allât aussi s'engloutir dans la
caisse de la compagnie de Saint-Germain.
[Le ministre des travaux publics ayant répondu qu'il s'agissait de
faire non pas des expériences scientifiques, mais des expériences
exécutées au point de vue industriel , M. Arago a répliqué en ces
termes : ]
458 LES CHEMINS DB FBB.
Je demande la permission de faire quelqaes observa-
tions SOT le discours que vous venez d'entendre.
M. le ministre a établi une distinction perpétuelle entce
ce qu'il appelle une expérience scientifique et une expé-
rience industrielle. Je serais fâché que M. le ministre
donnât son approbation à des expériences industrielles,
s'il appelle ainsi celles qui ne sont pas éclairées par les
lumières de la science.
M. le ministre n'a pas répondu à une considération sur
laquelle j'avais cru devoir insister. Le s^^stème anglais est
maintenant à l'essai en Angleterre sur une grande échelle;
il semble donc inutile que nous l'essayions nous-mêmes:
nous profiterons de la peine qu'on prend et de la dépense
considérable que les expériences extraîneront II semble-
rait, au contraire, très-convenable d'essayer chez nous
le système français, dont les Anglais ne s'occupent pas.
Ne croyez point qu'ils le dédaignent : M. Cubitt, un
des hommes les plus éminents en matière de chemms de
fer, s'est prononcé catégoriquement à ce sujet; il atten-
dait avec impatience les expériences du système français»
Au lieu de cela , nous lui renverrons des essais du sys-
tème Samuda, sur lequel nous n'avons rien à lui appren-
dre. Ces remarques sont restées sans réponse.
M. LE MINISTRE. Les Anglais opèrent sur des terrains à niveau.
M. Arago. Vous me permettrez. Monsieur le ministre,
de n'être pas de votre avis sur l'importance des pentes.
Vous avez insisté sur une condition qui n'est nullement
nécessaire , celle de monter des pentes rapides avec une
vitesse égale à celle du parcours horizontal. Cette condi-
tion, je ne pense pas que personne y tienne. Je ne crois
LBS CHEMINS DE FEl^. iS»
pas qu'on fût disposé à dédaigner le chemin de fer de
Saint-Germain, alors même que, dans Tascension, on
aurait gravi la colline avec une vitesse un peu atténuée.
Dans tous les cas, des moyens de donner, le long des
pentes, de plus grandes dimensions aux tuyaux propul-
seurs, ont été proposés par M. Hallette, et c'est précisé-
iTient cela que vous n'essayez pas/
M. le ministre place sans cesse dans un jour secon-
daire l'essai de la soupape longitudinale ; c'est là au con-
traire toute la question. Si la soupape garde bien le vide,
le chemin atmosphérique aura des avantages incontes-
tables sur les chemins de fer ordinaires. On dédaigne le
point culminant du problème.
Parmi tous les essais énumérés dans le rapport, j'avais
placé la nécessité de s'assurer que, quand on marcherait
à des vitesses de vingt à vingt-quatre lieues, la navette
qui ouvre les deux lèvres du tube , dans le système de
M. Hallette, ne s'échaufferait pas outre mesure. J'ai
affirmé que cette expérience ne pourrait pas se faire sur
Un parcours de 1,000 mètres. Qu'a-t-on répondu? Rien.
Vous avez dû remarquer. Messieurs, que les deux
Chambres, que les trois pouvoirs de l'État, avaient dé-
cidé que le système de M. Hallette serait essayé; que
M. le ministre n'avait nullement parlé de l'obligation qui
pourrait être imposée à M. Hallette de faire à ses frais une
expérience préalable. L'objection est restée sans réponse.
J'ai clairement établi , je crois, qu'on ne fait pas ce
que la loi a voulu. La loi a voulu une expérience,
et l'on ne fait pas d'expérience; on exécute un chemin
dans une idée préconçue qui pourrait bien ne pas réussir,
160 LES CHEMINS DE FER.
sans qu'on eût le droH d'en tirer aucune conséquence
contre les chemins atmosphériques construits plus modes-
tement, avec des machines de moindre dimension, plus
ou moins espacées,
M. le ministre a fait allusion à une idée qui lui avait été
soumise dans le sein de la commission. Cette idée n'éma-
nait pas du rapporteur; je prie M. le ministre de n'en
plus parler que comme d'une proposition de la commission
tout entière. Elle a été fonnulée dans le rapport ; je vais
en donner lecture à la Chambre. La compagnie dont il
est question est celle des canaux de Paris ; tout le monde
sait qu'elle est en mesure de faire honneur à sa signature :
« Si l'expérience est faite par le gouvernement sur la
berge du canal , nous nous engageons à reprendre aux
prix d'un million les travaux et le matériel , qu'il nous
sera peut -elre possible d'utiliser pour le service de la
navigation et des voiries, t
Notez , Messieurs , que la. compagnie s'engageait à
faire l'essai de tous les systèmes.
Voilà les remarques que je voulais présenter à la
Chambre. Je n'ajoute plus qu'une réflexion.
M. le ministre affirmait que l'expérience de Saint-Ger-
main dirait le dernier mot sur les systèmes de chemins
de fer atmosphériques. Il aurait été plus vrai et plus
prudent de ne parler que du système adopté par les
ingénieurs de la compagnie de Saint-Germain. Le sys-
tème atmosphérique, considéré en général , pourrait avoir
un bel avenir, môme après l'insuccès complet de ce qu'on
tente près de Paris.
LES CHEMINS DE FER. i6l
IX
EXPLOSIONS DES CHAUDIÈRES DBS BATEAUX A VAPEUR
ET DES LOCOMOTIVES
[Dans la séance de la Chambre des députés du 2/i juin 1837,
^1. Arago a prononcé le discours suivant où il a traité à la fois des
explosions des chaudières des bateaux à vapeur et de celles des
locomotives, et où il a aussi mis en lumière la belle invention de
M. Séguin sur les chaudières tubulaires. ]
M. LE I>RÉsiDENT. L'ordrc du jour appelle la discussion du projet
de loi relatif au chemin de fer d'Épinac au canal du Centre.
M. Barbet. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics,
au sujet des chemins de fer, une courte explication.
Vous avez tous entendu parler de l'accident récent qui vient
d'arriver en Angleterre sur un bateau à vapeur dont la machine a
fait explosion. Nous avons entendu M. le ministre des travaux pu-
blics, et nous croyons avoir la certitude qu'il a pris toutes les pré-
cautions nécessaires pour les questions d'art , de courbes , et pour
tout ce qui concerne les chemins de fer.
M. Arago. Je demande la parole.
M. Barbet. Nous ne savons pas, et nous devons cependant désirer
savoir s'il a fait faire des travaux préparatoires pour obtenir toutes
les garanties possibles dans la construction des machines locomo-
tives.
Jo prie M. l3 ministre du commerce de vouloir bien nous donner
à cet égard quelques explications , car c'est un point fort essentiel
pour rassurer les esprits, quant à l'usage dos nouvelles voies de
communication.
(M. le ministre des travaux publics se dirige vers la tribune;
mais il cède la parole à M. Arago. )
M. Arago. Le fait cité par riionorable M. Barbet est
très-vrai, Messieurs; tout récemment il est arrivé en
Angleterre, dans le port de IIuU, un événement déplo-
nible. La chaudière d'un bateau à vapeur qui était encore
h l'ancre, qui se préparait seulement à partir, a fait
462 LES CHEMINS DE FER.
explosion : le bateau a été partagé en deux ; cent vingt
personnes, je crois, ont été tuées ou grièvement bles-
sées ; quelques-unes avaient été lancées à de grandes
hauteurs. Le corps d'un des passagers a été trouvé, dit-
on, sur le toit d'une maison. Je ne rappellerai pas toutes
les scènes de cet événement sinistre, je dirai seulement
que l'administration française s'était très -sérieusement
occupée des moyens d'empêcher que rien de semblable
n'arrivât sur nos bateaux ; que M. le ministre du com-
merce avait même préparé à ce sujet un projet de loi
qui devait vous être présenté dans cette session. M. le
ministre a cru devoir consulter l'Académie des sciences;
il l'a chargée d'examiner toute la série de dispositions
que les besoins de la sûreté publique réclament.
La commission de l'Académie, j'ai l'honneur d'en faire
partie , s'est occupée et s'occupe encore de la question
avec une juste sollicitude. 11 lui a paru que les procédés
de sûreté indiqués dans la loi n'embrassaient pas tous les
éléments du problème. La vapeur se présente non-seule-
ment dans les machines ordinaires, mais aussi dans les
machines locomotrices , comme une sorte de Prêtée ; le
même moyen de sûreté ne saurait pourvoir à toutes les
causes possibles d'accident; ces causes, il faut les com-
battre séparément.
Le projet de la commission ministérielle seraitexcellent
si, conune elle l'a supposé, les explosions n'avaient lieu
qu'à la suite d'un développement graduel de la force élas-
tique de la vapeur ; malheureusement cela n'est pas.
Il arrive souvent que les chaudières font explosion à
l'instant même où la machine qu'elles alimentent marche
LES CHEMINS DE FER. 463
à peine , à rinstant où les ouvriers témoignent leur regret
de n'avoir pas à leur disposition la force motrice qui leur
permettrait de gagner une journée ordinaire.
11 est arrivé aussi , et par la même raison, que sur les
bateaux à vapeur, la chaudière a éclaté au moment où
rextréme lenteur de la marche des palettes devait faire
supposer que la vapeur avait pris très-peu de ressort.
Dans tous ces cas il se manifeste des changements
subits d'élasticité , et cela par une cause que j'indiquerai
en deux mots :
Dans la chaudière, l'eau vaporisée est sans cesse rem-
placée par celle qu'amène une pompe connue sous le
nom de pompe alimentaire.
Quelquefois celte pompe se dérange ; quelquefois l'eau
injectée n'est pas l'équivalent de l'eau transformée en
vapeur et consommée par le jeu de la machine; alors le
niveau baisse , une portion des parois de la chaudière
rougit. Si , ensuite , le dérangement de la pompe alimen-
taire vient à cesser, il se forme subitement par le con-
tact de l'eau et du métal incandescent, des torrents de
vapeur, à l'écoulement desquels la soupape ordinaire ne
suffit pas.
Il faut donc, il faut impérieusement empêcher que
l'eau baisse dans la chaudière au-dessous du niveau que
le constructeur lui avait assignée. Plusieurs procédés
peuvent conduire à ce but; des essais en grand nous
mettront à même de choisir le meilleur.
Dans la recherche des moyens de sûreté , la France a
fait de véritables progrès ; aujourd'hui l'Amérique s'en
occupe sérieusement, si j'en juge d'après le travail que
164 LES CHEMINS DE FER.
la Franklin institution vient d'entreprendre par les
ordres du congrès.
L'Angleterre, enfin, devra entrer aussi dans la car-
rière , car toutes les corporations du Yorksbîre, frappées
de stupeur par l'effroyable tragédie de HuU , adressent
des pétitions au parlement.
Quant à nous. Messieurs, il nous a semblé que nous
devions attendre pour présenter notre travail au minis-
tère, qu'il eût acquis toute la perfection que la science
comporte. Le retard était d'autant plus excusable que la
France, je le répète, est sans contredit le pays où, jus-
qu'ici , les moyens de sûreté contre les explosions ont été
le mieux établis.
Au reste j'espère, au nom de mes confrères, pouvoir
prendre avec la Chambre et avec le ministère l'engage-
ment que le travail de l'Académie des sciences sera com-
plètement terminé d'ici au commencement de la session
prochaine ^.
On supposait généralement jusqu'ici que les explosions
n'avaient quelque chose de dangereux que dans les
machines ordinaires, cette opinion doit être modifiée.
Des renseignements qui me sont arrivés d'Angleterre
m'apprennent que sur un des embranchements du che-
min de Liverpool, que sur le great jwiction rail-way^ la
chaudière d'une machine locomotive a fait une véritable
explosion. L'accident ne s'est pas borné à la déchirure
de quelques tuyaux ; une masse d'environ 5 à 6 quin-
1. Voir, sur les causes qui ont empêché l'Académie de faire son
rapport, le dernier chapitre de la Notice de M. Arago sur les explo-
sions des machines à vapeur, p. 180.
LES CHEMINS DE FER. 465
taux, le couvercle de la chaudière a été projeté à une
distance de 350 mètres. Vous le voyez, Messieurs, la
mission que nous a donnée M. le ministre du commerce
n'est pas seulement de pourvoir aux moyens de sûreté
des machines ordinaires, il faut aussi que nous nous
occupions des machines locomotives.
Puisque l'interpellation de l'honorable M. Barbet m'a
conduit à parler ici de machines locomotives, qu'il me
soit permis de faire descendre de cette tribune quelques
paroles qui consoleront, je l'espère, un ingénieur français
des attaques peu mesurées qui naguère y ont retenti.
L'honorable M. Jaubert a parlé des ingénieurs civils, et
au milieu de quelques phrases favorables, il n'en est pas
moins arrivé à appeler en masse ces ingénieurs des
condottieri. Au nombre de ces condottieri se trouvait le
constructeur du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon.
On a dit que ce chemin avait été mal exécuté. Je n'ose-
rais pas affirmer qu'il ait toute la perfection désirable ,
mais il faut se reporter à l'époque à laquelle il a été
construit. Il ne faut pas oublier non plus que le pays
qu'il traverse est peut-être le plus accidenté que jamais
chemin de fer doive traverser. On a parlé du mauvais
état des rails du chemin de fer de Saint-Étienne; mais
se figure-t-on par hasard que les rails du chemin mo-
dèle , du chemin de Manchester à Liverpool , soient tou-
jours restés intacts? Pour moi, je crois savoir qu'ils ont
été renouvelés trois ou quatre fois.
Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet; je vou-
lais dire seulement que les reproches qu'on a adressés à
M. Marc Seguin, fussent-ils tous fondés, seraient bien
V. — II. 30
466 CES CHEMINS DE FER.
compensés par une découverte sans laquelle les chemins
de fer perdraient leur principal avantage. Ce qu'il y a
d'inappréciable dans l'invention des chemins de fer, tient
à Texcessive rapidité des locomotives.
Or, pour que ces machines marchent avec de si
grandes vitesses , il faut que la chaudière fournisse sans
cesse et sans retard à la consommation du corps de
pompe. Une immense chaudière résoudrait le problème,
mais elle pèserait immensément , et la machine , loin de
faire un travail utile , loin d'entraîner avec une incroyable
rapidité des files de wagons, se déplacerait à peine elle-
même.
Eh bien, Messieurs, la personne qui est parvenue à
imaginer une chaudière de petite dimension, d'un poids
médiocre, et qui cependant fournit largement à la con-
sommation de la locomotive la plus rapide, c'est notre
compatriote M. Marc Seguin. Supposez maintenant que
cet ingénieur ait commis quelques fautes sur le chemin
de Saint-Étîenne à Lyon, reprochez-les-lui, si vous vou-
lez, mais n'oubliez-pas, de grâce, le titre de gloire que
je viens de rappeler : si les admirables locomotives
anglaises se meuvent avec une vitesse qui effraie l'imagi-
nation , elles le doivent à la belle , à l'ingénieuse décou-
verte de M, Marc Seguin,
TÉLÉGRAPHES ÉLECTRIQUES
ET
TÉLÉGRAPHES DE NUIT
I
[Dès le 2 juin 18/i2, M. Arago annonça à la Chambre des députés
riue les télégraphes électriques remplaceraient prochainement tous
les autres télégraphes, et en conséquence il combattit un projet de
loi qui demandait une allocation de 30,000 francs pour faire des
essais d'une télégraphie de nuit A cette occasion, il prononça le
discours suivant : ]
Messieurs, je demande à la Chambre la permîsèion de
lui soumettre quelques remarques : elles lui prouveront,
j*espère, que rexpérience pour laquelle on nous demande
30,000 francs est complètement inutile, que le problème
des télégraphes de nuit est résolu.
Vous savez , Messieurs , que le télégraphe se compose
d'une barre susceptible de prendre toutes sortes de posi-
tions relativement à Thorizon ; cette barre, qui s^appelle
le régulateur^ porte à ses extrémités deux autres barres
mobiles qu'on nomme des indicateurs.
Le régulateur et les indicateurs combinés permettent
défaire des figures très-variées. De jour ces figures âe
voient parfaitement bien, la nuit les communications sont
interrompues.
468 TELEGRAPHES ÉLECTRIQUES
Dès l'origine du télégraphe, on imagina qu'il serait
possible de transformer les signaux de jour en signaux
de nuit, en plaçant des lumières ou des fanaux aux extré-
mités du régulateur et des indicateurs.
Dans le fait, le procédé ne réussit pas. D'abord on
employa des lumières très-faibles , le moindre brouillard
les faisait disparaître.
Plus tard, on eut recours à des réflecteurs portant
des lampes : ces lampes s'éteignaient à cause des mouve-
ments brusques qu'il fallait leur donner.
C'est dans les mains de M. Chappe, le véritable inven-
teur du télégraphe, qu'eut lieu l'insuccès dont il vient
d'être question.
On vous propose maintenant de refaire cette vieille
expérience ; seulement on substituerait à la lampe d'Ar-
gand ou à double courant d'air, une lampe dans laquelle
on emploie un liquide particulier , un liquide qui, si je ne
me trompe, est le résultat d'une réaction particulière de
la térébenthine sur l'alcool. Ce liquide est plus inflam-
mable que l'huile (nous verrons tout à l'heure si c'est
un avantage) ; aussi la flamme qu'il donne est moins
influencée par le mouvement, elle s'éteindra moins sou-
vent ; l'invention n'est que cela.
Comme jadis , les fanaux placés à l'extérieur se trou-
veront soumis à toutes les intempéries de l'air ; le vent
les ballottera ; les glaces, car il faut nécessairement mettre
des glaces devant le réflecteur, seront souvent brisées,
ou par la violence du vent ou par d'autres accidents qu'il
11(2^1 pas besoin d'énumérer.
On a fait l'épreuve de ce système avec tous les soins
ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. 469
qiron apporte dans une expérience délicate ; on a choisi
les circonstances les plus favorables. Je crois cependant
pouvoir affirmer que, dans une des épreuves très-peu
nombreuses qu'on a tentées, un contre-poids est parti, et
qu'une autre fois un fanal est tonibé. Voilà ce qui arrivera
inévitablement tant qu'on voudra mettre les lumières à
l'extérieur. Cette difficulté sera invincible dans tous les
pays où il règne des vents violents.
Ce n'est pas tout, il ne suffit pas de placer quatre
fanaux à réflecteurs aux extrémités du régulateur et des
indicateurs du télégraphe. Pour savoir si la figure formée
est en haut ou en bas , pour distinguer les fanaux atta-
chés aux extrémités des indicateurs des fanaux qui sont
à l'extrémité du régulateur , on est obligé de donner une
coloration artificielle à deux de ces lumières. Sur les
(juatre fanaux, deux conservent la lumière que la com-
bustion du liquide produit ; deux sont colorés à l'aide de
verres verts.
Ceci est un défaut capital. De deux choses l'une: ou
vous emploierez des verres d'un vert très-fonc^ , et alors
vous détruirez dans une énorme proportion l'intensité de
la lumière ; ou vous vous servirez de verres à peine colo-
rés, et le faisceau transmis sera blanc , avec une légère
coloration de vert. Lorsqu'une pareille lumière traversera
des brouillards, elle deviendra rouge. Le stationnaire
apercevra quatre lumières rouges lorsqu'il devait s'at-
tendre à en \x)ir deux blanches et deux vertes.
Jamais, lorsqu'il s'est agi de diversifier les phares, on
ne s'est arrêté, en France, à l'idée de se servir de verres
colorés, on s'est toujours défié des causes de coloration
470 Itt^GRAPHES ÉLBCTBIQPBft
extrêmement intenses qui existent souvent dans Tatmo-
splîère.
Voici un autre défaut d*une gravité incontestable, et
qui montrera mm que dans la pratique: ce procédé tant
préconisé ne saurait être adopté.
Le vent éteindra une ou plusieurs des iSanuaes^ et cela
arrivera trèsH&ouvent» Est-ce que le: stationnaire, Tem*
ployé du télégraphe le saura? Nullement; il faudra que
son correspondant F avertisse de Tinutilité de ses gestes,
il faudra qu'une dépêche du télégraphe voisin lui dise:
Vous agitez en Tair des lanternes éteintes,
L'avertissement une fois reçu» voilà le pauyreempkiyé,
obligé par le verglas, par le plus mauvais temps » par
des ouragans^ de passer sur le toit de sa tour» de grimr-
parles marches de longues échelles verticales (vous
devez imaginer dajos. quel état. elles seront), et d'aller
ainsi attacher de nouvelles lampes à r^xtrémité: des
grands bras de la mécanique.
En vérité» ce qu'on nous donne pour une inventic»! ne
peut» sous aucun rapport» supporter un: examen sérieux.
y eut-on absolument des télégriaphes de nuit? Les
communications de jour sontrelles devenues insuffisantes?
Ei^ bien, un télégraphe de nuit existe; c'est une solution
d^ problème» examinée » étudiée» appréciée par les juges
les plus cpmpétenls.
En arrivant à Paris, l'inventeur du système auquel je
fais allusion n'a rien demandé au gouvernement, il s'est
contenté^ la chose est rare» Messieurs» il s'est contenté de
Insatisfaction d'être utile. Je ne pense pas qu'il en soit
atnej de. la pei:sonne à qui on attribue Tinvention de
BT TÉLÉGRAPHES D£ NUIT. il4
l'autre télégraphe. Je crois que celle-là demande quel-
que chose. Je dis même que si vous votez aujourd'hui
des fonds pour des expériences, vous ferez. bien de vous
préparer à voter de nouveau dans peu une somme consi-
dérable pour le prétendu inventeur.
Lorsque Tinvenleur bien réel de l'excellent télégraphe
dont je donnerai tout à l'heure une idée abrégée, se pré-
senta à l'autorité , on lui dit : Votre système n'est pas
jugé. La réponse fut noblement comprise. L'inventeur
s'adressa aussitôt à l'Académie des sciences; je ne serai
pas, je crois, démenti quand je dirai que l'Académie ren^
fermait des juges très-compétents. £Ue nomma une com-
mission ; je m'empresse de dire que je n'en faisais point
partie^ et que cependant j'ai vu les expériences. La com^
mission, composée d'hommes parfaitement au courant de
toutes le& questions d'optique, d'astronomie, et de méca-
nique, a formulé ainsi son opinion^ : «Le système de
M. de Yiiallongue donne pour la télégraphie de nuit une
excellente solution. » Cette solution. Messieurs, on n^ vous
en par-le pas ; il n'est nullement question de l'examiner.
M* FôT, commissaire du roi. Je demande la parole.
M. Arago. Je viens de le dire; le jugement de TAca-
démie des sciences a été des plus favorables. Le système
présente-t-ir des difficultés dont ses juges ne se soient pas
aperçus ?
Je Taî déjà dît, le principal défaut inhérent aux télé-
graphes à lumière extérieure, c'est que les lanternes se
1. Là commission était composée de MM. Bàbinet, Gambey,
Séfuier, Mathieu rapporteur.
Mi TÉLÉGRAPHES ÉLECTRIQOBS.
briseraient, c'est qu'elles s'éteindraient sans que le sta-
tionnaîre le sût ; c'est que le remplacement des lanternes
ne se ferait pas sans de grands dangers; c'est que des
lumières qu'on voudrait rendre blanches et vertes,
seraient toutes rouges dans certaines conditions de l'air.
Dans le système que je préfère , dans lé système de
M, Vilallongue, la lumière est intérieure et n'a nul besoin
d'être colorée.
Imaginez un cadran opaque et mobile ; supposez que
dans ce cadran il y ait une ouverture diamétrale ; sup-
posez qu'on la couvre d'un verre dépoli , et que derrière
ce verre existe une lampe d'Argand. L'ouverture est mobile
comme le cadran ; on pourra donc lui donner toutes les
positions imaginables, la rendre horizontale, verticale,
la placer dans une position inclinée à 45 degrés, de droite
à gauche ou de gauche à droite ; ainsi voilà un signal
commode, éclairé par une lumière blanche intérieure;
voilà un signal dont le stationnaire est toujours le maître.
Jamais ce stationnaire n'a besoin d'être averti que sa
Imnière est éteinte ; il le verrait parfaitement lui-même.
Concevez trois cadrans pareils exigeant trois lampes , et
tout est dit. Dans le premier système, sans parler d'autres
défauts, le nombre des lampes est de quatre.
Mais, dira-t-on, le verre dépoli placé devant l'ouver-
ture dispersera la lumière dans tous les sens. L'objection
serait fondée si l'on employait un verre dépoli ; je n'en ai
parlé que comme moyen de démonstration. J'ai eu l'hon-
neur de faire mention devant la Chambre des lentilles
dont on se sert dans les phares. Ces lentilles ont la pro-
priété de rendre parallèles les rayons qui sans cela
ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. 473
auraient divergé. M. Vilallongue emploie , non pas une
de ces lentilles tout entières, mais seulement une portion
de lentille; c'est une section longitudinale qu'il fait tour-
ner pour opérer ses signaux.
Voilà donc un système rationnel, éprouvé, examiné,
apprécié, jugé par les personnes les plus compétentes;
il a reçu une approbation solennelle ; on n'en parle pas.
Voici,^ d'autre part, un système défectueux; il ne diffère
des systèmes anciens qu'en ce que les lanternes s'étein-
dront moins souvent; c'est pour celui-là, cependant,
qu'on demande 30,000 francs.
S'il est nécessaire de créer un télégraphe de nuit, vous
trouvez toutes les conditions désirables dans le système
de M. Vilallongue. Les expériences onk été faites, elles
n'ont rien coûté à l'État ; M. Vilallongue a pourvu à tout.
Ses procédés sont très-ingénieux sous le rapport de l'art;
sa conduite a été de tout point désintéressée.
Si on me parle de la dépense qu'occasionnerait l'ap-
plication de ce système, je répondrai que je ne la
connais pas. Cette question n'a pas été examinée par
l'Académie des sciences. L'opération de pratiquer des
ouvertures circulaires dans les tours, et d'y adapter des
segments de lentilles, ne semble pas devoir être très-
chère. Au surplus, la dépense dût-elle être un peu con-
sidérable, comme il est possible de donner à ces télé-
graphes une puissance indéfinie, puisqu'on est le maître
de l'intensité de la lumière centrale, le nombre des sta-
tions peut être notablement diminué.
Si le liquide qu'on emploie dans le système pour lequel
on vous demande un crédit de 30,000 francs, s'éteint
m TËLËGRAPHES ËLECTRIQUiBS
moins facilement que F huile, son extrême inflammabilité
est d'autre part un inconvénient trèfr-grave. Je pourrais,
en m' autorisant de l'opinion d'un des plus grands chi-
mistes de notre époque, soutenir que si on adopte le nou-
veau liquide il en résultera de déplorables accidenta
Telles sont les critiques que je voulais vous présenter
relativement au projet de loi. J'ai vu dans le rapport
de la commission que l'on désirait faire une expérience
météorologique. On veut savoir combien de fois des
signaux du nouveau système se transmettront pendant
l'hiver ; on veut savoir si, pour des transmissions très-
rares, cela vaut la peine d'entretenir allumées dans tous
les télégraphes d'une ligne entière une quuitité de lampes
aussi considérable.
Une semblable expérience, si on veut la faire, je ne m'y
oppose pas, ce sera une donnée de plus, que nous enre-
gistrerons dans les ouvrages de météorologie ; mais exige-
t-elle la dépense qu'on vous propose.
Établissez deux réverbères aux deux stations entre
lesquelles le brouillard interrompt le plus souvent les
communications. Ordonnez aux stationnaires de noter
toutes les nuits^ pendant deux années si vous, voulez,
combien de fois on les verra; employez aussi des feux
blancs et verts; faites tenir compte du nombre de fois
que ces feux aui*ont paru avec leurs teintes, et tout sera.
fmL Une pareille expérience coûtera 2^000 ou â,000
francs et non les 30,000 francs qu'on vous demande.
Je viens de plaider en faveur d'un système très-ration-
nel, jugé^ apprécié et loué autant que possible, contre un
système dont les nombreux défauts sautent aux yeux. Je
ET TÉLÉGRAPHES DB NUIT. 475
dois ajouter maintenant une réflexion : c'est que nous
sommes à la veille de voir disparaître non-seulement les
télégraphes de nuit, mais encore les télégraphes de jour
actuels.
Tout cela sera remplacé par les télégraphes électriques.
Ces télégraphes transmettront les dépêches à toutes les
distances, quelque temps qu'il fasse, et cela avec une
vitesse incroyable. De Paris à Perpignan les nouvelles
arriveront en moins d'une seconde, car la vitesse de
l'électricité est plus grande que celle de la lumière.
L'idée de ce moyen de communication remonte à
Franklin. Mais celle d'employer les batteries galvaniques,
pour ce genre de télégraphes a été présentée pour la pre-
mière fois d'une manière applicable par notre compa-
triote l'illustre Ampère. Depuis lors, l'idée. a beaucoup
grandi. Elle a reçu des perfectionnements considérables.
Nous avons vu en 1838, à l'Académie des sciences, un
appareil construit par un physicien américain nommé
M. Morse et qu'on a pu faire fonctionner. 11 ne s'agissait
pas seulement d'une communication verbale, d'une des-
cription écrite ; on avait l'appareil sous les yeux.
Dans ce système, il n'est pas besoin de stationnaires.
La machine écrit elle-même la dépêche, après avoir averti
toutefois par le bruit d'un petit timbre qu'elle va entrer
en fonction.
M. Wheatstone a ajouté encore beaucoup à l'invention
de M. Morse. Ses appareils sont admirables; tous les phy-
siciens les ont vus à Paris et éprouvés.
Une seule difficulté a empêché jusqu'ici l'adoption des
télégraphes électriques, 11 faut, pour qu'une oommuni-
476 TÉLÉGRAPHES ÉLECTRIQUES
cation se propage par de tels télégraphes, qu'il y ait un
ou plusieurs fils métalliques qui aillent du point de départ
au point où la dépêche doit se rendre. 11 faut que ce fil
ne soit pas rompu.
Il faut donc les placer dans un tube, quelle qu*en soit
d'ailleurs la nature. Si on ne veut pas livrer les communi-
cations télégraphiques à la discrétion des malfaiteurs, il
faut se garder d'établir des tubes à travers champs. Mais
lorsque les chemins de fer seront établis, qui empêchera
d'enterrer les tubes et les fils à un tiers de mètre , soit
entre les rails, soit à côté ; tout sera alors sous la surveiU
lance active et continuelle des gardiens de ces lignes.
Si d'ici à l'époque prochaine où les télégraphes élec-
triques remplaceront tous les autres télégraphes, le gou-
vernement croit nécessaire d'établir des télégraphes de
nuit, il pourra employer ceux de M. Vilallongue. Ceux-là
n'exigent aucune nouvelle expérience. On pourrait com-
mencer l'installation dès demain.
L'expérience pour laquelle M. le ministre demande une
allocation de 30,000 frans n'est nullement nécessaire. Je
rejette le projet de loi.
[M. Pouillet, rapporteur de la commission de la Chambre des
disputés, a répondu à M. Arago, qui a répliqué en ces termes : ]
Messieurs, je remercie l'honorable préopinant de la
manière dont il a parlé du télégraphe déjà examiné et
jugé; jugé par des commissaires éclairés, habiles et com-
pétents, jugé par une académie où on a l'habitude do
joindre autant que possible l'expérience aux calculs.
Il y a un point dans lequel l'honorable M. Pouillet n'a
pas été complet : il a dit que le télégraphe de M. Vilal-
ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. 477
longue, le télégraphe de nuit, compromettrait le télé-
graphe de jour.
Il est très-vrai que M. Vilallongue, à l'époque où il
proposa pour la première fois son télégraphe de nuit,
voulait, pour le service de jour, substituer aux évide-
ments chargés d'un fragment de lentille, des bandes
blanches qui se seraient projetées sur un fond noir ou
réciproquemefit. Je reconnais que, de cette manière,
il aurait rendu général ce qui, maintenant, est excep
tionnel.
Je crois que mon honorable confrère (On rit); je dirai,
si vous voulez, mon honorable collègue : à l'Académie,
j'ai contracté l'habitude d'appeler M. Pouillet mon con-
frère
M. Thil. Nous y sommes en ce moment , à TAcadémie I
M. Arago. Je dis donc que mon honorable collègue
a oublié une circonstance essentielle : c'est que M. Vilal-
longue ne s'en est pas tenu à proposer l'emploi de bandes
peintes en blanc ou en noir pour le télégraphe de jour :
dans ses dernières communications avec la commission
administrative spéciale, M. Vilallongue a montré que son
télégraphe de nuit pouvait se combiner avec un télé-
graphe de jour, ayant toutes les propriétés de celui qui
est actuellement en usage.
Messieurs, on a parlé tout à l'heure avec beaucoup
d'agrément, je le reconnais (Ah ! ah !), du peu de dan-
ger que courront les stationnaires. « Si votre lampe
s'éteint, vous la rallumerez ! » Cela est spirituel , mais
on n'a pas dit que, pour rallumer la lampe, il faudrait
sortir de la tour, grimper sur le comble, monter le long
478 TtLtORAPHES ÉLECTMQUBS
d'un échelle verticale, et qu'au milieu de la nuit, par le
vent le plus violent, par le verglas, cela n'est pas aussi
simple, aussi facile qu'on a l'air de le dire. (Mouvements
et bruits divers. )
L'honorable préopinant vous a parlé de lumière verte,
de verres verts qui ne se colorent pas en rouge.
Sur ce point-là je ne puis en conscience être de son
avis. Si le verre coloré ne transmet (pie du vort homo-
gène, il est de toute évidence qu'une telle lumière ne tra-
versera que des étendues d'air très -peu considérables.
Je ne suppose pas que M. Pouillet, comme une de ses
phrases tendrait à le faire croire, ait l'intention d'établir
des télégraphes aussi près les ans des autres que les
omnibus dont il a parlé, et que les Parisiens attendent
au coin des rues. Ainsi l'argument tiré des verres de cou-
leur des omnibus est sans valeur aucune : il n'est pas
applicable à la question des télégraphes. (Bruit.)
M. Pouillet sait, comme tous les physiciens, que si la
lumière blanche se colore en rouge, c'est que ies rayons
verts compris dans la lumière blanche sont arrêtés par
l'atmosphère. Placez devant une lampe un verre qui laisse
passer seulement les rayons verts, à une petite distance
toute lumière sera- absorbée. Emploie-t-on un verre peu
coloré en vert, après un court trajet l'interception des
rayons verts aura rendu la lumière blanche. Ensuite elle
se colorara en rouge.
L'honorable M. Pouillet disait que, sur ce point, il ne
voulait s'en rapporter qu'à l'expérience. M. Pouillet se
montre trop timide. Lorsque le calcul eut dévoilé le rap-
port du diamètre à la circonférence, personne ne proposa
ET TÉLÉGRAPHES DK NDIT. 179
d'essayer, à l'aide d'un fil enroulé sur un cercle, si ce rap-
port était celui que le calcul avait donné. Tout esprit
éclairé se serait refusé à une pareille épreuve ; la géomé-
trie a des privilèges qu'aucune expérience au monde He
saurait infirmer.
II
[ l^ 29 avril iShS , à propos du vote du budget par la Chambre
des députés, M. Arago a été conduit à faire une histoire succincte
de l'invention des télégraphes électriques. Il s'agissait d'une somme
de 260,000 francs proposée pour essayer ces télégraphes. Nous
extrayons du Moniteur la discussion qui s'engagea à cette occasion. ]
M. LE MINISTRE DE l'intérieur. Je demande à la Chambre un
changement dans la répartition même du crédit; sur les 2^0,000 fr.,
165,000 seulement ont été dépensés en 18M, et doivent être imputés
sur i%kk' 11 reste une somme de 75,000 fr. pour les dépenses impu-
tables sur 18/i5, et qui par conséquent devra figurer sous le crédit
de 1865.
Je voudrais donc demander à la Chambre de retirer 75,000 fr.
sur 1866, sauf à les reporter sur les crédits extraordinaires pour
1865. ( Oui ! oui I oui l cela ne fait pas de difficulté. )
M. DE Beaumoict (de la Somme). Il serait bon, avant de voter le
crédit, que M. le ministre de l'intérieur voulût bien donner à la
Chambre quelques renseignements sur les résultats obtenus dans
rétablissement des télégraphes électriques.
M. LE PRtsu)EifT. La parole est à M. Arago. (Mouvement)
M. Arago. Je demanderai à la Chambre si elle dfeire
que je me borne à une simple affirmation. J'annoncerai
que les résultats des expériences de la commission nom-
mée par M. le ministre de l'intérieur pour faire l'essai en
grand de la télégraphie électrique, sont très-favorables,
et que dimanche prochain nous établirons, sans aucun
doute, une communication électrique régulière entre Paris
et Rouen. Si c'est cette seule affirmation que la Chambre
réclame ( Non ! non I — Parlez I parlez ! )
480 TËLÉGRAPtIES ÉLECTRIQUES
Je dirai donc, en peu de mots, quelles sont les con-
sidérations puissantes, à mon avis, qui ont amené M. le
ministre de l'intérieur à demander un crédit extraordi-
naire , et à en user pour faire des essais de télégraphie
électrique.
L'idée d'une télégraphie électrique n'est pas nouvelle.
Dès qu'on eut reconnu que l'électricité parcourait les corps
avec une extrême rapidité, Franklin imagina qu'on pour-
rait l'appliquer à la transmission des dépêches. Ce n'est
pas cependant ce grand physicien qui a formulé l'idée en
système applicable. On trouve pour la première fois une
disposition réalisable de télégraphie électrique, dans une
note très-courte, publiée en 1774 par un savant d'ori-
gine française, établi à Genève, par Lesage.
Ce télégraphe se composait de vingt-quatre fils, séparés
les uns des autres , et noyés dans une matière isolante.
Chaque fil correspondait à un électromètre particulier.
En faisant passer, suivant le besoin , la décharge d'une
machine électrique ordinaire à travers tel ou tel de ces
fils, on produisait, à l'autre extrémité, le mouvement
représentatif de telle ou telle lettre de l'alphabet. Ce sys-
tème, si je ne me trompe, fut établi sur une échelle
restreinte, dans les environs de Madrid, par M. do
Béthencourt.
La machine électrique ordinaire, source intermittente
d'électricité, peut être actuellement remplacée par une
pile voltaïque d'où émane un courant continu susceptible
d'être transmis par des fils métalliques. Ampère chez
nous, Sœmmering en Allemagne, songèrent aux appli-
cations dont ce courant continu serait susceptible pour
ET XÉLÉGRAPHES DE NUIT. 481
transmettre des dépêches. Les deux systèmes avaient l'un
et Tautre l'inconvénient d'exiger un assez grand nombre
de fils isolés. Le télégraphe à l'installation duquel nous
travaillons, n'aura qu'un fil. C'est avec un seul fil qu'on
réussira à créer tous les signaux nécessaires pour la trans-
mission des dépêches les plus complexes.
Les télégraphes électriques semblent destinés à rem-
placer complètement les télégraphes actuellement en
usage. Telle est l'explication naturelle de la détermina-
tion qu'a prise M. le ministre de l'intérieur, de faire com-
mencer les essais sur un crédit extraordinaire.
11 fallait d'abord savoir si le courant électrique qui
doit engendrer les signes télégraphiques, s'afl"aiblirait
d'une manière trop notable en parcourant de très-grandes
distances, telles que la distance de Paris à Lyon; il
fallait décider si , entre ces deux villes, des stations inter-
médiaires deviendraient indispensables. Les ingénieuses
expériences déjà exécutées en Angleterre au moment où
la commission commença ses travaux, les expériences
faites sur le chemin de Blackwall, par exemple, ne tran-
chaient pas la question.
Notre point de départ fut celui-ci : Peut-on transmettre
le courant électrique avec assez peu d'affaiblissement
pour que des communications régulières s'établissent
d'un seul trait, sans station intermédiaire, entre Paris et
le Havre? C'est à résoudre cette question que la commis-
sion nommée par M. le ministre de l'intérieur s'est
d'abord attachée.
Elle a établi un fil de cuivre le long du chemin de fer
de Rouen, sur des poteaux en bois placés de 50 mètres
V.— H. 31
i82 TÉLÉGRAPHES ÉLECTRIQUES
en 50 mètres. Les moyens d'isolement employés présen-
tent peut-être des précautions superflues, mais il fallait
ne pas échouer dans le premier essai.
Dimanche dernier, nous avons pu opérer entre Paris
et Mantes, points distants Tun de l'autre de 57 kilo-
mètres : le succès a été complet.
Le courant passait d'abord par un certain fil suspendu
dans l'air, et revenait par un autre fil semblable, placé
immédiatement au-dessous. L'intensité du courant était
accusée et mesurée à l'aide de la déviation que ce courant
imprimait à une aiguille de boussole. La déviation était
considérable. Ceci constaté, la commission a cherché si,
comme on l'avait jadis trouvé pour de beaucoup moin-
dres distances, en Bavière, en Russie, en Angleterre,
en Italie , le courant voltaïque était transmis par le pre-
mier fil, à travers la terre humide comprise entre les
deux stations.
Eh bien , nous avons trouvé que le courant, né à Paris
et transmis à Mantes le long du premier fil attaché aux
poteaux , revenait par la terre beaucoup mieux que par
le second fil; que la terre, dans cette expérience, faisait
l'ofTice d'un conducteur beaucoup plus utile que le second
fil métallique.
Avec les deux fils d'aller et de retour, la déviation de
l'aiguille, mesure du courant, était de 25°. Quand le
second fil supprimé se trouvait remplacé par la couche
de terre comprise entre Paris et Mantes, la déviation de
l'aiguille s'élevait jusqu'à 50°.
Dimanche prochain , sans aucun doute , nous porterons
le courant électrique jusqu'à Rouen le long du fil métal-
ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. 483
lique , et il nous reviendra par la terre avec toute Tinten-
sité qu'exige la production des signes télégraphiques.
La Chambre désire savoir, peut-^tre, comment il est
possible avec un seul courant de produire une grande
diversité de signes. La question revient à celle-ci : De
quelle manière un courant peut- il donner naissance à
une force intermittente? Il est clair, en effet, que la
reproduction au point d'arrivée d'un signal né à la sta^
tion du départ, ne peut s'opérer qu'à l'aide d'une force.
Les physiciens ont reconnu que, lorsqu'on fait circuler
un courant électrique le long d'un fil plié en héHce, tout
autour d'une lame d'acier, on aimante la lame d'une
manière permanente; au lieu de recourir à un aimarft
artificiel pour aimanter les aiguilles de boussole, on peut
se servir ainsi avec avantage d'un courant voltaïque.
Lorsque la pièce de métal autour de laquelle circule
l'électricité est du fer doux, l'aimantation est momen-
tanée. Pendant que le courant circule, le fer est aimanté,
il a des pôles comme une aiguille de boussole. Mais à peine
le courant a cessé, que le fer revient à l'état ordinaire.
Or, personne ne l'ignore : deux masses de fer non
aimantées, mises en présence, n'agissent point l'une sur
l'autre. Tout le monde sait aussi qu'une masse de fer
aimantée attire une masse de fer neutre. Donc, toutes
les fois que le courant, dans l'une des stations, passera
dans une hélice, autour d'une masse de fer doux, cette
masse de fer deviendra momentanément un aimant, et
elle pourra produire un effet mécanique.
C'est par ce procédé, c'est en faisant naître et en
détmisaiit suocessivement la force magnétique dans une
iU TÉLÉGRAPHES ÉLECTRIQUES
masse de fer, qu'on peut transmettre au loin tous les
signaux qu'on a produits dans la station de départ
Ce principe peut conduire à des systèmes très-divers,
entre lesquels la commission n'a pas encore fait un choix.
J'indiquerai un de ces systèmes : celui de M. Morse, par
exemple.
Concevons qu'à la station où Ton doit recevoir la
dépêche ; on ait une longue bande de papier mobile
entre deux rouleaux à l'aide d'une force mécanique quel-
conque. La pièce de fer dont je parlais tout à l'heure,
cette pièce destinée à être successivement aimantée et
non aimantée, est placée au-dessus du papier, et par sod
mouvement de bascule entraîne un pinceau. Le courant
passe-t^il, la pièce alors aimantée est attirée par une
masse de fer stationnaire, elle bascule et pousse le pin-
ceau jusqu'au papier; le courant n'a-t-il duré qu'un
instant, le pinceau ne trace qu'un point; l'aimantation
a-t-elle eu quelque durée, le pinceau, avant de se relever
aura marqué un trait d'une longueur sensible sur le
papier mobile. Vous pouvez ainsi, à cent lieues de dis-
tance, faire succéder sur le papier de votre correspon-
dant un point à un point, un point à un trait; intercaler
un point entre deux traits, un trait entre deux points, etc.,
engendrer les signaux qui, suivant M. Foy, juge si com-
pétent en pareille matière, doivent suffire à la correspon-
dance télégraphique la plus variée.
Veut-on se faire une idée générale de quelques-uns des
appareils en usage en Angleterre?
Concevons, dans la localité où Ton fait les signaux,
un cercle gradué rotatif où chaque division représente
ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. 485
une lettre de l'alphabet : c'est par exemple la lettre supé-
rieure, au moment des repos du cercle, qu'il faut lire
pour avoir la dépêche ; les repos de la station du départ
devront se représenter dans le même ordre sur le cercle
de la station d'arrivée.
Pour résoudre le problème, le cercle de la station d'ar-
rivée est lié à un engrenage arrêté par une pièce de fer
doux; cette pièce est déviée, et dès lors l'engrenage
s'avance d'une dent toutes les fois que le morceau de
fer voisin devient un aimant par l'action du courant
électrique qui circule autour de lui dans une hélice. Le
courant est-il interrompu, la pièce en question, le déclic
en fer, reprend sa place. A cent lieues de distance, celui
qui envoie la dépêche peut donc régler le mouvement
du cercle sur lequel le correspondant devra la lire.
Ces deux citations suffiront. Je dois le répéter : la
seule chose en question, quand nous commençâmes nos
expériences, c'était de savoir la distance à laquelle les
signaux pourraient être transmis d'un seul trait. Avec
les fils multiples et reployés que porteront nos poteaux,
nous saurons si la distance de Paris à Lyon sera franchie
sans recourir à des stations intermédiaires.
Sans craindre de me compromettre, j'ose affirmer que
dimanche prochain les résultats confirmeront toutes nos
prévisions; nous n'aurons pas fait seulement des essais
de simple expérience de physique : la commission aura
posé les bases d'un télégraphe perfectionné, destiné h
rendre d'éminents services au pays. (Très- bien I)
[Le crédit demandé par le gouvernement est adopté par la
Chambre. ]
186 TÊLË6RÀPHES fiLECTRIQUES
m
[Un projet de loi pour rétablissement d'un télégraphe électrique
de Paris à Lille, ayant été discuté le 18 juin i8/i6 dans la Chambre
des députés, M. Arago prit la parole en ces termes pour combattre
les doutes des personnes, en grand nombre, qui ne croyaient pas à
Tefficacité du merveilleux moyen de communication. ]
Il me semble qu'il y a eu une grande erreur dans la
manière dont on a considéré les télégraphes électriques.
On a parlé d'expériences en cours d'exécution. Il est très-
vrai qu'on a fait des expériences sur la ligne de Rouen;
mais depuis l'établissement de cette ligne , le problème
est complètement résolu.
M. B£RRY£R. Je demande la parole.
M. Arago. Il est désormais constant que le télégraphe
électrique est un moyen de communication excellent.
Messieurs, je vais vous citer un fait décisif.
J'ai reçu, il y a trois jours, un journal de Baltimore,
Oic Suuj avec une lettre de M. Morse, qui est à la tête de
la télégraphie électrique aux États-Unis ; le message du
président des États-Unis , message très-long, qui occupe
dans ce journal, en très-petit caractères, deux longues
colonnes, qui feraient quatre colonnes du Moniteur 9 ce
message a été envoyé.
M. Berrter. On Tavait fait imprimer d'avance. (On rit)
M. ÂRAGO. Il est probable que M. Berryer n'est pas
aussi bien informé de ce qui s'est passé que les directeurs
du journal que je cite, et que M. Morse, l'un des hommes
les plus honorables des États-Unis; or, tous déclarent
que le message a été envoyé ligne par ligne de Wasliing-
ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. i87
ton à Baltimore, et que la totalité du message a été reçue
ainsi, et imprimée dans l'intervalle de trois heures.
Une personne, écrivant avec une rapidité moyenne,
irait à peine aussi vite qu'a été le télégraphe dans cette
circonstance.
M. Berryer a parlé d'expériences qu'il y avait àentre-
prendre. Ces^ expériences ont été faites et elles sont com-
plètement concluantes. Il a dit qu'on était en doute si
l'on emploierait des fils de fer ou des fils de cuivre ; cette
question a été discutée et résolue dans la commission.
Sous ce rapport, ce qui pouvait être un sujet d'expé-
l'iences, c'était, non pas le vocabulaire dont a parlé
M. Mauguin, mais le procédé à l'aide duquel on enre-
gistre les signaux. Avec le procédé de M. Morse, qui a
reçu des modifications en France, on est arrivé à enregis-
trer jusqu'à 84 signaux dans une minute.
Vous savez qu'il faut marcher avec une certaine rapi-
dité pour écrire 84 lettres en une minute la plume à la
main. Ne croyez donc pas qu'on en soit encore aux expé-
riences. Le télégraphe électrique peut être employé actuel-
lement pour remplacer le télégraphe aérien, et il a sur
ce dernier un avantage que tout le monde peut com-
prendre. Lorsqu'il y a des brouillards, quel que soit le
mode d'éclairage que vous employiez, les signaux du
télégraphe aérien ne passent pas h travers l'atmosphère.
Dans l'origine, on avait redouté l'influence des brouil-
lards sur les télégraphes électriques ; on avait pensé que
les poteaux n'isoleraient pas assez le fil , et que la trans-
mission de l'électricité ne pourrait se faire. Eh bien , cela
est douloureux à dire , mais cela arrive presque toujours
iSè TÉLÉGRAPHES tLlCTIlQIIES
aioâi : lorsqu'une chose peut être faite de deux manières,
elle se fait presque toujours de la façon qui nous a paru
la moins naturelle : la transmission a lieu plus facilement
par la pluie et par les brouillards que dans le temps sec.
La pluie, que dans la langue télégraphique on appelle un
brumaire et qui est un obstacle invincible pour les télé-
graphes ordinaires , est loin d'être nuisible pour la trans-
mission des dépêches par la télégraphie électrique.
Il serait facile d'expliquer comment cela arrive. Je ne
crois pas que la Chambre soit disposée à entendre , en ce
moment, des explications de cette nature ; mais vous pou-
vez regarder le fait comme certain : ce qu'on avait redouté
comme un inconvénient a été reconnu , par l'expérience ,
comme un avantage : la transmission se fait mieux par des
temps de brouillard et de pluie que par des temps de
sécheresse. Ainsi vous pouvez être en communication
assurée, par la télégraphie électrique, entre les deux
extrémités de la ligne de jour et de nuit , à tous les instants
et presque par tous les temps.
On a parlé de l'usage qu'on pourrait faire de la télé-
graphie électrique pour venir au secours des compagiûes
de chemins de fer ; on a aussi émis la crainte de voir faire
abus de ce moyen de communication rapide.
Messieurs, ce ne sera pas, si l'on veut, le fil du gou-
vernement qui servira aux compagnies, ce sera un fil
auxiliaire et il y aura des appiarcils auxiliaires auxquels
on pourra interdire des signaux très-variés. Que peuvent
avoir à dire les compagnies pour le service de la ligne?
Peu de choses : un convoi est parti ; nous avons besoin
d'une locomotive; tel accident est arrivé; nous avons
ET TÉLÉGRAPHES DE NUIT. 489
besoin d'eau. On pourra donc, vous le voyez, attacher au
fil dont se servira une compagnie un nombre très-borné
de signaux.
Je ne prétends pas que ce que je dis là soit une solution
définitive ; mais les diflTicultés s'amoindriront à mesure
(^u'on étudiera la question.
En Amérique on se sert de la télégraphie électrique
pour des communications particulières, et on n'y a re-
connu aucun inconvénient. Pourquoi n'arriverait-on pas
à employer aussi en France le télégraphe électrique dans
les correspondances particulières.
J'ajouterai, pour rassurer les personnes qui doutent de
la rapidité de la transmission électrique , qu'il est prouvé
par des expériences incontestables, que l'électricité se
meut dans les fils de métal avec une vitesse de plus de
77,000 lieues par seconde,
SUR LES CHAUX
LES MORTIERS ET LES CIMENTS HYDRAULIQUES
SUn LES POUZZOLANES NATUllELLES
ET ARTIFICIELLES •
Messieurs, dès leur première séance, vos commissaires
ont donné une entière adhésion à la pensée qui a inspira
le projet sur lequel vous êtes appelés à délibérer. Ih
sont restés unanimement convaincus, qu'en soumettant
les grandes découvertes de nos compatriotes à Tapprér
ciation attentive des trois pouvoirs constitutionnels du
pays, qu'en recourant à toutes les solennités de la loi
pour régler les rémunérations que des inventeurs peu-
vent avoir méritées, on excitera au plus haut degré , et
très- utilement, le zèle, l'ardeur et la persévérance des
hommes de génie.
Nous parlons seulement. Messieurs, de grandes décou-
vertes. Des travaux, quelque estimables qu'ils fussent^
auxquels cette dénomination n'appartiendrait pas légi-
timement et d'un consentement universel, ne. nous paraî-
1. Rapport fait à la Chambre des députés, le 26 mai 1865, au nom
de la commission chargée de l'examen du projet dé loi tendant à
accorder, à. titre de récompense nationaJe, une pension annuelle
et viagère de 6,000 fr. à M. Vicat, ingénieur en chef, directeur des
ponts et chaussées.
492 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES.
traient pas, en effet, devoir appeler une délibération
spéciale des Chambres législatives.
Ces réflexions jalonnaient sans aucune équivoque la
route que nous avions à suivre. Nous devions examiner
si M. Yicat s'est placé parmi les hommes privilégiés dont
la postérité se souviendra ; si ses travaux, au moment de
leur publication, avaient un caractère de nouveauté incon-
testable ; s'ils offraient un intérêt général ; si, enfin, les
procédés qui en découlent, doivent prendre rang parmi
les inventions brillantes dont notre pays s'honore à juste
titre.
Ce court préambule justifiera les développements que
vous allez entendre. Nous avons cru d'ailleurs qu'en
soumettant à l'analyse la plus stricte, la plus minutieuse,
un mérite aussi reconnu que celui de M. Vicat, nous inspi-
rerions une inquiétude salutaire aux médiocrités qui pré-
tendraient faire retentir leur nom dans cette enceinte.
Si la commission avait atteint ce but, elle aurait, sans
aucun doute, satisfait d'avance à un des vœux de la
Chambre.
J. FABRICATION ARTIFICIELLE DES CHAUX HTDRAUUQUES
La chaux, soit à l'état de pureté, soit, plus ordinaire-
ment, mêlée à d'autres matières, est le moyen dont on
fait usage depuis les temps les plus reculés pour lier entre
elles les pierres, et, en général, toutes les parties consti-
tuantes des bâtisses.
Si la chaux ne s'offre nulle part isolée sur l'écorce du
globe, par compensation, les roches d'où on peut Tex-
traire à l'aide de simples grillages, les roches calcaiies.
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. i93
existent presque partout. Aucun nninéral n'est plus ré-
pandu dans la nature.
Il est rare que les pierres calcaires soient entièrement
pures, ou exclusivement composées de chaux et d'acide
carbonique. Leur pâte est ordinairement mêlée, d'une
manière intime, à de la silice, à de l'alumine, à de la
magnésie, à du fer oxydé, à de l'oxyde de manganèse, etc.
De là les dénominations adoptées par les minéralogistes,
de calcaires argileux, magnésiens, ferrugineux, manga-
nésiens, etc.
Ces calcaires fournissent, par la cuisson, des chaux
très - diverses. Les constructeurs en distinguent plusieurs
espèces : les chaux grasses, les chaux maigres, les chaux
hydrauliques.
Les chaux grasses foisonnent beaucoup quand on les
éteint : elles doublent alors de volume et au delà. Ce
serait une propriété très- précieuse sous le rapport de
l'économie; mais les chaux grasses restent longtemps
molles, surtout au centre des maçonneries, partout où
elles sont privées du contact de l'air; mais les chaux
grasses se dissolvent jusqu'à leurs dernières parcelles
dans les eaux fréquemment renouvelées, dans les eaux
pures; mais cette dissolution de la chaux transforme à
la longue en monceaux de pierres sèches des murs de
quai, par exemple, qu'on croyait convenablement ma-
çonnés et d'une grande solidité.
Faut-il montrer, par des citations, que le mortier fait
avec de la chaux grasse n'acquiert point de consistance
quand il est à l'abri du contact de l'air? Nous dirons que
M. le général Treussart ayant eu à reconstruire à Stras-
494 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIOUES.
bourg, en 1822, le Boubassement d*uD bastion qui datait
de 1666, y trouva le mortier tout aussi frais que si les
maçons l'eussent posé depuis quelques heures seulement.
Pareille chose fut observée à Berlin par les architectes
qui démolirent naguère un des piliers, de neuf mètres
de diamètre, de la tour de Saint-Pierre, bâtie depuis
environ 80 ans.
Nous demande-t-on de prouver qu'un courant d'eau
vive dissout rapidement la chaux grasse des maçonneries
et en compromet la solidité? Nous invoquerons, pour
choisir entre mille exemples, la démolition des restes
des anciennes écluses de la Vilaine. Pendant cette opé-
ration, on reconnut que, par suite de la dissolution de
la chaux grasse, il ne restait plus derrière les revête-
ments que des masses sans liaison, que de simples murs
de pierre sèche.
La chaux maigre a tous les défauts des chaux grasses,
et, de plus, comme son nom l'indique, elle foisonne à
peine. Aussi évite-t-on , autant que possible , d'en faire
usage.
Les constructeurs qui désirent donner de la durée à
leurs œuvres, doivent employer exclusivement de la chaux
hydraulique, particulièrement lorsque les fondations re-
posent sur un terrain humide.
On appelle chaux hydrauliques celles qui se solidifient
promptement dans l'eau. Cette propriété ne se montre
pas toujours au même degré. Les plus caractérisées des
chaux hydrauliques font prise du second au quatrième
jour d'immersion; au bout d'un mois, ces chaux sont
fort dures et complètement insolubles; dans le sixième
CHAUX BT MORTIERS HYDRAULIOITES. 495
mois, elles se comportent comme certaines pierres cal-
caires ; le choc les brise en éclats , leur cassure est écail-
leuse.
Les calcaires naturels ne se distinguent en général les
uns des autres, par aucun caractère physique particulier
de texture, de dureté, de pesanteur spécifique, de colo-
ration, qui puisse faire prévoir d'avance quelle espèce de
chaux ils fourniront. Les chaux grasses, maigres, hydrau-
liques, sont indistinctement blanches, grises, fauves,
rousses, etc. C'est dans la composition intime des roches,
c'est dans la nature et la proportion de leurs principes
constituants, que les chimistes ont cherché les causes
réelles de Thydraulicité.
11 est bien avéré depuis longtemps , que les calcaires
les plus purs, les marbres statuaires primitifs ou saccha-
roïdes, les marbres de Paros, de Carrare, donnent tou-
jours, par la calcination, de la chaux grasse; on a su de
bonne heure aussi que la propriété de durcir sous l'eau
est communiquée à la chaux, par des matières particu-
lières qui se trouvent disséminées dans le tissu de la roche
calcaire d'où la chaux a été tirée. Mais quelles sont ces
matières, et en quelles proportions devaient- elles exister
dans la roche pour que l'hydraulicité apparût à un degré
suffisant? Sur ce point, les opinions ont été très-longtemps
flottantes.
Bergman, car de trèfr-grands chimistes s'occupèrent
de la question, attribuait les propriétés caractéristiques
des chaux hydrauliques à la présence, dans ces chaux,
d'une petite proportion d'oxyde de manganèse.
Guyton de Morveau adopta les idées de son illustre ami.
496 CHAUX BT MORTIERS HYDRAULIQUBS.
11 était évident, toutefois, que l'hypothèse des deux chi-
mistes ne révélait pas, du moins d'une manière générale,
le secret de l'hydraulicité ; on connaissait, en effet, des
chaux hydrauliques naturelles dans lesquelles n^existait
pas une trace d'oxyde de manganèse. Il a même été
constaté que cet oxyde ne possède point la propriété
qu'on lui attribuait. Une écluse construite en Suède,
d'après les idées de Bergman, avec un mortier composé
de chaux grasse et de manganèse, manquait tellement de
solidité, qu'il fallut la détruire très-peu de temps après
son achèvement.
Les plus anciennes études que nous connaissions sur
les compositions des chaux hydrauliques, datent de
l'année 1756, c'est-à-dire de l'époque où Smeaton se
préparait à la construction si difficile, si hardie, du phare
d'Edystone. Ce célèbre ingénieur examina alors avec le
soin le plus scrupuleux la chaux hydraulique naturelle
d'Aberthaw (comté de Glarmorgan). Cette chaux jouis-
sait en Angleterre d'une certaine célébrité. Traitée par
les acides, elle laissa un résidu « qui paraissait être une
glaise bleuâtre, pesant environ 1/8 du poids total de la
pierre. » La couleur rougeâtre que ce résidu acquit par
la cuisson, fit croire à Smeaton que la roche calcaij'e
d'Aberthaw (on l'appelait déjà du lias) contenait aussi
du fer.
Saussure publia, en 1786, dans le second volume de
son célèbre voyage, quelques réflexions tendant à attri-
buer l'hydraulicité des chaux de Saint- Gingolph, en
Savoie, à l'influence combinée du manganèse, du quartz
et même de l'argile contenus dans le tissu des roches cal-
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 497
caires de cette localité. Ajoutons, dans l'intérêt de la
vérité, que l'illustre naturaliste laissa ses opinions à l'état
de simples conjectures.
Encore une citation, et nous aurons parcouru l'en-
semble des recherches qui ont précédé les travaux de
M. Vicat.
M. l'ingénieur des mines Collet-Descostils, ayant dé-
couvert, en 1813, une quantité notable de matière sili-
ceuse très-divisée dans la chaux de Senonches, attribua
à l'action de la silice l'hydraulicité si forte et si renommée
de cette chaux.
Que manquait-il aux conjectures de Smeaton, de Saus-
sure, de DescostiJs ? Il leur manquait ce qui transforme
de simples conjectures en principes incontestables; il leur
manquait la précision, la netteté, ces constants attributs
de toute vérité bien établie; il leur manquait d'être éclair-
cics, rectifiées, et de passer enfin, par l'impulsion d'une
main puissante, de la région vague, nébuleuse des rêve-
ries, dans le domaine des applications.
Dès ses premiers essais, M. Vicat fit usage de la syn-
thèse. Quiconque avait remarqué combien Tétat cristallin,
l'état moléculaire peut modifier les propriétés physiques
de certains corps, ne devait attacher qu'une confiance
bornée aux conséquences qui, dans l'intérêt de l'archi-
tecture, semblaient découler de l'analyse chimique des
chaux. Les expériences de M. Vicat allèrent, au contraire,
directement au but.
La chaux naturelle de Senonches était le type de la
perfection; M. Vicat composa une chaux artificielle supé-
rieure à celle de Senonches. Il obtint ce résultat capital
V.— II. 32
498 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES.
en faisant calciner, dans des proportions convenable-
ment choisies, de la craie ou de la chaux pure mêlée à
de l'argile.
Par cette expérience, la lumière succédait à Tobscu-
curité, la certitude au doute ; Fart de bâtir venait de s'en-
richir d'une admirable découverte.
Nous ne supposons pas que cette qualification d'admi-
rable découverte puisse être contestée. Nous ne saurions
croire que le désir, malheureusement si commun , de dé-
pouiller un contemporain au profit de la réputation d'un
mort, décide personne, dans cette circonstance, à exagé-
rer le mérite des essais, des hypothèses, des conjectures
qui précédèrent les travaux de l'ingénieur du pont de
Souillac. Sans cela nous prouverions, par des rapproche-
ments sans réplique, que M. Vicat n'a pas été moins réel-
lement inventeur sur h question des chaux hydrauliques,
que ne le fut Newton quand il publia la théorie de la
composition de la lumière blanche, que ne le fut Frank-
lin lorsqu'il proposa les paratonnerres au monde civilisé.
Le célèbre Smeaton essayant infructueusement de rendre
de la chaux grasse hydraulique par une addition d'argile
sans préparation ; Smeaton méconnaissant, après ses
essais multipliés, la nécessité de la cuisson de l'argile,
montra d'ailleurs, beaucoup mieux que tous les raison-
nements ne sauraient le faire , l'immense distance qm
sépare de simples aperçus d'une découverte réalisée et
complète.
M. Vicat a étendu ses heureuses investigations à tout
ce qui concerne le rôle que la chaux peut jouer dans les
maçonneries ; ainsi, l'art du chaufournier, l'art de chas-
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 499
scr le plus sûrement et le plus économiquement possible
l'acide carbonique, un des principes constituants des
rociies calcaires, est redevable d'importantes remarques
aux travaux de notre célèbre ingénieur ; ainsi, après les
directions précises que ces travaux renferment, personne
ne pourrait hésiter sur les essais à faire, pour prévoir à
coup sûr les qualités que développeront à la longue des
échantillons de chaux donnés; ainsi, ceux qui voudront
savoir quel procédé il importe de suivre pour éteindre les
chaux de diverses catégories, consulteront avec beaucoup
de fruit les résultats des expériences de M. Vicat; ainsi,
le choix des matières qui concourent avec les chaux de
toute nature à la fabrication des mortiers, ne sera plus
livré à une aveugle routine.
Le besoin d'abréger nous impose l'obligation de faire
seulement mention de cette partie, d'ailleurs si intéres-
sante, des recherches de M. Vicat. Nous supprimons
aussi, par le même motif, l'analyse des considérations
théoriques Irès-délicates, à l'aide desquelles notre ingé-
nieur explique l'action graduelle et longtemps prolongée
des chaux, sur les matières qu'on mêle à elles pour en
faire du mortier.
Nous^ regrettons d'autant plus d'être forcé de nous
restreindre, qu'il nous eût été particulièrement agréable
de rendre pleine justice aux très-belles expériences de
M. Berthier, un des plus habiles chimistes dont la France
puisse s'honorer.
500 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES.
IL CIMENTS.
M. Vicat s'est également occupé avec succès des
ciments.
Les architectes distinguent les ciments des mortiers
d'après l'aspect physique. Le sable contenu dans le mor-
tier y existe à l'état de mélange, sous forme de gravier
plus ou moins grossier, plus ou moins apparent. La pâte
du ciment paraît homogène, quoiqu'elle renferme, à la
fois, de la chaux, de la silice et de l'alumine.
Aucune matière n'a joui de plus de célébrité parmi le>
constructeurs, que le produit connu encore aujourd'hui
sous le nom de ciment romain.
Ce ciment qui, à l'origine, s'appelait ciment aquatique,
fut fabriqué, dès l'année 1796, par MM. Parker et
Wvatts. Il était le résultat de la torréfaction de certains
galets calcaires ovoïdes qu'on trouve, en assez grande
abondance, à quelque distance de Londres.
Le ciment romain, gâché en pâte un peu consistante,
se soHdifie en quelques minutes à l'air ou dans l'eau. Il
est certains travaux, le tunnel sous la Tamise par exemple,
qui n'auraient pas pu être exécutés sans ciment romain.
Dans d'autres circonstances, cette solidification très-
rapide devient un obstacle réel. On remplace alors le
ciment par du mortier hydraulique dont le prix est d'ail-
leurs beaucoup moins élevé.
Parker et Wyatts fabriquaient leur ciment romain et
le vendaient à toute l'Europe; les constructeurs en fai-
saient usage ; mais ni les uns ni les autres ne se rendaient
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 504
compte de la cause réelle de ses singulières propriétés.
La découverte de cette cause appartient, ce nous semble,
incontestablement à M. Vicat. Nous trouvons, en effet,
qu'après avoir indiqué la proportion d'argile cuite qui
rend une chaux hydraulique, Thabile expérimentateur
publiait, en 1817, cette remarque catégorique :
«Lorsque l'on force cette dose (la dose d'argile) jus-
qu'à 33 ou 40 p. 0/0, on obtient une chaux qui ne s'éteint
pas; mais elle se pulvérise facilement et donne, quand on
la détrempe, une pâte qui prend corps sous l'eau très-
promptement. »
La proportion d'argile précitée est justement celle de
la matière qui sortait des fours de MM. Parker et Wyatts.
M. Vicat fit donc de toutes pièces, dès 1817, non-seu-
lement de la chaux hydraulique, mais encore du ciment
romain.
La mission de vos commissaires ne comporterait pas
la citation de faits purement scientifiques; aussi s'empres-
sent-ils de remarquer que la découverte de notre ingé-
nieur sur les ciments est entrée largement dans le do-
maine des applications. Ici, comme à l'occasion des chaux
hydrauliques, ainsi qu'on le verra tout à l'heure, la géo-
logie, éclairée par M. Vicat sur l'importance industrielle
des calcaires fortement argileux, a tourné de ce côté ses
utiles investigations, et les constructeurs français, na-
guère tributaires de l'Angleterre, connaissent aujourd'hui
une multitude de localités où ils peuvent préparer du
ciment romain. M. Vicat, pour son compte, en a signalé
l)lus de 400. Cette nouvelle industrie est exploitée avec
avantage dans beaucoup de nos départements.
502 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES.
Si les bornes de ce rapport nous le permettaient, nous
pourrions citer ici plusieurs personnes qui se sont rendues
recommandables par la découverte de carrières de ciment
romain, et, entre autres, un habile ingénieur des ponts
et chaussées que la Chambre des députés a compté parmi
ses membres, M. l'ingénieur en chef Lacordaire.
III. POUZZOLANES ET TRASS.
Les pouzzolanes naturelles avaient joué un rôle trop
important dans les mains des anciens architectes, le trass
sous la truelle des constructeurs du moyen âge, pour que
M. Vicat pût se dispenser d'étudier leur mode d'action.
Malgré toutes les difficultés du sujet, le succès, au point
de vue des applications, a couronné complètement les
patientes et laborieuses investigations de l'ingénieur.
On donne le nom de pouzzolane à une matière d'origine
volcanique qui existe en grande abondance près de la
ville de Pouzzole et aux environs de Rome.
Le trass est un conglomérat, également volcanique,
exploité sur les bords du Rhin, et, particulièrement,
dans les environs d'Andernach.
Pour rendre une chaux grasse hydraulique, il suffit de
la gâcher avec des proportions convenables de pouzzo-
lane ou de trass.
Qu'imaginer de plus shnple, de plus commode? Hais,
dans une multitude de localités, le prix du transport
devait rendre impossible l'usage du trass ^ tout aussi
bien que celui de la pouzzolane. De là , nûUe tentatives
pour préparer des matières qui possédassent les mêmes
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 503
propriétés. Chaptal crut avoir résolu le problème en
calcinant très -fortement certains schistes, ou quelques
argiles ocreuses. Mais en supposant les propriétés du trass
et de la pouzzolane reproduites ainsi, la difficulté n'au-
rait été que reculée : les schistes essayés par Chaptal ne
sont pas communs en France; il y avait d'ailleurs dans
l'opération recommandée, ra^me en employant l'argile
ocreuse, une circonstance, la très -haute température,
qui devait inévitablement faire manquer le but.
M. Vicat reprit la question dans ses éléments. Voici la
solution qu'il trouva :
On peut obtenir des pouzzolanes artificielles, supé-
rieures , ou tout au moins égales aux meilleures pouzzo-
lanes d'Italie, par une modification particulière de l'argile
la plus pure possible. Cette modification s'obtient en cal-
cinant légèrement l'argile; en se bornant à lui enlever
son eau de combinaison; en ne portant sa température
qu'entre 600 et 700 degrés centigrades.
L'esprit se repose avec satisfaction sur les solutions
des problèmes industriels, quand elles ont cette admi-
rable simplicité. D'autre part, on reste émerveillé en
voyant une opération tellement facile que les ouvriers
l'appellent un taur de main , doter un royaume , disons
mieux , le monde entier, d'une matière éminemment utile
et qui semblait devoir rester la propriété privilégiée de
quelques coins de terre, jadis le siège d'éruptions vol-
caniques.
Nous croirions manquer à un devoir si , après avoir
cité les découvertes capitales de M. Vicat touchant la
question si délicate des pouzzolanes, nous ne disions pas
504 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQVKS.
qu'un officier du génie, M. le général Treusssrt, dont
'armée tout entière a vivement déploré la mort préma-
turée , a laissé sur ce sujet un ouvrage rempli d^utiles
observations et de remarques précieuses.
Les publications de M. Yicat avaient depuis longtemps
satisfait à tous les besoins de Fart, pour les travaux à
exécuter dans Teau douce, le long des canaux, sur les
rivières et les fleuves. L'eau de mer vient de faire surgir
des difficultés très-graves que personne ne soupçonnait
M. Vicat aura le double mérite d'avoir signalé le mal et
indiqué le remède.
D'après des études récentes de M. Vicat, l'eau de mer
a quelque tendance à décomposer tous les béions possibles.
Elle peut attaquer indistinctement ceux dans lesquels il
entre des chaux grasses ou des chaux hydrauliques , des
pouzzolanes naturelles ou des pouzzolanes artificielles.
Cette tendance résulte de la présence, dans l'eau de mer,
de certains acides qui ont une grande affinité pour la
chaux et l'enlèvent aux bétons. M. Vicat a trouvé les
moyens de combattre une action si funeste et de la vaincre.
11 est actuellement en mesure d'indiquer les chaux, les
pouzzolanes , les ciments qui , préparés par ses anciens
procédés, résisteront naturellement à l'action destnictive
de l'eau de mer, et quant aux autres, de caractériser les
modifications qu'elles devront subir pour acquérir cette
même force de résistance. On concevra que, dans une
question si délicate, M. Vicat ne se soit pas hâté de faire
connaître ses découvertes. Nous pouvons annoncerqu'elles
seront prochainement livrées au public. Il est même juste
de dire qu'on leur est déjà redevable du rejet d'une nature
CHArX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 505
particulière de pouzzolane proposée pour le port d'Alger,
et dont remploi eût été suivi de déplorables événements. La
réserve dans laquelle M. Vicat s'était sagement renfermé,
lui permettra de s'étayer, en faveur de ses méthodes,
d'une expérience capitale et décisive : les pouzzolanes
artificielles , employées avec tant de succès à Calais par
M. l'ingénieur en chef Néhou, se trouvent satisfaire fortui-
tement aux conditions de conservation des maçonneries
dans l'eau de mer, posées dans le nouveau travail de
M. Vicat.
IV. STATISTIQUE DES CHAUX HYDRAULIQUES.
Les moyens de fabrication recommandés par M. Vicat
n'eurent pas le sort ordinaire des choses nouvelles. Les
avantages étaient d'une évidence palpable, et la routine
s'avoua vaincue du premier coup. Quelques mois à peine
s'étaient écoulés depuis la publication du Mémoire de
M. l'ingénieur en chef du pont de Souillac, et déjà l'on
faisait usage à Paris de chaux hydraulique artificielle
dans l'exécution des quais, aux abords du pont d'Iéna,
dans la construction des quatre grands abattoirs , dans
les travaux du canal Saint-Martin.
Plus tard, la chaux hydrauhque artificielle a été moins
employée; on la remplace aujourd'hui par de la chaux
naturelle dont le prix est plus bas , et qui est douée des
mômes propriétés ; mais , hâtons-nous de le remarquer,
ici encore , on est principalement redevable à M. Vicat de
nouvelles richesses que les constructeurs mettent journel-
lement en œuvre sur tous les points du royaume.
Notre ingénieur avait trop de pénétration pour ne pas
506 CUÂUX ET MORTIERS HTDRÂULIOUBS.
remarquer que si, d'après sa découverte, la chaux devient
hydraulique à Tâide d'une simple additioB d'argile, il
devait y avoir dans la quantité innombrable de formations
calcaires argileuses qui existent dans notre pays, beau-
coup de gites très-propres à fournir par la cuisson , de la
chaux hydraulique naturelle. Cette idée a dominé M. Yicat.
Depuis douze années , il a exploré , de ce point de vue ,
presque tous nos départements. Ses publications , sous le
nom modeste de Statistique des chaxix hydrauliques , ont
révélé cette inappréciable richesse dans une foule de loca-
Utés où elle n'était pas même soupçonnée. Les départe-
ments où Ton trouve la chaux hydraulique naturelle en
plus grande abondance , sont : les départements du Lot,
du Lot-etr-Garonne, du Tarn, de la Dordogne, du Gard,
de TArdèche, de la Drôme, du Gers, de la Charente,
de l'Hérault, du Cher, de l'Allier, de la Nièvre, de
l'Yonne, de la Côte-d'Or, de l'Ain, de l'Isère, du Jura,
du Doubs , du Haut-Rhin , etc. Sur quatre-vingts dépar-
tements déjà explorés, il n'en est que six ou sept, à
terrains primordiaux, où la chaux hydraulique manque
entièrement.
Nous allons rapporter deux faits qui montreront d'une
manière frappante où en étaient les connaissances des
hommes de l'art sur les ressources de notre pays en
chaux hydrauliques, au moment où M. Yicat conmiença
ses explorations.
Lorsque cet mgénieur se rendit à Marseille, on y creu-
sait un nouveau bassin. Les entrepreneurs se débarras-
saient à grands frais d'une immense quantité de déblais
calcaires. Toute vérification faite, M, Yicat reconnut que
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 507
ces matières auraient pu fournir la chaux hydraulique
nécessaire à l'entière construction du bassin.
Voici un fait encore plus remarquable , surtout par les
conséquences qu'il a eues :
A l'époque de l'exécution des canaux de Bretagne,
l'administration était très -embarrassée de savoir où elle
se procurerait la chaux hydraulique. M. Vicat reçut la
mission de visiter les lieux, et, presque immédiatement,
il reconnut, dans les carrières de Pompcan, près de
Rennes, entre les couches de pierre à chaux grasse
exploitées de temps immémorial, un banc marneux ver-
dàtre, désigné sous le nom de brûle- mort-vert^ que les
chaufourniers rejetaient avec le plus grand soin. Ce banc
dédaigné a non -seulement fourni, après l'examen de
M. Vicat, à tous les travaux de la Vilaine et du canal
d'Isle-et-Rance, mais il est devenu la seule ressource
de cette partie du royaume pour toutes les constructions
hydrauliques qu'on y exécute,
V. CONSIDÉRATIONS ÉCONOMIQUES.
Le prix de la chaux entre presque toujours pour une
part considérable dans le prix des maçonneries. Les
chaux ont des propriétés très-diverses qui décident de la
durée des constructions et du mode de leur exécution.
Dans les contrées où la chaux est abondante et de bonne
qualité , les édifices durent des siècles sans avoir cepen-
dant exigé des dépenses ruineuses. On peut y construire,
même pour les habitants les plus pauvres, des demeures
salubres, peu exposées aux incendies; d'une solidité à
508 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES.
répreuve des ouragans, des pluies diluviales et des
débordements. C'est par de telles applications que Ic^
travaux des ingénieurs, des chimistes, méritent surtout
de fixer l'attention des pouvoirs publics et des législa-
teurs. Arrêtons un moment nos regards sur cette phase
de la question ; cherchons à évaluer en nombres les ser-
vices que, sous ce rapport, M. Vicat a rendus à son pays.
C'est à Paris que les procédés de M. Vicat reçurent
d'abord une vive impulsion par les soins de M. Bruyère;
c'est à Paris que nous trouverons une première évalua-
tion des économies que ces procédés ont amenées.
Avant 1818 , les travaux hydrauliques de la capitale
étaient presque tous exécutés en plâtre ou avec de la
chaux grasse. De là, de nombreuses et très - coûteuses
réparations annuelles. Depuis 1818, date des premières
publications de M. Vicat, on a eu recours à la chaux
hydraulique. C'est la chaux hydrauHque qui donnera aux
constructions nouvelles une durée à peu près indéfinie.
La même solidité aurait été obtenue avec de la chaux
de Senonches; mais la chaux de Senonches, rendue à
Paris, coûte de 80 à 90 francs le mètre cube , tandis que
la chaux provenant des carrières à plâtre , cette chaux
que, avant les recherches de M. Vicat, on jetait dans les
décharges , vaut environ ftO francs. Cette différence de
prix , appliquée au volume de 37,000 mètres cubes de
chaux que les ingénieurs de Paris ont employés, de 1818
à 1841 , à la construction des égouts, des réservoirs
d'eau , des canaux , etc. , correspond à une économie de
plus de 1,500,000 francs.
Un des membres de votre commission dirigeait une
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 5ûd
partie des travaux de l'enceinte continue de la capitale.
Il s'est empressé de mettre sous les yeux de ses collègues
des tableaux détaillés , desquels il résulte, avec une
entière évidence , que , dans la seule chofferie de Belle-
ville, pendant les années 1840 , &! , 42 , AS et 44 , une
économie de plus d'un demi-million a été la conséquence
de l'exploitation d'une certaine chaux trouvée sur place,
dont on n'aurait certainement fait aucun cas avant les
savantes publications de M. Vicat.
Nous passerons maintenant à des tableaux où les éco-
nomies, résultant innnédîatement des recherches du
célèbre ingénieur , se présenteront sur une bien plus
grande échelle.
1** Relevé des écluses et barrages construits en France^ en
vertu des lois du 5 août 1821 et du 14 août 1822.
Noms
des canaux.
Du Rhône au Rhin . . . ,
De la Somme
Des Ardennes
De la rivière d*lsle. . .
D'Aire à la Bassée... .
De Bourgogne
De Nantes à Brest ...
D'Isle-et-Rance
Du Blavet
D'Arles à Bouc
Du Nivernais ^,,
Du Berry
Latéral à la Loire.. . .
De la rivière du Tarn
De roise
Nombre
d*écluses.
Nombre
des barrages.
162
24
69
«59 . • . •
t . . OiJ
it
191
234
28
^o . . • •
... 28
U
114
115
45
q
/ • ■ • •
... 7
Total 1049 83
540 CHAUX BT MORTIERS HYDRAULIQUES.
2* Écluses et barrages des canaux entrepris en vertu
des lois des 3 juillet 1838 et S juillet 1 840.
D'autre part. . . 1069 D'autre part. 83
De la Marne au Rhin 180
Latéral à la Garonne 50
Perfectionnements de naviga-
tion en rivière.
Partie latérale à la Marne 14
Charente ; 10
Dordogne 9
Tarn 6 6
Lot 80 47
Totaux i3li% 136
Autrefois une écluse ne pouvait être solidement fondée
que sur des grillages en charpente avec épuisements.
On la bâtissait en totalité avec de la pierre de taille ;
encore, après toutes ces précautions, était-elle sujette à
de fréquentes dégradations par la détérioration des mor-
tiers de l'intérieur des maçonneries. A raison de ce mode
de construction , à raison surtout des épuisements , cer-
taines écluses coûtèrent jusqu'à trois cent mille francs.
En moyenne, la dépense n'était pas au-dessous de
100,000 francs. Aujourd'hui , grâce à la suppression des
épuisements , des bâtardeaux , etc. , grâce à remploi de
petits matériaux que permet la chaux hydraulique, ce prix
varie entre 38,000 et 50,000 francs. L'économie mini-
num par écluse est donc de 50,000 francs, et sur les
1340 écluses, de 67 millions.
Un barrage en rivière coûte , à cause de la largeur du
lit et de quelques difficultés spéciales, autant que plu-
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES, 5H
sieurs écluses; nous admettrons, en moyenne, que cha-
que barrage vaut deux écluses; à ce compte, les cent
trente-six barrages cités représenteront une économie
de 13,600,000 francs.
Nous ne pouvons rien donner d'aussi précis, faute de
documents, sur les travaux hydrauliques appliqués au
perfectionnement de la navigation des rivières , consistant
en baiTages isolés, en barrages à pertuis, en épis , etc. ;
mais on conçoit sans peine , d'après ce qui précède , que
ces constructions ne sauraient figurer dans ce résumé,
pour une économie de moins de 20 millions.
Dans les travaux en projet destinés à compléter le
système de navigation intérieure, on compte 910 écluses
et 41 barrages. En appliquant ici les chiffres précédem-
ment établis, on arrive pour ces futurs travaux à une
économie de 49 millions.
3' Grands ponts en pierre de taille; ponts moyens
et autres.
Pour établir une comparaison suffisamment exacte
entre ce que coûtaient les ponts fondés par caissons et
pilotis , et ce qu'ils coûtent aujourd'hui par la fondation
en bctonncment, il faut prendre une unité de comparaison
indépendante du nombre et des dimensions des arches et
de leur largeur. Ce sera le mètre carré de surface com-
prise entre les parapets que nous choisirons.
En procédant ainsi , on a trouvé pour les ponts à cais-
sons et pilotis dans lesquels la substitution de la nouvelle
méthode à l'ancienne eût été possible , que le mètre carré
a coûté en moyenne 1,312 francs.
542 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES.
Or, pour les ponts placés dans des circonstances
toutes pareilles sur des fleuves ou rivières à grands
débouchés, mais fondés par bélonnement, le mètre carré
a coûté en moyenne 625 francs. Le rapport de la dépense
ancienne à la dépense nouvelle est de 100 à 47. A ce
compte, un pont fondé comme celui d'Iéna ou de Sèvi'es,
coûtant moyennement 2,600,000 fr., un pont semblable,
fondé suivant la nouvelle méthode , ne coûtera que
1,222,000 francs. Partant, l'économie par pont sera
de 1,378,000 francs. Depuis 1818, il y a eu dix-neuf
grands ponts semblables fondés par bétonneinent , ce
qui représente une économie de 26,182,000 francs.
Si des grands ponts nous passons aux ponts moyens
de 15 à 20 mètres d'ouverture pour chaque arche , nous
trouvons qu'il faut en porter le nombre à trente. Chacun,
toute proportion gardée, offre une économie de 235,000
francs, ce qui fait pour les trente, 7,050,000 francs.
Quant aux ponts d'une seule arche de 15 à 20 mètres
d'ouverture, il en a été construit plus de mille, dans l'in-
tervalle de vingt-cinq ans, tant sur les routes royales que
sur les routes départementales. Pour chacun de ces ponts,
l'économie moyenne résultant de la suppression des épui-
sements et du remplacement de la pierre de taille par le
béton dans la fondation, s'élève à 25,000 francs. Le total
est de 25 millions.
4* Ponts smpendus.
A la date du 1" juillet 1843, il avait été concédé 327
ponts suspendus, ayant une, deux, trois et quatre tra-
vées. Afin de rester au-dessous de la vérité dans nos
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 543
calculs, nous ne compterons que 327 travées de 100
mètres chacune, coûtant 100,000 fr. Déduisant de cette
somme 30,000 francs, prix du tablier et des moyens de
suspension, il reste 70,000 francs pour les fondations et
la maçonnerie. L'expérience ayant montré que, pour les
ponts comme pour les écluses, la dépense a baissé de plus
de moitié, il y aurait lieu de faire ici une réduction encore
plus considérable. Toutefois , nous ne compterons que
moitié, ce qui donne pour économie le montant de la
dépense actuelle, ou 22,890,000 francs.
5** Rkcapitllation. — Économies faites sur
la construction :
Des écluses 67,350,000 fr.
Des barrages adjacents 13,600,000
Des barrages isolés, épis, etc. . . . 20,000,000
Des grands ponts 26,182,000
Des ponts moyens 7,050,000
Des ponts d'une seule arche 25,000,000
Des ponts suspendus 22,890,000
Total.... 182,072,000 fr.
Les économies qu'on n'a pu apprécier faute do docu-
ments suffisants, portent:
P Sur les ponts en bois ou en fer soutenus sur piles en
maçonnerie ;
2^ Sur les ponts d'une seule arche de 6 à 10 mètres
d'ouverture;
3° Sur les quais, digues et bassins, etc., à la mer ;
4" Sur les fondations des édifices particuliers et publics
dos villes ;
5° Sur les travaux militaires.
V.-n. 83
5U CHAUX ÏT MORTIERS HYDRAULIQUES.
Il est utile de remarquer que nous n'avons tenu aucun
compte de la question de temps. Or, en pareille matière,
le temps se traduit en argent et devient, financièrement
parlant, d'une haute importance. Les nouvelles méthodes
de fondation permettent d'exécuter en un ou deux ans ,
ce qu'on ne pouvait autrefois terminer qu'en cinq ou
six. Il y a donc^ sous ce rapport aussi, un bénéfice
considérable.
Une conclusion ressort avec évidence de tout ce qui
précède : c'est qu'en supposant l'art des constructions tel
qu'il était avant 1818, tel qu'il était avant les recherches
de M. Vicat, la plupart des grandes entreprises en cours
d'exécution, seraient entièremçoit paralysées par des
considérations de temps et de dépense.
Qu'on juge par les économies passées, des économies
futures. Celles-xi devant toujours être prcporUonnelles
aux masses croissantes des travaux d'art, l'on arrivera à
des chiffres qui frapperont d'étonnement les esprits les
plus froids.
Si nous ne sentions, Messieurs, combien la récompense
demandée acquerra de prix par la manière solennelle
dont elle pourra être accordée, nous aurions vraiment
supprimé tous ces chiffres , toutes cesTemarques. Au point
de vue purement financier, que sont, en effet ,6,000 fr.
de rente viagère, à côté des économies colossales dont le
pays est redevable aux travaux de M. Vicatî
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUE^S. 515
VL DES TRAVAUX DE M. VICAT, COMPARÉS
A CEUX DBS ANGIEfiS.
Certains érudits professent une admiration absolue,
passionnée, pour les monuments de F antiquité. Aies en
croire, les Grecs et les Romains avaient tout découvert
dans Part des constructions. La solidité de certains édi-
fices encore debout montre que les architectes niodernes
sont de vrais écoliers. M. Vicat a seulement retrouvé
des méthodes pratiquées jadis en Egypte, à Athènes, à
Rome, et dont le souvenir s'était perdu dans les temps de
barbarie.
Quoique nous n'apercevions pas le tort que ces ré-
flexions pourraient faire aux travaux de M. Vicat; quoi-
que la découverte d'une vérité perdue nous semble devoir
être assimilée à la découverte d'une vérité nouvelle, la
commission s'est livrée à un examen minutieux de la pré-
tendue supériorité des anciens sur les modernes dans l'art
de bâtir. Nous avons cherché, surtout, si cette supério-
rité serait soutenable en présence des progrès qui sont
dus aux découvertes de notre célèbre ingénieur.
i Des mortiers romains durent depuis dix-huit siècles.
Un grand nombre de bâtisses modernes sont dans un
état déplorable. »
Ce rapprochement pèche par la base. Pour lui donner
de la valeur, il faudrait ne mettre en parallèle que les
grands monuments des deux époques. Mais alors les ré-
sultats seraient fort dilTérents de ceux dont les érudits
prétendent s'étayer.
Les remparts de la Bastille étaient d'une extrême soli*
51G CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES.
dite , rnéme au milieu de leur épaisseur. On eut recours
à la mine pour les détruire. ^
La poudre devint également nécessaire lorsqu'on voulut,
il y a peu d'années, fuiro disparaître à Agen les ruines
d'un pont construit vers l'an 1200. M. Vicat s'est assuré
lui-même que le mortier du pont de Valentré, bâti à
Cahors en IftOO, surpasse en dureté celui du théâtre
antique dont on voit les ruines dans la même ville.
Les architectes anciens , comme les constructeurs mo-
dernes , bâtissaient, suivant la nature des matériaux dis-
ponibles, et aussi suivant des exigences financières, soit
des édifices inébranlables, soit, avec les mêmes formes
extérieures , des temples , des palais , des niaisons parti-
culières sans solidité. Les constructions de cette dernière
catégorie devaient rapidement disparaître. Les autres ont
seules résisté aux ravages du temps, à l'action incessante
des Intempéries des saisons. Les admirateurs aveugles
des siècles passés auraient-ils, par hasard, oublié ces
paroles si précises de Pline : t La cause qui fait tomber
à Rome tant de maisons, réside dans la mauvaise qualité
du ciment. »
Si, comme on le prétend, les Romains connaissaient
des méthodes certaines pour préparer du bon mortier,
on devrait trouver cette matière dans tous leurs monu-
ments publics, avec des qualités à peu près identiques.
Or, il n'en est pas ainsi, tant s'en faut, même en compa-
rant les différentes parties d'un seul édifice. La commision
a remarque dans plusieurs publications de M. Vicat, des
expériences très-propres à éclaircir ce sujet : celles, par
exemple, faites avec du mortier tiré de divers points du
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 517
pont du Gard ; ces expériences donnent des résistances
variant dans le rapport d'un à trois.
Les personnes qui voudront se livrer à de senriblables
comparaisons, devront se ressouvenir que le tenfips ajoute
sans cesse, dans les fondations, à la dureté du mortier.
Le mode d'action par lequel ce conglomérat artificiel
se durcit, acquiert de l'adhérence, est encore un sujet
de controverse entre les savants ; mais personne ne nie
(jue, dans certaines circonstances, la mystérieuse ac-
tion ne puisse se continuer pendant une longue suite de
siècles.
On paraît oublier qu'en ce qui touche les connaissances
des anciens sur l'art de bàtir, nous n'en sommes pas
réduits à desimpies conjectures. Vitruve, contemporain
ot architecte d'Auguste, nous a laissé le tableau détaillé
des préceptes en usage parmi les constructeurs de la
Grèce et de Rome. Ces préceptes sont loin de justifier
l'admiration sans réserve des antiquaires.
Les anciens n'étaient en possession, cela va sans dire,
d'aucune notion exacte concernant la modification chi-
mique qu'une pierre calcaire éprouve par les soins du
chaufournier, modification après laquelle sa friabilité est
si grande; ils ne savaient rien, non plus, touchant le
genre d'action qui restitue aux éléments désagrégés de
cette pierre passée à l'état de chaux, la dureté et l'adhé-
rence dont le feu les avait privés. Les efforts de Vitruve
pour enchaîner ces phénomènes dans les liens d'une expli-
cation plausible restèrent sans résultat. Il en fut de même,
jusqu'aux découvertes chimiques de Black sur l'acide
carbonique, des tentatives des successeurs les plus illus-
618 CHAUX BT MORTIERS HYDRAULIQUES.
très de Yitruve : des Scamozzy, des Philibert Delorme,
des Perrault, etc.
Un seul mot désabusera tous ceux qui se persuadent
que les erreurs théoriques de ces grands architectes étaient
sans conséquence. Voyez Philibert Delorme : pour arriver
au maximum de solidité dans les édifices , il croit néces-
saire que la chaux ait été extraite du banc même de
pierre calcaire dont le constructeur tirera les matériaux
de sa maçonnerie. Cette prescription , si elle était stric-
tement suivie, amènerait une augmentation de dépense
incalculable.
Des constructeurs qui se réglaient, dans le choix de leurs
chaux , sur la couleur de la roche d'où on les extrayait;
qui ne connaissaient aucune chaux hydraulique naturelle ;
qui prodiguaient dans leur mortier remploi du tuileau,
des briques concassées , ne sauraient sans une profonde
injustice être placés en parallèle avec les constructeurs
modernes. Si nous mettons à part de très-belles observa-
tions sur les propriétés des pouzzolanes naturelles, sur la
possibilité de faire usage de cette matière pour créer
d'énormes blocs factices destinés à être jetés à la mer,
nous trouverons que les Romains ne nous ont appris rien
d'essentiel concernant Fart de bâtir.
Au reste, tout ce qu'on tenterait pour exalter le mérite
des anciens dans l'art des constructions, tournerait à la
plus grande gloire de M. Yicat. Le meilleur mortier extrait
des monuments romains avait, après deux mille ans
d'ancienneté , une dureté précisément égale à celle que
M. Yicat obtient avec ses bonnes chaux , dans le court
intervalle d'un an à dix-huit mois. En faisant porter la
CHAUX RT &K)RTIEBS HTDRAULIQtJES. 549
comparaison sur les résistances moyennes, l'avantage
reste dans de très-large» proportions au mortier moderne.
VII. OPINION DES CHIMISTES ET DES CONSTRUCTEURS
SUR LES TRAVAUX DE M. ?ICAT.
Les découverte de M; Vicat sont d'une importance
palpable. Depuis environ un quart de siècle, tous les
constructeurs en font leur profit ; or, en pareille matière,,
chacun doit le compr^dre , c'est aux praticiens à pro-
noncer définitivement Néanmoins, pour ne négliger
aucun genre d'information , la commission a cru conve-
nable de recueillir aussi les opinions des chimistes, des
ingénieurs, qui se sont occupés avec le plus d'habileté
et de profondeurdes applications des sciences aux arts*
Dans celte recherche, nous n'avons trouvé que d^
appréciations très-flatbeuses des travaux du célèbre ingé-
nieur; personne ne nous a paru avoir contesté leur nou-
veauté.
Le premier Mémoire de M. Vicat sur la production de
la chaux hydraulique artificielle est-il présenté à l'Acar
demie des Sciences, ce corps savant décide, sur la pro-
position de MM. de Prony, Girard et Gay-Lussac y que
le Mémoire paraîtra dans la collection célèbre intitulée :
Recueil des Savants étrangers. A cette approbation, la
plus considérable que donnent jamads les comoaissions
académiques, vient se joindre bientôt un témoignage
d'estime fort recherché dans le monde entier ; l'Aca-
démie nomme M. Vicat un de ses correspondants.
Le conseil des Ponfts' et Chaussées appelé, au comh
520 CHAUX ET MORTIERS HTDRÂULIQUB&
menceinent de Tannée 1818 , à dire son avis sur la for-
mation artificielle de la chaux hydraulique , déclare , par
Torgane de l'austère et très-habile M. Bruyère, t que les
avantages des nouveaux procédés seront innombrables ;
qu'ils dispenseront de l'emploi ruineux des véritables
pouzzolanes , et de celui des pierres de grandes dimen-
sions, prodiguées dans les édifices modernes, malgré
tant d'exemples contraires offerts par les Romains et
les Goths. On peut même prévoir, ajoutait l'habile
inspecteur général , que d'ici à quelques années il ne
sera plus permis d'employer d'autre mortier dans les
constructions publiques, i
Lorsque M* Vicat fait connaître la première partie de.
son travail statistique sur les chaux hydrauliques de
France , l'Académie lui décerne une des médailles fon-
dées par Monthyon,
Écoutons M, Berthier, le juge le plus compétent des
découvertes de M. Vicat qu'il eût été possible de trouver
dans le monde entier :
« Le travail de M. Vicat sur les chaux et les mortiers
doit être placé au rang des plus beaux ouvrages qui
soient dus aux membres du corps des Ponts et Chaus-
sées. Sa découverte relative à la fabrication des chaux
hydrauliques artificieHes est de la plus haute impor-
tance.... En la rendant publique, M. Vicat a agi d'au-
tant plus noblement qu'il aurait pu en tirer un parti con-
sidérable, soit en la vendant, soit en s'en réservant
l'exploitation par un brevet d'invention. »
M. Dumas, nous ne voulons citer que de très- grandes
notabilités scientifiques, M# Dumas déclare dans sa
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 521
Chimie appliquée aux arlSj que la solution pratique de
la question, longtemps débattue, des chaux hydrau--
liques , est due tout entière aux remarquables travaux de
M. Vicat. En parlant des pouzzolanes artificielles, l'il-
lustre chimiste ajoute : « Ce sont pourtant des essais de
laboratoire qui ont conduit M, Vicat à l'importante décou-
verte dont il a enrichi les arts. L'état dans lequel il avait
trouvé la question , rend cette découverte d'autant plus
remarquable. »
Nous pourrions emprunter des témoignages également
flatteurs à une foule d'écrits, et particulièrement à deux
beaux articles de M. Chevreul, insérés dans le Journal
des Savants. Ces jugements, malgré les sources élevées
d'où ils émanent, ne devaient pas, sans doute, empêcher
la commission de se livrer au travail minutieux dont la
Chambre a entendu les résultats; mais, lorsque par ses
propres lumières, elle a été conduite aux opinions pro-
fessées à l'Académie des Sciences, et aux jugements des
Gay-Lussac, des Berthier, des Chevreul, des Dumas,
des Bruyère, il semblera naturel qu'elle ait désiré se
prévaloir d'une circonstance qui prouve qu'elle ne s'est
pas égarée,
VIII. RÉSUMÉ.
Efn résumé :
M. Vicat a démontré, le premier, que les propriétés
des chaux hydrauliques naturelles dépendent de l'argile
disséminée dans le tissu de ces chaux , c'est-à-dire d'une
action particulière que la silice réunie à l'alumine exerce
522 CHAUX ET KOBTIEBS' H7D&jyULIQUBS.
sur la chaux, quand ces matières ont été amenées par la
cuisson à un état convenable,
M. Yicat a fait , le premier, de la chaux hydraulique
de toutes pièces, non pas seulement en petit dans un
laboratoire, mais très en grand sur ses chantiers du
pont de Sodllac. Les piles de ce beau pont reposent sur
des masses de béton formées avec de la chaux hydrau-
lique artificielle. Depuis les travaux de M. Vicat, on
peut se procurer de la chaux faisant promptem^it prfae
dans Teau, partout où cette nature de chaux de\ient
nécessaire.
M. Vicat a libéralement livré sa découverte au public.
H est certain qu'en s'assurant , à Paide d*un brevet d'in-
vention , la fabrication privilégiée de la chaux hydrau-
lique artificielle-, cet ingénieur aurait fait une fortune
immense.
La première découverte de M. Vicat, malgré son
importance , a pâli , si Texpression nous est permise , h
côté des conséquences capitales qu'elle a eue*. Nous
avons vu cet ingénieur infatigable , parcourant la France
pas à pas, recherchant les coucher calcaires marneuses,
les bancs argileux dans lesquels pouvaient se trouver
naturellement réunis en proportions convenables , les élé-
ments constitutifs des chaux hydrauliques ; nous T avons
suivi pendant douze années dans celte exploration deve-
nue tellement fructueuse que l'on connaît maintenant sur
le sol français, par les seules indications de M. Vicat,
neuf cents carrières propres à fournir des chaux hydrau-
liques , tandis qu'auparavant on en comptait tout au plus
huit à dix. M. Vicat a si bien apprécié tout ce qu'il y
^
CHAUX ET MORTIERS HTDRAULIQUIS. 513
aura de glorieux pour lui à avoir révélé, à avoir mis aux
mains des constructeurs tant de riches matériaux enfouis
dans les entrailles de la terre ou même délaissés à la sur-
face, qu'afin de compléter cette œuvre , il a renoncé à
l'avancement auquel son ancienneté et son mérite émi-
nent lui donnaient des droits incontestés et incontes-
tables K
Les travaux de M. Vicat sur les pouzzolanes ont été
également clairs et décisifs. H en est résulté que tes
argiles les plus pures peuvent donner des pouzzolanes
ailificielles , supérieures^ ou au moins égales aux pouzzo-
lanes d'Italie; or, comme la nature a déposé de l'argile
avec une sorte de profusion à la surface du globe, rien
n'empêchera aujourd'hui d'obtenir à bon marché des
pouzzolaaes énergiques, en quelque région du pays qu'on
se trouve.
La France qui , avant M. Vicat , était tributaire de
l'Angleterre pour le ciment romain, pourrait aujourd'hui
satisfaire à tous les besoins de l'Europe entière.
Le système général de fondationi^ par voie de bétoi^-
nement date dfes découvertes que nous avons analysées:,
et particulièrement des beaux travaux du pont de
Souillac. Les ingénieurs instruits et consciencieux ne
manquent jamais de faire une large part à M. Vicat dans
les succès qu'ils obtiennent, alors même que les circon-
stances leur ont permis de recourir exclusivement aux
chaux hydrauliques et aux pouzzolanes naturelles. C'est
1. M, Vicat, nommé inspecteur divisionnaire sous le ministère de
M. Dufaure, a demandé à rester attaché, avec son grade d'ingénieur
en chef, à l'exploration qu'il avait si heureusement commencée.
524 CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES.
ainsi , par exemple, qu'à roccàsion de la réussite com-
plète et vraiment extraordinaire du nouveau bassin de
radoub à Toulon, fondé à 13 mètres au-dessous du
niveau de la mer, l'habile directeur de ce travail, M. Noël,
écrivait le 24 avril dernier à M. le sous-secrétaire
d'État des travaux publics : «Au moment où la loi rela-
tive à M, Vicat va être discutée , j'ai pensé qu'il ne serait
pas inutile de porter à votre connaissance un fait qui ,
en montrant ce qu'on peut obtenir pour les bétonnages,
donne une nouvelle importance aux travaux de l'illustre
ingénieur qui a fait faire de si gands progrès à notre
art. »
Grâce aux veilles laborieuses et persévérantes de
M. Vicat, des travaux réputés jadis impossibles s'exécu-
tent aujourd'hui à coup sûr dans toutes les parties du
royaume , et sans exiger nulle .part des dépenses rui-
neuses.
Nous ne reproduirons pas les nombres que nous avons
donnés, concernant les économies qui, dans les seuls
travaux publics , peuvent être attribuées à l'invention
principale de M. Vicat. Ces nombres ont dû se graver
dans tous les esprits. On citerait, en effet, difficilement,
une découverte qui dans le court intervalle de vingt- six
années, ait eu de si colossales applications, de si utiles
résultats.
La commission pense, à l'unanimité, qu'en votant
sans aucune modification la loi qui a été présentée par
M. le ministre des travaux publics , on ne rendrait pas
à M. Vicat une justice complète. Elle désirerait que la
pension viagère de 6,000 fn fût accordée, plus explici-
CHAUX ET MORTIERS HYDRAULIQUES. 525
tcraent, à titre de récompense nationale. Tel est le seul
changement dont le projet du gouvernement nous ait
paru susceptible. Nous espérons que la Chambre, adop-
tant nos opinions sur les services rendus au pays par
M. Vicat, voudra bien donner son adhésion à Tamen-
dement que nous avons l'honneur de lui présenter. M. le
ministre des travaux publics l'a déjà accepté.
[Sur ce rapport, le projet de loi du gouvernement, amendé par
M. Arago, a été adopté sans discussion le 16 juin 1865.
Du reste, dès le 5 juin 1837, M. Arago avait appelé l'attention de
la Chambre des députés sur les immenses services rendus par
M. Vicat Apr^s avoir été conduit à reprocher à Tadministration de
la marine le dédain qu'elle avait manifesté plusieurs fois pour les
hommes de science, il ajouta les paroles suivantes, relatives aux
travaux de M. Vicat : ]
Les reproches que je viens d'adresser à la marine, je
pourrais les généraliser. 11 y a dans d'autres administra-
tions des inventeurs qui, eux aussi, ont rendu au pays
d'éminents services, des services qui, évalués en argent,
seraient incalculables, sans qu'on ait songé à les récom-
penser. Qu'il me soit permis, dans un moment où nous
sommes saisis de tant de projets de constructions, de
citer ici, parmi ces inventeurs dédaignés, M. Vicat.
Quand on bâtit dans un terrain humide , quand on bâtit
sous l'eau, on a besoin d'une espèce de chaux particu-
lière, d'une chaux à la solidification de laquelle la pré-
sence de l'eau ne fasse pas obstacle. C» tte chaux, on
l'appelle hydraulique. Comment autrefois la faisait-on?
En mêlant de la chaux ordinaire avec de la pouzzolane de
Naples ou avec du trass recueilli sur les bords du Rhin.
Ainsi jadis, pour construire solidement en terrain humide,
5i6 GHA^UX ET MORTIERS HYDRAULK^fiB.
a fallait aller se pourvoir de certaines matières à Naples
et sur les bords du Rhin. Aujourd'hui, grâce aux tra-
vaux de M. Yicat, il n'est pas de pays où on ne puisse
faire des chaux hydrauliques de toutes pièces ; il en est
niême peu où Ton n'en trouve de naturelles. Dans Part des
constructions c'est une révolution totale ; eh bien , celui
qui a fait cette révolution , celui qui procure aux particu-
liers et au gouvernement une économie que je n'exagé-
rerais peut-être pas en la portant à 50 ou 60 millions
pour chaque période de dix ans, n'a pas même reçu dans
son corps un avancement auquel son mérite lui donne
des droits incontestables»
NAVIGATION
I
AMÉLIORATIOîi DU COURS DE LA SEINE DANS PARIS
[Dans la séance de la Chambre des députés du 2 mars 18/ii6, à
roccasion d*un projet de loi sur la navigation intérieure de la
France, M. Arago a prononcé le discours suivant, dans lequel il
traite des moyens d'améliorer le coui-s de la Seine dans Paris. ]
Messieurs, il y a dans le projet de loi sur lequel nous
sommes appelés à délibérer , des questions très-diverses.
J'admets, sous le bénéfice de quelques observations par-
ticulières, les solutions qui ont été proposées par le gou-
vernement. Je donnerai mon assentiment à la plupart des
améliorations qu'on propose pour nos rivières. Mais il y
a un point spécial sur lequel je suis en désaccord com-
plet avec le projet ministériel : c'est le système de tra-
vaux qu'on nous propose pour rendre la Seine navigable
dans l'intérieur de Paris. Ces travaux me paraissent
mesquins, insuffisants ; ils ne répondraient pas aux be-
soins du commerce , et compromettraient un projet qui.,
sans être très-dispendieux, aurait de la grandeur et pour-
rait être substitué avec avantage à celui que l'administra-
tion a adopté.
Voilà la thèse que je traiterai ; f espère rendre mes
arguments assez claire pour ne pas abuser de l'attention
de la Chambre.
528 NAVIGATION.
II y a , Messieurs , dans la traversée de Paris , une
navigation importante : c'est la navigation descendante.
La navigation montante, comme on vous Ta dit, est
beaucoup moins considérable ; c'est donc la navigation
descendante qu'il faut particulièrement encourager.
L'honorable M. Temaux vous a fait une peinture ani-
mée et très-juste des obstacles que rencontre la naviga-
tion descendante, navigation active, car 1,700 trains de
bois, 1,000 bateaux chargés de diverses marchandises
descendent la Seine.
Dans le passage du Pont-au-Change au pont Notre-
Dame, il existe un véritable danger. Il y a là une forte
chute qu'il faut franchir. Far une négligence impardon-
nable de nos pères , des ingénieurs qui ont construit ces
deux ponts, l'arche marinière du pont Notre-Dame se
trouve précisément en face de la première pile du Pont-
au-Change ; il résulte de là que , dans le court intervalle
d'un pont à l'autre, on est obligé de faire des manœuvres
serpentantes, difficiles, qui exigent le concours, les efforts
de mariniers expérimentés. Souvent l'expérience, la force
et rhabileté de ces hommes d'élite ne suffisent pas. Aussi
voit-on bien des fois des bateaux en travers des arches
du Pont-au-Change , des trains de bois rompus sur les
piles ; tout ce qu'a dit à Cet égard M. Ternaux est par-
faitement exact. 11 est évident qu'il faudrait rendre sur
ce point la navigation de la Seine facile , sûre et écono-
mique.
Le projet de loi satisfait-il à ces conditions ? Après
l'exécution des travaux qu'on vous propose , le passage
du pont Notre-Dame au Pont-au-change sera-t-ii facile,
NAVIGATION. 529
sans danger, économique? Nullement, Messieurs, nulle-
ment. On vous dit dans l'exposé des motifs que la navi-
gation descendante continuera à se faire par le grand bras
droit; ainsi tous les dangers dont je viens de parler
subsisteront.
J'admets, quoiqu'on ne le dise point, que quelques
bateaux descendront exceptionnellement par le bras
gauche. Je ne sais pas, en vérité , s'il serait juste et con-
venable que la Chambre s'occupât de ces quelques
bateaux privilégiés lorsque les inconvénients et les dan-
gers continueraient à subsister pour le grand nombre et
pour tous les trains.
On a beaucoup parlé à la tribune du conseil municipal,
de ses délibérations; on a parlé de la commission d'en-
quête ; on m'a fait l'honneur de me nommer. Oui , par-
tout j'ai entçndu voter pour qu'on améliorât la navigation,
mais surtout la navigation du bras droit , la navigation
descendante, si active et si dangereuse; oui, partout, j'ai
vu émettre le vœu qu'on trouvât le moyen d'effacer le
Niagara de la Seine qui existe entre le pont Notre-Dame
et le Pont-au-Change. De tout cela il n'en est pas ques-
tion dans le projet de loi. On n'améliore pas ce qu'il faut
améliorer d'abord, on ne cherche pas à rendre la naviga-
tion descendante sûre, facile, économique; on s'occupe
de la seule navigation montante. Je lui accorde aussi
mon intérêt ; je ne lui refuserai pas mon concours. Je ne
demande pas mieux que de voir la Chambre voter des
améliorations pour la navigation ascendante, mais il est
évident que c'est oar la navigation descendante qu'il faut
commencer.
V. — n. 34
530 NAVIGATION.
Nous demandons avec instance qu*on fasse disparaître
les dangers de la navigation du bras droit; Tadministra-
tion nous répond qu'elle abattra trois ponts sur le bras
gauche. En vérité on ne comprend pas un tel système.
Si Ton avait fait un projet d'ensemble, si l'on s'était à
la fois occupé de la navigation du bras droit et de la navi-
gation du bras gauche, ces ponts auraient été conservés.
Je sais bien qu'on veut les remplacer par des ponts en
fer élégants , légers ; je sais toute l'estime que ces ponts
méritent ; je suis un des grands admirateurs du pont des
Saints-Pères ; mais, je l'avoue franchement, j*aime encore
mieux les ponts de pierre.
Quelques membres. Voos avez raison.
M. Arago. Ils présentent une solidité qui les rend pré-
férables aux ponts colifichets. Demandez à M. le préfet de
police si les jours de grande fête à Paris il se préoccupe
le moins du monde de la circulation qui s'établit sur les
ponts de pierre? N'a-t-il pas au contraire de grandes
craintes touchant ce qui peut arriver sur les ponts en fer,
suspendus ou non ?
En résumé, nous, membres du conseil municipal de
Paris, nous demandions l'amélioration du bras droit pour
laquelle se fait presque toute la navigation ; on propose
l'amélioration du bras gauche. Il est vrai qu'on fera
remonter les bateaux par le bras gauche ; mais de quelle
manière? Par le halage! avec des chevaux! En Î8ft6,
à côté d'une force motrice immense; en 1846, après les
perfectionnements que les machines hydrauliques et les
machines à vapeur ont reçus, l'administration nous pro-
pose un chemin de halage et des chevaux I
NAVIGATION. 534
Je le dis à regret, Messieurs, un^ pareille proposition
n'est pas de notre temps , elle n'est pas admissible : ce
genre de halage, M. le rapporteur l'a appelé presque bar-
bare. Je lui en demande pardon, le mot presque doit
€tre supprimé ; il faut l'appeler barbare tout à fait.
( On rit. )
L'honorable M. Muret de Bort a parlé avec beaucoup
de raison du peu d'importance de la navigation montante.
Mais on suppose des changements dans les habitudes du
commerce, et, comme il vous l'a dit, ces changements
sont de véritables rêves. M. Muret de Bort vous a cité
l'entrepôt , il aurait pu parler aussi de la gare de Gre-
nelle. Voyez quel a été son sort : elle est déserte, entière-
ment abandonnée.
Avez-vous remarqué , Messieurs, comment on se pro-
pose d'obtenir le tirant d'eau de 1".6 sur le bras gauche?
Est-ce par quelques grandes retenues , par des portes
d'écluses, par une de ces inventions qui frappent les yeux
de tout le monde quand on parcourt les pays étrangers et
quelques parties de notre territoire? Non; on veut faire
un dragage ; on va faire un chenal.
Qui oserait dire, avec quelque certitude, combien de
temps Teffet du dragage durera? Les eaux , sur ce bras,
vont être rendues presque stagnantes. D'après cette
seule considération , j'ose aflTirmer que la navigation du
bras gauche sera fort souvent interrompue ; que la
machine à draguer y fonctionnera continuellement.
Il est vrai qu'on nous offre un dédommagement, La
navigation du bras droit restera avec tous ses dangers,
avec toutes ses difficultés, avec Ténormité des dépenses
532 NAVIGATION.
qu'elle exige ; mais on ne touchera pas à la pompe Notrr-
Dame. En vérité, est-ce là une compensation? (Mouvo-
ment au banc des ministres. )
Cette flatteuse annonce est dans l'exposé des motifs.
M. LE SOUS-SECRÉTAIRE D^ÉTAT DES TRAVAUX PUBLICS. NOUS DO
voulons pas Tacheter.
M. Arago. C'est la plus misérable machine qu'il soit
possible de citer.
M. LE SOUS-SECRÉTAIRE d'ÉTAT DES TRAVAUX PUBLICS. G^est Vraî !
nous le reconnaissons.
M. Arago. Si vous voulez la conserver pour montrer
combien, depuis cent ans, l'art des constructions et de la
mécanique ont fait de progrès, à la bonne heure ! mais
vous ne pouvez la conserver que comme échantillon de la
science de nos devanciers, que comme un monument his-
torique. (On rit. )
M. LE SOUS- SECRÉTAIRE D'ÉTAT DES TRAVAUX PUBLICS. Elle e^t
détestable !
M. Arago. Je puis vous dire, d'après des expérience-
directes, à quel point elle est détestable ; je puis établir
ce point par des chiffres.
M. Legrand. Je le sais bien I
M. Arago. J'entre dans la voie que vous m'ouvrez : la
machine en question dépense 100 fr. , et produit 7 fr.
Voilà la valeur en chiffres de la machine que vous n«^
voulez pas détruire; voilà les hauts faits de l'appareil
dont la conservation nous est citée comme un avantage
attaché au système de travaux proposé.
La commission a demandé l'ajournement ; moi je sui>
persuadé, comme le dit le rapport de la commission, que
NAVIGATION. 533
des travaux sont nécessaires dans Tintérieur de Paris. Je
crois qu'il est indispensable de mettre l'amont et l'aval de
la Seine en communication directe ; je désire aussi vive-
ment, aussi fortement que personne, que des travaux ten-
dant à ce but s'exécutent; mais je m'appuie sur les
laisons que je viens de donner pour solliciter un délai. Je
demande que d'ici à l'année prochaine , car je ne vou-
drais pas un plus grand retard, on rédige un projet d'en-
semble sur l'amélioration de la navigation de la Seine
dans la traversée de Paris, embrassant à la fois le bras
droit et le bras gauche.
Ne compromettez pas , Messieurs , cette grande ques-
tion. Je vais prouver tout à l'heurç que le mot grande
dont je viens de me servir n'est pas hors de propos. Ne
compromettez pas, dis-je , cette grande question par des
travaux insignifiants, je dis plus, par les travaux nuisibles
qu'on vous propose de faire sur le bras gauche.
AC BANC DES MINISTRES. NuisibleS?
M. Arago. Oui , nuisibles , c'est le terme dont je me
sers, et je vais le justifier. Sans doute vous n'engagez pas
Pavenir par ces travaux , si vous entendez qu'à l'époque
où on exécutera le projet d'ensemble, on pourra en
détruire une partie. (M. le ministre des travaux publics
fait un signe de dénégation. )
M. le ministre fait un signe de dénégation ; eh bien ,
j'entrerai, sur ce point tout à l'heure, dans quelques
développements qui, j'espère, le frapperont.
Il y a une question d'argent que l'honorable M. Muret
de Bort a traitée en détail. Il a dit que le commerce, je
vais même ajouter quelque chose à ses chiffres, ne tire-
534 NAVIGATION.
rait de la navigation montante de la Seine » en supposant
qu'elle fût complètement améliorée, qu'une économie
d'une centaine de mille francs.
J'admets ce résultat, et je vais le mettre en présence
des bénéfices immenses qu'on obtiendrait pour la ville de
Paris et pour le pays, si l'on exécutait le travail en tota-
lité, au lieu de le prendre par parties ; au lieu, permettes-
moi cette expression, de Vamorcer dans une mam'aise
voie.
Pourquoi se presse-t-on tant? A-t-on tout calculé?
a-t-on tout examiné? Peut-on assurer que la dépense
qu'on vous indique sera la dépense réelle ?
Messieurs, comme conseiller municipal de Paris,
comme président de la commission d'enquête, j'ai pu
savoir où l'on en était pour les projets. Ëh bien, je le
déclare, il n'y avait pas^ même d'avant-projet proprement
dit. On n'avait pas encore adopté de système pour la fer-
meture de récluse; on parlait du barrage à aiguilles;
nous aurons l'occasion de l'apprécier plus tard. Je me
contente de dire en ce moment qu'il y a quelque chose de
très-étrange à vouloir mettre des aiguilles là où pourrait
s'établir une navigation à vapeur. ( Dénégations au banc
des ministres. )
Je sais que depuis on a proposé de fermer l'écluse
avec un bateau^poste. II n'y a rien d'arrêté, il n'y a rien
de certain; l'emplacement même de l'écluse n'est pas
déterminé! Il a été question de la mettre très- près du
pont des Arts; on aurait fait une arche exceptionnelle,
mais des difficultés sans nombi*e surgirent.
Vous savez combien la^ ingénieurs se tiompent dans
NAVIGATION. 535
leurs évaluations, même lorsqu'il s'agit de travaux en
terre ferme. Ici les travaux seraient tous dans le lit d'une
rivière; pouvez-vous avoir une grande confiance dans des
évaluations qu'on vous présente, dans de simples aperçus?
Si vous accordez le crédit demandé, vous courez grande-
ment le risque d'entendre à cette tiûbune, d'ici à peu de
temps, le raisonnement qui, dans plusieurs circonstances,
vous a déjà été présenté. On vous dira : Cinq millions
ont été dépensés, il faut continuer pour ne pas tout
perdre.
On prétend que les travaux proposés n'engageraient
pas l'avenir ; je dis qu'ils l'engagent complètement Je
me charge, par exemple, de démontrer que, si on exécu-
tait un plan général, dont je vais dire quelques mots tout
à l'heure^ un plan qui embrasserait à la fois la navigation
du bras gauche et la navigation du bras droit, on n'aurait
pas besoin d'abattre un seul des trois ponts que l'on veut
détruire. Détruire des ponts sans nécessité, n'est^^e pas
engager l'avenir?
Vous n'engagez pas l'avenir, et cependant vous allez
construire des ponts dont la hauteur sera réglée par un
mouillage qui, j'en ai la conviction, paraîtra insuffisant
quand vous discuterez le projet complet. Ces ponts ne se
coordonneraient en aucune manière avec le système gé-
nérât
Dans ce système, vous auriez au Pont-Neuf une ma-
chine, une force mécanique avec laquelle on ferait che-
miner les bateaux depuis le Pont- Royal jusqu'au pont
d'Austerlitz ; que deviendraient alors les chemins de
halage?
536 NAVIGATION.
On prétend ne pas engager l'avenir, quand on n'a rien
d'arrêté sur la grandeur de Fécluse du bras gauche, sur
son rôle en regard du barrage du bras droit. Cela n'est
pas soutenable.
Je dis, Messieurs, qu'il faut barrer le bras droit. 11
résultera de ce barrage, d'abord une navigation facile,
une navigation parfaitement régulière en tout temps : les
bateaux n'auront plus besoin de stationner sur les rives
des ports supérieurs; ils pourront continuer leur route
en toute sûreté entre l'amont et l'aval de Paris. C'est la
solution complète de la question qu'on s'est toujours pro-
posée. Voyons les autres avantages qui se rattachent à
cette solution : il me paraît impossible que la Chambre
n'en soit pas frappée.
Si vous faites le barrage du bras droit, comme je vais
l'indiquer, vous aurez au Pont-Neuf, en temps d'étiage,
une force de 3,000 à 4,000 chevaux, de chevaux travail-
lant, non pas comme les chevaux ordinaires, seulement
huit heures par jour, mais de chevaux travaillant vingt-
quatre heures sur vingt-quatre heures, de chevaux ne
coûtant rien, auxquels vous pourrez faire exécuter des
travaux immenses, dans l'intérêt de la navigation et de
la ville de Paris.
La Seine paraît très-petite pendant l'été; elle semble
alors une rivière insignifiante. Eh bien , nous l'avons fait
jauger avec le plus grand soin ; elle débite par le bras
droit, de 100 à 104 mètres cubes d'eau par seconde.
C'est encore un débit considérable.
Faites tomber cette quantité d'eau d'une hauteur con-
venable, vous aurez la force de 4,000 chevaux que j'ai
NAVIGATION. 537
annoncée; cette force, à quoi l'appliqucrez-vous? Ah!
j'avoue que je ne me servirai pas d'une roue analogue à
celle du pont Notre-Dame; je me servirai d'une machine
appréciée par Texpérience, par les plus grands ingé-
nieurs; je me servirai de la turbine : oui, Messieurs, de
la turbine, peut-être avec les améliorations que notre
honorable collègue M. Kœchlin lui a fait éprouver.
Je vous parlais tout à l'heure des produits de la ma-
chine du pont Notre-Dame : c'était 7 p. 0/0. Vous vous
rappelez cette grande machine de Marly, qui faisait plus
de bruit que de besogne, c'est l'ordinaire : elle donnait
un trente- sixième de ce qu'elle dépensait. Savez -vous
ce que vous obtiendrez avec la turbine de M. Foumeyron,
ou avec celle améliorée par M. Kœchlin? Vous obtiendrez
de 70 à 80 p. 0/0. J'espère que vous reconnaîtrez que
le bénéfice est considérable.
Vous le voyez, l'État, la ville de Paris, ont au Pont-
Neuf, en temps d'étiage, une force de 4,000 chevaux
dont ils ne tirent aucun parti. Je le demande, est -il rai-
sonnable que, dans Tétat actuel de la civilisation, qu'en
1846, et en présence de tant de besoins pressants, on ne
fasse rien dans la capitale d'une force de 4,000 che-
vaux?
Vous avez vu. Messieurs, que le gouvernement vous
propose de faire le halage des bateaux avec des che-
vaux. Vous avez vu que , si vous votez le projet de loi ,
(|ue si vous n'ajournez pas la question à l'année pro-
chaine , il va construire au pied des murs des quais un
chemin de halage, un chemin qui recouvrira un égout
( on rit), un chemin qu'il serait plus économique de pla-
538 NAVIGATION.
cer ailleurs. Mais ce chemin est inutile; il se trouvera
remplacé avec avantage par une petite dérivation de la
force considérable que vous possédez au Pont- Neuf, par
une petite dérivation que vous feiîez sur les &,000 che-
vaux de force qui résulteront du barrage : remarqua
que cette force sera disponible quand vous aurez amélioré
la navigation; remarquez que vous aurez satisfait, en
établissant ces barrages , aux besoins du commerce , aux
besoins exprimés par toutes les couunissions d'enquête,
que vous y aurez satisfait complètement, tandis que votre
petit projet ne satisfait à rien. Remarquei encore qu'au
moyen de cette force de 4,000 chevaux, vous pourrez
en temps d'étiage, lorsque la rivière est le plus basse,
dans la saison chaude, dans le moment où Ton a le plus
besoin d'eau, vous pourrez élever 10,000 pouces d'eau
à la hauteur de 50 mètres,
Je n'ai pas pris, en faisant ce calcul, le coefficient de
revient qui appartient incontestablement aux machines
de MM. Fourneyron et Kœchlin , placées dans les meil-
leures conditions; j'ai pris un coefficient plus petit, et
avec un coefficient réduit, nous arrivons aux 10,000
pouces d'eau que j'ai annoncés. Sachez que 1 pouce
d'eau, c'est 20 mètres cubes par vingt-quatre heures,
et vous verrez quelle masse énorme de liquide vous pou-
vez élever dans tous les quartiers de la capitale.
Examinez les ouvrages classiques sur la distribution
des eaux, de M. Eymery, et vous y trouverez que, dans
une ville administrée avec intelligence, il doit y avoir
deux sources d'alimentation distmctes. On a à Paris une
première source d'alimentation dans le canal de l'Ourcq.
NAVIGATION. 539
L'été, elle est bien réduite; or, c'est précisément l'été
que vous aurez le plus d'eau avec les machines du Pont-
Neuf. Les deux sources, en se combinant, fourniront
une quantité d'eau à peu près constante ; quand le canal
de l'Ourcq fournira beaucoup, la Seine vous en donnera
un peu moins, et, réciproquement, lorsque le canal
sera réduit comme le sont toutes les rivières pendant la
grande chaleur, vous aurez une quantité énorme d'eau
de Seine.
A Paris, la dépense moyenne d'eau vendue est, dit-on,
de sept litres par personne. Savez-vous ce qu'elle est dans
les principales villes d'Angleterre? soixante à soixante-
dix litres.
11 y a des personnes qui par des raisons d'économie ,
il y a bien des pauvres , qui sont obligés de réduire ce
chiffre déjà si petit.
A quel prix, après l'établissement de barrage, pom'-
rait-on donner l'eau? Voici ma réponse :
Un pouce d'eau , à cause du transport par porteurs,
coûte par an , rendu à domicile , 33,000 fr. Or, tout le
monde trouvera que la ville ferait un bénéfice de 2 mil-
lions, si elle vendait ses 10,000 pouces à 200 fr. chacun.
Ce qu'on nomme une voie d'eau de vingt-deux litres,
coûte maintenant 20 centimes. Vous pourriez, pour 3 cen-
times, donner mille litres. Quand on aura un barrage
dans l'intérêt de la navigation, le prix de l'eau pourra
être réduit à la cent soixantième partie du prix actuel.
11 y a peu de jours, un illustre orateur disait à cette
tribune : « Messieurs , votons la vie à bas prix ! »
Moi , je vous dis que vous serez entrés dans les vues
540 NAVIGATION.
philanthropiques de M. de Lamartine, lorsque vous aurez
conduit dans Thumbie réduit des pauvres de Teau en
abondance et à bas prix.
Je vous en conjure, Messieurs, ne perdez pas cette
occasion de rendre à la classe pauvre un si immense ser-
vice. ( Approbation. )
Vous aurez remarqué que je vous parlais de Teau
comme aliment , et je puis vous en parler aussi au point
de vue de la salubrité.
Un grand écrivain, c'était un Père de TÉglise, appe-
lait la propreté une vertu. Un voyageur célèbre disait
qu'il avait pu, presque partout, juger du degré de civili-
sation des peuples par leur propreté.
Si vous introduisez de Teau à bon marché dans la mai-
son du pauvre, si vous la faites parvenir jusqu'aux étages
supérieurs où il réside et souffre , vous aurez rendu un
service immense à la population parisienne, à une partie
de cette population qui doit plus particulièrement exciter
notre intérêt.
Examinons la nécessité de l'eau sous d'autres points
de vue.
Il y a des administrateurs qui se flattent de cette pen-
sée que la ville de Paris est suffisamment alimentée par
les eaux du canal de l'Ourcq.
Voici les faits : il y a trente-deux barrières où Teau de
rOurcq ne peut pas aller, par la raison toute simple que
l'eau, dans un siphon, ne peut s'élever plus haut que
son point de départ, et qu'elle monte même un peu
moins à cause des frottements. Ces barrières privées de
Peau de l'Ourcq, croyez-vous qu'elles ne sont pas cntou-
rées d'habitations, de manufactures? Détrompez vous ;
ces barrières, ce sont celles de l'Étoile, d'Enfer, de Fon-
tainebleau, et beaucoup d'autres; il y en a trente-deux
Toutes ces barrières auront de l'eau, alors que. . . je me
répète souvent, parce que je ne voudrais pas qu'on m'at-
tribuât des idées qui ne sont pas les miennes ; alors que
vous aurez satisfait, par un barrage du Pont-Neuf, aux
besoins essentiels de la navigation.
Je sais que l'eau de l'Ourcq se répand tous les jours
par 1,800 bornes-fontaines ; on est frappé de cet écoule-
ment ; mais quand on examine les choses au fond , on
trouve que chacune de ces bornes-fontaines ne coule que
trois heures par jour. Dans les rues qui sont inclinées ,
les propriétaires riverains ne sont pas très-satisfaits de
cet arrosement ; ils disent , et je crois qu'ils ont raison ,
que les fontaines coulent assez longtemps pour faire de la
boue, et pas assez pour nettoyer la rue. (C'est vrai ! c'est
vrai ! ) Cefe se présente dans plusieurs quartiers. Je crois
qu'il n'y a pas suffisamment d'eau.
J^s trente-deux barrières dont je pariais, et où l'eau de
rOurcq ne fait pas de boue, ne sont pas sur des mon-
ticules isolés ; il y a tout autour des ten'ains qui sont à
peu près de niveau avec elles. Que voulez-vous qu'on y
établisse? Des manufactures? Il n'y a pas de manufac-
ture qui n'ait besoin d'eau, qui n'emprunte son moteur à
de l'eau. Tl faut donc que, près des trente-deux barrières
en question , les manufactures aillent chercher leur eau
dans les puits à 30, 40 ou 50 mètres de profondeur. Mais
l'eau que donnent ces puits est de l'eau séléniteuse , de
Tenu qui forme dans les chaudières des dépôts qui ren-
542 NAYIGATIOIf.
dent les communications calorifiques très-difficiles et les
explosions fréquentes. Si Topération dcmt je parle se réa-
lise , on aura de l'eau de Seine partout.
Avez -vous remarqué, Messieurs, de quelle manière ae
fait l'arrosage de nos rues, l'arrosage de nos quais, l'ar-
rosage de nos grandes avenues? Il se fait avec des ton-
neaux d'où l'eau s'échappe par des plaques percées de
trous. Eh bien, on fait de la boue, on interrompt la cir-
culation : la méthode est barbare.
Supposez maintenant que vous ayez une quantité d'eau
suffisante, qu'elle soit en charge dans les tuyaux de
conduite; alors l'arrosage se fera rapidement et avec
facilité à l'aide d'une simple lance de pompier, et sans
porter d'entraves à la circulation. (Bruit — Exclama-
tions sur quelques bancs. )
Voici, Messieurs, une considération qui, j'espère, vous
paraîtra plus grave, et que je livre à vos méditations.
On dit qu'il y a suffisamment d'eau à Paris; je prou-
verai par des faits, quand on voudra , qu'il n'y en a pas
dans les hôpitaux en proportion des besoins ; je citerai
des hôpitaux où l'on n'a pas donné aux malades les bains
ordonnés par les médecins, parce qu'on manquait d'eau.
Vous avez certainement remarqué de quelle manière
s'opère le balayage de nos rues? A. Paris, on ramasse la
boue , on la met dans des tombereaux , et on la fait che-
miner jusqu'aux barrières ; pourquoi cela? C'est qu'on
n'ose pas la jeter dans les égouts, où il n'y a jamais
assez d'eau , excepté pendant des averses , pour la con-
duire à la rivière. (Réclamations). On le fait partout.
Messieurs !
NAVIGATION. 543
Je suis fâché que ce procédé ne vous paraisse pas bon ;
il serait excellent si vous aviez suffisamment d'eau.
M. Grandin. Et les résultats !
M. Arago Si l'honorable membre qui m'interrompt a
eu l'occasion de passer quelquefois devant les dépôts
boueux près des barrières de Paris, il aura certainement
regretté que le mode d'évacuation de la boue par tombe-
reaux soit adopté à Paris.
Les égouts sont une excellente chose , mais à la condi-
tion qu'ils soient lavés régulièrement. Vous etes-vous arrê-
tés quelquefois par hasard, pendant l'été, sur les trottoirs,
près d'une bouche d'égout? Avez-vous remarqué quelle
odeur nauséabonde s'en échappe? Vous savez d'où pro-
vient cette cause d'insalubrité.
La vue de certains lavoirs flottants sur la Seine ne
vous a-t-elle pas douloureusement affectés? Ne souffrez-
vous pas de voir de malheureuses femmes dans une posi-
tion où elles sont encore plus certaines de gagner des
maladies que de laver leur linge? (Approbation. ) Soyez
assurés que les personnes qui , par leur misère , sont obli-
gées de faire un usage habituel de certains de ces établis-
sements flottants , figurent souvent dans les registres des
hôpitaux.
Quand la ville aura une quantité Jeau suffisante, elle
pourra créer des lavoirs intérieurs où la population pau-
vre trouvera le moyen de laver gratuitement son linge ,
sans compromettre sa santé.
Si l'on vous dit que 10,000 pouces d'eau sont une
fpiantité trop considérable, répondez qu'on en trouvera un
très-utile emploi , non-seulement en citant tout ce que je
544 NAVIGATION.
viens de dire, mais en pariant encore des incendies;
remarquez que maintenant l'eau que les bonies-fontaines
fournissent ne s'élève pas, tandis que si Teau est en
charge dans les tuyaux, il suffira d'ouvrir une clef. • . Je
ne parlerai pas de ce qui pourrait de nouveau exciter
l'hilarité de la chambre; il suffira d'un appareil très-
simple pour projeter l'eau jusqu'au troisième étage d'une
maison, même avant l'arrivée des pompiers. Qui pourrait
dédaigner de pareils avantages?
Les tuyaux de conduite de Paris ont été choisis dans
la supposition d'une distribution mesquine de l'eau. Sup-
posez que les besoins de la population augmentent, qun
le besoin de donner de l'eau à bon marché vous mette
dans l'obligation de conduire plus d'eau dans les diffé-
rents quartiers, vous serez contraints de renouveler tout
le matériel; il ne sera plus suffisanunent considérable;
à l'aide d'une forte pression, ce matériel suffira pendant
des siècles.
Je vais aborder une question délicate (Ëlcoutez I écou-
tez!) Je sais qu'on n'aime pas ici qu'on parle beaucoup
de cette question , je crois même que la Chambre n'aime
pas à m'en entendre parler. ( Réclamations. — Si ! si !
parlez ! )
Je suis bien aise de la dénégation, je veux parler des
fortifications. (Bruit, — Parlez! parlez!)
Messieurs, on a fait autour de Paris une enceinte con-
tinue.
Je suis très-grand partisan de l'enceinte continue, j'en
ai toujours été partisan; on l'a faite dans la supposition
qu'elle serait un moyen efficace de défense contre une
NAVIGATION. 545
armée ennemie. Ce moyen de résistance est excellent, à
la condition que la garde nationale seule pourra suffire
à la défense de tous les bastions.
Je crois, moi, que la fortification continue exécutée
est susceptible d'une grande résistance, je le crois; parce
qu'il a été dans ma destinée d'étudier le mode d'action
des fortifications; mais, consultez les gardes nationaux,
ils ne croient pas l'enceinte très-forte, ils s'imaginent
que la hauteur des murs, la profondeur des fossés sont
insuffisantes; que des murs très- élevés sont nécessaires,
indispensables ; mais ils conviennent tous que si Ton fai-
sait arriver deux mètres d'eau dans les fossés, les fortifi-
cations acquerraient une puissance énorme. Mettons-nous
donc en mesure d'inonder les fossés de l'enceinte , vous
lui donnerez ainsi une puissance d'opinion importante;
en temps de guerre vous auriez dans les machines placées
au Pont-Neuf, dans les turbines de M. Fourneyron ou de
M. Kœchlin, le moyen de remplir les fossés des fortifica-
tions dans un intervalle de trois jours.
Enfin, trouvez-vous que cette immense masse d'eau
dont je vous entretiens depuis si longtemps, n'aurait pas
en totalité une application utile dans l'intérieur de la ville
de Paris, vous pourriez l'employer en arrosages. Il serait
très-facile de faire des réservoirs à une hauteur consi-
dérable, d'où l'on répandrait l'eau dans des terrains qui
maintenant ont très-peu de valeur et qui deviendraient
des jardins comme ceux des maraîchers.
J'arrive au terme de ma tâche.
M. le ministre des travaux publics et M. le sous-secré-
taire d'État croient, comme moi, à la possibilité d'éta-
v.— n. 35
516 NAVIGATION.
blir un barrage 6ur le bras droit de ia Seine ; ils croient
même à la néœsaité d'exécuter tôt ou tard ce travail.
Jusqu'à présent on ne s'en est pas oocapé; mais, dit-on,
c'est parce qu'on n'a pas de plan arrêté, parce que le
conseil des ponts et chaussées n'a pas d'idées fixes sur
le système à employer, ni peut-être même sur les avan-
tages de ce barrage* Je vois dans l'exposé dœ motifs qœ
l'installation des nouveaux appareils hydrauliques semble
entourée de circonstances graves et compliquées.
Je m'élève de toute la force de mes convictions contre
ces paroles. Il n'est pas vrai que l'installation des appareils
hydrauliques en projet soit accompagnée de circonstances
graves et compliquées. Il n'y a pas de question plus sim-
ple pour ceux qui se sont donné la peine d'examiner les
progrès que l'hydraulique a faits depuis un certain nom-
bre d'années.
Je ne voudrais rien dire de défavorable à des ingé-
nieurs que je respecte, que j'honore (la plupart ont été
mes élèves); et cependant je suis obligé de convenir
qu'ils sont souvent arriérés, qu'ils ne se tiennent pas
toujours au courant des progrès de la science; et ce
n'est pas leur faute : on les transforme^ pour les besoins
peut-être de l'administration actuelle, en paperassiers.
A GAUCHE, c'est vrai !
M. Arago. Ils en conviennent eux-mêmes.
Messieurs, j'ose affirmer qu'il existe des plans qui,
développés devant le conseil des ponts et chaussées, dans
l'intervalle de cette session à la session prochaîne, seraient
ticceptés par les hommes émînents, par les très-bons
Bsprits dont ce conseil se compose.
NAVIGATION. 547
Je croîs que si M. le ministre des travaux publics
acceptait, que si la Chambre votait l'ajournement, nous
aurions l'année prochaine un projet d'ensemble, un projet
admirable qui satisferait non-seulement aux besoins de la
navigation, mais à tous les besoins de la ville de Paris et
de l'État que j'ai signalés.
Je ne suis pas ici dans des hypothèses; je veux même
parler avec une entière franchise. (On rit.)
Ce qui a arrêté l'adoption du plan général, c'est qu'on
a voulu absolument se servir, pour faire des barrages,
d'*un système inventé par un inspecteur divisionnaire des
ponts et chaussées, d'un système qui peut avoir des
avantages dans des localités particulières et restreintes
(Nous le discuterons quand il s'agira de la navigation
entre Paris et Rouen), mais qui, pour la fermeture des
arches de Paris, est éminemment défectueux. On a
d'abord projeté de porter le barrage à la pointe de la
cité; on a ensuite pensé à l'établir au Pont-Neuf. Ce
barrage se compose d'aiguilles qu'on manœuvre avec
beaucoup de difficultés (Je reviendrai sur ces difficultés
plus tard).
On a trouvé qu'au Pont-Neuf les aiguilles seraient trop
longues, car les hommes au temps présent, dans le
royaume de France, n'auraient pas été assez forts pour
manœuvrer les aiguilles qu'il aurait fallu employer au
Pont-Neuf. On songea alors à s^établir dans l'intervalle
compris entre le Pont-au-Change et le Pont-Neuf ; des
difficultés d'un autre ordre se présentèrent; bref on a
ajourné.
Mais n'y a-t-il pas d'autres systèmes de barrage qui
548 NAVIGATION.
n'exigeraient pas, pour les manœuvrer, des acrobates des
Funambules (On rit); n'y a-t-il pas certaine porte arti-
culée qui s'ouvrirait d'elle-même, à l'aide de la seule
ouverture ou fermeture d'un robinet?
L'habile ingénieur qui Ta inventée n'appartient pas au
corps des ponts et chaussées, je l'avoue (On rit), mais
il a répondu à toutes les objections ; il a fait mieux : sa
porte, exécutée à Gisors, a manœuvré à l'entière satis-
faction d'une foule de mécaniciens du plus grand mérite.
Cela n'est pas aussi compliqué que le système des aiguilles,
je le sais; mais la porte articulée n'en offrira pas moins
de très-grands avantages partout où les barrages devront
manœuvrer avec beaucoup de rapidité.
L'expérience, a-t-on dit, ne s'est pas faite sur une
assez grande échelle pour qu'on puisse en rien conclure
quant au barrage de la Seine.
Voici ma réponse : Je suis autorisé, depuis longtemps
déjà , à proposer une expérience très en grand , consis-
tant en la fermeture d'une des arches du Pont-Neuf.
L'inventeur de la porte articulée, M. Foumeyron, fer*
tous les travaux à ses frais. Si elle ne réussit pas au
jugement du conseil des ponts et chaussées, la dépense
restera à sa charge.
Ne voulez-vous pas vous servir du système d'un ingé-
nieur civil? (Réclamations au banc des ministres.)
Je n'attribue de tels préjugés ni à M. le ministre ni à
M. Legrand (On rit); mais je pourrais citer des per-
sonnes qui ne sont pas étrangères à de telles préocci-
pations. (Ah ! ah !) Je ne veux pas porter des noms à
cette tribune. J'ajoute aue M. le ministre a reçu avec
NAVIGATION. 549
bienveillance l'inventeur de la porte articulée, et qu'il
l'a examinée avec intérêt.
M. Legranb, sous-secrétaire d*État des travaux publics. C'est un
système très-ingénieux.
M. Arago. C'est un système très-ingénieux, en effet :
il a été éprouvé; il n'y a pas de raison pour qu'il ne
fonctionne pas et surtout pour qu'on ne l'essaie pas,
puisque l'habile ingénieur demande à faire l'expérience
ù ses frais.
Mais laissons un moment l'ingénieur civil de côté.
11 y a un autre ingénieur, celui-ci appartient au corps
des ponts et chaussées, qui a inventé un très-ingénieux
barrage. Celui-là ne se manœuvre pas non plus d'une
manière compliquée, ni avec les dangers que je signalais
tout à l'heure. 11 a été établi déjà sur une assez grande
échelle, et l'on a pu exécuter avec facilité toutes les
manœuvres qu'il exige. On dit que les dimensions des
portes essayées n'étaient pas aussi considérables que la
Seine l'exigerait. Voici encore ma réponse : M. le ministre
a entre les mains une soumission de l'ingénieur en ques-
tion. Il demande à faire les travaux à ses frais. Vous avez
reçu la lettre ; j'en ai la copie. M. l'ingénieur en chef
Thénard, inventeur du nouveau système, propose de
barrer une des arches du Pont-Neuf, ou toute autre
partie de la Seine. Tous les frais resteront à sa charge si
l'opération ne réussit pas. |
On nous parle souvent à cette tribune d'une grande
et d'une petite politique, et on accuse les membres de
l'opposition de préférer la petite. Je viens de prouver
que, relativement à la traversée de Paris, il y a auesi
550 NAVIGATION.
une grande et une petite hydraulique ; mai& cette fois,
du moins, personne ne pourra dire que Topposition ait
donné la préférence à la petite hydraulique» (Rires et
approbation,)
[M. Damon, ministre des tnifanx piibliGs, ayaat répondu dans la
séance du 3 mara, IL Arago a répliqué en ces termes: ]
Je suis, Messieurs, ni peu embarrassé pour com-
battre Targument principal que vient de faire valoir M. le
ministre des travaux publics. Cet argument est en oppo-
sition complète avec Texposé des motifs du projet de loi.
H. le ministre, poinr répondre à une cUiBculté très-grave,
pour vous rassurer sur les dangers de la navigation do
bras droit, vient de vous dire que les bateaux passeraient
déscmnais en très -grande partie par le bras gauche*
Ayez ta bonté de comparer cette assertion avec le pas-
sage que je vais lire de Texposé des motifs ;
ff II a fait remarquer (le conseil des ponts et chaus-
sées) que ce système ( le système de ta navigation par le
bras gauche ) ne préjugeait en aucune manière pour le
grand bras la question de l'avenir , que la navigation de
la Seine supérieure, qtii est essentiellement descendante,
emprunterait avec avantage la voie libre du bras prin-
cipal. »
M. LE SOOS-SEGRérAraE D*<TAT DES TIU?^I7X PUBLICS. POUT l€S
trains 1
M. Arago. Les trains ne figurent pas dans Texpo^
des motifs ; vous les citez maintenant pour les besoins de
la cause. Vous disiez :
«... Que la navigation de la Seine supérieure, qui est
essentiellement descendante. • • t
NAVIGATION. 551
M. LK sous-sccRiTAiRB b'état 0e3 TRAVAUX puBucs. Les traîiist
M. Arago. La navigation de la Seine supérieure se
compose de trains et de bateaux. Il y a 1,000 bateaux*
Vous pariiez de la navigaticMi de la Seine supérieure dans
toute sa généralité.
Je suis fâdié de vous mettre ainsi en opposition avec
vous-même; fxmis la contradiction est évidente*
€ Que la navigation de la Seine supérieure (je ne sau-
rais trop le répéter), qui se compose de 1,700 trains et
de 1,000 bateaux, emprunterait avec avantage la voie
libre du bras principal , tandis que la navigation de la
basse Seine, qui est particulièrement remontante, suivrait
le bras canalisé. >
Vit membrs. Ce sont les trains t
M. Arago. Vous voyez. Messieurs, quMl y a opposîtioa
complète entre ce que vient de dire M. le ministre et ce
qu'il disait dans Texposé des motifs du projet de loi. Le
bras gauche était exclusivement consacré à la navigatîon^
montante.
Maintenant, on fera une portion de la navigation des-
cendante par le bras gauche! Convenons que nous ne
tiendrons plus compte des exposés des motifs des projets
de loi qui nous seront présentés, et, à l'avenir, les diffi-
cultés de cette espèce disparaîtront. Aujourd'hui, par-
donnez-moi d'avoir cru à vos paroles, d'avoir supposé
que vous vouliez' vous servir de la navigation du bras
gauche pour la seule navigation montante ; cela est dit
formellement , de la manière la plus claire, dans la partie
de l'exposé des motifs que je viens de lire.
J'ai des raisons de croire qtf on voulait vous déclarer
552 NAVIGATION.
qu'il n'y aurait plus désormais de navigation descen-
dante que par le bras gauche ; on n*a pas osé. On a
compris que je serais arrivé avec des documents recueil-
lis par les commissions d'enquête» et qui auraient prouvé
que ce bras était insuffisant » de toute manière insuffisant
pour la totalité de la navigation descendante.
Les dangers inhérents à la navigation du bras droit,
on les laisse tels qu'ils sont aujourd'hui. Après réflexion,
on annonce que les trains ne viendront plus par le côté
gauche ; ils suivront donc le bras droit. Mais alors on ne
s'occupe pas des dangers que continueront à courir les
mariniers qui feront descendre les trains ; cependant la
vie de ces hommes est tout aussi exposée que celle des
mariniers qui conduisent les bateaux ; moi je les tiens
pour tout aussi intéressants les uns que les autres.
On dit que le barrage du bras gauche n'apportera
^ucun dommage à la navigation du bras droit On se
trompe : on empire, parle projet, la navigation du bras
droit, on l'empire notablement.
Maintenant, une portion de l'eau passe par le bras
gauche. Cette eau sera arrêtée par le barrage , elle devra
donc passer par le bras droit.
M. le ministre des travaux publics sait aussi bien que
moi que plus il passe d'eau dans un pertuis donné, plus
le niveau s'élève , plus la rapidité est grande. La chute
que j'ai appelée le Niagara de la Seine, quoique je con-
naisse très-bien la hauteur du vrai Niagara , deviendra
plus grande et plus dangereuse ; ce sera une conséquence
inévitable des travaux projetés.
On nous parle sans cesse de notre opposition au projet
NAVIGATION. 5o3
(lu gouvernement... Non; nous sommes en opposition
avec les idées du gouvernement, avec les idées qui ont
été énoncées dans l'exposé des motifs , mais non pas avec
le projet; car il n'y a pas de projet, car on n'en a jamais
produit devant la commission d'enquête.
M. le ministre m'a accusé de n'avoir pas étudié avec
assez de soin les pièces qui avaient été produites devant
cette commission.
Mon Dieu! mes études, à moi, n'ont pas été com-
pliquées; j'ai vu des ingénieurs qui s'exprimaient avec
beaucoup d'élégance et de facilité; quant à des projets,
il n'y en avait pas. Il n'y en avait pas, et cela par une
bonne raison , c'est qu'il n'y en a pas encore aujourd'hui.
M. le ministre pourrait-il nous dire dans quelle position
il voudrait mettre l'écluse? Je ne 1- ai jamais su.
M. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS. Les projets soiit dans les
mains de M. le rapporteur.
M. d'Angeville , rapporteur. Nous avons ici entre les mains un
avant-projet
M. Arago. Un avant-projet! mais un projet étudié, je
n'en ai jamais vu : je n'ai même jamais vu d' avant-pro-
jet qui méritât ce nom.
On nous a dit qu'on voulait établir une écluse. Où? On
ne savait pas. On nous a dit qu'on voulait la faire descendre
jusqu'au pont des Arts, ce qui amènerait un changement
dans la forme du pont, ce qui entraînerait des manœu-
vres très-difficiles. Il a fallu abandonner cette idée.
Je ne suis pas opposé au projet du gouvernement : je
ne puis pas être opposé à une chose qui n'existe pas , que
je ne connais pas : je suis opposé aux idées que le gou-
vernement a émises dans des termes très-vagues.
554 NAVIGATION.
On dit , je sais obligé de revenir sur cette difficulté ,
puisqu'on Ta trouvée très-sérieuse, on dit que les tra-
vaux actuels n'engagent pas Favenin Je dis » moi, qu'ils
l'engagent complètement. M. le ministre m'a fait beau-
coup trop d'honneur quand il a donné mon nom an sys-
tème des turbines. Je n'y sois intervenu que pour une
vue générale; mais te mérite d'avoir étudié complète-
ment le projet pour la navigation de la Seine et la distri-
bution des eaux, ne m'appartisnt pas.. J'« eu Tidée
très-simple de tirer parti de la force énorme qui existe
au Pont-Neuf. Quant aux détails, ils «mt Tœuvre d'un
ingénieur civil. Je dois donc repousser un honneur qui
œ me revient pas légitimement
Yoyoi» maintenant ai effectiv^nent les projets à exé-
cuter dans le bras gauche sont aussi inc^nsifs qu'on
ledit.
D'abord je ferai remarquer que le rapide de la Seine,
je ne me servirai plus de l'expression de Niagara,
deviendra plus considérable, que par conséquent le dan-
ger de la navigation, qui était déjà si grand, deviendra
plus considérable encore.
Dans le projet dont j'ai eu l'honneur d'entretenir la
chambre , la destruction de ponts est complètement inu-
tile. Si vous coordonnez vos travaux avec les travaux
que la ville de Paris doit faire exécuter avec ses fonds ,
avec ses ressources, il sera inutile de détruire ces ponts.
Pourquoi les détruisez -vous aujourd'hui? pourquoi, au
lieu de coordonner les deux systèmes, voulez-vous opérer
isolément sur la partie la moins importante de la Seine ?
Beaucoup de personnes craignent la longueur de
NAVIGATION. 555
l'ajournement; mm aussi je m'en préoccupe, je désire
que les travaux de la Seine s-exécutent promptement. Eh
bien, j'ai la conviction que si la Chambre se prononçait
fortement pour que les deux projets fussent coordonnés,
on pourrait nous présenter le projet général, qui est
étudié, qui est fait, car il y a des devis, mémo dans
cette session , dans six semaines, par exemple. Je suis
sûr que si une discussion complète était ouverte devant
le conseil des ponts et chaussées, ce conseil reconnaîtrait
en peu de séances la possibilité, l'utilité, la beauté du
système que j*ai développé devant la chambre.
J'avais fait remarquer qu'on se proposait , dans le pro-
jet du gouvernement, d'exécuter un chemin de halage.
Ce chemin de halage ne sera plus sur les quais. Tout
le monde le sait, les quais sont plantés. On fera ce che-
nûn de halage au pied du mur du quai. M. le ministre
nous a parlé des inconvénients qui résultaient de l'ancien
système. N'y a-t-il donc aucun inconvénient dans le sys-
tème du projet? Il y en a d'énormes. Votre corde sera
une corde rasante; elle attaquera, elle ira frapper tous les
bâtiments en station sur les rives de la Seine, tous les
objets compris entre le rebord du quai et les bâtiments
remorqués; les bas ports sont des magasins. Ces maga-
sins, auxquels le commerce attache un grand prix, seront
balayés par votre corde traînante , c'est incontestable.
M. LE SODS-SECRÉTAIRE D'ETAT DES TRAVAUX PUBLICS. On lève la
cordai
M. Arago. Vous ne ferez pas que le phénomène de la
chaînette n'ait pas lieu. Vous n'avez pas la prétention,
avec la puissance que vous possédez , d'empêcher que la
5"6 NAVIGATION.
pesanteur ne produise pas ses effets. La corde tirée par les
chevaux placés sur le chemin de halage sera une corde
traînante, et qui vous mettra dans l'obligation d'évacuer
tous les quais 9 tous les bas ports, lorsque vous voudrez
faire remonter un bateau.
M. le ministre a remarqué que ce mode de remor-
quage était employé ou proposé pour les autres parties
du projet ; cela est vrai , mais ce n'est pas dans Tinté-
rieur des villes , ce n'est pas à côté d'une force motrice
dont vous pourrez tirer un parti immense. Vous avez cette
force motrice au Pont -Neuf, vous pouvez en distraire
une petite portion pour opérer le remorquage. Au lieu
de cela, vous allez prendre le système non pas presque
barbare, mai$ barbare , que le rapport de la commission
vous a signalé.
On a beaucoup parlé du conseil général de la Seine;
on a dit qu'il s'était prononcé. Mais il faut faire con-
naître toute la vérité. D'abord sur la question de savoir
si on subordonnerait la subvention de 1 million 12 à
l'exécution du projet général , on s'est trouvé partagé par
parties égales. Tout le monde sait bien qu'un membre
du conseil, qui était sorti, était favorable au projet des
turbines.
Au reste, il faut faire la part, je ne me servirai pas
du mot de menaces , quoique cela y ressemble un peu ,
il faut aussi faire la part des déclarations formelles que
jious faisaient les ingénieurs. Ils nous disaient : t Si vous
n'exécutez pas le projet tel qu'il vous est présenté, on ne
fera rien du tout! » Les membres du conseil général sont
habitants de Paris, ils sont bien aises qu'on fasse les
NAVIGATION. 557
quais, quand on n'améliore pas la navigation. Je crois
que je ne leur ferai aucun tort, que je ne me livre pas
à des insinuations sans fondement , en disant que plu-
sieurs d'entre eux ont été entraînés par cette déclaration
formelle des ingénieurs : t Si vous n'exécutez pas le pro-
jet tel qu'on vous le présente, on ne fera rien! » Voilà
ce qu'on nous disait ; voilà ce que j'ai entendu de mes
oreilles.
Pour éloigner l'intérêt du projet que j'ai eu l'honneur
de développer devant la chambre, M. le ministre vous a
dit que c'était un projet gigantesque. Il est gigantesque
quant aux résultats ; j'espère que la chambre ne trouvent
pas qu'il soit gigantesque quant à la dépense. Je n'ai pas
parlé de cette question hier; il est peut-être bon que j'en
dise un mot.
Ici , ce ne sera pas une évaluation vague , un aperçu
semblable à ceux qui ont guidé l'administration lors-
qu'elle a fixé à 5 millions et quelques mille francs le tra-
vail actuel.
Le travail dont je parle, le travail qui doit donner do
si magnifiques résultats, coûterait à la ville... rap])eloz-
vousque ce serait l'occasion d'un revenu de 2 millions,
coûterait à la ville de Paris 6 millions, et la contribution
de l'État pour la totalité du travail qui le concernerait,
serait de 7 millions. Voilà la totalité de la dépense du pio-
jet gigantesque.
Ce n'est *pas à la légère que j'annonce ce chiffre; c'o.^î
le résultat d'un devis bien étudié, et j'ai la certitude qiio
vous trouverez facilement des ingénieurs, des entrepre-
neurs très-habiles poui* exécuter les travaux à ce prix.
658 IIAVIGATION.
Je tenais à circonscrire Texpression de gigantesque ,
dont ML le ministre s'est servi, dans ses yéritables limites,
à lui donn^ son vrai sens. Le projet est gig^mtesquc,
, comme vous le voyez, quant aux résultats.
Voilà ce que j'avais à dire en réponse aux observa-
tions que M. le ministre vous a présentées.
Il vous a dit qui! n'engagerait pas ravenir quant à la
construction de la digue longitudinale; qu'il la ferait
assez forte pour qu'elle pût supporter un exhaussement
si la ville de Paris venait à vouloir exécuter son grand
travail.
Mais ce n'est pas seulement un exhaussement qu'il
faudra faire. Avez-vous choisi la machine dont v^ous vous
servirez comme moteur? Voulez-vous employer une tur-
bine? La turbine telle qu'elle est sortie des mains de
M. Fourneyron, ou telle qu'elle a été perfectionnée par
M. Kœchlin? Ëh bien , c'est une machine qui a besoin de
fondations spéciales pour lesquelles il faudra faire des
constructions d'une certaine nature. Comment! vous
allez établir un bàtardeau au milieu de la Seine pmir
exécuter votre travail , et vous ne voulez pas vous pré-
parer à exécuter en même temps, quand vous avez le
projet sous les yeux^ ou que vous pouvez l'avoir, si vous
le voulez , ce qui pourrait servir à un -futur établissement
hydraulique? Ce que vous exécutez aujourd'hui sera
exécuté en pure perte, lorsque la réflexion, le bon sens,
vous amèneront à reconnaître que les deux projets
devraient être coordonnés. ( Très-bien , très-bien ! )
( M. d'AngeriUe, rapporteur, monte à U trf bane. )
M. Arago, de sa place. On prétend que, dans les
NAVIGATION. 509
appréciations que j'ai données sur le produit des tuit)ines,
j'ai pris un coefficient beaucoup trop considérable.
Je dois dire que l'administration , sous je ne sais quelle
influence, ne veut faire que de petits travaux, quand il y
en a de grandioses à exécuter. Elle veut employer une
roue hydraulique , une roue qui sera inondée , qui sera,
comme disent les mécaniciens, noyée, qui souvent ne
pourra pas fonctionner,, comme la roue hydraudique du
pont Notre-Dame. Moi, je propose les turbines, non-
seulement parce qu'elles donnent un produit considé-
rable, mais parce qu'elles peuvent fonctionner sous l'eau,
sous la glace, dans toutes les circonstances.
J'ai indiqué un coefficient; j'ai dit qu'une turbine don-
nait 70 à 80 p. 100. Je crains de n'avoir pas dit assez,
quoique ce soit un résultat admirable. Je prends la liberté
d'interpeller M. Kœchlin, s'il est h son banc, et de lui
demander si le chiffre que j'ai cité n'est pas un chiûre
trop petit. Il a beaucoup d'expérience, il a envoyé des
machines dans tous les pays du monde. L'industrie
française a l'avantage , maintenant , de figurer par ces
belles machines dans toutes les contrées, en Turquie, en
Italie, en Allemagne, partout. On a fait des expériences
nombreuses par les procédés les plus exacts de la méca-
nique. Je demande si j'ai cité un chiffre de revient trop
grand.
M. Kœchlin. LMnventîon faîte par M. Fourneyron est tellement
remarquable que j'ai eu longtemps beaucoup de difficalté à croire
ù des résultats si beaux. Les perfectioanefueuts faits h la turbine
donnent un effet utile de 88 h 90 p. 0/0.
La machine de Marly donne 2 ou 2 3/à p. 100, c'est-à-dire que si
ToD donae 100 litres d'eau au moteur, avec i mètre de <^ute, il
ôlôvera 2 litres ou 2 litres ZjU d'eau ii 1 mètre de bautear*
660 NAVIGATION.
La turbine donne des effets tels que, au liea de fournir 2 litres
d/ù, elle donnera 88 et 90 litres, en même temps que pour son éti-
blissement elle coûte infiniment moins que toute aatre machine,
quelle qu'elle soit
Je n'ai jamais osé prononcer ces chiffires, parce qu*on riait C'était
incroyable.
M. Arago, il y a dix ans déjà, a apprécié cette invention à sa
juste valeur; et, loin d'avoir exagéré les résultats de ce moteur, il
avait annoncé beaucoup moins que la machine ne produit
[Il est question dans le discours placé ci-dessos de divers appa-
reils hydrauliques dont M. Arago a conseillé l'emploi pour améliorer
le cours de la Seine et pour tirer le meilleur parti possible é»
eaux de ce fleuve. On a réuni ici tout ce qu'il a laissé «or ces divers
sujets, savoir : turbine de M. Fourneyron, barrages mobiles à
aiguilles, barrage articulé, barrage mobile de M^ Thénard.]
II
TURBINE DE M. FOURNETRON *
La ville de Paris est alimentée, en eau de Seine, par
des machines à vapeur établies à Ghailiot, au Gros-
Caillou, au quai des Ormes, à la Râpée, et par une
roue hydraulique à palettes située sous une des arches
du pont Notre-Dame. Cette dernière machine, quoi-
qu'elle soit en très-mauvais état, entre dans le produit
total d'environ 430 pouces d'eau de rivière, que la ville
distribue, pour 70 à 80 pouces de fontainiers, élevé?
à 26 mètres. Il me parut évident que, sans changer eu
aucune manière les conditions de la navigation actuelle
de la Seine, le produit de la force dépensée au pont
Notre-Dame pourrait être considérablement augmenté,
1. Note écrite en 1837 et insérée en partie dans les Comptes-
rendus de r Académie des sciences^ t IV.
NAVIGATION. 501
et (lès lors je regardai comme un devoir d'étudier ce pro-
blème. Depuis quelques mois le cadre dans lequel j'avais
voulu primitivement me renfermer s'est notablement
agrandi. Des projets actuellement en discussion au sein
de l'administration des ponts et chaussées, m'ont conduit
à penser que la navigation de la Seine pourrait, avec
avantage, s'établir sur le seul bras gauche. Dans cette
hypothèse, un barrage mobile serait installé au pont
Notre-Dame, et y procurerait une chute de 70 à 75 cen-
timètres en temps de crue, et de 1°\5 à Tétiage. Pendant
l'élé , quand la pénurie d'eau se fait vivement sentir dans
la plupart des quartiers de la capitale, on aurait donc
pour pourvoir aux besoins des habitants et aux divers
services de propreté et de salubrité, une force représentée
par le débit du bras droit de la Seine (il est alors d'en-
viron 100 mètres cubes d'eau par seconde), tombant
d'un mètre et demi de hauteur, c'est-à-dire la force de
200 chevaux travaillant nuit et jour.
L'immensité de cette force ne devait pas me dispenser
de chercher le moyen d'en tirer parti. Après bien peu
d'hésitation , je reconnus qu'il faudrait adopter les tur-
bines de M. Fournevron.
On appelle turbines des roues qui ont la propriété
commune de tourner autour d'un axe vertical. La pre-
mière roue hydraulique connue sous ce nom fut imaginée
en 1824, par M. Burdin, ingénieur des mines; l'eau
arrivait, dans cette roue, à la base supérieure d'un
cylindre ou tambour vertical , et se trouvait rejetée à la
base opposée. L'eau entrait et sortait près de la circon-
férence extérieure, suivant des canaux plies en hélice à
V.— II. 36
562 NAVIGATION.
la surface du tambour qui devait avcnr une hauteur égale
à la moitié de la hauteur entière de la chute d'eau dispo-
nible.
Dans les turbines de M, Foumeyron , dont la première
fut construite en 1827, le tambour n'a qu'une petite épais-
seur, quelques décimètres, par exemple, quelque grande
que soit la hauteur de chute. L'eau s'élance obliquement
en jets horizontaux de tout le contour d'un cylindre inté*
rieur vertical ; pénètre de tous côtés dans les comparti-
ments de la roue extérieure qui, en tournant, affleure ce
cylindre ; suit , en les pressant, des aubes courbes renfer-
mées entre les deux bases horizontales, et s'échappe
horizontalement par la tranche verticale du tambour exté-
rieur. Dans cette roue, l'eau agît sur toutes les aubes à
la fois, et ne charge pas l'appareil d'une haute colonne
d'eau. En outre, la machine pouvant être entièrement
noyée dans l'eau, peut fonctionner dans les temps de
gelée ou bien lors des grandes crues, c'est-à-dire dans
les circonstances où les autres roues hydrauliques sont
obligées de s'arrôten
On comprend, d'après ces courtes explications, pour-
quoi je m'arrêtai à l'idée d'employer les turbines de
M. Foumeyron pour utiliser la chute d'eau que devait
rendre disponible l'amélioralion du cours de la Seine
dans le système que j'avais en vue. J'écrivis à cet habile
ingénieur de venir à Paris; il étudia avec moi toutes
les conditions du problème, et rédigea, d'après mon
désir, un projet détaillé d'établissement hydraulique dans
lequel la machine jouerait le principal rôle.
Les choses en étaient là , lorsque je m'en ouvris au
NAVIGATION. S63
préfet de la Seine, à l'honorable M. de Rambutean, dont
Tardeur éclairée pour tout ce qui peut contribuer à l'as-
sainissement, à l'embellissement de la capitale et au
bien-ctre de la population , ne sera jamais dépassée. Je
lui demandai de soumettre mes idées à l'examen d'une
commission. J'émis même le vœu que diverses personnes
très-habiles, mais qui, faute d'expériences directes,
avaient publiquement manifesté des opinions peu favo-^
râbles aux turbines, fussent comprises au nombre des
juges que je sollicitais. M. de Rambuteau souscrivit à
tous mes désirs avec une inépuisable complaisance. Dès
la première réunion de la commission, les objections que
j'avais prévues, ou plutôt que j'avais provoquées, se
manifestèrent. Personne, en présence de faits authen-
tiques, ne pouvait méconnaître que, sous l'action de trèfik
fortes chutes, les tui'bincs donnent des résultats en quelque
sorte inespérés; mais sur la Seine, les chutes seraient
toujours faibles, les turbines ne sauraient manquer
d'avoir de grandes dimensions; de plus, elles devraient
être constamment immergées. De là des doutes, des
craintes très-naturelles que des expériences directes pou-
vaient seules dissiper.
Malheureusement, il n'existait encore à quelque distance
de Paris qu'une seule turbine, et elle avait été construite
pour une chute de deux mètres au moins. Cette machine
était d'ailleurs le moteur du très-grand établissement de
tissage mécanique d'Inval, près de Gisors. Si elle cessait
de marcher , quatre cents métiers et trois à quatre cents
ouvriers restaient inactifs. Il y avait là des difficultés qui
nous paraissaient, qui devaient nous parait]:e insunnon-
564 NAVIGATION.
tables. MM. Davillier, propriétaires d' In val, en ont jugé
autrement : Texpérience qu*on désirait tenter devant être
utile à la science, à l'industrie, à la ville de Paris, ils
n'ont plus calculé les embarras qu'elle amènerait à sa
suite , les dépenses qu'elle nécessiterait : avec une libéra-
lité que je caractériserai toujours trop faiblement si j'en
juge par la reconnaissance qu'elle m'a inspirée, la turbine
et le cours d'eau qui la mettait en jeu , ont été pendant
tout le temps nécessaire ( un dimanche , mi lundi et la
moitié du mardi suivant) entièrement à la disposition des
commissaires désignés par M. le préfet de la Seine. Ces
commissaires étaient : M. Mary , ingénieur en chef des
ponts et chaussées, attaché aux travaux de Paris; M. de
Saint-Léger , ingénieur des mines à Rouen ; M. Manie! ,
élève de troisième année à l'école des ponts et chaussées,
et M, Fourneyron lui-même. Les divers résultats qu'ils
ont obtenus en opérant avec la plus scrupuleuse atten-
tion, montrent que l'on peut compter, avec la turbine de
M. Fourneyron, sur un effet utile de CO à 77 p. 0/0 dans
les circonstances diverses où ils ont opéré, c'est-à-dire
avec des chutes variant de 0™.30 à 1".17, et la profon-
deur d'immersion du plan supérieur de la roue variant
de O"".?? à 1™.50. Des difficultés qu'il ne m'est pas donné
en ce moment de prévoir, viendraient faire échouer mon
projet devant le conseil municipal de Paris, que les expé-
riences d'Inval n'en seraient pas moins une précieuse
acquisition pour la science, puisqu'elles ont assigné défi-
nitivement à la turbine de M. Fourneyron le rang qui lui
appartient parmi les meilleurs moteurs hydrauliques.
M. Fourneyron a obtenu des résultats identiques à
NAVIGATION. 5G5
Sainte-Marie, dans la forêt Noire, à Taide d'une turbine
d'un tiers de mètre de diamètre, qui fonctionnait sous une
pression verticale de 108 mètres d'eau, qui faisait 2300
tours par minute, qui ne dépensait que 30 litres de
liquide par seconde, et qui réalisait cependant la force
de 60 chevaux vapeur. Quelques personnes avaient paru
craindre que les tourillons de Taxe de la turbine ne pussent
résister à l'extrême vitesse que je viens de signaler ; mais
Tcxpérience a prouvé que la madiine n'éprouvait aucune
détérioration. .
La turbine de M. Fourneyron a fait partout une vive
^:ensation : l'Allemagne, la Russie, l'Angleterre ont voulu
profiter de cette invention. Puisse la France entrer elle-
même largement dans une voie qui promet de si utiles
résultats à l'industriel
III
BARRAGES A AIGUILLES
[Le gouvernement demandant un crédit de 10 millions pour Tamé-
Uoration de la Seine entre Paris et Rouen, principalement à l'aide
de barrages mobiles, M. Arago a critiqué le système des barrages ii
aiguilles dans le discours suivant, prononcé le U mars 18/i6 : ]
Je désire, Messieurs, adresser à M. le ministre quel-
r|ues questions sur la manière dont les barrages proposés
seront exécutés. Je suis partisan du projet ; je voterai la
somme demandée ; mais je ne voudrais pas voter en
fiveugle, je désirerais savoir de quelle manière on opé-
rera. Depuis quelque temps on nous dit très-peu de chose
<uv les travaux proposés ; si nous encouragions l'adminis-
tration à persévérer dans cette voie , la Chambre finirait
566 NAVIGATION.
par n'être plus qu'un bureau ^enregistrement. Les pro-
jets sont rédigés d'une manière très-vague. Il est impos-
sible de savoir à quel système l'administration s'arrêtera.
On a dit : Nous ferons un barrage mobile. Mais, Mes-
sieurs, il y a plusieurs systèmes de barrages mobiles dans
ce monde , et je crois que ce n'eût pas été trop que de
nous dire quel sera celui de ces systèmes qu'on devra
appliquer...
M. d^'Angeville, rapporteur. Gela a été dit t
M. Arago. Cela n'est pas dans l'exposé des motifs.
M. LE Rapporteur. On ne peut pas tout mettre dans Texposé des
motifs.
M. Arago. Il n'y a pas de mal cependant à ce que les
députés sachent ce qu'ils votent ; il y a, au contraire, un
très-grand avantage à ce que les renseignements fournis
soient exacts et complets. Pour moi , je me suis trouvé
fort embarrassé lorsque plusieurs personnes sont venues
me demander de quelle manière s'exécuteraient les tra-
vaux de la traversée de Paris; j'en ai été réduit à dire que
je ne le savais pas, et cependant j'ai eu l'honneur de faire
partie de la commission d'enquête chargée de chercher le
meilleur système à suivre dans l'intérêt public.
Quel est le barrage qu'on propose au fond? Quoique
cela n'ait pas été dit, j'espère que je vais indiquer la véri-
table solution : c'est un barrage à aiguilles.
Les barrages à aiguilles actuels sont une légère modi-
fication d'un barrage ancien ; ils sont dus à des ingénieurs
habiles, à M, Dausse et à M. Poirée ; il y en a plusieurs
d'exécutés sur l'Yonne et sur un petit affluent de la
Loire.
NAVIGATION. 567
Jadis, quand on voulait barrer les rivières, moins pour
la navigation que pour les arrosages, on plantait vertica-
lement dans le lit des pieux , entre lesquels on plaçait des
ponts en cas de besoin ; dans les intervalles compris entre
les pieux fixes on mettait des aiguilles mobiles retenues
dans le haut par ces ponts , dans le bas par un seuil. Il
y a, dans les nouveaux systèmes, cette modification, que
les pieux fixes sont devenus mobiles, qu'ils peuvent être
abattus et relevés quand on le veut.
Un barrage à aiguilles n'a été exécuté sur une certaine
échelle, dans un point de grande navigation comme celle
qui doit s'établir entre Paris et Rouen, que sur le pertuîs
de la Morue.
On a fait bien des rapports d'ingénieurs sur les avan-
tages de ce barrage dû à M. Poirée. J'en ai entendu
parler, je ne les connais pas officiellement. J'ai voulu
savoir au fond comment le système se manœuvrait. Il y
aurait eu peut-être des inconvénients pour la manifesta-
tion complète de la vérité à ce que je fisse la vérification
moi - même. J'ai envoyé au pertuis de la Morue une per-
sonne très -intelligente, très-honorable, très-véridique ,
très-exercée en mécanique. Je l'ai priée d'examiner com-
ment les choses se passaient, et de recueillir surtout les
déclarations des barragistes.
Ëh bien , la manœuvre ne se fait pas avec la rapidité
qu'on indiquait ; il s'en faut de beaucoup. La manœuvre
est très-difficile, et elle est très-dangereuse.
Je savais, par les aveux des ingénieurs que cette
manœuvre intéressait le plus, que deux barragistes
s'étaient noyés en faisant l'o ération.
568 NAVIGATION.
M. Legrand, sous-secrétaire cTÉtai des travaux publics. C'est
pendant le cours des travaux.
M. Arago. Ne s'en est-il pas noyé' depuis?
^I. LE SOUS-SECRÉTAIRE D'ÉTAT. Non !
M, Arago. En ôtes-vous bien sûr? Les barragistes
témoins de l'événement disent le contraire; ils disent, il
est vrai, que c'était la faute des malheureuses victimes :
elles ne savaient pas nager, (Mouvements divers.)
Voilà l'explication qu'ils ont donnée. On n'a pas dit
que c'était pendant la construction, mais ce que c'était
pendant la manœuvre des aiguilles.
Je dirai plus, la manœuvre est tellement difficile, telle-
ment scabreuse, que, pendant six mois de l'année, on
n'ose pas la faire. Faites-vous la manœuvre des aiguilles
quand vous courez le risque que l'eau se gèle au moment
où vous enlevez l'aiguille ? quand vous courez le risque
de jeter des glaçons sur le port de service? Assurément
non.
Par ce motif, le barrage reste ouvert, il reste plongé
dans le fond de la rivière, il reste abaissé depuis le mois
de novembre jusqu'au mois de mai.
M. LE souS'SECRÉTAiRE d'état. Il Test toujours I
M. Arago. Pardon! Si vous m'interrompez à la fin de
chaque phrase, il me sera impossible de rien dire d'utile.
Permettez-moi d'achever.
Prétcndraitr-on par hasard que la navigation n'est pas
possible dans les mois d'hiver ? J'affirmerai hardiment
que, dons l'intervalle que je viens d'indiquer, la naviga-
tion s'opère quelquefois merveilleusement. Publiez les
NAVIGATION. 569
travaux de M. Dausse , et vous verrez que je n'énonce
rien de trop.
Le barrage n'est pas soulevé, parce qu'il est difficile
de le soulever, parce que les crues sont rapides à cette
époque, et qu'alors on court le risque d'être obligé
de le laisser levé pour un moment de crue, et par consé-
quent de produire l'inondation de toutes les propriétés
riveraines circonvoisines. Cela est arrivé il y a deux ans,
je crois ; la crue montait avec tant de rapidité que les
barragistes, au nombre de trois, n'étaient pas sûrs de
faire leurs opérations dans un temps suffisant. On fut
obligé d'appeler tous les vendangeurs qui étaient dans
les environs, et, sans leur secours, la Seine aurait été
barrée dans un moment de crue , et vous auriez eu de
grands désastres. J'affirme ce fait , par ce qu'il est con-
stant.
Je vais parler d'un inconvénient grave. Il sera question
ici de perte d'eau, il sera question d'une chose ayant une
analogie éloignée avec le jeu des turbines. Je crains quo
M. le ministre ne me réponde , comme il m'a répondu
hier, par une plaisanterie spirituelle, mais qui était la
plus étrange erreur hydraulique. (Mouvement. ) M. le
ministre a dit que la turbine avait l'inconvénient de boire
beaucoup d'eau; mais savez-vous que c'est précisémer.t
là l'avantage des turbines? c'est par cette propriété la
que les professeurs d'hydraulique commencent toutes leurs
leçons sur les turbines. La turbine, disent-ils, a l'avan-
tage sur les roues ordinaires , l'avantage très-considé-
rable, très -précieux, de boire beaucoup d'eau dans un
temps très-court , d'agir par toutes ses palettes à la fois,
S70 NAVIGATION.
tandis qu*une roae ordioaire n*a que très-peu de palettes
en prise à chaque instant Je ne puis pas vraiment suppo-
ser que H. le ministre ait imaginé que Feau n'était pas
rendue immédiatement L*eau entrée dans la turbine
retombe aussitôt à la Seine, et la rivière se trouve être
dans les mêmes conditions que si le liquide n'avait pas
passé par la machine. J'avoue que je ne comprends pas
le reproche qu'a adressé M. le ministre aux turbines.
Je vais essayer d'être le plus clair possible, afin que si
IL le ministre me fait l'honneur de me répondre , il ne
confonde pas , comme il l'a fiait hier , la quantité d'eau
disponible avec la quantité d'eau vendue.
J'ai dit que la quantité d'eau vendue s'élevait à 7 litres
par personne. M. le ministre a trouvé 128 litres en pre-
nant pour base le débit du canal de l'Ourq ; je ne sais pas
pourquoi il n'a pas pris la quantité totale de l'eau de la
Seine, il aurait trouvé davantage. (On rit ) J'ai parié
d'eau vendue et non d'eau tiiaponible.
Je suis d'autant plus fâché de cette erreur, que le rai-
sonnement de M. le ministre a amené un de ses défen-
seurs à supposer que , quand je parlais de 7 litres pour
la consommation moyenne par individu, c'était 7 litres
pour la consommation annuelle. ( On rit ) Vous trouve-
rez dans le journal le plus accrédité du ministère cette
incroyable erreur.
Voilà comment on a commenté votre argumentation.
Le commentaire est mauvais, votre texte était meilleur
(On rit) quoiqu'il ne fût pas irréprochable.
Vous fermez la rivière avec des aiguilles ; vous voulez
empêcher l'eau de couler. Eh bien, avez-vous jamais
NAVIGATION. 571
réussi à mettre les aiguilles en contact? cette manœuvre
des aiguilles est très -difficile, elle est très -dangereuse.
Un homme, placé sur un pont très-étroit, ne manœuvre
pas avec facilité une aiguille de Sa 4 mètres, quand il y
a un courant considérable.
Vous croyez. Messieurs, que je me suis trompé dans la
dimension des aiguilles? Vous êtes dans Terreur. 11 y a
la portion plongée, il y a la portion comprise entre le
niveau supérieur et le pont , il y a ensuite la partie que
saisit la main. Ces aiguilles ne se touchent pas, par consé-
quent vous ne barrez pas, vous laissez une claire-voie,
au lieu de faire un barrage complet. 11 est évident que si
vous faisiez un barrage complet, vous obtiendriez le
mouillage voulu dans un temps beaucoup plus court.
Ces opérations si défectueuses, vous pouvez les faire par
d'autres systèmes sûrement et rapidement.
Je vous demande si vous êtes complètement résolus à
vous servir partout du système à aiguilles. Voilà ma ques-
tion ; elle est claire, et j'espère qu'elle ne donnera lieu à
aucune équivoque.
Si vous êtes résolus à vous servir d'un système dont
les défauts sont manifestes et patents , qui ne peut pas
être manœuvré dans un temps très- court, qui devrait
l'être avec rapidité dans une rivière destinée à recevoir la
navigation à vapeur, je dis que vous ignorez les progrès
que l'art a faits.
Ne vous obstinez pas à n'employer qu'un système
imparfait; je l'appelle ainsi et je n'ai pas dit cependant à
quels subterfuges, à quels expédients on propose d'avoir
recours pour empêcher l'eau de s'écouler entre les
572 NAVIGATION.
aiguilles : On veut mettre de la toile devant ! On ne l'a
pas inïprimé ; on Ta dit. Il est évident que la manœuvre
de ces aiguilles , que la manœuvre de cette toile seront
très-difficiles. Partout où vous avez établi des barrages à
aiguilles, vous êtes obligé de nettoyer le système jour et
nuit. Il s'insinue entre les aiguilles des matières qui ne
permettent pas de les manœuvrer. L'homme qui est dans
la position du barragiste n'a qu'une puissance très-bomco,
et si vous introduisez dans les aiguilles des branches d'ar-
bres , d'autres matières , vous n'êtes plus en mesure de
retirer les aiguilles, et, s'il arrive une crue, vous inonde-
rez toutes les campagnes voisines* C'est à cet inconvénient
que vous devez parer.
Si vous tenez beaucoup à vos aiguilles, je ne vous
demande pas de ne pas les employer ; mais essayez des
autres systèmes; ne vous montrez pas ennemis du pro-
grès à ce point de ne pas vouloir essayer le système de la
porte articulée et le système de M. Thénard.
IV
BARRAGE ARTICULÉ
Il existe en Hollande plusieurs écluses qui se ferment
et s'ouvrent par l'effort même des eaux dont ces écluses
sont destinées à régler le cours; le général Goblet a con-
struit, il y a peu d'années, une écluse de cette espèce.
M. Fourneyron a imaginé, en 1841, des portes d'écluses
fondées sur ce principe général mais qui diffèrent com-
plètement, pour les inventions mécaniques qui les carac-
térisent, de tous les systèmes anciens. Les portes propo-
NAVIGATION. 673
sées par M, Fourneyron étaient destinées à fermer les
arches du Pont-Neuf à Paris, afin de former une chute
de la Seine, qui procurerait, sur ce point, une grande
force susceptible d'élever, au moyen de turbines, un
volume d'eau considérable à distribuer dans tous les
quartiers de la ville.
Tout le monde a remarqué que sous l'arche d'un pont
il se forme toujours une espèce de chute provenant du
rétrécissement du lit de la rivière. Eh bien, qu'on sup-
pose une grande porte cochère s' ouvrant d'amont en
aval ; le courant de l'eau tendra constamment à la pous-
ser et à appliquer les deux battants contre chacune des
piles de l'arche du pont, La difficulté est donc de tenir
cette porte fermée.
M. Fourneyron a imaginé de faire articuler les deux
battants, dans toute la longueur du bord libre, avec une
cloison verticale composée elle-même de deux pièces
articulées entre elles, et dont l'autre extrémité dirigée
à l'aval se rend obliquement à la pile, et s'y fixe par
une nouvelle articulation. H y a ainsi derrière chaque
battant un prisme creux triangulaire dont la face
d'amont est constituée par le battant de la porte, la face
d'aval par la cloison articulée, la face latérale par la pile
du pont.
Si ce prisme était vide, ou si seulement l'eau y était au
même niveau qu'en amont des battants, ceux-ci céde-
raient au courant en repliant la cloison contre le mur.
Pour remplir ce prisme et y établir le niveau de l'eau au-
dessus du niveau de l'amont du battant, on pratique
dans la pile un canal latéral qui prend l'eau à Tentrée de
574 NAVIGATION.
l'arche au-dessus de la porte, et Tamène dans le pristne
où elle s'élève plus haut qu'en avant du battant. La diffé-
rence des niveaux exerce une pression suffisante pour
maintenir la porte fermée.
Pour ouvrir le barrage , on ferme le conduit qui ame-
nait l'eau dans le prisme, et on laisse écouler l'eau qui y
était contenue. Le sens de l'excès de pression changeant,
il est évident que la porte doit céder au courant.
Un petit mécanisme à manivelle, que peuvent faire
manœuvrer même une femme ou un enfant, en faisant
mouvoir deux vannes en sens inverse, ouvre et ferme tour
à tour Torifice d'admission de l'eau dans le prisme, en
même temps qu'il ferme ou qu'il ouvre l'orifice d'émission.
Tel est l'ingénieux système de portes, pour les écluses
à large ouverture, qu'a proposé M. Fourneyron, et qu'il
serait désirable de voir appliquer.
BARRAGE MOBILE DE M. THÉ5ABD.*
Tous les moyens de locomotion et de transport sont,
depuis une quarantaine d'années , l'objet de recherches
assidues et approfondies. Ajoutons que le succès a cou-
ronné presque constamment les efforts des ingénieurs.
Ainsi , la question du tracé des routes a été définitive-
ment soumise à des principes mathématiques. Des expé-
riences nombreuses ont fait connaître le rapport du frot-
1. Rapport fait à TAcadéinie des sciences, dans la séance dB
5 aoiU IS^Zi, au nom d'une commission composée de MM. Ponceleii
riobert, Dufrénoy, Aragô rapporteur.
NAVIGATION. 575
tement à la pression , sur les divers terrains naturels ou
artificiels formant en France la surface des principales
routes. Les propriétés comparatives des véhicules à
grandes ou à petites roues, à jantes larges ou étroites,
sont maintenant nettes et définies. Des essais métho-
diques , entrepris sur une assez grande échelle , éclaire-
ront bientôt l'administration , touchant les meilleurs sys-
tèmes de pavage; on saura ce qu'il est permis d'attendi'e
du bois substitué au grès, des cylindrages exécutés à
l'aide des rouleaux compresseurs convenablement pon-
dérés, de l'emploi de telle ou telle matière d'aggloméra-
tion , suivant la nature des cailloux formant les chaussées
d'empierrement, etc.
Il faudait un grand nombre de pages pour signaler ce
qui a déjà été réalisé concernant les chemins de fer, et
les améliorations qui sont en cours d'expériences.
Cédant à des idées préconçues touchant les ondula-
tions des liquides , cédant à la crainte de détru re les
berges, personne n'exécutait jadis le halage sur les
canaux , qu'au petit pas. Maintenant les bateaux rapides
les parcourent avec la vitesse des chevaux de poste.
Chaque jour, la grande navigation à vapeur fait de
nouveaux progrès; chaque jour apporte, en ce genre,
des découvertes qui laissent bien loin derrière elles les
améliorations prévues et même les espérances des esprits
enthousiastes. Les ports les plus entourés d'écueils sont
maintenant accessibles par tous les vents , par tous les
états de la mer. Des remorqueurs y conduisent avec faci-
lité , avec sûreté , de jour comme de nuit , les bâtiments
de commerce et de guerre. Déjà certains steamers riva-
6 NAVIGATION.
lisent en grandeur avec les immenses vaisseaux à trois
ponts. Bientôt, peut-être, ils les surpasseront en puis-
sance militaire.
La navigation fluviale n'est pas non plus restée sta-
tionnaire : mille bateaux à vapeur, remarquables par leur
commodité , par leur élégance , par la rapidité de leur
marche , et principalement par de très-ingénieuses ma-
chines, sillonnent en tous sens les rivières des deux
mondes.
Que manque-t-il dans notre pays, pour assurer à cette
navigation fluviale une supériorité décidée sur les autres
moyens de locomotion et de transport? Une seule chose,
peut-être, des rivières à niveau moins variable, des
rivières qui , en été , en automme , offrent dans leur che-
nal une profondeur d'eau de plus d'un mètre.
Des barrages peuvent conduire à ce résultat.
Qui ne comprend, en effet, que si l'on établissait
aujourd'hui, en face d'Auteuil , par exemple, de la rive
droite à la rive gauche de la Seine, un barrage continu,
haut de 2 mètres au-dessus du niveau de la rivière , l'eau
ne commencerait à se déverser par-dessus la crête de ce
barrage, qu'après avoir monté de 2 mètres, et que cet
exhaussement se ferait sentir jusque dans Paris? Un
barrage semblable exécuté entre le pont des Arts et le
Pont-Neuf, élèverait notablement le niveau de la rivière
jusqu'à Bercy, et ainsi de suite. En espaçant ces con-
structions d'une manière convenable, on aurait sur la
rivière une série de nappes liquides échelonnées, où des
bateaux d'un bon tirant d'eau pourraient naviguer même
en temps de grande sécheresse. Le passage d'une nappe
NAVIGATION. 5T7
à la nappe immédiatement inférieure ou supérieure , le
passage d'un échelon liquide à l'échelon voisin, se ferait
commodément par l'intermédiaire d'écluses à sas.
Les barrages partiels , ceux qui au lieu de s'étendre
d'une rive à l'autre de la rivière n'embrasseraient qu'une
partie de sa largeur, occasionneraient aussi , en amont ,
un exhaussement du niveau des eaux; mais l'effet serait
moins considérable que sous l'action des barrages com-
plets.
Rendre les rivières navigables en tout temps , même
à l'époque des grandes sécheresses, serait une chose
assurément très-utile ; mais il est bon de songer à la sai-
son des crues; il faut se rappeler que l'effet inévitable
des barrages permanents, complets ou partiels, est de
rendre les débordements plus fréquents et plus désas-
treux. Sous ce rapport, les piles de ponts elles-mêmes
sont quelquefois fort nuisibles.
Voilà, en peu de mots, ce qui a conduit à l'idée des
barrages susceptibles d'être facilement enlevés ou plon-
gés au fond des eaux , les barrages appelés mobiles , des-
tinés à rester en place pendant la sécheresse, et à dispa-
raître au moment des crues.
Le système de barrage que M. l'ingénieur en chef
Tliénard a soumis à l'approbation de l'Académie, appar-
tient à la catégorie des barrages mobiles. Il a été déjà
appliqué sur un des affluents de la Dordogne ; sur une
rivière, l'isle, dont le débit est de dix mètres cubes seu-
lement par seconde, à l'étiage; de 85 mètres en eaux
moyennes; de 242 mètres, quand elle coule à pleins
bords ; de 500 à 600 mètres dans les plus fortes crues,
V. - u. 37
578 NAVIGATION.
Appelé par ses fonctions à diriger, à perfectionner la
navigation d'une rivière si variable; n*ayant d^ailleurs à
sa disposition que de faibles ressources, M. Thénard
sMmposa ces deux conditions rigoureuses :
Il faudra que l'abaissement et le relèvement du bar-
rage s'opèrent en un petit nombre de minutes ; un seul
homme, le gardien de l'écluse, devra pouvoir faire la
double opération sans courir aucun danger.
Essayons de caractériser d'une manière générale la
conception de M. Pingénieur Thénard. Nous nous occu-
I)erons ensuite , s'il y a lieu , de la construction du bar-
rage et des manœuvres; nous descendrons aux détails.
Concevons, de nouveau, que la Seine soit barrée d'une
rive à l'autre, à l'aide d'une porte en bois verticale, de
2 mètres de haut, liée par des charnières en métal (par
des gonds) , à des longrines placées les unes à la suite
des autres, au fond de la rivière. Les longrines seront
fixées au radier en maçonnerie, dont il faut supposer que
le fond de la Seine est recouvert.
La porte, d'après les dispositions de la charnière, ne
peut s'abattre que d'amont en aval. Pour la maintenir
dans la position verticale, pour Pempêcher de céder à la
pression, au choc de l'eau d'amont, il faudra évidemment
la soutenir vers l'aval par des arcs-boutants , par des
jambes-de-force prenant leur point d'appui sur le radier.
On se fera une idée suffisante de ce que peuvent être ces
arcs-boutants, en se rappelant le petit mécanisme dont
les ébénistes font usage pour soutenir, sous des inclinai-
sons variées, certains miroirs de toilette et certains
pupitres.
NAVIGATION. 679
Veut-on maintenant que le barrage disparaisse?
11 suffira de soulever un tant soit peu les jambes-de-
force, d'ôter leurs extrémités inférieures des entailles au
fond desquelles elles arcs- boutaient; aussitôt la pression
du liquide fera tourner la porte, d'amont en aval, autour
des charnières horizontales noyées, et la couchera sur le
radier.
De prime abord, rien de plus simple, de plus satisfai-
sant que la manœuvre qui vient d'être décrite ; mais cette
première impression disparaît quand on réfléchit à l'obli-
gation d'aller soulever, une à une, toutes les jambes-de-
force. Est-ce en bateau qu'on ira faire l'opération? est-ce
en amont? est-ce en aval ? On ne peut songer à marcher
sur répaisseur de la porte , puisqu'elle est recouverte par
la nappe liquide qui se déverse d'amont en aval. De quel-
que manière qu'on envisage la question, on aperçoit
difficultés et dangers.
En fait de difficultés, la principale consisterait à rame-
ner la porte couchée, de la position horizontale à la posi-
tion verticale ; à vaincre, par les efforts d'un seul homme,
l'action impulsive de l'eau sur une si immense palette !
11 est vrai que cette palette on pourrait la fractionner, la
diviser en un certain nombre de parties susceptibles
d'être abaissées et relevées séparément. L'expédient
serait assurément très-utile; mais où l'éclusier irait-il
prendre ses points d'appui pour opérer tous les sou-
lèvements partiels?
Supposons que d'après la disposition des charnières,
au lieu de se rabattre d'amont en aval , comme nous
l'avons d'abord admis, la porte continue ou Tractionnée
580 NAVIGATION.
ne puisse tourner à partir de la position verticale, ne
puisse tourner pour se coucher au fond de Teau, que
d'aval en amont. Les difficultés des manœuvres seront,
pour la plupart , l'inverse de celles qui viennent de nous
occuper.
Dans le premier cas, la porte une fois couchée au fond
de l'eau vers l'aval, y restait par l'effet de la seule impul-
sion de la masse liquide descendante. Dans le second cas,
il faudrait l'y maintenir par un mécanisme, lors même
qu'à raison de se^ ferrures elle aurait une pesanteur spé-
cifique un peu supérieure à celle de l'eau ; sans ce méca-
nisme , le courant soulèverait la porte en la prenant par-
dessous.
La porte, susceptible de se rabattre d'amont en aval,
ne se maintenait dans la verticale, ne résistait dans cette
position à l'impulsion de l'eau descendante, qu'à l'aide
des jambes-de-force dont il a été parlé. Rien de pareil
ne serait nécessaire, quant à la porte qui se rabattrait
d'aval en amont. Une fois amenée à la verticale , l'impul-
sion de l'eau tendrait à l'y maintenir, disons mieux, à la
faire passer au delà. Cette tendance à dépasser la position
verticale vers l'aval devrait même être combattue, soit
à l'aide d'une disposition appropriée des charnières, soit,
plus convenablement encore, avec une chaîne bifurqu*'o
attachée par deux de ses bouts à la porte , et par le troi-
sième bout au radier, en amont.
Après le soulèvement partiel des arcs-boutants, la pre-
mière porte se rabattait d'elle-même; il ne fallait d'efforl
que pour la relever.
La seconde porte, au contraire, se relèverait d'elle-
NAVIGATION. 581
môme; un effort ne serait nécessaire que pour la rabattre
contre l'action du courant.
Ce sont ces propriétés, comparativement inverses,
dont M. Thénard a tiré ingénieusement parti : c'est en
composant son barrage des deux systèmes accouplés;
c'est en plaçant sur deux lignes parallèles, à quelques
centimètres de distance, les portes susceptibles de se
rabattre seulement en amont, qu'il a vaincu les difficultés
très-graves inhérentes à chaque système, pris isolément.
La manœuvre du double système sera maintenant
facile à décrire.
Le barrage est entièrement effacé; le gardien de
l'écluse, à l'arrivée d'une crue, a couché toutes les
portes. La crue est passée; il faut relever les portes
d'aval, celles qui, pendant les sécheresses, doivent
exhausser le niveau de la rivière.
Écartons le mécanisme qui fixe les portes d'amont au
radier. Le courant les soulève et les amène à la position
verticale, position qu'elles ne peuvent pas dépasser, soit
à raison de leurs talons, soit parce que chacune d'elles
est retenue , comme nous l'avons déjà dit, par une chaîne
bifurquée , alors tendue , dont deux des bouts sont fixés
à la partie supérieure de la porte , et le troisième au
radier.
Quand cette première série de portes barre entière-
ment la rivière, les portes d'aval peuvent être soulevées
une à une sans des tractions trop considérables, car de
ce côté et à ce moment le courant est momentanément
supprimé. Le gardien du barrage, armé d'une gaffe,
exécute cette seconde opération en se transportant le long
582 NAVIGATION.
d'un pont de service qui couronne les sommités des portes
d'amont. Au besoin, il s'aide d'un petit treuil mobile.
Du haut de son pont léger, il s'assure que les jambes-dc-
force des portes d'aval sont convenablement placées,
qu'elles arcs-boutent par leurs extrémités inférieures,
dans les repères du radier.
Ceci fait, le moment est venu d'abattre les portes
d'amont : elles ne devaient, en effet, servir qu'à rendre
la manœuvre des portes d'aval exécutable, qu'à per-
mettre à un seul homme de les soulever.
Le gardien introduit l'eau par de petites ventelles,
entre les deux séries de portes. Elle s'y trouve bientôt
aussi élevée qu'en amont. Or, dans le liquide devenu à
peu près stagnant, il doit sufDre d'un effort médiocre
pour faire tourner les portes d'amont autour de leurs
charnières horizontales immergées, pour les précipiter
d'aval en amont, de telle sorte qu'elles aillent frapper
le fond du radier et s'y loqueter. Les chaînes de retenue
dont nous avons parlé contribuent, pour beaucoup, à
faciliter ce mouvement.
On a pu légitimement se préoccuper des dangers que
le gardien de l'écluse courrait , en allant et venant le
long d'un pont de service reposant sur une série de portes
qui, dans un certain moment, ne sont retenues, du côte
d'amont, que par un courant d'eau d'une très-faible
vitesse. Hâtons-nous donc de dire, qu'à mesure qu'une
porte d'aval est soulevée et arc-boutée à l'aide de sa
jambe-de-force, M. Thénard la fait lier par un long cro-
chet à la porte correspondante d'amont, ce qui donne au
système toute la stabilité désirable.
NAVIGATION. 583
Dans la description qu'on vient de lire, nous avons
d'abord supposé le barrage rabattu ; nous nous sommes
occupés ensuite des moyens de le relever ; il nous reste à
dire , en détail , comment on revient de cette seconde
position à la première.
Les portes d'aval , nous l'avons déjà expliqué , s'abat-
tent par l'aetion du courant, quand les arcs-boutants sont
relevés, ou même seulement quand leurs extrémités ne
correspondent plus aux étroites saillies en fer sui* les-
quelles ils butaient.
Voyons donc de quelle manière on peut donner à
rextrémité butante le mouvement latéral qui la portera
en dehors de la petite butée en fer.
Chaque arc-boulant est monté à charnière sur sa porte;
il peut ainsi être soulevé indéfiniment , et recevoir, de
plus, un léger mouvement giratoire latéral. Ce mouve-
ment giratoire, F éclusier le donne à l'aide d'une sorte de
crémaillère en fer, glissant sur le radier, un tant soit peu
en amont des pieds des arcs-boutants, et pouvant, par
l'intermédiaire d'une denture convenable, être manœu-
vrée du rivage. Les redans de la barre mobile que nous
avons appelée crémaillère , sont espacés de telle sorte ,
qu'ils ne dévient les extrémités des arcs-boutants, qu'ils
ne les font échapper aux saillies en fer, aux butées, que
les uns après les autres : les portes s'abattent donc suc-
cessivement.
Chaque porte d'amont est retenue au fond de l'eau à
l'aide d'un loquet à ressort fixé à sa partie inférieure et
s'accrochant à un mentonnet en fer, attaché invariable-
ment à une des longrines liées au radier. Le Jéloquelage
5Si NAVIGATION.
de ces portes s'effectue aussi par Tintermédiaire d'uov
barré de fer glissante, armée de redans et roanœuvrée
du rivage avec une manivelle et des roues dentées. Cette
barre, en comprimant les ressorts qui tiennent les loquets
en place, les décroche successivement, et chaque porte
soulevée à son tour par le courant va prendre la position
verticale.
Pour bien apprécier le mérite de Tinvention de M. Thé-
nard, il faut surtout savoir avec quelle rapidité s'exé-
cutent les manœuvres des deux séries de portes. Voici
ce que nous trouvons, à ce sujet, dans un rapport du mois
de juillet 1841, rédigé par MM. Mesnager, Thénard,
Vauthier et Kermaingant.
A Coly-Lemelette, sur la rivière Tlsle, le barrage a
48 mètres de long, et les portes d'aval 80 centimètres de
haut.
Eh bien , 16 secondes suffirent pour abattre les portes
d'aval, pour faire disparaître entièrement le barrage.
En 20 secondes les portes d'amont furent relevées.
Enfin, dans le court intervalle de 8 minutes, deux
hommes abaissèrent les portes d'aval, relevèrent les
portes d'amont après les avoir successivement déloque-
tées, redressèrent les portes d'aval, remirent tous les
arcs-boutants en place et recouchèrent les portes d'amont,
ce qui constitue la série entière des opérations.
Ici , le radier se trouvait à sec après le relèvement de^
portes d'amont, et les portes d'aval furent redressées à la
main par deux hommes qui , partis des deux rives oppo-
sées de la rivière, allaient à la rencontre l'un de l'autre,
en marchant sur la maçonnerie du radier. Cette expé-
NAVIGATION. Sa5
rience ne fait donc pas connaître ce que la manœuvre
complète destinée à relever le barrage peut exiger de
temps, lorsque Téclusier agit sur les portes d*aval avec
un petit treuil, transporté successivement en divers points
du pont de service. Les documents remis à la commis-
sion par M. Thénard, nous permettront de combler cette
lacune.
Le 9 juillet 1843, MM. Mesnager, Thénard, Spinasse,
Silvestre et Vergne, tous ingénieurs des ponts et chaus-
sées, constatèrent, au barrage mobile du Moulin- Neuf,
sur la rivière Tlsle, que les sept portes d'aval , de 1".7
de haut et de 1".2 de large, étaient abattues en une demi-
minute ; que le relèvement des sept portes d'amont n'exi-
geait pas plus de temps; qu'un homme armé du petit
treuil portatif et placé sur le pont de service, employait
H minutes à relever les sept portes d'aval et à établir les
arcs-boutants ; que le même homme, enfin, recouchait
et loque tait les sept portes d'amont en 8 minutes.
11 nous serait facile de trouver dans d'autres procès-
verbaux, des exemples de manœuvres encore plus rapides.
L'Académie aura sans doute remarqué que les parties
les plus délicates, dans le barrage mobile de M. Thénard,
que les charnières des portes, les loquets à ressorts, les
crémaillères glissantes, situées soit en amont, soit en
aval, fonctionnent au fond de l'eau. On peut donc craindre
que ces organes essentiels du nouveau barrage ne se cou-
vrent de vase, de gravier ; que souvent ils n'agissent diffi-
cilement, que même, dans certaines circonstances, on ne
réussisse pas à faire glisser les crémaillères destinées à
déloqueter les portes d*amont, et à pousser hors de leurs
à
586 NAVIGATION.
butées les extrémités des arcs-boulants des portes d'aval.
Cette difficulté nous a paru très-grave. M. Tbénord , à
qui nous T avons soumise, a répradu : '
Que les portes d'aval de son barrage De sont jamais
soulevées jusqu'à la verticale, qu'elles restent an peu in-
clinées, que les filets du courant qui vont les frapper se
relèvent le long des faces d'amont et entraînent avec eux
le sable et même le gravier ; que Texpérience a confirmé
cette explication ; que les chutes rapides de liquide qui
s'opèrent au moment où la cloison du barrage disparait
produisent des effets très - intenses ; qu'elles entraînent
Blême les grosses pierres, de telle sorte qu'il devient né-
x^essaire de garantir le radier, en amont et en aval, contre
les affouillements.
M. Thénard a d'ailleurs adapté à ses portes d'aval de
petites ventelles qui peuvent être manœuvrées à la main,
et à l'aide desquelles il fait chasse à volonté dans la direc-
tion même des coulisses des arcs^boutants et des butées
dont nous avons si souvent parlé.
L'Académie vient d'entendre, quant aux portes d'aval,
Je résmné des observations de l'auteur du Mémoire. Des
rapports que nous avons sous les yeux disent que les
sables, les graviers, les herbes, les branchages n'ont
jamais apporté d'obstacles sérieux à la manœuvre des
portes d'amont. En pareille matière, les faits doivent
évidemment tout primer; cependant, nous l'avouerons
sans détour, nous eussions désiré ti'ouver dans le barrage,
soit des dispositions mécaniques propres à empêcher le?
corps étrangers d'aller gêner l'action des principaux or-
ganes mobiles, soit des moyens directs et d*un effet non
NAVIGATION. 587
douteux d'enlever la vase, le sable, le gravier qui pour-
raient, dans certaines circonstances, envahir les char-
nières des portes, les loquets, les deux longues barres
glissantes armées de mentonnets , les glissoirs et les bu-
tées des jambes-de-force, enfin les engrenages. C'est ici ,
théoriquement du moins, le côté un peu faible du système ;
c'est la seule objection qui nous ait vraiment préoccupés.
Nous espérons qu'elle disparaîtra bientôt : nous en avons
pour garant l'esprit inventif de M. l'ingénieur Thénard.
Les barrages mobiles, essayés jusqu'ici, étaient plutôt
des expédients que des mécanismes proprement dits. Per-
sonne ne pouvait les considérer comme des solutions
définitives d'un des plus importants problèmes de la na-
vigation fluviale. Il serait donc superflu de les comparer
à l'invention de M. Thénard. Qui n'a d'ailleurs remar-
qué , par exemple , que les portes pleines du nouveau
système procurent une retenue des eaux presque par-
faite, tandis que la fermeture à l'aide d'aiguilles juxta-
posées, adoptée jadis dans certaines écluses et appliquée
plus en grand depuis quelques années, laisse filtrer d'im-
menses quantités de liquide; qui n'a songé encore, qu'en
cas de crue subite, les portes de M. Thénard peuvent être
abattues en peu de secondes, de jour comme de nuit,
sans que l'éclusier coure aucun risque, tandis que l'en-
lèvement des aiguilles juxta-posées serait, dans certaines
circonstances, une opération des plus dangereuses, et ne
saurait vraiment être exécutée avec sûreté que par d'ha-
biles et vigoureux acrobates.
Les chemins de fer ont déjà considérablement réduit,
en Angleterre, le cabotage, les transports par les canaux
5S8 NAVIGATION.
et la navigation par les rivières. Pareille chose arrivera
probablement en France. Il semble donc que Tinventiofl
de M. Tbénard vienne trop tard, qu^elle ne puisse avoir
aujourd'hui qu'un intérêt médiocre.
Cette opinion serait très-controversable, même au point
de vue strict de la navigation fluviale ; mais ne faut-il
pas considérer que les barrages rendraient les irrigatioDs
faciles dans d'immenses étendues du territoire aujour-
d'hui privées de ce bienfait? Doit-on oublier qu'à l'aide
d'irrigations convenablement dirigées il serait possible,
presque partout, de doubler, de tripler les récolles; que
les produits agricoles sont les éléments les plus précieux,
les plus constants, les plus assurés de la richesse na-
tionale?
L'exhaussement graduel du lit des rivières est une des
calamités contre lesquelles les hommes ont vainement
lutté jusqu'ici. Procéder par curage manuel , ce serait se
jeter dans des dépenses sans terme. Les barrages mobiles
sont un moyen d'opérer de fortes chasses, de les renou-
veler tant qu'on veut, de choisir les époques les plus fa-
vorables, et nous appelons ainsi les saisons , les mois , les
semaines où les eaux sont limpides ; ils paraissent donc
appelés à jouer un rôle important dans la grande opéra-
tion dont les affreuses inondations du Rhône et de la
Saône n'ont que trop bien montré la nécessité et l'ur-
gence.
La commission peut donc présenter à l'Académie les
conclusions suivantes qui paraissent suffisamment mo-
tivées.
Le barrage mobile imaginé par M. Thénard offre,
NAVIGATION. 580
comme nous l'avons expliqué, des combinaisons nou-
velles très -ingénieuses. 11 a d'ailleurs fonctionné avec
succès, pendant plusieurs années, sur divers points de
la rivière Tlsle. La commission n'hésite donc pas à pro-
poser à l'Académie de lui accorder son approbation.
11 nous paraît bien désirable que M. l'ingénieur Thé-
nard soit mis en position d'essayer son système sur un de
nos cours d'eau les plus larges. Ce vœu peut être justifié
en quelques mots :
Les barrages de l'isle ont laissé plusieurs questions
indécises.
Personne, par exemple, ne connaît aujourd'hui la lon-
gueur maximum qu'il serait permis de donner aux cré-
maillères glissantes destinées à agir sur les portes d'amont
et d'aval ; personne n'oserait affirmer catégoriquement
que les plus vastes barrages pourraient , comme le croit
l'auteur du Mémoire, être partagés en intervalles de
40 à 50 mètres, séparés par des piles fixes en maçon-
nerie, et présentant chacune un mécanisme indépendant ;
personne ne sait à quelle limite on devra fixer la plus
grande hauteur des portes, et, par conséquent, des rete-
nues, soit à raison des facilités de la manœuvre, soit afin
d'éviter des chocs destructeurs au moment où les portes
arrivent au terme de leurs mouvements; personne ne
saurait dire d'avance quels seront les eiïets, sur tant de
pièces submergées, des actions calorifiques, encore assez
mal définies, qui donnent lieu dans les rivières à la pro-
duction des glaces de fond, etc., etc.
M. Thénard, mieux que tout autre ingénieur, pourra
dissiper ces doutes. Si de nouvelles expériences autori-
590 NAVIGATION,
saieiit à généraliser ce qjui a si bien réussi sur Tlsle,
d'immenses volumes d*eau que les nuages versent en
toute saison sur les croupes dénudées des montagnes
n'iraient pas, comme aujourd'hui, se réunir aux flots de
la mer sans avoir dans leur course rien produit d*utile;
le commerçant verrait ses marchandises circuler régu-
lièrement jusqu'au centre du royaume; des chômages
périodiques n'entraveraient plus ses opérations; le ma-
nufacturier trouverait dans des milliers de cascades arti-
ficielles une force motrice puissante et économique; Fagri-
culteur, celui du midi surtout, serait à jamais soustrait
aux influences mineuses des sécheresses; ses récoltes
deviendraient plus abondantes, et, ce qui doit figurer
peut-être en première ligne , elles varieraient beaucoup
inoins d'une année à l'autre, quelles que fussent d'ail-
leurs les perturi)ations udométriques que le cours des
mêmes saisons présente dans nos climats.
Avec une â brillante perspective devant les yeux, l'ad-
ministration publique serait inexcusable, si elle ne se
livrait point à des essais, même aventureux. Or, tel n'est
pas, tant s'en faut, le caractère de l'expérience que la
commission appelle de tous ses vœux. On peut conjec-
turer, en effet, avec une grande probabilité, qu'è Taide
de quelques modifications, les barrages éprouvés avanta-
geusement en divers points du cours de l'isle, réussira icîit
également sur nos plus grandes rivières.
NAVIGATION. 691
VI
amiSlioration du port du hayre
[ A Toccasion de la discussion d'un projet de loi sur Taméliora-
tion des ports, M. Arago prit la parole en ces termes, dans la séance
du 10 juin 18M, sur les divers travaux à exécuter au port du
Havre.]
Le commercer pris dans la ville du Havre un déve-
loppenient tellement considérable qu'il est nécessaire de
pourvoir à ses nouveaux besoins. Le gouvemenient vous
propose d'étendre les bassins , d'améliorer l'entrée du
port. Tout cela paraît très-légitime.
La nécessité d'une extension du port n'est contestée
par personne. Il s'agit de savoir si la solution qu'on
présente est bonne et surtout si elle est la meilleure
possible.
J'ai examiné la question avec toute Pattention dont je
suis capable; je suis très-disposé à accorder une allo-
cation même très-considérable pour le port du Havre;
mais j'avoue que, après les réflexions les plus sérieuses,
après Texaraen le plus attentif, je n'ai pas trouvé que
les travaux qu'on nous propose aient été choisis avec tout
le disc^nement désirable. Je vais soumettre mes doutes
à l'administration et à la Chambre.
Lorsque le projet d'améliorer l'embouchure de la Seine
fut mis à l'ordre du jour, il sui'git à l'instant douze à
quinze propositions dilTérentes : parmi ces propositions,
trois devaient surtout exciter l'attention ; elles éma-
liaient d'un ingénieur distingué, de l'ingénieur en chef
du Havre.
592 NAVIGATION.
Ces trois propositions supposaient toutes rexécution
d'une entrée nouvelle à faire au port du Havre. L'une
de ces entrées, celle du premier projet, devait être pra-
tiquée en Seine. Les entrées, parties essentielles des deux
autres projets, auraient eu lieu au nord de la ville, c'est-
à-dire en mer. Il paraissait donc qu'une nouvelle entrée
était regardée par les ingénieurs comme une chose indis-
pensable. Il n'en est nullement question dans le projet
du gouvernement. On se borne à demander l'améliora-
tion, l'élargissement et l'approfondissement de la passe
actuelle.
Qu'a-t-on conservé du projet qui paraissait avoir la
prédilection particulière de l'ingénieur? Tout, moins l'en-
trée en Seine. Avec cette entrée, le projet était très-
défendable. Sa suppression soulève les plus graves dif-
ficultés.
Quand il s'agit de l'amélioration d'un port de mer,
il faut évidemment s'éloigner de la mer le moins pos-
sible.
Les bassins proposés seront dans le projet modifié par
le gouvernement, à une distance considérable de la passe.
C'est là, suivant moi, une objection capitale.
Je désire sincèrement que la discussion la fasse dis-
paraître.
Dans les ports maritimes anglais, dans ceux où la
navigation est la plus active et la plus facile, comment
les bassins sont-ils disposés relativement à la rade ou à
Tavant-port? Ils sont disposés de manière qu'ils ne se
commandent pas réciproquement; un navire venant de
la mer n'est pas obligé de passer dans un bassin pour
NAVIGATION. 593
arriver dans un autre ; eh bien, Messieurs, dans le sys-
tème qui vous est proposé, les bassins se commanderont
respectivement. Pour arriver aux docks, certains navires
seront obligés de traverser plusieurs écluses et de par-
courir un espace d'une demi-lieue, tirés à la cordelle.
Un pareil défaut n'existe pas. dans les bassins de Liver-
pool.
Toute combinaison qui aurait eu pour résultat de faire
jouir plus ou inoins complètement le port du Havre d'un
semblable avantage, aurait dû obtenir la préférence de
l'administration.
Je reconnais que tout projet tendant à l'amélioration
de l'entrée actuelle est une excellente chose, car cette
entrée est trop étroite, cette entrée s'envase facilement,
elle n'a pas une profondeur suffisante. Sous tous ces rap-
ports, il faut adopter les propositions du gouvernement ;
mais ce qu'il y a de regrettable, c'est qu'on ne réserve
pas suffisamment ce qui est relatif au creusement d'une
seconde entrée, c'est qu'on vous demande, pour améliorer
l'entrée actuelle des sommes assez considérables, tout en
déclarant que les procédés que l'on veut mettre en pra-
tique ne réussiront pas.
Lisez le rapport, vous y verrez que l'on ne compte
pas beaucoup sur la réussite des chasses, qu'on n'es-
père pas d'obtenir un approfondissement suffisant, un
approfondissement nécessaire aux navires d'un fort ton-
nage.
On croit au Havre et sur un grand nombre de bancs
de la Chambre, que l'exécution des travaux proposés
amènera inévitablement la création d'une entrée en
V. — II. 38
594 NATIGATION.
rivière. On ne saurait assez s'élever contre ce projet f
il est en opposition manifeste avec l'opinion éclairée,
consciencieuse, de longue date, des personnes les plus
compétentes de notre pays. Consultez, sur ce point,
M. Beautemps-Beaupré, consultez M. Tamiral BaucBu,
ê
qui, à ses grandes et hautes connaissances, joint Favan-
tage d'avoir résidé longtemps au Havre ; ils vous diront
Itm et r autre que le creusement de rentrée en rivière,
cfe cette entrée que semble devoir amener inévitablement
le projet qu'on vous propose , serait une opération fâ-
cheuse. On n'ouvre pas une porte qui peut se fermer
spontanément du jour au lendemain.
Toici ce qui résulte des belles opérations de M. Beau-
temps-Beaupré. M. le rapporteur, avec sa bonne foi
ordmaîre, n'a pas manqué d'en faire mention.
M. Beautemps-Beaupré a levé, en {83A., la carte
hydrographique détaillée de Tembouchure de la Seine.
Il a tracé le contour exact de ce qu'on appelle le banc
des Neiges, en face des terrains de l'Heure.
En 1841, cette opération a été répétée par un ingé-
nieur hydrographe très-habile, M. de Givry. Eh bien,
Messieurs, le plan de 1834 et le plan de 1841 ne se
ressemblent nullement. Le banc des Neiges a été entiè-
rement modifié; il a changé d'étendue, de forme, de
place. Faites une entrée dans celte région , les travaux
coûteront des mîlHons ; ils seront absolument sans utilité.
Presque tout le monde prévoit que tôt ou tard il
faudra faire, au nord, en mer, une deuxième entrée du
port du Havre. Toyons si le projet actuel ne compromet
pas l'avenir.
NAVIGATION. 895
Dans le projet des fortifications qu'on vous présente
pour ce port important, il est question d'établir le genre
de redoute, qu'on appelle une lunette, d^ns rempla-
cement désigné au Havre sous le nom de mare des
Huguenots. C'est précisément là que devrait se pratiquer
la nouvelle entrée du port ; c'est là qu'elle se pratiquera
nécessairement le jour où elle sera devenue indispensable.
Songez-y bien, Messieurs, le projet envisagé dans son
ensemble, envisagé surtout d'après les dispositions pré-»
sentées par M. le ministre de la guerre, compromet gra-
vement, complètement, Tavenir du Havre.
On s'est préoccupé, dans le rapport de la commission,
d'une difficulté qui a son importance, qui devait surtout
frapper notre honorable collègue, M. d'Angeville, en sa
qualité d'ancien officier de marine.
Les marées, au Havre, jouissent d'une propriété trè&*
remarquable. Le plein s'y maintient à une hauteur con-
stante, non pas mathématiquement bien entendu, mais
sans changement considérable, pendant un temps assez
long, pendant deux heures environ.
Il résulte de là que les navires ont cte la marge pour
entrer ou sortir.
Le port du Havre jouit d'une grande tenue ^ c'est là
Fexpression technique. Cette tenue est une propriété pré-
cieuse qu'il est nécessaire de conserver, à laquelle on ne
doit porter atteinte à aucun prix.
M. d'Angeville, à cet égard, est parfaitement dans le
vrai; mais, je lui en dems^de pardon, j'ai aperça dans
son rapport de petites erreurs ; il me permettra de les lui
signaler.
596 NAVIGATION.
II est dit dans le rapport, d'ailleurs si lucide et si bien
fait de M. d'Angeville, que le port du Havre jouit d'une
propriété unique I Ce serait par un bien grand hasard ,
il faut en convenir, que Tembouchure de la Seine, au
milieu des formes si variées que les marées présentent
dans toutes les régions du globe, jouirait d^une propriété
unique.
M. d'Angeville ajoute que cette propriété est inexpli-
quable. Cest encore là une assertion hasardée.
Sur ce dernier point, M. d'Angeville n*a rien à se
reprocher, attendu que Texplication véritable du phéno-
mène n'a pas été rendue publique ; elle appartient à un
des ingénieurs hydrographes qui , grftce à la libéralité
des chambres, peuvent étudier avec suite, avec persis-
tance, avec succès, les phénomènes si complexes des
marées.
Venons à la question de fait.
Le port du Havre , conune le dit le rapport ^ est-il le
seul point du monde qui jouisse d'une bonne tenue?
Je n'aurais pas besoin de m'éloigner beaucoup du
Havre pour trouver la réponse; je passerai sur l'autre
rive ; là , sur la plage de Merville , à quelque^ distance de
l'embouchure de l'Orne, je rencontrerai une tenue nota-
blement supérieure à celle du Havre.
M. d'Angeville, rapporteur. Voulez-vous me permettre? Je tiens
là le Pilote français^ de M. Beautemps-Beaupré, et j'y Ils, page 115:
« Le port du Havre a, sur tous les autres ports de la Manche, la
propriété extrêmement avantageuse que la haute mer y reste étale
pendant un intervalle de temps dont la durée moyenne est de cin-
quante-sept minutes. Le maximum de cette durée a été observé
d'une heure quinze minutes et le minimum de vingt à vingt-cinq
minutes. En général» dans les mois de mai , juin et juillet, la durée
NAVIGATION. 697
(le la mer étale est, sauf quelques exceptions, au-dessous de la
moyenne, et, dans le reste de Tannée, elle est presque toujours
d'une heure et plus. »
Vous voyez que M. Beautemps-Beaupré reconnaît lui-même que,
de tous les ports de la Manche, le Havre est celui qui a la plus
grande tenue*
M. Arago. C'est d'un port et non pas d'une partie de
la côte que parle M. Beautemps-Beaupré.
M. DE ScHAUENBURG. Saus douto , il s^aglt d^un port
M. Arago. J'en demande bien pardon à M. Schauen-
burg; mais il importe peu que la tenue dont je veux
argumenter ait été observée dans un port ou sur une
plage. Il s'agit de savoir si la propriété citée appartient
exclusivement au port du Havre ; si , comme on l'ima-
gine, elle est le résultat du conflit de l'eau de la Seine
descendant et de l'eau de la mer montante ; si c'est un
phénomène qui puisse être modifié ou détruit par des
travaux. L'examen de cette question est d'un grand inté-
rêt ; car c'est sur l'idée que la propriété du port du Havre
pourrait être modifiée par de certains travaux que repo-
sent les scrupules de M. le rapporteur.
Je reviens donc à mon thème, et je dis qu'il n'est pas
exact de prétendre que le port du Havre jouisse d'une
propriété unique; je dis qu'on la retrouve dans des points
voisins et à un plus haut degré.
Si l'on sait si peu de chose en pareille matière, c'est
qu'on s'est ordbiairement contenté d'observer la plus
grande et la moindre hauteur des eaux ; c'est qu'on a
rarement cherché les lois qui président à leur augmen-
tation et à leur diminution.
Au Havre , la tenue surpasse la tenue moyenne gêné-
598 NAVIGATION.
raie des ports» conveDablement eavisagée, de 49 minutes.
A Merville , ifl y a une tenue supérieure à cette même
tenue moyenne des ports de 67 minutes. Le phénomène
H^est dcmc pas aussi kn^I (pi'on ie supposait , on phéno-
mène que les travaux des hommes puissent modifier. Une
dîfiicuHé qu'on présentait contre fouverture <rune nou-
velle entrée disparaît en présence des faits.
Vous dites que Merville n'est pas un port ; je vais vous
citer un port véritable, un port qui est en face du Havre,
et dans lequel la tenue , envisagée convenablement , est
plus considérable qu'au Havre» c'est le port de South-
ampton, en Aogleterre. Je me contente d'une affirma-
tion , je citerai les chiffres si on les demande.
Il y a donc au Havre» non pas vm phénomène excep-
tionnel sous la dépendance de l'ouverture de telle passe,
du creusement de tel bassin » mais un {Aénomène général.
L'ingénieuse théorie que M. Chazallon en a donnée, ne
laisse aucun doute à cet égard.
Le bassin proposé pour les paquebots transatiairiiques
prêterait aussi à des critiques sérieuses. La navigatm
transatlantique n'a-t-elle pas» d'ailleurs, été abandonnée?
on l'a déclaré à cette tribune.
Vous savez avec quelle rigueur la loi sur les servitudes
militaires est exécutée. Vous savez que le rayon de ces
servitudes est très^tendu, qu'il est partout invariable-
ment maintenu pour la défense du pays. Au Havre le
principe a fléchi. Dans quelles localitfés? Dans les loca-
lités même où » tôt ou tard , on sera inévitablement obligé
de creuser une nouvelle entrée du port ; dans des localités
qui vont se couvrir d'habitations ; le jour» peut-être peu
NAVIGATION. 599
éloigné^ où vous vous occuperez de nouveau du port du
Havre, vous serez forcés d'imposer au pays des dépenses
énormes; il faudra exproprier des terrains aujoui'd'bui
DUS et qui alors seront couverts de maisons.
Les travaux actuels ont le double inconvénient de
n'être pas urgents et de compromettre Tavenir. Je disais
tout à rUeure qu'il fallait accorder beaucoup au Havre,
Quels sont donc les travaux qui paraîtraient plus eifi-
caces? qui seraient réclamés par des besoins moins con-
testables? Ma réponse est toute prête.
Je citerai une jetée que tout le monde réclame et contre
laquelle j'ai été étonné de voir le rapport se prononcer
d'une manière explicite : la jetée à construire sur le banc
de l'Éclat.
Un port qui n'a pas une rade sûre est presque sans
valeur; un port à l'entrée duquel les navires ne peuvent
pas mouiller en toute sûreté, est un port qui manque de
ses qualités les plus précieuses.
Vous pouvez procurer ces avantages au Havre, sans
une dépense considérable relativement au but ; vous pou-
vez y créer une rade extrêmement précieuse en jetant
une digue, ce qu'on appelle un brise-lame, sur l'Éclat.
Consultez tous les marins-, ils vous dir(mt qu'en deçà du
banc de l'Éclat le fond de la mer est excellent, qu'on y
peut mouiller avec sécurité , à moins que la mer ne soit
très-houleuse.
M. BiBRisiu Quelle est la place de oe banc!
M. Arago. En face du cap de la Bèfve.
La proposition que je fais d'établir un brise-lame, une
jetée sur le banc de l'Éclat, rappelle naturellement les
600 NAVIGATION.
travaux si dispendieux exécutés en rade de Cherbourg;
mais, Messieurs, remarquez qu'à Cherbourg on a com-
mencé par des profondeurs de 15 à 17 mètres ; remar-
quez que les parties du banc de T Éclat qui ne se décou-
vrent pas dans les grandes marées , ne restent couvertes
que de 1 à 2 mètres d'eau ; que par conséquent la con-
struction de la jetée serait très-peu dispendieuse, relati-
vement aux travaux que la jetée de Cherbourg a déjà
occasionnés.
Ici, Messieurs, je suis obligé d'indiquer un projet
de M. le ministre de la guerre qui est antinautique au
dernier degré. Le banc de F Éclat, en supposant même
qu'on ne voulût pas y faire un brise-lame, une jetée, le
banc de l'Éclat devrait être, dans l'opinion de tous les
hommes de l'art, de tous les marins, la base où s'élève-
rait un fort à casemates et à plusieurs étages de canons,
destiné à défendre la rade du Havre, à éloigner d'une
manière absolue les dangers que la ville pourrait courir
en cas de guerre.
Vous croyez peut-être que c'est le banc de l'Éclat qu'on
a choisi? Pas du tout; c'est le haut de la rade , c'est-à-
dire un banc considéré comme un écueil dangereux , et
qu'on peut quelquefois difficilement éviter en se dirigeant
vers l'entrée du port. Au lieu d'un travail qui améliorerait
la rade , on en projette un qui la rendrait dangereuse.
Messieurs, on est peiné, lorsqu'en réfléchissant aux
travaux considérables que l'on veut exécuter dans le port
du Havre, travaux qui ne me paraissent pas considéra-
bles quant au but que l'on se propose , car je voudrais
donner la même sonune pour des travaux mieux enten-
NAVIGATION. 604
dus; on est peiné, dis-je, de voir que T administration ne
s'est pas occupée de la navigation de la basse Seine. Il y
a là cependant une question capitale, une question d'un
intérêt immense.
Si la navigation de la basse Seine est extrêmement
difficile, c'est que dans certains parages les passes que
laissent les bancs changent de place ; c'est que les che-
mins de halage sont dans un état déplorable.
Ces chemins sont endommagés par une cause particu-
lière qu'on appelle la barre dans la Seine , le pororaca
dans le fleuve des Amazones, et le mascaret dans la Dor-
dogne. Ce phénomène consiste en une sorte de muraille
liquide qui se précipite sur les rives et y produit de grands
dégâts.
C'est légèrement, suivant moi, que l'on a admis que
les forces humaines sont impuissantes contre la barre;
voici sur quoi je me fonde.
Un ouvrage de Brémontier renferme ce fait curieux :
« En 1760, le mascaret régnait dans la Garonne; il
remontait trois lieues plus haut que Bordeaux. Ce bruit
sourd et effrayant , que les marins connaissent si bien ,
s'y faisait sentir ; aujourd'hui , il n'y a plus de mascaret
dans la Garonne. Pourquoi a-t-il disparu? Par suite des
atterrissements tellement peu considérables qu'on ne sau-
rait pas dire avec certitude : la cause de la disparition
est là. •
En présence de ce fait, on peut affirmer qu'avec des
travaux bien entendus , on fera disparaître aussi de la
Seine la cause incessante de dommage que j'ai citée.
Si on me faisait cette réponse : Il n'y a pas de projet
602 NAVIGATION.
préparé pour cela , je répondrais : Ce travail existe, il a
fixé rattenUon du directeur des ponts et cfaausBées; il est
de M. Bleschamp. Je ne Tai vu qu^en manoacrit; il m'a
été communiqué par M. le président de la chambre de
commerce de Rouen. Je n'ai rien lu ou les phénoinëoes
produits par la barre soient décrits avec plus de netteté,
de précision , de savoir , d'intelligi^Ge. IL Blescfaamp
indique des travaux qui déjà s'étaient offerts à la p«isée
d'un autre ingénieur célèbre, pour anéantir la barre :
lout fait e^rer le succès.
La quedicm de la navigation de la basse Sàat ae lie
intimement aux intérêts de notre force maritiaie. Le
cabotage sera détruit en France ou da moins OQOsidénh
blement réduit par les chemins de fer. Déjà cette influence
se fait sentir tristement en Angleterre. Le cabotage n'y
existe presque plus que de nom. Les caboteurs britan-
niques, les charbonniers surtout, naviguent aujourd'hui
à des prix qui annoncent une agonie. Voici i'état où ils
ont réduit le cabotage français à Rouen :
En 1838 , il y avait 275 navires français qui portèrent
du charbon de terre d'Angleterre à Rouen ; 246 navires
anglais leur faisaient alors concurrence. Le nombre des
navires français était supérieur de 29 à celui des navires
anglais.
Quel est l'état des choses en iSftâ? Ce résultat vous
frappera de surprise. Vous sentirez qu'il y a urgence à
faire quelque chose pour notre navigation.
En 184â, au lieu de 275 navires français, il y ra a
eu 2 , pas davantage. En 18&ft , au iieu de Sik6 navires
anglais., il en est arrivé à fioura 72&
NAVIGATION. 603
Voilà donc une branche de notre navigation entière-
ment perdue !
Les Anglais peuvent se résigner à perdre leur cabo-
tage , cette pépinière de notre marine ; ne sont-ils pas en
possession d'une navigation commerciale immense? Chez
nous, la perte du cabotage serait fatale, notre marine
s'en ressentirait profondément.
Voyez combien il y a d'individus inscrits sur les
contrôles de la marine dans la très-petite circonscription
de Rouen. Il y en a 2,000. Le jour où Rouen ne sera
plus fréquenté par les caboteurs , et cela arrivera bientôt
si la navigation de la basse Seine conserve toutes ses dif-
ficultés, vous pouvez être certains que ces 2,000 indivi-
dus inscrits se jetteront dans les filatures ou toutes autres
industries; vous aurez perdu ainsi une partie notable et
intéressante de votre population maritime.
M. DE VATRr. C'est déjà arrivé.
M. Arago. On vient de faire le calcul de ce que coû-
tera le transport d'un tonneau de marchandises par les
chemins de fer de Marseille à Paris. Ce transport , dans
rétat actuel des choses , est inférieur au transport par les
bâtiments caboteurs qui , partant de Marseille , venaient
jusqu'à Rouen.
Améliorez la navigation de la Seine, faites en sorte
qu'un navire n'emploie pas cinq, six jours, et même
quelquefois davantage, pour se rendre du Havre à Rouen,
et cette inégalité , qui est maintenant en faveur des che-
mins de fer, sera en faveur de la navigation côtière, en
faveur du cabotage.
Je crois qu'il eût été bon , surtout lorsqu'on votait des
604 NAVIGATION.
sommes aussi considérables, lorsqu'on votait tant de
millions pour Marseille, pour Bordeaux, pour le Havre,
de s'occuper un peu de Rouen et de cette population
maritime qui nous échappera, et de T amélioration de
notre cabotage, dont la perte frappera au cœur notre
inscription maritime.
Je termine par ce peu de mots : Si le gouvernement
ne s'occupe pas d'améliorer la navigation de la basse
Seine, ce qui n'est ni au-dessus des forces du pays, ni
au-dessus des forces de l'art, notre cabotage, je le
répète , sera perdu , l'inscription maritime diminuera dans
une telle proportion que l'on n'y trouvera même plus
un personnel suffisant pour armer nos navires à vapeur;
et dans peu de temps, si on n'y prend garde, ces magni-
fiques quais de Rouen , que tout le monde admire , seront
des prairies. Napoléon disait : t Paris, Rouen , le Havre
sont trois quartiers d'une grande ville, dont la Seine est
la grande rue. » Cette grande rue mérite d'être prise en
très-grande considération ; il faut l'améliorer , il faut l'en-
tretenir dans l'intérêt de la navigation et du cabotage. Il
me semble que la justice doit être facile, lorsqu'elle
s'allie si bien avec les intérêts d'une grande ville, d'une
ville qui s'appelle Rouen, et avec les intérêts du pays.
( Très-bien ! très-bien ! )
[Après une réponse de M. le ministre des travaux publics, M. Ara^
a ajouté les explications suivantes : ]
Je demande la permission à la Chambre de faire quel-
ques observations de ma place.
M, le ministre des travaux publics s'est mépris (je
m'étais sans doute mal expliqué à la tribune) lorsqu'il a
NAVIGATION. 605
cru que j'avais personnellement un projet tout préparé.
J'ai prétendu seulement que les différents travaux qui
pouvaient se faire autour du Havre, pour l'amélioration
de la rade et du port, ne nous sont pas proposés dans
l'ordre de leur urgence. J'ai dit de plus que les travaux
actuels compromettront les travaux futm's dont on a
reconnu la nécessité. J'ai soutenu cette thèse surtout en
vue d'une annotation écrite en marge de mon exemplaire
du rapport de M. d'Angeville., et qui émane d'une per-
sonne dont la compétence ne saurait être contestée. Elle
est conçue en ces termes : « Tenez pour certain que d'ici
à une époque peu éloignée, on sera obligé de faire une
entrée nouvelle du côté du nord. »
Les travaux qu'on nous propose compromettront un
jour les finances du pays et la prospérité du Havre.
Tel est le point de vue où je me suis placé.
Dans l'ordre des travaux utiles et urgents, il en est un
qui ne figure pas dans le projet, et qui devait marcher
en première ligne : c'est l'agrandissement de l'avant-
port.
11 y a dans l' avant-port, à droite en entrant, un ter-
rain qui appartient à l'État, à l'aide duquel il serait pos-
sible d'augmenter (je ne l'ai mesuré que de l'œil) l'éten-
due de l'avant-port d'à peu près 1/5% Où l'inconvénient
se manifeste-t-il dans la navigation du Havre? C'est
d'abord dans l'avant-port; lorsque les caboteurs ne peu-
vent pas entrer en Seine, lorsqu'ils sont menacés par la
tempête, lorsque par l'absence de brise-lame ils sont
obligés de chercher un refuge, ils le cherchent dans
l'avant-port; ils s'y accumulent, ils s'y entre-choquent.
«06 NAVIGATION.
Pourquoi ne pas utiliser le terrain dont je parle et qui
appartient à TÉtatî
M. le ministre des travaux publics a affirmé que l'en-
trée future par le nord rfétait pas compromise. 11 nous
a dit que dans le projet de fortification présenté par
M. le ministre de la guerre , il n'y avait rî«i de proposé
dans la division où pourra être creusée cette entrée da
nord, que tous les hommes compétents regardent comme
devant être inévitablement creusée un jour. Mais M. le
ministre des travaux publics me permettra de lui faire
remarquer que ce projet est précédé d*un exposé des
motifs, et que dans cet exposé des motifs il est question
de construire une lunette dans ce qu'on appelle la Mare
des Huguenots , c'est-à-dîre dans ce qui doit être la nou-
velle entrée du Havre.
M. le maire du Havre est venu ce matin parler à M. le
ministre des travaux publics , et lui a dit qu'on adhérait
unanimement au projet. Veut-il que je Itii dî^ le secret
de cette adhésion? Cest qu'on cfaint que si un amende-
ment était proposé , la Chambre ne rejetât le tout.
M. LE HnnsTHE. Ce n^est pas cela t
M. Arago. Et le brise-lame, vous n'en parlez pas,
monsieur le ministre , vous n'en dites rien. Renoncez-
vous à répondre sur ce point ; n'est-ce pas là ma princi-
pale difficulté?
M. le ministre a assuré que la nouvelle entrée que je
ne propose pas maintenant , mais que je regarde comme
une nécessité future, devrait exiger des bassins de chasse.
Il n'en est rien. Cette portion de la rade jouit de pro-
priétés très-précieuses. Le plan de M. de Gaule, fait en
NAVIGATION. 607
Î787, ressemble parfaitement à celui dressé par les ingé-
nieurs hydrographes en 1834. La rade est parcourue par
des courants qui la maintiennent dans un état perma-
nent; vous n'avez rien à craindre de ce côté, et je vou-
drais pouvoir en dire autant de la passe actuelle.
Mon système, vous le voyez, est bien simple. Il con-
siste à dire que les projets ne sont pas proposés dans
Tordre de leur utilité, de leur urgence; je dis qu'ils ne
seront pas les plus immédiatement utiles : j'insiste sur
Félargissement de l'avant-port , il ne se fait pas, et je ne
m'explique pas pourquoi il n'est pas proposé. On en
donne une raison à laquelle je ne puis ajouter foi ; je ne
croirai jamais que ce soit pour ne pas démolir aux yeux
de la population un mur de quai très -peu ancien. Ce
serait une futilité , car personne n'avait pu prévoir que
le commerce du Havre prendrait un développement si
énorme.
[M. d'Angevllle, rapporteur de la commission, ayant soutenu que
la construction d'un brise-lame altérerait la tenue de la mer an
Havre, M. Arago a ajouté les explicatipns suivantes : ]
Je ne peux pas laisser passer sans y répondre les cri-
tiques de M. d'Angevillc. Mes assertions reposent sur
des chiffres catégoriques. J'ai dit dans quelles localités la
t^nue était plus considérable qu'au Havre, dans quel
rapport elle était plus considérable. J'ai cité Tauteur du
travail qui a démontré les faits que j'ai avancés, M. Cha-
zallon. Je ne saurais donc concevoir comment la citation
de quelque ouvrage que ce puisse être infirmerait mes
affirmations.
Malgré tout mon désir d'évitertme discussion technique,
608 NAVIGATION.
il faut bien que, pour effacer Timpression qu^ont pu pro-
duire les paroles de M. d'Ange ville, je dise à quoi tient la
tenue ; je serai court.
Peu de personnes se font une idée exacte des marées.
La marée est une onde qui vient du large et qui se pro-
page avec une certaine rapidité; mais cette onde est
complexe. La théorie et l'expérience ont montré que
Tonde générale qui produit la marée observée, est la
résultante de plusieurs ondes distinctes qui tantôt s'ajou-
tent et tantôt produisent l'action inverse* La principale
de ces ondes produit son évolution entière en un demi-
jour lunaire ; une autre onde se développe dans un quart
de jour, une troisième « beaucoup plus petite, dans un
sixième de jour, etc.
Dans toute masse liquide, les ondes s'ajoutent ou se
soustraient, comme les chiffres dans l'addition et la
soustraction. Si les parties saillantes de deux ondes se
correspondent, l'onde totale est très-élevée; quand la par-
tie basse d'une onde correspond à la partie haute d'une
autre , il en résulte une dénivellation qui est égale à la
différence de leurs hauteurs. Eh bien , il arrive au Havre
que l'onde qui se développe dans un quart de jour est
basse quand l'onde du demi-jour est h son maximum de
hauteur. L'onde qu'on y observe est donc moins élevée
que dans les localités où les parties saillantes des deux
ondes se superposent : la partie creuse de l'onde d'un
quart de jour affaisse d'autant l'onde d'un demi-jour.
L'onde d'un quart de jour se développant avec rapi-
dité, quoiqu'elle soit moins considérable que l'onde d'un
demi-jour, elle contre-balance pendant quelque temps,
NAVIGATION. 609
dans son mouvement ascendant , le mouvement contraire
plus lent de Tonde d'un demi-jour.
Voilà l'explication réelle de la tenue de la mer au
Havre.
Les travaux que vous pouvez exécuter en rade n'exer-
ceraient une influence sensible sur le phénomène, que
s'ils changeaient notablement les temps des arrivées -des
deux ondes. Ne nous occupons donc pas des diflicultés
sur lesquelles se fondait M. d'Angeville; les travaux que
vous exécuteriez au large du Havre n'altéreraient en
aucune manière les propriétés précieuses que possède ce
port , et qui , je le répète , ne lui appartiennent pas exclu-
sivement.
Quand vous aurez un brise-lame, la rade sera cou-
verte de navires. Rendez l'accès du Havre facile, aisé,
la rade sûre, les autres améliorations viendront à leur
tour.
M. LE SOUS-SECRÉTAIRE d'ÉTAT DES TRAVAUX PUBLICS. Si Ton COïl-
struisait le briso-Iame sans agrandir et approfondir l'entrée, les bâ-
timents n'en resteraient pas moins en rade: seulement ils y seraient
plus en sûreté ; mais ils ne pourraient pas entrer dans le port.
Si, au contraire, vous élargissez et approfondissez le chenal, les
bâtiments en seront pas obligés de rester dans la rade. C'est surtout
au point de vue militaire que l'établissement d'une rade serait tr<>s-
utile : c'est aussi, comme je l'ai dit, au point de vue des intérêts
commerciaux de Rouen et de Honfleur; mais nous n'avions pas,
nous, département des travaux publics, à nous préoccuper des
intérêts militaires, et nous ne nous occupons pas en ce moment des
ports de Rouen et de Honfleur.
M. Arago. 11 y a beaucoup de navires qui entrent au
Havre pour se réfugier, et qui n'auraient pas besoin
d'y entrer s'ils trouvaient un refuge derrière un brise-
laino ; s'ils trouvaient un abri derrière la ligne tronçonnée
V. — II. 39
6fO NAVIGATION.
dont on parlait tout à Theure. Mais songez à Tavcnir,
à la nécessité de défendre le Havre ; songez à la néces-
sité de créer sur l'Éclat une forteresse formidable avec
des casemates, avec plusieurs étages de canons. Alors,
mais seulement alors, vous n'aurez rien à craindre de
l'ennemi.
VU
AMËLIORATIOR DE LA PARTIE MARITIME DE 1.A SEI5E
[ La commission de la Chambre des députés proposait le r^t du
crédit de 3 millions demandé par le gouvernement pour Tarnébora-
tion de la parUe maritime de la Seine , entre Villeqaier et Quille-
bœuf. M. Arago prit la parole en ces termes pour défendre le projet
du gouvernement dans la séance du U mars 1866: ]
Messieurs, je viens combattre l'opinion de la com-
mission et soutenir le projet du gouvernement. (Mou-
vement. )
On a présenté différentes objections; elles ont été dis-
cutées par M. le sous-secrétaire d'État des travaux pu-
blics.
Je crois que plusieurs réponses peuvent être ajoutées
à celles .que vous avez déjà entendues.
On vous a dit que la destruction du barrage de Vil-
lequier, de la traverse de Villequier, pour me servir de
l'expression consacrée, pourrait empirer le mouillage de
la rivière en amont. On a dit que le barrage de Ville-
quier était un seuil qui empêchait l'eau descendante de
se déverser en quantité suffisante pour que le niveau en
amont s'abaissât d'une manière fâcheuse; il me semble
qu'on a oublié une chose essentielle.
NAVIGATION. 611
Il n'y a pas seulement à Villequier une marée descen-
dante, fl y a aussi une marée montante ; par conséquent
le seuil qui, dit-on, doit empêcher l'eau de descendre ,
l'empêchera aussi de monter; lorsque vous aurez détruit
le seuil, si l'eau descend avec plus de rapidité, elle aura
monté avec plus d'abondance pendant la marée mon-
tante. Par conséquent le problème n'est pas aussi simple
que la conmiission l'a cru. Il y a là plus de difficulté que
M. d'Angeville ne Ta dit.
Il est évident qu'un barrage qui empêche l'eau de
descendre, empêchera Teau de monter; que la des-
truction de la barré permettra à une plus grande quan-
tité d'eau, pendant la marée, de monter en amont de
la traverse. Vous ne pouvez donc pas dire d'emblée que
vous aurez empiré l'état de la Seine en amont de Ville-
quier, après avoir détruit la traverse. La traverse, par le
mouvement dirigé de Rouen vers le Havre, empêche
l'eau de descendre en très-grande abondance; mais la
destruction de la traverse permettra à une plus grande
masse de la marée ascendante de monter.
11 n'est pas possible sans calculs, sans faire des expé-
riences, sans discuter des faits, de dire que la destruction
de la traverse ne peut avoir aucun inconvénient. ^
Que le phénomène d^un obstacle opposé à la marche
de l'eau de l'amont en aval soit produit par un seuil ou
par un rétrécissement, le raisonnement est le même. On
a rétréci TAdour; on sait quel est l'effet que ce rétrécis-
sement a produit. Il est Téquivalent d'un seuil, quant à
la variation du niveau de Teau.
M. LE Rapporteur. U est mauvais.
C42 NAVIGATION.
M. Arago. U est mauvais à d'autres égards, mais
non pas à votre point de vue : il est certain qu'il a été
créé un obstacle au mouvement descendant, lequel est
devenu aussi un obstacle au mouvement ascendant de la
marée. Eh bien, la tenue des eaux est plus considérable
en amont du rétrécissement que par le passé.
Le genre de défauts que M. le rapporteur attribue
à la destruction de la traverse de la Seine est complète-
ment opposé au raisonnement et aux faits.
Quand il s'est agi pour moi de prendre un parti dans
la question, j'ai été préoccupé d'une difficulté, c'est celle
de la barre ; je me suis demandé quel serait l'effet des
travaux actuels relativement à la barre. La barre a été
présentée comme un phénomène redoutable par l'hono-
rable M. d'Angeville ; il en a fait tout à l'heure une pein-
ture effrayante.
M, LE Rapporteur. C'est M. Beau temps-Beaupré qui a fait cette
peinture.
M. Arago. A quelques égards la peinture est vraie,
mais je crois cependant que vous avez confondu deux
choses.
On ne sait pas bien expliquer la barre. C'est un phé-
nomène plus commun qu'on ne le croit, on Ta obsené
dans la Garonne, dans la Gironde, dans la Seine, dans
le Gange, dans l'Amazone, dans toutes les branches du
Gange, et particulièrement dans un fleuve que l'on con-
sidère comme une branche du Gange, mais qui est une
rivière à part, et qui mérite de prendre un nom spécial,
le Burrampooter (Brahmapoutra). La barre dans li
Seine n'atteint pas une hauteur supérieure à 1 mètre 1 i;
NAVIGATION. 613
dans le Bunrampooter, la barre atteint jusqu'à une hau-
teur de 4 mètres, dans T Amazone de 6. Eh bien, Mes-
sieurs, est-ce que la navigation est empêchée, est-ce
qu'elle est difficile ? mais tous les approvisionnements de
Calcutta et des autres villes qui sont placées sur les rives
du Gange se font avec de très-petites barques, pourvu
qu'on ait l'attention de se tenir dans le milieu de la
rivière , et de ne pas s'approcher des rives. Alors le
danger est nul. Ce phénomène a été étudié avec le plus
grand soin dans la rivière des Amazones, en 1744, par
Lacondamine ; c'est la plus ancienne mention que l'on en
trouve. Là des radeaux, des bateaux non pontés ne cou-
rent aucun danger quand ils se mettent au milieu du
fleuve, et cela par deux raisons : la première, c'est que,
dans le milieu de la rivière, la barre a une moindre hau-
teur; la seconde, c'est que là la hauteur est régulière. On
pense que la barre est un transport d'eau , un courant ;
on se trompe, la barre n'est pas un courant, c'est une
ondulation.
Le navire qui rencontre la barre , monte et descend
et ne change pas de place ; il est comme un corps flot-
tant sur une nappe liquide en oscillation. Quand vous
voyez une onde se promener sur une nappe liquide avec
beaucoup de rapidité, aucune molécule d'eau n'a de
mouvement latéral : elles montent, elles descendent ; il se
produit là un mouvement oscillatoire et non pas^ un mou-
vement de transport. C'est là le mascaret; c'est ce que
sur la rivière des Amazones on appelle pororoca : c'est la
barre de la Seine.
Si ce mouvement ondulatoire prend par le travers un
644 NAVIGATION.
bâtiment qui est échoué sur le rivage, le bateau est ren-
versé. Sous ce rapport, M. d' Angeville disait VTai ; mais
quand le bâtiment monte et descend avec Tonde, quand
il n'est pas échoué, au moment même où Tonde lui
donne le mouvement oscillatoire, il ne court aucun dan-
ger, pourvu, je le répète, qu'il se tienne vers le milieu
de la rivière.
Les travaux qu'on se propose d'exécuter auraient pour
résultat d'augmenter la barre, que cela ne devrait pas
vous empêcher de détruire la traverse de Villequier,
paixe que la barre, quand on Tattaque de front, dans
son milieu, n'est pas très-dangereuse. Mais est-il vrai
que la barre de la Seine produise les effets désastreux
dont on vous a fait une peinture si animée? Je savais
que j'aurais à m'occuper, comme député, de cette ques-
tion. J'ai eu la curiosité de descendre la Seine et de la
remonter avec un navigateur qui la descend et la remonte
tous les jours, c'est le capitaine Bambine ; je Tai prié de
m'indiquer pendant toute la course quels étaient les ra-
vages extraordinaires que la barre produisait. Eh bien,
j'ai vu près de Villcquier des jardins, des prés, séparés de
la Seine par des murs de pierres sèches. Il était évident,
par la couleur des pierres et la natui'e des herbes qui
les recouvraient, qu'elles étaient là depuis longtemps; ses
effets ne sont évidemment dangereux sur les bords que
pour un bâtiment échoué ; mais quand la barre rencontre
un bâtiment flottant, le danger n'existe pas.
Maintenant, avons -nous à redouter que les digues
submersibles, le rétrécissement proposé , augmentent la
barre? Je ne le crois pas. Je le répète, la science ne
NAVIGATION. 645
sait pas donner une explication satisfaisante, complète,
du phénomène dont j'ai eu l'honneur d'entretenir la
Chambre.
Mais la science recueille les faits et les discute ; elle
examine ce qui peut modifier, augmenter ou diminuer la
barre. Or, il est évident qu'elle n'est dangereuse que là
où il y a peu de profondeur d'eau.
Il y a un fait certain qui résultera des digues longi-
tudinales : c'est Tapprofondissement du chenal ; par con-
séquent, la barre y perdra sa hauteur.
Qu'a-t-il pu se passer dans la Garonne depuis 1780?
Un rétrécissement de la rivière. Je ne vois pas d'autres
modification possible, d'autre modification acceptable
que celle-là. Eh bien, cette modification a changé com-
plètement l'état de la rivière, relativement au mascaret.
On citait tout à l'heure Brémontier, un homme de
mérite, un observateur fidèle, exact, qui ne se laissait
pas aller à son imagination. 11 a été chargé de surveiller
la navigation de la Garonne très-longtemps, et voici ce
qu'il rapporte dans un ouvrage que j'ai consulté encore
ce matin.
Brémontier dit, dans cet ouvrage de 1829, que,
trente ans auparavant, le mascaret remontait beaucoup
au-dessus de Bordeaux, jusqu'à Langon, et qu'il faisait
tant de bruit en remontant, qu'on l'entendait à une lieue
de distance. Maintenant, on ne l'entend plus : il a même
complètement disparu. Il ne reste plus de traces de ce
phénomène redoutable.
Quelle peut en être la cause? Voyons, cherchons par
la pensée des modifications qui ont pu amener ce ré-
616 NAVIGATION.
sultat : je ne vois pas qu'on puisse s'arrêter à autre chose
qu'à un rétrécissement de la rivière. C'est un rétrécisse-
ment qu'on vous propose.
Messieurs, je ne crois pas que les travaux qu'on veut
faire soient des travaux dangereux ; je crois que c'est un
essai important ; je crois que vous approfondirez la rivière
dans un passage difficile et qui intéresse au plus haut
point la navigation.
Je crois que vous n'ajoutez pas aux dangers de la
barre. Je crois que la barre diminuera dans son ampli-
tude; je crois, d'ailleurs, qu'elle doit diminuer par la
profondeur, comme toutes les expériences le montrent
Par conséquent, il n'y a pas de dangers dans le tra-
vail que propose le gouvernement, et il y a des avantages
manifestes.
Je ne voulais parler que de la question technique que
j'ai étudiée. Il me semble que les arguments que j'ai
avancés sont décisifs; mais qu'on me permette d'ajouter
un mot , un seul mot , relativement & une considération
qu'a fait valoir l'honorable M. d'Angeville.
M. d'Angeville vous a dit : c Si vous améliorez la
Seine, les navires remonteront jusqu'à Rouen; si vous
ne l'améliorez pas, les navires ne remonteront pas jus-
qu'à Rouen; ils s'arrêteront au Havre. Voilà toute la
différence. •
Cette différence m'a paru énorme. Dans le voyage
dont je parlais tout à l'heure» j'ai consulté à Rouen les
personnes les plus instruites , les plus au courant des
affaires maritimes. Elles m'ont fait remarquer que le
transport des marchandises, par un chemin de fer entre
NAVIGATION. 617
Marseille et Rouen, sera un peu supérieur, avec tous les
prix que vous connaissez, au transport des marchandises
par le cabotage, si Ton n*est pas obligé de rompre charge
au Havre ; elles ont ajouté, au contraire, que le cabotage
«ntre la Méditerranée et Rouen pourra conserver toute
^n activité si les navires vont directement de Mai*seille
à Rouen (C'est cela ! c'est cela ! ); tandis que si on est
obligé de débarquer au Havre , le cabotage ne pourra pas
être conservé, il sera tué par le chemin de fer.
Eh bien, je regarde comme une chose d'une importance
extrême que vous conserviez le cabotage comme un des
éléments de l'inscription maritime. (C'est cela ! — Très-
bien ! très-bien ! )
Vlll
SUR DES TRAVAUX A ENTREPRENDRE POUR AMÉLIORER
LA NAVIGATION
[Dans la séance du 30 mai 1833, M. Arago a signalé la nécessité
d^achever divers travaux publics ; nous plaçons ici la partie de son
discours relative aux travaux d*amélioration de la navigation.]
M. LE Président. La suite de Tordre du Jour est la discussion du
projet de loi sur la demande de 100 millions, pour travaux à conti-
nuer ou à entreprendre. La parole est à M. Arago, premier orateur
inscrit contre le projet
M. ÂRAGo. Le rapport de la commission ne nous ayant
été remis que lundi , il nous a été impossible en trois
jours d'en faire une étude approfondie. Je ne cite au
reste cette circonstance que pour obtenir, s'il est pos-
sible, l'indulgence de la Chambre.
Je m'associe sans aucune réserve à l'idée qu'a eue
M. le ministre de consacrer une partie des fonds de
618 NAVIGATION,
ramorlissement à des travaux d'utilité publique, et sur-
tout à des travaux d'achèvement. Je m'associe également
de grand cœur à la pensée qu'a eue la commission de
proposer quelques travaux nouveaux. Je désire seulement
que nous ne fassions pas le deuxième tome des canaux.
U me semble qu'il serait nécessaire que des projets nous
fussent remis avec des plans, des devis et des études
approfondies , de manière qu'on pût juger retendue de
la carrière dans laquelle on va s'engage..
Parmi les travaux commencés qu'on propose d'ache-
ver, il en est quelques-uns très -importants; mais il en
est d^autres non moins utiles qui ont été oubliés. 11 eût
été désirable que le minisire présentât un travail général,
complet, appuyé de pièces détaillées ; et je crois qu'alors
il aurait trouvé dans la Cbanibre très-peu d'opposition,
non-seulement pour les projets qu'il a proposés, mais
encore pour d'autres travaux que je vais signaler.
M» le ministre sollicite l'achèvement des monuments
de Paris et plusieurs canaux. Je demande à mon tour
pourquoi, dans le projet de loi, il n'a pas été question
des ports, qu'il serait aussi important d'achever.
M. L£ HLNisTRX DE L'INTÉRIEUR. Gela coûceroe la marine.
M. Arago. Il en est plusieurs qui "ne concernent pas
la marine; il s'agit, au surplus, d'un projet général. Il
serait désirable qu'on achevât le port de Cherbourg, qui
est commencé depuis 1786. Les Anglais ont terminé un
travail de même nature en très-peu d'années, je veux
parler du Breakwater de Plymouth.
Vous savez que, dans le département de la Gironde,
les dunes gagnent chaque année beaucoup de terrain.
NAVIGATIOK. 619
Le problème de les arrêter est complètement résolu;
mais à la condition d'agir activement et avec ensemble.
Les travaux que Ton fait aujourd'hui, par leur peu d'im-
portance, sont presque de l'argent perdu. Le port de
Bayonne a une barre qui avance tous les ans. On est
arrivé, tout porte à le croire, à une époque où ce mou-
vement de progression deviendra trèsr-lent ; il serait donc
important que M. le ministre consacrât les fonds néces-
saires à r achèvement de ce porL
J'arrive au golfe de Lyon : ce golfe forme un demi-
cercle. En temps de guerre, l'entrée d'un des trois ports
que ce golfe renferme, l'entrée de Marseille, est très-
difficile. Je puis en parler par expérience, car j'ai été
pris trois fois sur des bâtiments de commerce en voulant
m'y réfugier. Eh bien, à l'extrémité du diamètre de ce
golfe, il existe un port excellent, un port qui serait sans
prix, si Ton consacrait à l'améliorer quelques parcelles du
budget.
Je vais citer à l'appui de ce que j'avance, l'opinion 4e
l'illustre Vauban. Voici ce qu'il disait dans un mémoire
manuscrit que j'ai entre les mains :
« Pour conclusion, je trouve pour la France tant d'avan-
tage à améliorer Port- Vendre, que je vivrais cent ans et
qu'on. me fît faire cent voyages en Roussillon, je me
ferais toujours un point de conscience de proposer une
chose qui importe tell^nent au service du roi et de la
France, qu'on ne peut sans indignation concevoir la
nonchalance qu'on a eue pour ce port jusqu'à présent. »
{Mémoire de Vauban du 2 mai 1679.)
Si l'on trouvait quelque exagération dans les paroles
€20 NAVIGATION.
de Yauban, je dirais qu'aujourd'hui que nous possédons
Alger, elles sont d'une vérité incontestable. Le PorU
Vendre rendra très-facile, mênje en temps de guerre,
nos communications avec l'Afrique; cinq ou six heures
après être sorti de ce port, on se trouve dans les parages
des lies Baléares.
Ainsi, sans étendre mon énumération plus loin, je orois
pouvoir reprocher au ministre de n'avoir pas présenté
un plan général des travaux commencés, et qui auraient
pu être achevés avec fruit; de ces travaux qui finissent
par rapporter au centuple ce qu'ils ont coûté.
On a proposé d'améliorer la navigation de la Saône-
Personne, plus que moi, n'applaudirait à un pareil tra-
vail; mais sur quel point porteront les améliorations?
^A-tron des projets étudiés, arrêtés? Et, dans ce cas,
/4Bait-on si la somme demandée est suffisante? N'est-il pas
vraiment étrange, quand on parle à la Chambre de la
canalisation des rivières, qu'on ait oublié la Seine? H. le
rapporteur sait mieux que personne que cette rivière est
dans un état déplorable, qu'il serait très-urgent de s'en
occuper.
Dans les demandes de la commission, il est question
de 500,000 ou 600,000 fr. destinés à des études de
chemins de fer ; mais on a cité presque exclusivement le
chemin de Paris à Marseille.
Je ne doute pas que ce chemin ne soit très-utile ; tou-
tefois il en est un autre qui serait probablement plus
important encore. Je me rappelle avoir vu jadis, dans
les mains d'un de nos ingénieurs les plus distingués, d'une
des plus hautes notabilités dont le corps des ponts et
^
NAVIGATION. 624
chaussées puisse se glorifier, dans les mains de M. Bris-
son, le dessin détaillé d'un canal entre Paris et Stras-
bourg. Au moyen de ce canal et d'après des études qui
n'étaient pas seulement un avant-projet grossier, mais
bien un système complet et étudié, si j'ai bonne mémoire,
le transport des marchandises , entre la France et Stras-
bourg, entre ki France et le Rhin, serait moins coûteux
que par la voie de la Hollande. Ce serait peut-être là
une solution définitive de la question de TEscaut; ce
serait le plus définitif de tant de protocoles dont on a
parlé à cette tribune. Je le recommande à l'esprit ingé-
nieux de M. le ministre du commerce ; il y aurait quel-
que chose de piquant à terminer la question belge , au
profit de la France, avec un chemin de fer ou avec le
canal Brisson.
Je dirai , à l'égard des chemins de fer, que le rappor-
teur me paraît avoir commis une erreur : peut-être était-
elle inévitable lorsqu'il a fait son travail ; mais de nou-
veaux renseignements sont arrivés depuis. M. de Bérigny
insinue que les longs chemins de fer ne seront utiles que
pour le transport des voyageurs. Voici les faits : j'ai eu,
ces jours derniers, sous les yeux, un document qui prouve
que, sur le chemin de fer de Manchester à Liverpool, la
valeur du transport des marchandises, pendant le dernier
trimestre, a correspondu à un revenu annuel de û pour
cent; le transport des voyageurs a donné à peu près le
même résultat. Ainsi, les actionnaires auront 8 pour cent
de leurs fonds.
Je dirai quelques mots de la construction des machines
à vapeur. 11 y a là une question importante , qui se rat-
62Î NAVIGATION.
tache aux plus grands intérêts. Nous nous vantons sou-
vent de l'état prospère de notre industrie. Cette prospé-
rité ne s'étend pourtant pas jusqu'à nos manufactures de
grandes machines ; ces manufactures sont très-arriérées.
Ce n'est pas que nos ingénieurs manquent de mérite ; au
contraire, nous en avons d'extrêmement distingués : f en
connais personnellement sept ou huit tout aussi habiles
certainement que ceux dont l'Angletere ise glorifie. Ils
ne sauraient cependant exécuter de grandes machines
au même prix que nos voisins. La raison en est bien
simple : quand on commande une machine unique à un
mécanicien , il est obligé de trouver dans les bénéfices
de la construction les dépenses que la confection de tous
les outils occasionne.
J'ai eu sous les yeux un marché que le célèbre Maadiay
contractait avec le gouvernement anglais ; il pourrait se
traduire ainsi : « Les objets que vous me commandez coû-
teront cent francs si vous ni' en demandez dix, cinquante
francs si vous m*en demandez cent, et dix francs si
vous m'en demandez mille. » Tout le monde comprend
maintenant le problème. Nos constructeurs exécuteront
des machines de la plus grande dimension aussi bien
que les constructeurs anglais, dès qu'ils seront outillés.
Il fauidonc que le gouvernement leur donne la facilité
de se procurer les moyens mécaniques dont la plupart
manquent encore ; je veux éire qu'il doit payer la plus-
value des premières machines de nos artistes, plus-value
que les simples particuliers n'entendent pas supporter.
( >ucl est le moyen ? le voici :
On a dit, en rendant compte des besoins de la marine.
NAVIGATION. 023
dans la dernière session, que le gouvernement anglais
avait très-peu de bateaux à vapeur. On a dit vrai, mais
lu conséquence qu'on en tirait n'est pas tout à fait exacte.
L'amirauté anglaise n'a pas dans ses arsenaux des bateaux
à vapeur tout préparés pour l'éventualité d'une guerre ;
mais a-t-on oublié qu'elle pourrait disposer sur-le-champ
de la multitude de grands bateaux qui sillonnent la
Tamise, le canal de Saint-Georges et toutes les mers
environnantes? j'ajouterai, et je crois être bien informé,
que chez nos voisins, le gouvernement a fait faire d'im-
menses machines; que ces machines sont en magasin,
prêtes à être transportées sur des navires si la guerre
venait à éclater. Eh bien , ce que l'Angleterre a fait, il
faudrait que le gouvernement français le fît également. Il
fournirait ainsi à nos artistes principaux, les moyens
d'exécuter pour le commerce les plus grandes machines,
qu'aujourd'hui il va chercher en Angleterre. Dans ce
genre de choses. Messieurs, imitons nos voisins, nous
nous en trouverons bien.
Il y a des industries dont le gouvernement ne doit
point se mêler. L'horlogerie, par exemple, sauf le cas
tout particulier des chronomètres, lui est nécessairement
étrangère; mais il n'en est pas de même des grandes
machines. Il a un intérêt immense, un intérêt national à
ce que les constructeurs soient placés par une commande
suffisante dans le cas de se pourvoir des moyens puissants
à l'aide desquels on exécute des machines à vapeur de la
force de cent à deux cents chevaux.
[ M. Arago passe à la discussion de la question de la Bibliotlièquc
royale et à celle des phares. Nous placerons ailleurs ces parties
«le son improvisation. ]
624 NAVIGATION.
J'arrive maintenant aux travanx réclamés par M. le
ministre da commerce. Je demanderai d^abord la per-
mission de lui soumettre quelques doutes. M. le ministre
veut faire exécuter sur-^le^ champ tous les travaux qui
sont à Paris en cours d'exécution : c'est, je croîs, Texpres-
sion dont il s'est servi dans l'exposé des motifs. Reste à
s'entendre sur sa portée.
M. LE MINISTRE DE L'iNSTRUGTIOIf PUBLIQUE. NOUS aVODS TOUlU
parler de trois ans.
M. Aaago. L'observation que j'ai voulu faire n'en sub-
sistera pas moins. Je ne voudrais point que les monuments
fussent achevés dans un temps trop court. D'abord, les
carrières actuelles pourraient à peine fournir aux besoins
réunis des constructions entreprises par des particuliers,
des grands travaux du gouvernement et de ceux de la
liste civile. Il en résulterait une augmentation exorbitante
dans le prix des matériaux. Les ouvriers de Paris ne
pouvant suffire à tous ces travaux, vous seriez obligés
d'en faire venir un nombre considérable des départe-
ments.
Que le passé nous serve de leçon. Peu après la révo-
lution de juillet, j'étais membre du conseil général du
département de la Seine, et je n'ai pas pu oublier com-
bien nous éprouvâmes d'embarras pour satisfaire aux
besoins de tant d'individus étrangers à la ville de Paris
et qui n'avaient pas d'ouvrage. Qui ne se rappelle le
Champ -de -Mars gâté au prix de tant d'argent? Je le
répète, Messieurs, si vous donnez un développement
exagéré à vos travaux, vous nuirez d'une manière grave
aux entreprises particulières ; vous verrez augmenter tous
NAVIGATION. 62o
les matériaux, la chaux, le moellon, le plâtre d'une ma-
nière effrayante.
Vous élèverez outre mesure le salaire des ouvriers; si
cet état de choses pouvait durer longtemps, je m'associe-
rais à vos vues, car toutes mes plus vives sympathies, jo
le déclare franchement, sont pour la classe ouvrière;
mais au bout de trois ans, presque tous vos travaux
cesseront, vous serez obligés de renvoyer de Paris une
population factice que vous aurez créée inconsidérément.
Beaucoup d'ouvriers qui , aujourd'hui , ont abandonné
l'état de maçon ou de tailleur de pierres, qui sont devenus
tisserands, laboureurs, gardes champêtres, surveillants
dans des usines, quitteront ces positions modestes, car
la prévoyance n'est pas notre qualité distinctive; ils
viendront en foule à Paris , ne voyant que le bénéfice du
moment. Eh bien, dans trois ans, ils n'auront plus d'oc-
cupation. Qu'en ferez-vous alors? N'auront-ils pas le droit
de dire que vous les avez trompés? Je crois qu'il est
utile, je crois qu'il est nécessaire, non de faire dix bâti-
ments sur-le-champ, mais de porter tous vos moyens,
toutes vos forces, d'abord sur un monument, et après
l'avoir achevé, sur un autre. C'est ainsi , je crois, que
Napoléon gagnait des batailles. En l'imitant, vous vain-
crez l'inertie, la persistance et les caprices des archi-
tectes. Cette marche, que j'approuve, peut très-bien se
concilier avec la répartition des travaux sur plus de trois
années.
V.— II. ZiO
6i6 NAVIGATION.
IX
AyÉLIORATIOIf DU PORT DE CHERBOURG ET DE CELCI
DE PORT-VENDRE '
Personne ne s'associe plus vivement que je ne le fais
au désir de la Chambre, de la France entière, de voir
les grands travaux commencés à Cherbourg entièrement
achevés. Je désirerais cependant que M. le ministre de
la marine se décidât à faire examiner par une commis-
sion ad hoc une question de la plus haute importance,
celle de savoir si la digue de Cherbourg doit être conti-
nue ou si plutôt il ne faudrait pas la tronçonner. Je sais
qu'on pourra me répondre que des décisions formelles
existent et qu'elles sont toutes favorables au genre de
travaux qu'on exécute en ce moment. Mais les travaux
hydrauliques doivent être rangés parmi les plus difficiles
dont les ingénieurs aient à s'occuper ; il est impossible de
prévoir, sans les études les plus sérieuses, ce qui se ma-
nifestera dans une localité, en argumentant de ce qui est
arrivé dans une localité différente. Et d'ailleurs. Messieurs,
les travaux exécutés à Cette avec T assentiment du con-
seil général des ponts et chaussées, n'ont-ils pas eu des
résultats déplorables? Le port de Cette s'envase journelle-
ment, et si l'on n'y porte un prompt remède, il sera ccnn-
plétement perdu.
Eh bien , je ne suis pas sans crainte sur la rade de
Cherbourg. Vous le savez, Messieurs, les eaux que les
i. Discours prononcé dans la séance de la Chambre des députés
du 9 juin 1835.
jîavïgation: 627
courants transportent dans les ports, y arrivent ordinal
rement fort troubles, fort bourbeuses. Si, par des con-
structions artificielles , vous amenez ces eaux à être par-
faitenient tranquilles, elles déposeront du sable, et le
fond de la mer montera graduellement. Les anciens
avaient déjà étudié cette question avec un grand soin.
En pai'courant dernièrement les côtes méridionales de
ritalie, des ingénieurs napolitains ont reconnu que par-
tout où les Romains construisirent des môles à arceaux ,
l6S ports ont conservé une grande profondeur d'eau ; par-
tout, au contraire, où les môles étaient continus, les
eaux bourbeuses des courants ont déposé les sables
qu'elles charriaient , et les ports n'existent plus ou sont
inabordables. Je crains beaucoup, je le répète, que des
effets de ce genre ne se manifestent à Cherbourg , si la
digue est continue. Peut-être vaudrait-il mieux qu'elle
fût tronçonnée. Je demande donc que cette question soit
examinée avec le plus grand soin.
J'entends quelques personnes s'écrier : Une digue tron»
çonnée laissera aux vagues venant de la haute mer toute
leur puissance ; je réponds que c'est une erreur. Une
vague est comme une voûte : opérez une forte solution
de continuité en quelques-uns de ses points et la vague
entière s'abat
Sans doute, il resterait alors dans le port une certaine
agitation ; mais c'est là précisément ce que je désirerais ;
je voudrais que la mer fût constamment clapoteuse ; que
les eaux y troubles à leur entrée ^ sortissent nécessaire^
ment troubles; j'appelle sur cet objet toute l'atteiïbion de
M. le ministre de la marine ; il ne faut pas que le û:uit
6i8 NAVIGATION.
des énormes dépenses qu'on a faîtes et qu'on fait encore
à Cherbourg soit un jour perdu.
J'ai déjà eu l'occasion de parler à cette tribune d'un
port situé sur la Méditerranée (voir p. 619) ; j'ai fait
sentir combien il serait important de s'en occuper. Ce
port, le Port'Vendre, situé à l'extrémité d'un des diamè-
tres du golfe de Lyon, a été récemment examiné par une
commission nommée par M. l'amiral Duperré ; personne
ne peut maintenant douter des avantages qu'il offrira au
commerce et à la marine militaire ; tout le monde com-
prendra combien , en temps de guerre , les communica-
tions de ce port aveo Alger seront plus faciles que celles
de Toulon et de Marseille. Mes anciennes observations
furent favorablement accueillies par M, l'amiral de Rigny;
a voulut bien déclarer que le Port -Vendre avait une
grande importance, et qu'il hâterait de tous ses efforts le
moment où l'administration s'en occuperait activement.
(M. de Rigny fait un signe d'adhésion.) Eh bien, Mes-
sieurs , à cette époque on ne croyait pas que le Port-
Vendre pût recevoir des vaisseaux de ligne ; cette possibi-
lité est aujourd'hui établie sur des preuves irrécusables.
Des travaux qui ne seront ni d'une grande difficulté ni
d'une dépense qui doive effrayer, nous doteront d'un
second port militaire dans la Méditerranée.
Je prie donc M. le ministre de la marine de vouloir
bien au plus tôt , je veux dire l'année prochaine , faire
figurer le Port-Vendre parmi les travaux hydrauliques
qui s'exécutent sur les fonds de son budget. Je le prie
aussi de ne pas perdre de vue la commission dont je sol-
licite la formation , et qui aurait pour mission d'examiner
NAVIGATION. 629
définîtivement si la rade de Cherbourg peut être fermée
par une digue continue , sans qu'il en résulte des envase-
ments rapides.
[ Après la réponse de M. Tupinier, coramissaire du roi , M. Arago
a ajouté : ]
Dois-je répéter, Messieurs, que c'est avec rassentimcnt
du conseil des ponts et chaussées et contre l'avis d'un
ingénieur qui était sur les lieux, qu'ont été exécutés les
travaux du port de Cette? Je n'entends pas induire de là
qu'il faille en toute circonstance se méfier des avis de ce
conseil pour lequel je professe la plus grande estime;
mais les travaux hydrauliques, ceux surtout qu'on exé-
cute dans les ports , exigent une expérience et des con-
naissances dont des ingénieurs, fort habiles d'ailleurs à
d'autres égards, peuvent être dépourvus. J'ose donc prier
M. le ministre de la marine de bien peser les observations
que j'ai eu l'honneur de lui soumettre. Il n'y aurait au-
cune honte à revenir sur d'anciennes décisions; ce n'est
que depuis quelque temps, en effet, qu'on a senti combien
il est important de laisser aux eaux dans les ports une
certaine agitation ; il y a là, pour Cherbourg, j'ose l'aflir-
mer, matière à un examen très-sérieux.
AMÉLlORATIOiS DU PORT d'ALGER
l Dans la séance du 27 mai 18/i2, AI. Arago a prononcé le discours
suivant : ]
Messieurs, le port d'Alger était extrêmement mauvais
lorsque j'avais le malheur d'être embarqué sur des bAti-
m NAVIGATION.
menls algériens, en 1808 et 1809. (Exclamation aux
centres. ) C'est un malheur dont je n'ai pas à rougir, je
remplissais une mission que le gouvernement français
m'avait confiée, lorsque je tombai dans les mains des Algé-
riens. Le port d'Alger était alors très-mauvais. Il y avait
par certains vents un ressac considérable vivement qua-
lifié par un dicton africain qui ne s'est jamais effacé de
ma mémoire. (Bruit.) Toutes les fois que le vent du
nord , le vent venant de Mayorque commençait à souffler,
les Algériens s'écriaient : « Voilà le charpentier mayorcain
qui va travailler. » Effectivement, les bâtiments du port,
jetés les uns sur les autres, étaient mis en pièces.
Depuis les travaux de M. Poirel, depuis que la digue
a été un peu prolongée par les moyens extrêmement ingé-
nieux que la Chambre connaît , les résultats ont été très-
favorables.
Je ne m'en fie pas à mes lumières personnelles pour
décider quelle sera dans l'avenir la valeur du port d'Al-
ger. On a cité tout à l'heure, et avec beaucoup de raison,
l'opinion d'un de nos collègues actuellement absent , de
M. Le Ray ; je puis m'étayer, moi, d'une opinion qui n'est
pas au-dessous de celle de M. Le Ray, de l'opinion de
M. le capitaine de vaisseau que l'administration a chargé de
la carte hydrographique de la côte d'Afrique, de l'opinion
de M. le capitaine de vaisseau Bérard, de celui-là même
enfin , auquel M. le ministre de la marine vient de donner
le commandement de la station de la Nouvelle-Zélande.
M. le capitaine Bérard m'a formellement autorisé à dé-
clarer, ayant eu l'occasion d'entrer dans le port d'Alger
et d'en sortir par tous les temps possibles, que la largeur
NAVIGA^TION. €34
de 200 mètres, conservée au musoir par M. Poirel, est
complètement suffisante.
M. le ministre des finances disait tout à Tbeure que
cette entrée de 200 mètres mettrait les navires qui vou-
draient entrer à Alger dans l'obligation de longer la côte
de trop près ; cela n'est pas exact : j'en appelle au meil-
leur juge en pareille matière, à l'officier qui a fait la carte
de l'Algérie. L'entrée projetée est parfaitement suffisante,
et , quand on sort du port , il est facile de doubler le cap
Caxine par une seule bordée.
Jetons un coup d'oeil sur des ports célèbres. Quelle est
l'entrée du port de Marseille? 100 mètres. Des rochers la
réduisent considérablement. Quelle est l'entrée du port
du Havre? Une cinquantaine de mètres. Quelle est l'en-
trée du port Mahon, ce port si célèbre? 300 mètres, avec
notable réduction par des roches.
Comment, en présence de tous ces chiffres, pourrait-
on soutenir que 200 mètres ne suffiront pas à Alger ?
Messieurs, on a parlé de rade. Il n'y a qu'à regarder
un atlas pour voir que ni le projet Raffeneau ni le projet
Bernard ne procureront de rades proprement dites.
Une rade, c'est un espace immense.
Le projet Raffeneau donnerait au port d'Alger une
étendue de 34 hectares ; le projet Bernard de 18 hectares.
La surface de la rade de Qierbourg est de 500 hec-
tares; celle de la rade de Toulon de plusieurs milliers
d'hectares. Voilà des rades véritables; à Alger, vous n'au-
rez jamais rien de pareil.
Messieurs, il y a entre les trois projets des différences
immenses , mais elles tiennent seulement à la profondeur
6)2 NAVIGATION.
de la mer dans les points où Ton se propose de travailler.
Cette profondeur, pour peu qu'on s'écarte de la direction
tracée par M. Poirel, devient très-grande, et Ton se
trouve tout à fait en dehors du cadre des travaux exécu-
tés jusqu'ici.
Dans le projet Poîrel, la profondeur de l'eau, au mu-
soir, serait de 20 mètres ; le long de la jetée de 15 à 17.
C'est déjà énorme, et si M. Poîrel n'avait pas employé
des procédés de fondation par blocs en béton extrêmement
ingénieux , de son invention, et pour lesquels l'Académie
des sciences, sur un rapport de M. Coriolis, lui a rendu
pleine justice, il n'aurait pas réussi.
Dans le projet Bernard, vous avez des profondeurs
de 20, de 23 et probablement de 30 mètres. Le projet de
M. Raffeneau vous offrira, dans la longueur de la jetée,
22, 27 et 33 mètres. Vous voilà dans l'inconnu ; vous
allez désormais tenter des aventures.
Il y a une considération dont la chambre ne fait jamais
abstraction, c'est celle de la dépense. M. Bernard, au
mérite duquel tout le monde rend hommage, a bien senti
que, si l'on voulait faire sa jetée économiquement, on
serait obligé d'employer des pierres de petit échantillon.
Ce noyau , on le revêtirait ensuite de gros blocs, d'après
le procédé de M. Poirel. Mais ne serait-il pas possible
qu'avant l'opérotion du revêtement, le noyau fût enlevé,
et toutes les pierres dispersées dans le port et dans la
rade? (Dénégations au banc des ministres.) Les déné-
gations qui m'arrivent du banc des ministres m'imposent
le devoir de montrer que mes préoccupations ne sont pas
sans fondcmci t.
NAVIGATION. 633
La plupart des ingénieurs croient, je le reconnais, que
la mer n'est jamais agitée à une grande profondeur.
L'expérience de Saint-Jean-de-Luz aurait dû cependant
les détromper. J'affirme , en tous cas , que la mer est
agitée, que même elle éprouve de grands déplacements
à des profondeurs énormes.
Les courants n'étaient jusqu'ici , aux yeux des naviga-
teurs, que des rivières superficielles. Il y avait dans cette
opinion une immense erreur. En discutant les observa-
tions recueillies pendant le voyage de la VémiSy sous le
commandement de M. Dupetit - Thouars , nous avons
reconnu, M. de Tessan et moi, que, sur la côte du Chili,
la mer tout entière , la mer jusqu'aux plus grandes pro-
fondeurs, s'avance majestueusement du midi au nord.
La Méditerranée a des courants du même genre. Je
vais le prouver par un fait.
Nous étions sous Louis XIV en guerre avec la Hol-
lande. ( Interruption au centre. ) Je ne comprends pas
l'interruption. Je me propose de prouver que M. Bernard,
malgré son talent, malgré son mérite reconnu de tout le
monde, a pu se tromper essentiellement dans les évalua-
tions d'après lesquelles il a peut-être entraîné l'opinion
du conseil d'amirauté. Je veux prouver que le projet de
fonder la digue sur de petites pierres peut être extrême-
ment dangereux ; que la mer pousse quelquefois devant
elle des corps d'un poids énorme qui reposent sur son
fond ; je m'appuierai sur un fait que j'ai trouvé dans
un des plus anciens volumes des Traiisactions philoso-
phiques de la Société royale de Londres.
Je reprends : nous étions en guerre avec la Hollande.
634 NAVIGATrON.
Un corsaire, sorti de Marseille^ poursuivait un bâtiment
hollandais chargé d'huile, et qui marchait, toutes voiles
dehors, vers Tanger. Le corsaire atteignit le bâtiment,
brisa sa poupe et le coula à fond. Le corsaire ayant eu
des avaries, marcha à Touest et entra à Tanger pour se
radouber. Remarquons ceci , Messieurs : la prise coulée
lui arriva un jour après. Un courant sous-marin l'avait
portée de Test à T ouest jusqu'à Tanger.
Je pourrais citer bien d'autres preuves à Tappoi de
mon opinion; mais je m'en abstiendrai, puisque la
chambre est fatiguée et impatiente.
J'ajouterai une seule remarque : quand on a comparé,
^us le rapport de la grandeur, le port de M. Poirel au
port de ses concurrents, on n'a tenu compte que de
rétendue superficielle géodésique; &ï comparant deux
ports, il faut cependant donner une grande attention à
l'état de la mer. Si la mer est tranquille, comme à Mar-
seille, les bâtiments peuvent se toucher sans inconvé-
nient; si la mer est agitée, il est évident que l'on doit
les espacer.
Eh bien, Messieurs, si l'ouverture du port d'Alger
n'est que de 200 mètres, comme le veut M. Poirel , l'éten-
due sera suffisante d'après les calculs de Thomme le plus
compétent sur cette question, de M. le capitaine Bérard ;
vous aurez dans le port une mer tranquille ; donnez à
l'ouverture des largeurs de 400 ou de 600 mètres, et
comptez, comme disent les Algériens., que le charpentier
mayorcain se montrera. Malgré une étendue superficielle
en apparence plus considérable, vous aurez en réalité
une étendue utilQ beaucoup moindi*eu
NAVIGATION. 635
Si la Chambre était appelée à voter, je n'iicsiterais pas
un instant , d'après toutes ces considérations , à deman-
der la contiuuation du travail de M. Poirel.
XI
ORGANISATION DU CORPS DES INGÉNIEURS HYDROGRAPHES '.
Messieurs, parmi les corps entretenus par TEtat, il en
est un qui a pris pour devise la contre-partie d'un adage
vulgaire ; il fait, lui , beaucoup de besogne et tris-peu de
bruit. Le corps dont je veux parler est celui des ingé-
nieurs hydrographes ; et cependant à son occasion , il y a
dans le rapport de la commission du budjet un passage
qui me paraît devoir frapper de découragement toutes
les personnes dont il est composé.
Je demande à la Chambre la permission de lui en don-
lier lecture.
« Votre commission a dû voter -le crédit sans hésiter ;
mais elle s'est préoccupée de la question de savoir si ,
après l'achèvement de la reconnaissance hydrographique
des côtes de France, la marine devrait entretenir, au
dépôt des cartes et plans , un personnel aussi nombreux
que celui qui vous est aujourd'hui proposé.
« Elle considère que , dès à présent, nul accroissement
de ce personnel ne serait admissible , le dépôt pouvant
s'aider, et s'aidant en effet avec succès, de la capacité
spéciale de ceux des officiers de la marine qui se sont
1. Discours prononcé dans la séance de la Cbambre des députés
du 5 juin 1837.
636 NAVIGATION.
adonnés plus particulièrement à la levée des cartes et des
plans.
« Elle s'étonne que l'organisation du corps des ingé-
nieurs hydrographes soit telle, que le dernier élève doive,
avec l'aide du temps, arriver infailliblement à remploi
d'ingénieur en chef. »
Vous le voyez , Messieurs , d'après le sens littéral de ce
passage, aussitôt que la carte des côtes de France sera
terminée, le corps des ingénieurs-hydrographes devra être
réduit. Je ne veux pas m' arrêter à une pensée pénible ;
la commission n'a pas pu vouloir dire que la réduction
([u'elle suggère s'opérerait par voie de congé , elle a
entendu sans doute qu'il faudrait attendre - l'effet des
extinctions naturelles.
M. LE Rapporteur. Sans doute.
M. Ar/Vgo. Ëh bien, je dis, moi, que les nécessités du
service ne doivent pas conduire à ce résultat ; et j'ajoute
(jae la phrase du rapport, contre laquelle je réclame,
aura pour conséquence nécessaire de faire abandonner ce
corps par les personnes les plus capables ; je dis qu'elle
portera le découragement dans l'esprit de toutes celles
qui le composent.
Voyons, au surplus , quel est l'effectif du corps des
ingénieurs-hydrographes; il doit être bien nombreux,
puisqu'on en propose la réduction. Voyons s'il est inutile
aujourd'hui ou s'il le deviendra dans la suite.
Il y a en France vingt ingénieurs hydrographes ou
élèves. Dans ce nombre figurent un ingénieur en chef et
un ingénieur en chef-adjoint. Je les nommerai ; car ce
sont des notabilités dans la marine et dans le monde
NAVIGATION. 637
entier ; l'ingénieur en chef est M. Beautemps-Beaupré ;
ringénieur-adjoint , M. Daus6y. Vous avez ensuite quatre
ingénieurs de première classe, quatre de seconde, six de
troisième, deux sous-ingénieurs et deux élèves, au total
vingt personnes ; c'est donc sur vingt personnes qu'on
fait planer une menace de réduction qui n'est vraiment
justifiable à aucun titre.
Vous avez maintenant le personnel sous les yeux ; fai-
sons un pas de plus, et voyons à quelle dépense annuelle il
donne lieu. Cette dépense est de 67,000 fr. L'ingénieur
en chef, M. Beautemps-Beaupré, reçoit 7,000 fr.; l'ingé-
nieur adjoint, 5,000 fr.; les ingénieurs de 1" classe, ont
4,500 fr. ; les ingénieurs de 2' classe, 3,500 fr. ; les
ingénieurs de 3* classe, 2,500 fr. ; les sous-ingénieurs,
2,000 fr.; les élèves, 1,500 fr.; vous le voyez, les ingé-
nieurs-hydrographes ne sont pas richement rétribués.
Examinons maintenant si les ingénieurs-hydrographes
sont inactifs ; car s'ils n'avaient rien à faire, malgré le
peu qu^ls coûtent, on devrait les supprimer. Eh bien,
en peu d'années ils ont publié, non pas comme com-
pilations, mais comme résultat de leurs propres travaux,
quatre-vingt-dix-neuf grandes cartes, cent soixante-douze
vues de côtes prises sur les dangers, quatre-vingt-onze
tableaux d'observations des marées. Tous ces travaux sont
exécutés avec une précision extrême et par des méthodes
nouvelles. Je ne crois pas que , parmi les corps les plus
privilégiés, aucun puisse présenter de meilleurs titres à
la reconnaissance publique.
On a dit que les ingénieurs hydrographes n'auront
plus rien à faire aussitôt que les cartes qu'ils exécutent en
638 NAVIGATIOH.
ce moment, les cartes de nos côtes occidentales seront
terminées ; il paraîtrait, en effet , que d'après l'activité
qu'on y apporte, cet oavrage sera fini dans deux ans.
Mais M. le rapporteur de la commission sait aussi bien
que moi que les travaux hydrographiques sont la toile de
Pénélope, que c'est toujom*s à recommencer. Sans doute
les gisements des caps, des rochers, des écueils, resteront
toujours les oiêmes ; mais n'y a-tril pas des bancs de sable
continuellement changeants? Ainsi le cours de l'Adour
et son embouchure, le cours de la Gironde et son embou-
chure, l'embouchure de la Seine, nos côtes depuis Fécamp
jusqu'à Dunkerque, auront besoin d'être sondées d'année
en année. Veuillez considérer, Messieurs, que dans l'état
présent des choses, l'administration est souvent amenée i
entreprendre certains travaux hydrauliques sans avoir
recueilli sur leur utilité des données suffisantes. Supposez,
par exemple, qu'un ingénieur-hydrographe eût étudié
l'effet des courants et des tempêtes autour du port de
Cette et à l'embouchure de la Somme , croyez-vous que
l'administration des ponts et chaussées serait alors tom-
bée dans les fautes que tout le monde lui r^roche ? Assu-
rément non. 11 serait utile, très-utile de faire toujours
précéder les travaux exécutés dans nos ports, des recher-
ches auxquelles la vieille expérience des ingénieurs^
hydrographes les rend éminemment propres.
Ainsi, Messieurs, quand on a parlé du très-court inter-
valle dans- leqod serait terminé le travail de la carte de
France, on s'est fait illusion, puisque j.e viens de signaler
la nécessité d'en reprendre certaines parties en sons-
œuvre, presque chaque année ; n'est-il pas étrange, au
NAVIGATION. 639
surplus, qu'on ait oublié la Méditerranée? est-ce, par
hasard, que sur cette nier des cartes hydrographiques
seraient inutiles?
Permettez, Messieurs, que j'ajoute que les ingénieurs-
hydrographes ne sont pas seulement chargés du levé de
nos côtes. Leur mission, aussi, est de pourvoir la marine
de cartes générales, qui soient à la hauteur des connais-
sances. Les cartes , qui mieux que nos ingénieurs
pourrait les rédiger? ne confiez jamais un pareil travail
à ces dessinateurs qui, de leur propre autorité, s'intitu-
lent géographes, car ils ne savent pas faire un choix
éclairé entre les différentes observations qu'on leur four-
nit ; ceux-là seulement qui ont observé en mer peuvent ne
pas s'égarer dans le dédale presque inextricable de
chiffres au milieu duquel un géographe est obligé d'opé-
rer. Quand nos ingénieurs seront déchargés, en partie du
moins, des observations pénibles qu'ils font actuellement
à la mer, pendant cinq ou six mois consécutifs; quand
ils pourront travailler toute l'année au dépôt de la
marine, ils publieront un plus grand nombre de cartes
générales à l'usage des bâtiments de guerre et du com-
merce. Aujourd'hui, ces publications sont très-arrié-
rées et laissent beaucoup à désirer. 11 faut les amener au
niveau des connaissances actuelles.
J'ai parlé seulement, jusqu'ici, des travaux exécutés
sur nos côtes et que tout le monde connaît. Traversons
les mers, et partout nous rencontrerons encore des ingé-
nieurs hydrographes se signalant par leur xèle et par leur
habileté.
Quand l'amiral Roussis exécutait ses belles cartes
€40 NAVIGATION.
hydrographiques du Brésil, son excellent travail sur la
côte occidentale d'Afrique, il avait pour collaborateur
un hydrographe, M. Givry, qui lui était du plus grand
secours.
Ces jours derniers , il a été longuement question ici de
la Martinique et de son sucre ; eh bien , l'autorité aussi
s'est occupée du commerce de cette île , car elle en a fait
dresser la carte hydrographique; ce travail plein de
mérite est l'œuvre de deux ingénieurs hydrographes,
MM. Mounier et Bourguignon-Duperré.
La BmitCj qui est récemment partie pour un très-
grand voyage , compte dans son état-major un ingénieur
hydrographe dont les travaux, j'en ai la conviction pro-
fonde , ne resteront pas en arrière de ceux de ses devan-
ciers. Naguère, je le dis avec une vive satisfaction, la
marine a fait faire avec une rare perfection la carte
hydrographique de toute la côte de l'Algérie; le bâtiment
consacré à cette grande opération était commandé par
M. Bérard. Un ingénieur hydrographe, M. de Tessan, le
même qui vient de s'embarquer avec le capitaine Dupetil-
Thouars, le secondait. Au besoin, je trouverais encore
les higénieurs hydrographes avec M. Barrai, dans le Rio
de la Plata ; avec M. Vanhello , travaillant à la grande
carte des atterrages de nos côtes. Je pourrai enfin vous
les montrer faisant face partout aux justes exigences de
notre marine militaire et marchande.
Il doit donc m' être permis de regretter que, contre la
véritable pensée de la commission et de son organe, il se
soit glissé dans le rapport une phrase qui, si elle n'était
expliquée , porterait le découragement dans un corps qui
NAVIGATION. . 644
est digne de toute l'estime du gouvernement, de la
Chambre et du pays.
Messieurs, je viens de rendre, autant que cela dépendait
de moi , un hommage sincère aux travaux des ingénieurs
hydrographes. Si cela était nécessaire, je pourrais for-
tifier tout ce que j'ai articulé, par l'opinion des étrangers.
11 est bien rare, dans l'état actuel du inonde, qu'un pays
puisse, en quoi que ce soit, dire sans hésiter qu'il est au
premier rang. Prétendez-vous à ce privilège en chimie,
vos adversaires citeront un savant Suédois; parlez-vous
de mathématiques, on vous oppose des noms allemands,
et ainsi de suite pour chaque branche des connaissances
humaines.
Eh bien, ce premier rang si envié, si contesté, vous
pouvez vous l'attribuer hardiment en hydrographie; les
étrangers eux-mêmes vous l'accordent.
J'ai reçu naguère du chef si distingué du bureau hydro-
graphique de l'amirauté anglaise, de M. le capitaine
Beaufort une lettre dans laquelle il proclame hautement
que les travaux hydrographiques exécutés , sous la direc-
tion de M. Beautemps-Beaupré , par le corps des ingé-
nieurs hydrographes sont les plus parfaits qu'on con-
naisse ; M. Beaufort ajoute que tous les hydrographes du
monde sont maintenant les élevés, je rapporte ses propres
expressions, les élèves des hydrographes français.
Je me suis flatté. Messieurs, qu'en vous entretenant
d'un corps distingué, composé de vingt individus, et qui
ne figure d'ailleurs au budget que pour la somme si
minime de 67,000 francs; d'un corps qui s'est déjà
rendu si utile, et qui pourra encore l'être davantage si
V. — II. Ui
Ui NAVIGATION.
on sait Toccoper convenablement; faî pensé, qu'en le
défendant devant vous quand il «e croyait, quand il
devait se croire menacé , la Chambre ne trouverait pas
mes réclamations inopportunes. (Très-bien ! très-bien ! )
A la tête du corps des ingénieurs hydrographes, figu-
rent aujourd'hui quatre ou cinq personnes qui ont con-
quis cette position élevée par une longue oxpérience,
par des voyages de long cours , par des études profondes.
Le reste du corps se compose d'élèves sortis de TÉcole
polytechnique* Le passage du rapport contre lequel f ai
réclamé, auquel on a attribué, je me plais à le croire,
un sais qu'il n'avait pas , a produit un fâcheux effet dans
une certaine classe d'élèves de la marine. J'appelle Tat-
teutioB^de M. le ministre de k marine sur ce fait qui me
parait très-grave*
Vous avez décidé, Messieurs , que tous les otis quatre
élèves de l'École polytechnique pourraient entrer dans la
marine. Ceux qui dioisissent cette carrière sont «ouvent
au premier rang dans les listes générales du mérite ; leur
zèle ne saurait être mis en doute ; leur instruction est
peut-être plus étendue , sous le rapport scientifique , que
la marine ne l'exige. Mais, en ce genre, ce qœ abonde
ne vicie pas; les services qu'ils rendent ne sont pas con-
testés, et cependant on les traite plus déforablement que
s'ils étaient entrés dans l'artillerie ou dans le génie. Dans
ces deux armes, après deux ans d'études à TÉcole d'ap-
plication de Metz et l'examen de capacité qui les ter-
mine, un élève est de droit lieutenant en second; dans la
marine, il faudrait, pour l'égalité d'avantages, qu'après
deux ans de navigation et l'examen de capacité, l'élève
NAVIGATION. 643
de première classe sortant de TÉcolc polytechnique fut,
de droit, enseigne de vaisseau. Cela se pratiquait ainsi
jadis ; maintenant on a changé.
M. Le Ray. Je prie Thonorable orateur de me permettre une
observation. Les élèves sortant de FÉcole polytechniqae au moment
où ils sont élèves de première classe sont faits lieutenants ; ils ne
sont pas plus maltraités que les élèves sortant de l'École d'applica-
tion de Metz.
M. Arago. Jusqu'ici, je le répète, les élèves de
l'École polytechnique, après deux ans de navigation et un
examen de capacité, recevaient immédiatement le titre
d'enseigne de vaisseau ; dans la dernière promotion on
les a traités plus défavorablement.
M. LE Ministre de la maaixe. Il y a eu trop-plein.
M. ÂRAGO. Je l'accorde ; mais les rangs ont été inter-
vertis; des élèves de TÉcole polytechnique sont restés
élèves, tandis que des candidats plus jeunes qu'eux ont
été élevés au grade d'enseigne.
M. le Ministre de la marine. U n'y a pas eu la moindre injustice,
je puis le certifier ; tous ont été placés à leur rang. 11 n'y a pas eu
d'injustice, Je le répète.
M. Arago. Je suis bien aise d'entendre cette déclara-
tion de M. le ministre. Il en résulte que si l'injustice que
je signale est réelle, comme j'ai tout lieu de le croire,
elle a été le résultat d'une erreur et qu'elle sera réparée.
M. LE Ministre de la marine. Il y a un trop grand nombre
«l'élèves pour remplacer le^ vacances dans le cadre des officiers.
Gela provient de ce que pendant quelque temps on a pris à TÉcole
navale au delà du nombre nécessaire. Maintenant on n'admet plus
que ce qu'on doit supposer nécessaire à remplacer les extinctions.
Depuis quatre ans on n'a admis que quarante-cinq à cinquante
jonnos gens à rÉcolo navale de Brest, et c'est à peu près ce qui
"litre dans le corps dos officiers. Et lorsque ce que' J'appellerai le
644 NAVIGATION.
trop-plein sera sorti , je puis assurer que les élèves arriveront au
bout de trois ans au grade d'enseigne de vaisseau.
M. Arago. Je me répète : en voyant pour la première
fois que, après deux ans de navigation et un examen de
capacité, ils n'étaient plus admis de droit au grade d'en-
seigne de vaisseau, les élèves de la marine, anciens élèves
de l'École polytechnique, s'étaient abandonnés à un dé-
couragement qui disparaîtra, j'espère, après les explica-
tions et les promesses de M. le ministre.
XII
SUR l'antipathie contre la science d*dne partie
DE l'administration DE LA MARINE '
Il y a dans l'administration delà marine (remarquez,
Messieurs, que je ne dis pas chez les ministres), une
antipathie contre la partie savante du service nautique
qui est vraiment inexplicable.
Je pourrais ajouter que cette antipathie est une ingra-
titude. Que seriez-vous donc sans ce que les sciences ont
produit? La forme de vos instruments, c'est la science qui
vous l'a donnée ; les admirables bâtiments avec lesquels
on peut faire à bord d'un navire , au plus fort de la tem-
pête, des observations presque aussi exactes que si Ton
était à terre sur un sol immobile, à qui les devez-vous?
Si vous garantissez vos bâtiments des ravages du ton-
nerre; si, aujourd'hui, vous conservez l'eau pure dans
les voyages de long cours ; si vous emportez des aliments
1. Discours prononcé dans la séance de la Chambre des députés
du 5 juin 1837,
NAVIGATION. 645
sains, délicats, pour vos tables, et, ce qui est plus
important, pour vos malades, à qui en êtes-vous rede-
vables? Et les bateaux à vapeur, cette merveilleuse
invention , destinée à changer toutes les relations mari-
times, et qui nous rendra si puissants si nous savons en
cirer parti, à qui le devez-vous? Il faut bien vous rési-
gner à l'entendre, vous les devez exclusivement aux
hommes de science.
J'ai dit, Messieurs, que l'administration de la marine
montrait une antipathie incroyable contre les services
scientifiques de l'art naval. L'accusation est grave, je
pense devoir la justifier par quelques faits.
J'ai entendu de mes oreilles M. le ministre de la marine
(ce n'est ni l'amiral Rosamel ni son honorable prédéces-
seur) dire , dans une occasion solennelle : t La marine
est empestée de science ! » et cela , quoiqu'il fût lui-même
une preuve éclatante du contraire. ( On rit. )
La Chambre s'est occupée avec une sollicitude dont la
France et l'Europe entière lui ont rendu grâce, du sort
du malheureux Blosseville. Ce n'est pas dans les mers
polaires que cet excellent officier avait débuté. Fort jeune,
il avait fait un voyage autour du monde; plus tard, il
s'était embarqué pour l'Inde sur la corvette le Loiret.
Dans le cours de ce dernier voyage , après avoir satisfait
chaque jour avec une exactitude scrupuleuse à tous les
devoirs de sa position, au lieu de rester inactif, au lieu
de fumer sa pipe , au lieu de jouer aux échecs ou aux
dames , il se livrait avec ardeur à des recherches nauti-
ques ou météorologiques, à des recherches de physique
générale et même d'histoire naturelle. Les médecins ou
64e NAVIGATION.
pbarmaciena du bord, de$ timoniers, de simples matelots,
s'associèrent à ce travail» Le candide jeune homme revint
en France, tout glorieux de la riche moisson qu'il avait
faite. A la marine on n'en fit aucun cas : on ne l'invita
même pas à la déposer aux archi^ies. Lain.de là , on porta
la franchise jusqu'à lui dire :. « Vous êtes perdu si vouî^
continuez vos observations; voulez^vous avancer, faites
oublier votre voyage du Loiret. •
Blosseville me confia les registres de son voyage de
l'inda^ lorsqu'il partit pour la déplorable expédition du
Nord, mais à la condition expresse (de laquelle sou
avancement semblait dépendre) que je ne les ferais cour-
laiire que dans le cas oit il lui arriverait malheur. Si
je peux les publier, le monde savant appréciera tout ce
qu'il y avait d'avenir dans cet excellent oilicier.
Blosseville suivit le conseil qu'on lui avait donné; il.
alla à Toulon , et cette fois il ne fit pas la plus légère
observation scientidque. Cela commença à le réhabiliter.
( Mouvement. )
Plus tard, Blosseville partit pour la Grèce; là, le désir
de se rendre utile l'emporta sur la prudence. 11 descendit
dans quelques îles sur plusieurs points de l'Asie Mineure,
et y détermina, en cachette, les divers éléments du
magnétisme terrestre. Les documents obtenus n& furent
point communiqués à la marine ; j'en suis le dépositaire.
Je regrette d'être amené à divulguer de si tristes
choses; mais il faut bien les faire connaître pour que
l'opinion publique puisse les frapper de sa réprobation*
N'eslr-il pas étrange, en vérité, que certaines personncÉ»
soient armées à croire qu'on n'est plus en état de jouev
NAVIGATIOFT. 647
im rôle convenable dans Ie& batailles dès qu'on s'est
occupé de science? Eh! Messieurs, les anciens travaux
hydrographiques de M. Tamiral Rous^'n Pempêchèrent-
îls donc de forcer rentrée du Tage? (Très-bien î très-
bien ! )
Si on le désire, j'envisagerai la question par une autre
face* Demandez à la marine de citer les expéditions dans
lesquelles l'intervention des savants a été nuisible. Qui
saurait, en ce moment, qu'il existe un bâtiment de l'État
qui, sous le nom de Bonite^ fait un voyage de circum-
navigation, si l'Académie des sciences ne lui avait donné
des instructions, si elle ne lui avait tracé un cadre de
recherches?
N'est-il pas d'ailleurs arrivé souvent que Tadministra-
tion de la marine a organisé ses expéditions d'après ses
propres idées, sans aucune intervention des corps aca-
démiques? A-t-on fait alors des merveilles? Tout le con-
traire; ces expéditions n'ont produit que de très-minces,
de très-insignifiants sésultats.
Voyez , par exemple , le voyage de la Favorite par le
capitaine Laplace , ce voyage est certainement très-amu-
sant, très-curieux; mais quant aux renseignements nau-
tiques, on n'y trouve presque lîen. J'ai parcouru avec le
plus grand soin les quatre volumes dont il se compose, et je
n'y ai pas aperçu une seule observation sur la température
de la mer; et cependant la température de la mer n'est
pas seulement une donnée scientifique, elle intéresse au
plus haut degré la navigation. C'est par des observations
de la température de la mer que l'on résoudra tôt ou tard
le problème, jusqu'ici inextricable, des courants; c'est
648 NAVIGATION.
par là qu*on arrivera à savoir d^où ils partent et où ils
vont.
De tous les instruments nautiques, celui qui rend les
plus grands services est certainement la boussole ; mais
la boussole n'est guère employée aujourd'hui que pour
s'orienter : un jour on la verra employée dans un autre
but. Il suffira d'un mot pour qu'on puisse comprendre
mon idée. Une aiguille aimantée suspendue par son centre
de gravité s'incline à l'horizon ; cette inclinaison change
avec les lieux. Les variations de l'inclinaison pourront
donc servir à découvrir de combien un navire aura mar-
ché, et cela par un temps couvert, sans que les astres
aient besoin d'être visibles. L'inclinaison jouera tôt ou
tard un rôle important dans la navigation. Eh bien , par-
courez le voyage de la Favorite , et vous n'y trouverez
pas une seule observation de cette espèce. Cela n'a certai-
nement pas tenu à un manque de capacité des officiers;
cela vient de ce que l'expédition a été préparée à huis
clos dans les bureaux de l'administration de la marine ;
cela vient de ce qu'elle est partie sans recevoir de l'Aca-
démie des sciences des instructions qui eussent certaine-
ment ajouté à sa renommée.
J'entends d'ici ceux qui ne peuvent nier l'exactitude
de mes critiques , s'écrier que je fais de l'histoire an-
cienne : cela était , dira-t-on , mais cela n'est plus !
Ma réponse est toute prête : cela est aujourd'hui autant
et peutrêtre plus que jamais. Ne vient-on pas d'envoyer
deux grands bâtiments parcourir le monde? Eh bien,
leur départ a été tenu secret; il ne fallait pas éveiller
l'attention des savants. Le commandant d'une des deux
NAVIGATION. 6i9
frégates n'a pas soufflé mot ; aussi est-il parti sans emme-
ner d'ingénieurs hydrographes : l'avenir montrera les
conséquences de cette négligence. L'autre est venu me
consulter; il demandait un programme. Je parlai aussi-
tôt de l'Académie des sciences : t Ah ! gardez-vous bien
de la consulter , repartit-il , vous me feriez peut-être enle-
ver mon commandement. »
L'antipathie dont je vous ai déjà si longuement entre-
tenus se fait jour à l'occasion de tous les genres de tra-
vaux. En voici un nouvel exemple.
Vous savez qu'il arrive rarement qu'on puisse alimenter
les chaudières à vapeur avec de l'eau pure ; l'eau alimen-
taire est ordinairement séléniteuse , elle renferme du sul-
fate et du carbonate de chaux. L'eau pure s'évapore
seule; les sels se précipitent, s'attachent à la chaudière,
et forment intérieurement une enveloppe pierreuse,
épaisse *. Ce que je viens de dire est plus vrai encore
quand on se sert de l'eau de mer. En très-peu de temps
c'est dans une chaudière de pierre que se fait l'évapora-
tion, et cela avec une énorme perte de calorique; à
chaque relâche, il faut y introduire un ouvrier qui, à
grands coups de marteau, détache la croûte pierreuse.
C'est une opération chère, pénible, et qui détruit bientôt
la chaudière.
Je viens de parler de la déperdition du calorique ; il y
a un inconvénient plus grave encore. Quand la chaudière
est revêtue d'une enveloppe pierreuse , elle rougit exté-
rieurement; dans cet état, supposons qu'il se fasse une
1. Voir sur cette question la Notice sur les explosions des machines '
à vapeur, p. 173 de ce volume.
«50 NAVIGATION.
fissure dans la couche pierreuse , Teau froide alimentaire,
en tombant sur le métal incandescent, produit subitement
des torrents de vapeur à l'écoulement desquels la sou-
pape de sûreté ne saurait suffire : de là des explosions ,
et tous les malheurs qui en sont la conséquence inévi-
table. Empêcher qu'il se fornve une croûte solide dans
une chaudière , ce serait donc un service immense rendn
à l'industrie et surtout à la navigation à vapeur. Ce pro-
blème vient d'être résolu. Dans Tintérêt de l'inventeur,
la solution a un seul défaut : elle est trop simple. Le bre-
vet quMl a pris n'empêchera personne de se servir de sa
méthode»
ML LE l^timsTfa DE LA MARiiTE. Je ferai observer à M. Arago que
j*aî acheté ce brevet
M. Arago. Je le sais, Monsieur le ministre, mais la
transaction ne m'a pas paru satisfaisante.
Pour empêcher une croûte pierreuse de couvrir inté-
rieurement une chaudière de machine à vapeur, il suffira
désormais de mêler à l'eau de l'argile en poussière, de
l'argile très-divisée. C'est en cela que consiste la décou-
verte de M. Chaix - de - Maurice. Que lui proposait la
marine? Elle consentait à acheter l'argile au prix de
fabrique; en d'autres termes, elle aurait donné 25 cen-
times pour chaque voyage de bateau à vapeur de Toulon
à Alger. Je le demande, n'était-ce pas dérisoire? Heu-
reusement quelques personnes très-haut placées, et si j(*
ne me trompe, le duc d'Orléans lui-même, ont porte
intérêt à l'inventeur. La marine s'est amendée, elle a
oflert 20,000 francs une fois donnés. Je trouve, moi, que
ce n'est pas assez.
NAVIGATION. m
M. LR MINISTRE DE LA MARINE. U a RCCepté.
M. Aaago. M* Ghaix a accepté, parce que, à côté de
la première proposition, celle-ci était très-favorable.
Mais 20,000 francs une fois donnés pour une découverte
qui influera sur toute notre industrie, je le répète, ce
n'est pas suffisant» Je devine votre réponse , Monsieur le
ministre; vous direz que vous> n'aviez pas de fonds pour
cet objet; mais n'àviez-vous la ressource d'une demande
directe à la Chambre? Pour moi, j'ai la conviction qu'elle
ne voua eût pas refusé les moyens de récompenser
dignement une aussi utile découverte.
XIII
OBSERVATION DES MARÉES
[ M. Arago, dans les séances de la Chambre des députés des 5
et 9 juin 1837, s'est occupé de la manièi*e dont étalent faites
les observations des marées; les paroles qu'il a prononcées sur co
sujet sont réunies ici. ]
1^ Séance du 5 juin.
M. le rapporteur du budget déclare que les observa-
tions des marées,, dont,, au reste, il reconnait la nécessité,
coûtent trop : quelques cadrans solaires, dit-il, et quel-
ques mâts divisés ne sont pas ^ dispendieux. Il est vrai.
Messieurs, qu'à une certaine époque les mâts divisés et
les cadrans solaires suffisaient à l'observation des marées.
Il n'en est pas ainsi aujourd'hui : la science est devenue
plus exigeante ; il lui fa«t des fractions de minutes que
les cadrans solaires ne peuvent pas déterminer ; il faut
des aK)ntre&dont la marche soit assez régulière pour don*
652 NAVIGATION.
uer l'heure de Tobservation avec exactitude, quand le
soleil ne se montre pas, et vous savez combien cela
arrive souvent dans plusieurs de nos ports , et surtout à
Brest*
J'arrive à faire des remarques analogues relative-
ment aux mâts divisés. Sans doute, si la surface de l'eau
était constamment tranquille, sa hauteur pourrait, à cha-
que instant , être facilement déterminée ; mais la mer est
souvent très-agitée, on est alors obligé de procéder par
voie de moyennes, ce qui n'est ni commode ni exact ; et
le ministère de la iparine a l'intention de faire faire à
l'avenir les observations dont il s'agit avec des machines
ingénieuses d'une invention récente, et qui d'elles-mêmes
enregistreront les hauteurs successives du niveau de l'eau.
Je termine par une autre considération bien propre à
faire voir combien l'emploi de ces nouvelles machines est
désirable. Là où des observations de marées ont été insti-
tuées, les observations de jour sont faites assidûment; celles
de nuit , au contraire , manquent ; cependant la science
en aurait le plus grand besoin. Eh bien , il ne faut pas
mettre aux prises, la nuit et par un très-mauvais temps,
la paresse et le devoir, car la paresse l'emporterait, et
l'on aurait des observations supposées, fabriquées; la
machine coupera court à cette grave difficulté.
2" Séance du 9 juin.
Je présenterai à la Chambre quelques observations
succinctes sur les travaux scientifiques importants qui
pourraient être exécutés par divers employés de la
NAVIGATION. 653
marine. Le corps enseignant maritime renferme cinq
professeurs d'hydrographie de première classe , cinq de
deuxième, six de troisième, vingt- huit de quatrième.
Ces professeurs , je crois, ne sont pas aussi activement
occupés qu'on pourrait l'imaginer; je viens donc propo-
ser à M. le ministre de la marine de vouloir bien les
charger d'un travail qui leur ferait honneur et pourrait
être d'une grande utilité , je veux parler de l'observation
des marées. On ne fait aujourd'hui ces observations d'une
manière régulière qu'à Brest. Il serait très-utile qu'on les
suivît dans un plus grand nombre de ports; vous procu-
reriez ainsi aux navigateurs des données importantes sur
l'heure de Y établissement ^ et vous fourniriez au géomètre
et au physicien des éléments d'un grand intérêt et féconds
en curieux résultats. Il est d'ailleurs une circonstance du
moment qui me fait vivement désirer que M. le ministre
de la'marine prenne en grande considération l'observation
que j'ai l'honneur de lui faire : nos voisins, les Anglais,
s'occupent maintenant de ces observations des marées
avec un soin, une suite, une exactitude, dignes des plus
grands éloges. J'ai dans la main deux lettres. Tune de
M. Whewhel, de Cambridge, l'autre de M. Lubbgck, de
Londres, par lesquelles j'apprends que l'amirauté a
ordonné que des observations fussent faites dans cinq
cents points des îles britanniques. Ces observations, com-
parées avec celles des côtes de France, conduiraient à
des résultats également utiles à la marine et aux sciences
spéculatives.
IVl. LE MINISTRE DE LA MARINE. Je ferai observcr à M. Arago que
les Français contribuent à ce travail
6o4 NAVIGATION.
M. Arago. Je cannais la nature de la demande qui
vous a été adressée récemment. Il tf était question que
d'observations simultanées faites à certains jours choisis;
tandis que je réclame des observations continues, per-
manentes.
M. LE xnnsTEE DE LA ifABT!fE. Où les fût SOT UD très -grand
nombre de points. Je réponds à Tonteur qne je m^oocopeni de
donner suite à son idée. Je ne lui garantis pas de quelle manière
je le ferai.
XIV
RIDAGE ITES HATS
[Le 2!i mai 1836, M. Arago a signalé les avantages du s^rstème de
rjdage des mâts à crémaillère, imaginé par M. Painchaut, dans le
discours suivant : ]
Les mets des navires sont maintenus dans la position
verticale sur les bâtiments à Taîde de cordages dont le
point d'attache est sur le bord. On se sert, pour les
mettre dans cette position , d'une machine qui est encore
dans Tenfance de Fart, et qu'on appelle cap de mouion.
Un artiste français a imaginé un procédé à l'aide
duquel on peut tendre les cordages, quand les effets
hygrométriques ou le vent les ont détendus, plus com-
modément que par l'ancienne méthode. Avec un beau-
coup moins grand nombre de matelots, et dans des cir-
constances beaucoup plus difficiles, on arrive à rider le
mût. M. le ministre de la marine a donné toute son atten-
tion à ce procédé, il l'a fait examiner avec soin, et tous
les rapports ont été favorables. Par suite, M. le ministre
de la marine a conclu un marché avec l'inventeur,
M. Painchaut; mais on est convenu qu'on coratmanderait
NAVIGATION. 655
ce nouveau moyen de ridage, beaucoup supérieur à
l'ancien , de manière que le maximum de la dépense de
chaque année fût de 60,000 fr.
Je demanderai à M. le ministre de vouloir bien nous
dire pourquoi, malgré l'opinion favorable qu'il a de ce
procédé, on commande cependant d'anciennes méca-
niques; pourquoi dans les bâtiments neufs, on ne se sert
pas exclusivement du système de ridage qu'a imaginé
M. Painchaut.
Ce procédé a surtout une propriété dont la Chambre
comprendra l'importance au premier mot.
Dans le système ancien , on était obligé d'éloigner les
canons des caps de mouton , parce que le feu pouvait y
prendre. Le mécanisme nom^au étant en métal , on n'a
plus à craindre ce danger. Il est beaucoup plus com-
mode, d'une manœuvre plus facile, et de plus, si vous
comptez, non pas les frais de premier établissement,
mais si vous comparez ce que coûte le ridage par l'an-
cienne méthode, avec ce qu'il coûte par la méthode
nouvelle, vous trouverez une économie énorme.
Ainsi , je constate dans les résultats qui nous ont été
soumis , qu'au bout de vingt ans la dépense de ridage
pour une frégate de troisième rang est de 98,000 fr.,
par l'ancienne méthode; tandis que par la nouvelle
méthode, cette dépense n'est évaluée qu'à 25,000 fr.
Vous voyez que sur une frégate, il y a une économie
de 72,000 fr. dans un espace de vingt ans. Je le répète ,
M. le ministre a donné toute son attention à ce perfec-
tionnement; mais il est extraordinaire que, malgré tous
les avantages qu'il a reconnus au système du ridage à
666 NAVIGATION.
crémaillère , on exécute encore dans nos ports des bâti-
ments neufs auxquels on applique l'ancienne méthode,
qui véritablement appartient à l'enfance de Tart.
Voici ce que disait du système de ridage de M. Pain-
chaut, M. le ministre de la marine lui-même : «Si à ces
avantages (ceux d'une manœuvre plus facile) se joint
celui de l'économie , il ne faudrait pas balancer à l'étendre
immédiatement à tous les vaisseaux. » Puisque la ques-
tion d'économie est aujourd'hui résolue, pourquoi per-
siste-t-onà employer l'ancien système? Je ne m'oppose
pas à ce qu'on fasse des essais pour chercher à perfec-
tionner le système de M. Painchaut, mais je ne comprends
pas que quand on a à choisir entre un système reconnu
mauvais et un autre reconnu meilleur, on ne choisisse pas
le dernier en attendant d'autres améliorations. Il est de
mauvaise administration de continuer à fabriquer des
caps de mouton dont l'infériorité par rapport aux cré-
maillères est manifesta.
XV
EMPLOI SIMULTAKÉ DES VOILES ET DE LA VAPEUR '
Je demanderai à M. le ministre de la marine s'il a
l'intention de faire répéter l'expérience que M. le capi-
taine de corvette Béchameil vient de terminer?
Vous siavez, Messieurs, que, dans l'état actuel de?
machines à vapeur, un bâtiment à vapeur ne peut pas
entreprendre de très-longs voyages, à moins qu'il ne
1. Paroles prononcées dans la séance de la Chambre des députés
du 18 juiUet 1839.
NAVIGATION. C57
trouve sur sa route les moyens de renouveler son charbon.
l^e plus grand voyage qu'on eût réalisé jusqu'ici d'un
seul trait, en partant d'Europe, était la traversée de
Liverpool à New- York. La marine française a eu l'hon-
neur de faire plus; un de ses navires à vapeur est allé sans
s'arrêter de Rochefort à la Havane. Le charbon embar-
qué à Rochefort a suffi à tout le trajet.
Ce curieux, cet important voyage s'est réalisé par la
combinaison des deux systèmes de navigation.
Si vous entrepreniez de faire marcher à la vapeur un
bâtiment destiné à porter ordinairement une vaste voi-
lure , vous perdriez une grande partie de votre force par
la résistance que l'air exercerait sur la mâture, sur les
vergues, sur les cordages, sur les haubans. Eh bien, il
s'est trouvé dans notre marine mi officier qui a conçu la
possibilité de se débarrasser de tous ces obstacles à
volonté, et en trcs-pcu de temps, qui a obtenu de l'ad-
ministration de la marine la permission d'installer son
nouveau système sur un grand bateau à vapeur, qui a
montré aux marins de Rocliefort étonnés un mâture qui
descend tout entière sur le pont, des vergues à articula-
tion qui se reploient sans difficulté, enfin un navire qui
marche à la voile quand le vent est favorable, et à la
vapeur dès qu'il y a calme ou vent contraire.
Le bateau à vapeur installé par M. Béchameil , est allé
de Rochefort à la Havane en naviguant tantôt comme
bâtiment à voile, tantôt comme bateau à vapeur. Sa
vitesse moyenne a été , dit-on , de près de quatre lieues
à l'heure. Si ces faits sont exacts, ils ont de l'importance
et font honneur à notre marine. Je demande à M. le
V.— u. 42
658 NAVIGATION.
ministre de donner suite à cette expérience. Je désire
qu'elle soit continuée, complétée, dans le triple intérêt
des sciences, de la marine et de Tbonneur national.
XVI
CJir.0501lf:TRES ET CBRCLBS A BÉrLUIO!! PESmis
A LA MAAUIE '
Le chapitre \ du budget est ainsi conçu : «Travaux
el dépenses pour le progrès des sciences maritimes,
685,700 fr. t
Je propose d'ajouter à ce chapitre une somme de
30,000 fr, pour la construction de chronomètres et de
cercles à réflexion destinés à la marine.
Il faut distinguer, dans le service de la marine, trois
branches entièrement distinctes : le combat, la manœuvre,
le pilotage. Je ne parlerai pas des deux premières ; je
serais incompétent. Et d'ailleurs, il faut le dire , sous ce
rapport le glorieux combat de Navarin , la mémorable
expédition du Tage, ont montré au pays , d*une manière
éclatante, que les marins de notre époque sont les dignes
successeurs de ceux qui jadis illustrèrent à un si haut
degré notre pavillon ; et dans ce nombre je comprends
les marins de la République et de TEmpire, lesquels,
placés dans les circonstances les plus défavorables, avec
un matériel imparfait, avec des équipages inexpérimen-
tés, ne succombèrent qu*après avoir coulé bas aux Anglais
trente -deux vaisseaux de premier rang, sept vaisseaux
1. Discours prononcé dans la séance de la Gbambre ito dépotés
du 22 mai 1833.
NAVIGATION. 659
de 50 canons, quatre-vingt-six frégates, et une multitude
(le bâtin)ents de moindre dimension*
La seule question dont je veuille vous entretenir est
une question de pilotage; c'est une question qu'un de nos
honorables collègues, auquel j'avais communiqué mes
idées à ce sujet, a appelée une question scientifique.
«Votre amendement, m'ft-t-il dit, serait certainement
adopté dans une académie; mais, dans une assemblée des
mandataires du pays, dans une assemblée qui ne doit
s'occuper que de pratique , le succès de cet amendement
me paraît incertain. »
Ces paroles ont tracé la route que je dois suivre en
développant mon amendement J'ai rassemblé des faits
importants, à chacun desquels j'ai donné la date et un
nom propre , afin de prouver que l'amélioration que je
propose, c'est-à-dire la présence à bord de chaque bâti-
ment d'un chronomètre et d'un cercle de réflexion, sera
suivie d'importants résultats et préviendra de grands
matbeurs.
Je demande à la Chambre la permission d'entrer dans
quelques détails techniques sur la méthode qu'on appelle
l'e^^ime; je tâcherai de ne pas fatiguer son attention.
On se sert, ^n mer, de la boussole, qui indique la
direction snivant laquelle on navigue ; on se sert encore
d'un autre petit instrument appelé ioch^ qui se jette à la
mer, pour déterminer la vitesse du navire.
Je parlerai tout à l'heure des erreurs grossières qui
peuvent résulter de l'emploi exclusif du premier instru-
ment. Je vais dire quelques mots dee erreuns produites
par l'emploi do hck
C60 NAVIGATION.
Quel est celui de vous, Messieurs, qui n'a pas vu sur
a Seine un batelet poussé par un vent d'ouest rester tout
à fait immobile relativement au quai ? Cela vient de ce
que la force du vent suflQt tout juste pour contre-balancer
le mouvement descendant du courant.
Comment détermine-t-on , en mer, le chemin qu'on a
parcouru? On jette une planche, on la suppose immobile ;
or, souvent elle ne Test pas; souvent elle est entraînée
par les courants. Vous croyez marcher, et vous ne mar-
chez pas ; vous êtes comme l'homme qui monte le petit
bateau dont je parlais tout à l'heure; car celui-ci, quoi-
qu'il soit arrêté, croirait qu'il remonte le courant avec la
vitesse dont ce courant est doué, si , comme le naviga-
teur, il jetait une planche à l'eau et y prenait son repère.
Mais, dira-t-on , existe-t-il en mer des courants? N'est-
ce pas une considération théorique qui fait supposer qu'il
y a au milieu de l'Océan de véritables rivières, marchant
ici du nord au sud ; là, du sud au nord ; ailleurs, de l'est
à l'ouest? Or, de tels courants existent, sans aucun doute,
et les erreurs qui en résultent sont souvent énormes.
Ainsi, je trouve dans le voyage du capitaine Marchand,
si savamment discuté par M. Fleurieu , qu'il règne au
nord de l'océan Atlantique des courants de neuf et de
dix-sept lieues par jour.
Ailleurs, dans l'hémisphère sud, je trouve que le même
capitaine Marchand , qui était au courant de toutes les
méthodes scientifiques, s'était trompé de soixante-seize
lieues dans un espace de quinze jours. Dans le même
hémisphère sud, j'aperçois une erreur de l'estime de
quatre • vingt - neuf lieues dans l'espace de dix jours. A
NAVIGATION. CCI
quels accidents épouvantables des incertitudes de cette
nature ne peuvent-elles pas conduire? Eh bien, les bâti-
ments de l'État naviguent presque tous par cette méthode
défectueuse de l'estime ; ils ne se servent que de la bous-
sole et du loch.
Je viens de parler du voyage du capitaine Marchand;
on me répondra sans doute qu'à cette époque les mé-
thodes nautiques n'étaient pas perfectionnées, et qu'il y a
eu erreur dans les observations. Eh bien, je trouve dans
les livraisons déjà publiées du voyage du capitaine Frey-
cinet que , dans la Méditerranée , il a traversé dès cou-
rants qui avaient une vitesse de quatorze lieues par jour ;
que, dans l'océan Pacifique, il en a rencontré dont la
marche correspondait à vingt-une, et môme à vingt-trois
lieues dans le même intervalle.
Je vous le demande. Messieurs, n'êtes-vous pas effrayés
des catastrophes que de telles erreurs doivent entraîner?
La conséquence n'est pas toujours un naufrage , sans
être moins fâcheuse. Vous croyez être fort loin de la côte,
vous manquez de profiter du vent qui devait vous faire
entrer dans le port, et vous êtes obligé de l'attendre
quinze jours.
On éviterait complètement ces erreurs, si les bâtiments
étaient munis d'un chronomètre et des instruments à
réflexion. Je prendrai un dernier exemple dans la ma-
rine anglaise pour épuiser la question. Un bâtiment , le
Blossom , destiné à une expédition scientifique , ayant h
bord un officier du plus rare mérite, le capitaine Beckey,
a fait, par l'estime, dans le passage de Ténériffe au Bré-
sil, une erreur de quatre-vingt-une lieues. S'il n'avait pas
ee^ NAVIGATION.
eu à son bord des moyens d'observation de la nature de
ceux que je réclame, il aurait pu manquer le port de Rio-
Janeiro , et aventurer le succès de son intéressante expé-
dition.
Il existe une autre cause d'erreur que j'ai signalée tout
à riieurc. Cette cause tient aux imperfections de la bous-
sole. Je le dis à regret : sous ce dernier rapport, la ma-
rine ne s'est pas élevée à la hauteur des connaissances
actuelles.
On se dirige en mer au moyen de Taiguile aimantée.
Dans chaque lieu, Taiguille forme avec le méridien un
angle déterminé; mais à bord d'un navire, il y a des
masses de fer considérables, il y a des ancres, des canons,
des boulets , des caisses en fer remplies d'eau. Or, tout
cela altère la position de l'aiguille. Je reconnais qu'avant
de sortir du port, on peut déterminer numériqu^xient la
valeur de cette déviation locale ; mais malheureusement il
a été constaté, par des expériences que la théorie est
venue éclaircir depuis, que la quantité de cette déviation
qui résulte de la présence des masses de fer répandues^
dans le navire n'est pas la même dans toutes ses positions,
dans toutes ses orientations ; ainsi les ancres , les câbles
en fer, les canons, altèrent d'une certaine quantité la po-
sition de l'aiguille quand vous marchez au nord , et ils
altèrent cette position d'une quantité tout autre quand
vous marchez au midi. La différence, même sans qu'on
s'élève par de très-grandes latitudes, est quelquefois de
10, de 15, de 25 degrés.
Dans la crainte qu'on ne dise encore ici que je fais de
la théorie , je vais citer quelques événements fâcheux qui
NAVIGATION. 663
sont résultés de l'ignorance oii l'on était jadis, relative-
ment aux changements de ces déviations accidentelles de
l'aiguille aimantée suivant les diverses positions du navire.
Je les emprunte à un navigateur dont assurément per-
sonne ne contestera l'autorité, au capitaine Scoresby.
En 1804, 69 navires marchands font voile de Cork le
26 mars, sous l'escorte de deux vaisseaux de ligne an-
glais, le Carysfort et r Apollon. Le 2 avril, dans la nuit,
pendant que l'Apollon^ d'après l'estime, était à 100 milles
( 33 lieues de terre ) , il se brise sur la côte de Portugal ,
près du cap Mondego ; 29 des vaisseaux marchands qui
avaient réglé leur route sur celle de l Apollon firent éga-
lement naufrage. 11 périt dans cette catastrophe près de
300 matelots. On a longtemps attribué ce terrible nau-
frage à l'action des courants; mais il paraît constaté,
d'après la discussion de M. Scoresby, qu'il a été, en
grande partie, occasionné par une erreur accidentelle de
la déclinaison magnétique qui trompa le capitaine de
r Apollon , sur la marche duquel tous ces navires mar-
chands dirigeaient leur marche.
Dans l'hiver de 1811 à 1812, le Héro, de 74, se perd
au Texel, en venant du Cattegat, avec plusieurs des
bâtiments marchands qu'il escortait. Il ne se sauva que
8 matelots. Le Saint-Georges de 98, amiral Reynolds,
et la Défiance de 74, éprouvent le même sort sur la côte
du Jutland. L'amiral, le capitaine de la Défiance y près
de 2,000 matelots furent noyés.
En 1810, le Minotaure^ de 74, fait naufrage à l'em-
bouchure du Texel, le 22 décembre; 860 matelots pé-
rissent.
664 NAVIGATION.
M. Scoresby regarde comme très-probable que ces
quatre naufrages n'auraient pas eu lieu si les capitaines
avaient connu les moyens de tenir compte de la déviation
locale de la boussole.
Est-il possible de se garantir de cette cause d'erreur ?
Oui , Messieurs, on peut s'en garantir très-facilement ; et
je ne propose pas d'allocation pour cela , car la dépense
dans chaque bâtiment ne sera que de 10 à 12 fr. La mé-
thode de correction dont je veux parler est due à M. Bar-
low. Elle consiste à compenser la déviation par une petite
plaque de fer placée près de la boussole. Le magnétisme
terrestre , qui est la cause des changements de déclinai-
son , modifie également les masses troublantes et la pla-
que de correction , en sorte que tout se compense à peu
près exactement en tout lieu et dans toutes les orientations
du navire.
Je prends la liberté de recommander cette ingénieuse
méthode à M. le ministre de la marine. Je le prie de vou-
loir bien engager les officiers sous ses ordres à l'étudier.
La navigation , par de hautes latitudes surtout , en tirera
de grands avantages , sans aucune augmentation de dé-
pense.
On ne manquera sans doute pas de s'écrier : En
admettant l'existence de tant de causes d'erreur, il doit
en résulter la perte d'un très-grand nombre de bâtiments;
or, est^il vrai qu'il s'en perde beaucoup? Quoique dans
la marine anglaise les méthodes que je recommando
soient plus répandues que dans la marine française, il
se perd trois navires chaque deux jours, plus de cinq
cents bâtiments par an. Je suis très-loin d'affirmer que
NAVIGATION. 665
tous les naufrages proviennent de l'absence de chrono-
mètres et d'instruments à réflexion; mais une bonne
partie peut être attribuée à cette cause. Sur la côte de
France, depuis Dunkerque jusqu'à Saint-Jean-de-Luz,
il se perd quatre-vingt-huit bâtiments par an. En suppo-
sant que le tiers seulement de ces naufrages tienne aux
erreurs de l'estime , ce serait porter remède à un mal
très-grave que de donner aux marins les moyens de s'en
garantir. Au reste, les méthodes nautiques communes,
auxquelles je voudrais voir substituer des moyens plus
scientifiques , ont été caractérisées comme elles le méri-
tent par des marins dont le nom ne peut manquer d'avoir
une grande autorité dans cette Chambre.
Voici de quelle manière , par exemple , M. Fleurieu
parle de l'estime.
« Puissent mes comparaisons faire sentir à nos naviga-
teurs que Yestime n'est qu'un moyen subsidiaire dont il
n'est plus permis de faire usage que lorsqu'il n'est pas
possible de chercher dans le ciel la position qu'occupe le
vaisseau sur la terre.
« Ce n'est que par le secours des observations astro-
nomiques qu'on peut parvenir à rectifier les erreurs iné-
vitables de Yestime de la route; estimation arbitraire qui
n'est fondée sur aucun principe solide.
« Les méthodes vulgaires de pilotage sont le tûtonnc-
nement des aveugles.
« On ne saurait trop inviter les navigateurs français à
abandonner enfin la vieille routine et à employer les nou-
velles méthodes quil nest plus permis d'ignorer sans
honte. »
666 NAVIGATION.
Ainsi y après avoir cité des faits positifs, je montre, par
Tautorité d'un navigateur dont le savoir et rexpérience
ne sont ignorés de personne, que la méthode ordinaire
de pilotage ne saurait être trop vivement combattue :
j'arrive maintenant à la méthode que les navigateurs
instruits ont substituée aux tâtonnements de restime. Ils
décomposent la route que Ton fait en deux portions : la
première dirigée du nord au sud, s'évalue sans diflîculté,
et par une observation à la portée de tout le monde ; la
portion placée de l'est à l'ouest est l'objet d'un problème
qu'on a appelé le problème des longitudes, et dont on
s'est occupé avec une grande constance depuis deux
siècles.
A-t-on jamais considéré ce problème comme pure-
ment spéculatif, comme un problème de théorie? Déjà,
en 1603, Henri IV accordait une forte pension à un
auteur qui avait trouvé une méthode de détennination
des longitudes un tant soit peu plus exacte que les mé-
thodes alors employées.
En 160/i, Philippe III d'Espagne s'engage à donner
un prix de 100,000 écus à celiii qui résoudra ce pro-
blème d'une manière satisfaisante.
En 1606, les États de Hollande oOrent 100,000 flo-
rins pour le même objet
En 1634 9 Richelieu fait étudier une méthode de Morin.
par une commission composée de l'intendant général de
la marine , de trois capitaines de vaisseau , et de cinq
savants, au nombre desquels se trouvait Pascal.
En 1668, Louis XIV promet 100,000 fr. à un Alle-
mand qui prétend avoir trouvé une méthode des longi-
NAVIGATION. 667
ludesw Je trouve dans la liste des commissaires : Colbert,
Il uy gens, Roberval, Picard, et Duquesne, le vainqueur
de Ruyter.
En 1714, sous la reine Anne, un acte du parlement
d'Angleterre promet 20,000 livres sterling (près de
500,000 fr.) à celui qui donnera une méthode propre à
déterminer les longitudes, après un délai de six semaines,
à un demi-degré près.
Je passerai sous silence les épreuves nombreuses faites
par ordre de l'Académie des sciences, afin qu'on ne
m'impute pas de me jeter dans des spéculations.
Le gouvernement anglais ne s'en est pas tenu à de
simples promesses; il a accordé des sommes considéra-
bles à tous ceux qui ont fait faire quelques progrès au
problème des longitudes. Ainsi, en 1714, le parlement
donna 50,000 francs à Whiston pour de simples essais;
en 1765, il décerna une sonmie de 250,000 francs à
Harrison, d'abord charpentier de village, et ensuite
très-habile horloger, pour avoir exécuté une montre avec
laquelle des officiers de la marine avaient déterminé
assez exactement la longitude de la Jamaïque. En 1800,
je vois figurer Arnold et Earnshaw, chacun pour
75,000 francs, parmi les récompenses données pour le
perfectionnement de la même question. Auparavant , en
1766, il avait alloué à la veuve du célèbre asti'onomc
ïobie Mayer une somme de 75,000 francs. Je ne crois
point me tromper en affirmant que le gouvernement
anglais a, je ne dis pas promis, mais donné près d'un
million pour le problème des longitudes.
Aujourd'hui, les moyens de déterminer cet élément de
668 NAVIGATION.
toute navigation exacte sont d'une extrême précision.
J*en citerai seulement deux exemples, que j'emprunterai
aux navigateurs anglais. J'aurais pu en puiser également
dans la marine française , surtout dans les voyages de
découvertes, parce que les bâtiments chargés de ces
expéditions ont à bord , pour se diriger , des moyens qui
nVxistent pas, du moins au même degré , dans les autres
navires de l'État
Voici les deux exemples dont je veux parler. La navi-
gation des bâtiments de la compagnie des Indes , de ces
bâtiments qu'on appelle en Angleterre indiamen, se fait
par les moyens perfectionnés dont je demande l'applica-
tion plus générale dans notre marine. Un convoi de ces
bâtiments partit, il y a quelques années, de l'île de
Madère , ne rencontra pas une seule voile dans toute sa
traversée , ne vit pas un seul coin de terre , et arriva à
Bombay assez sûr de sa position pour y jeter l'ancre au
milieu de la nuit*
Voici mon second exemple. Le capitaine Basilhall,
commandant d'un bâtiment de l'État, partit de San-Blas,
sur la côte occidentale du Mexique , doubla le cap Horn
sans apercevoir la terre; parvenu à cinq journées de
distance de Rio-Janeiro, il détermine sa longitude, ne
commence 5 diminuer sa voilure qu'à cinq lieues de
distance, mais sans changer sa route. Le jour commence
h poindre; un coup de vent dissipe le brouillard, et tout
l'équipage reconnaît avec enthousiasme que le cap da
navire est exactement dirigé sur le Pain de sucre qiii
marque l'entrée de Ria-Janeiro.
Le problème des longitudes, je le répète, est aujour-
NAVIGATION. 6G9
d'iiui complètement résolu. Il n'y a plus, quant au Levant,
dans la détermination de la place d'un bâtiment en pleine
mer, que des erreurs extrêmement légères et sans aucune
importance réelle.
Malgré ces immenses progrès, le Anglais ne sont pas
restés inactifs. Ils ont établi des prix graduels pour les
chronomètres; le prix est d'autant plus considérable quf
le chronomètre marche avec plus de précision. Ils sor-^-
arrivés ainsi à une précision vraiment étonnante.
Ne croyez pas, Messieurs, que ces mêmes résultats
ne puissent être obtenus en France. Il y a à Paris des
horlogers d'une grande habileté qui vous fourniront des
instruments au moins aussi parfaits, si vous les leur com-
mandez.
Je regrette vivement que le défaut d'allocations suf-
fisantes ne permette pas à M. le ministre de la marin(»
d'acquérir un assez grand nombre de chronomètres pour
pouvoir en placer au moins un à bord de tous les navires
qui doivent faire des voyages un peu longs.
Je terminerai par une réflexion qui montrera à quel
point nous sommes arriérés sous ce rapport.
J'ai demandé au constructeur qui fait à Paris des
instruments à réflexion, dont la réputation est euro-
péenne, combien il avait vendu de cercles à réflexion.
Il m'a répondu qu'en 1831 , ce nombre ne s'était élevé
qu'à quatre. Or, il est à ma connaissance personnelle
que quatre cercles à réflexion ont été achetés par les
ordres de la reine pour être donnés en cadeau aux offi-
ciers de la frégate sur laquelle le prince de Joinvillc
s'embarqua.
«70 NAVIGATIGK
En 1832 y le même artiste n'en a vendu que deux.
J'ai visité à Londres les ateliers de Troughton et de
âims, et je les ai vus remplis de piles d'instruments à
réflexion que les officiers de marine y avaient déposés.
Quant aux dironomètres, je sais que de 1822 à 1832, on
«n a déposé 500 à Tobservatoire de Greenwich pour y
être essayés.
• ' 11 résulte d'un document officiel , qu'à la date de 1818,
un seul constructeur, M. Earnshaw, avait déjà vendu,
pour sa part mille chronomètres.
Nous ne devons pas espérer de pareils sucoès en
France; maïs je crois que si vous adoptez l'amendement
que je propose, la direction favorable que vous impri-
merez aux études nautiques aura cet heureux résultat,
que les officiers de la marine marchande, astreints par nos
lois à s'embarquer sur les navires de TÉtat, prendront
généralement le goût des bonnes méthodes, et sortiront
bientôt de l'ornière profonde dans laquelle nous nous
traînons depuis trop long temps. (Marques générales
d'adhésion.)
[ Après la réponse de M. le ministre de la marine, M. Arago a
répliqué en ces termes:]
Je me serais bien mal expliqué si Ton pouvait induire
de mes paroles, que je regarde notre marine comme
n'étant pas à la hauteur de la marine anglaise. Je con-
nais personnellement un grand nombre d^ofïîciers de
notre marine, et mille part je n'ai vu, je le déclare hau-
tement, plus de talent, plus d'instruction, plus de zèle
que chez ces jeunes gens. Ce qfue je demande , c'est que
ce zèle soit bien dirigé ; c'est qu'on mette dans des mains
NAVIGATION. G7I
aussi habiles, des moyens d'arriver aux importants résul-
tats que nous pouvons en espérer.
1\1. le ministre de la marine a dit qu'il est arrivé très-
rarement qu'un bâtiment de l'État soit parti sanschrono-
mùlre. Je suis fûché d'être, à cet égard, mieux instruit
que M. le minisire lui-même. (On rit.) Je ne prétends pas
(pie cela ait lieu piir l'effet d'une mauvaise volonté; mais
il est cedain, je le répète, que des bAtimcnls partent
souvent, môme pour l'Amérique, sans s'être pourvus des
moyens de déterminer leur longitude. Ces jours derniers,
par exemple, un bâtiment de l'État, commandé par le
capitaine Louvel, est revenu du Sénégal. Sur le parallèle
des Açores , cet officier a vu ou cru voir un écueil. Eh
bîwi , il n'a pu en déterminer la position , faute d'avoir un
chronomètre. Il y a, je le répète, dans la marine fran-
çaise , tous les éléments de succès possibles. J^es officiers
qui sortent de l'école navale sont pleins d'instruction et
de zèle. Ce que je demande, c'est qu'on mette dans leurs
mains les moyens de naviguer avec sûreté, (Aux voixl
aux voix!)
[ L'amendement proposé par ^l. Arago a été adopté. ]
FC< DU TOME DEUXIEME DES KOTICES SCIENTIFIQUES
TABLE DES FIGURES
Fig. fag<i.
1. Principes des machines à réaction 5
2. Mode d'action de la vapeur dans la machine d*Iléron. . 8
3. Explication de Tascension de Peau dans la machine de
Salomon de Gaus 15
II. Explication de Pélévation du piston dans la machine de
Papin 2&
5. Descente du piston arrivé & l'extrémité de sa course
dans la machine de Papin 26
6. Fac-similé du dessin de la machine de Salomon de Caus. 86
7. Fac-similé du dessin de la machine de Savery (vue de
face) 89
8. Fac-similé du dessin de la machine de Savery (vue de
côté) 89
9. Machine hydraulique de Papin pour transporter fort
loin la force mouvante des rivières 92
10. Machine à vapeur de Papin de 1690 97
n. Machine de Porta lo:)
12. Appareil d'Héron pour l'emploi de la force élastique de
Pair 111
FIN DE LÀ TABLE DES FICTRES
TABLE DES MATIÈRES
DU TOME CINQUIÈME
TOME II DES NOTICES SCIENTIFIQUES
NOTICE HISTORIQUE
SUR LES MACHINES A VAPEUR
CHAPITRE PREMIER. — Introduction 1
CHAPfTRE II. — Machines atmosphériques ou à basse pres-
sion 5
S 1. Héron d'Alexandrie 5
S 2. Blasco de Garay 10
$ 3. .Saloraon de Caus. 14
S l\. Branca 16
S 5. Le marquis de Worcester 17
S 6. Sir Samuel Moreland 22
S 7. Denis Papin 24
S 8. Le capitaine Savery. 31
S 9. Newcoraen, Cawley et Savery 38
S 10. James Watt 42
a. Du condenseur 44
b. Machine à double effet 49
c. Machine à détente 52
d. Enveloppe ou chemise du corps de pompe 54
CHAPITRE m. — Machines à haute pression 55
§ 1. — Machines à haute pression sans condensation. —
Machines locomotives 55
S 2. — Machines à haute pression et à condensation 57
CHAPITRE IV. — Bateaux à vapeur 59
CfLVPITRE V. — Invention des principaux organes des ma-
chines à vapeur 67
§ 1. —Artifices qui donnent à la machine à vapeur la pro-
priété de marcher d'elle-même et sans aucun ouvrier. . 67
V. — II. 43
6Yi TABLE DES MATIÈRES.
§ 2. — Manivelles et volants GO
§ 3. — Moyens do diriger vertic^dement la* tigo du piston
et de la lier au balancier 70
S A. — Régulateur à force centrifuge 72
§ 5. — Soupape de sûreté. 75
CIJAPITIŒ VI. — Résumé et conclusions 78
CHAPITRE VII. — Examen des observations critiques dont la
'. notice préoédente a été lV)bJet 81
EXPLOSIONS DES MACHINES A VAPEUR
CHAPITRE PREMIER* ^ Avantrprgpûft. , 117
CHAPITRE II. — Variation de la force élastique do la vapeur
d'eau avec la température , • ^ , , 118
CHAPITRE IIL — Séparation en deux parties d'une chaudière
et projection d'une de ses parties à uae grande hauteur. . 130
CHAPITRE IV. — Explosion simultanée de plusieurs cliau*
dières 123
CHAPITRE V. — Explosions occasionnées par une «urchange
de la soupape de sûreté , I9&
CHAPITRE VI. — Explosions précédées d'un grand affaibllsM-
ment dans le ressort de la vapeur i%
CHAPITRE VIL — Explosions Immédiatemeat (Précédées de
Touverture de la soupape de sûreté. . . . , , 128
aiAPITRE VIIL — Écrasements Intérieurs des chaudièrei. , . 129
CHAPITRE IX. — Accidents particuliers ^u^ç cbaudières à
foyer intérieur , , , . . . lai
œAPITRE X. — Explosion précédée d'un grand éob^affeinept
des parois de la chaudière « 132
CHAPITRE XI. — Explosion d'une chaudière en Taîr 133
CHAPITRE XII. — Nécessité des soupapes de sûreté ; soupapes
de Papin; leurs défauts; accidents qu'ellçs peuvent pré-
venir 13^
CHAPITRE XHI. — Plaques fusibles 1A3
CHAPITRE XIV. — Lames minces 1^5
CHAPITRE XV. — Soupape manoraétrique UG
CHAPITRE XVL — Soupapes intérieures ou à air; leur objet. i!x9
CHAPITRE XVII, — Exiîlication des explosions qui sont pré-
cédées de l'ouverture de la soupape de sûreté ou d'un
afTalblissement dans le ressort de la vapeur 151
§ J. — Comment arrive-t-il qu'une chaudière éclate & l'in-
fitant même où l'oa ouvr^ la iifMipape de sOre^? Oooh
TABIE DES MATIËaBS. 675
Pages.
ment se fait-il, en outre, que cet accident ait été tou-
jours précédé d'un affaiblissement apparent dans le res-
sort de la vapeur ? 151
§ 2. — Comparaison de Texplication de M. l^rkins avec les
théories que d'autres ingénieurs ont proposées; nouvelles
causes d'explosions 164
CHAPITRE XVill. — nemarques relatives aux prétendus dan-
gers des machines à haute pression , • . 177
CHAPITRE XIX. — Nécessité de la surveillance des machines
à vapeur , 178
NÉCESSITÉ d'£NCOLRAG£R EN FRANCE LA CONSTRUCTION DES
MACUII(£S A VAPEUR 185
LES CHEMINS DE FER
I. Nécessité d'empêcher les compagnies de relever leurs
tarifs immédiatement après les avoir abaissés. 233
II. Sur les inconvénients de l'établissement de deux chemins
de fer de Paris à Versailles 388
III, Sur la nécessité de faire exécuter les chemins do fer
par des compagnies 251
Section première. — Considérations techniques 254
Section deuxième. — Sur les résultats à attendre des
chemins de fer 264
Section troisième, —Du rôle do l'État et des compagnies
dans la construction des chemins de fer 271
Section quatrième, — Du budget de l'État en matière de
travaux publics extraordinaires. ... 209
Conclusions 295
V. Impossibilité de l'exécution du réseau des chemins de
fer français par le gouvernement dans un délai rapide. 301
IV. Sur les pentes des chemins de fer 357
VI. Nécessité de soumettre à l'expérience les nouveaux sys-
tèmes de chemins de for 360
VU. Système de chemin de fer à trains articulés 393
Rapport à l'Académie des sciences. 393
Rapport à la Chambre des députés, 619
VI ir. Systèmes de chemins de for atmosphériques /|2G
IX. Explosions des chaudières des bateaux à vapeur et des
locomotives , , , ÛGI
TÉLÉGRAPUi^S ÉLECTRIQUES ET TÉLÉGRAPUES PE MIT 467
676 TABLE DRS MATIÈRES.
SUR LES CHAUX
LES MOUTIEHS ET LES CIMENTS IIYDRAULIQLES
SUR LES POUZZOLANES NATURELLES ET ARTIFICIELLES
L Fabrication artificielle des chaux hydrauliques /ii92
IL Ciments 500
IIL Pouzzolanes et trass 502
IV. Statistique des chaux hydrauliques. 505
V. Considérations économiques 507
VI. Des travaux de M. Vicat, comparés à ceux des anciens. 515
VIL Opinion des chimistes et des constructeurs sur les tra-
vaux de M. Vicat 519
VlïL liésumé. 521
NAVIGATION
L Amélioration du cours de la Seine dans Paris 527
If. Turbine de M. Fourneyron 560
m. Barrages à aiguilles 565
IV. Barrage articulé. 572
V. Barrage mobile de M. Thénard. 574
VL Amélioration du port du Havre 591
VIL Amélioration de la partie maritime de la Seine 610
VIIL Sur des travaux à entreprendre pour améliorer la navi-
gation 617
ly. Amélioration du port de Cherbourg et de celui de Port-
Vendre 626
X. Amélioration du port d'Alger 629
XI. Organisation du corps de,s ingénieurs hydrographes. . . . 635
XII. Sur l'antipathie contre la science d'une partie de l'admi-
nistration de la marine. 6^/i
XIIL Observation des marées 6,11
XIV. Ridage des mats, 65 'i
XV. Emploi simultané des voiles et de la vapeur 650
XVI. Chronomètres et cercles à réflexion destinés à la marine. 058
FIN M LA TABLE DES MATIÈRES DU TOME CINQriàME
TOMB DEUXIÈME DRS NOTICES SCIENnFIQt'ES
.^J. f